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- Lutte de Classe n°119
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Île de la Réunion - Chronique d'une grève annoncée qui n'eut pas lieu
Les mouvements de grèves et de manifestations qui ont fortement touché la Guadeloupe et la Martinique ont eu une ampleur et une profondeur bien moindres à la Réunion, l'un des quatre départements français d'outre-mer, située au sud de l'Océan Indien, non loin des côtes de Madagascar.
Dans les DOM, une même situation sociale dégradée...
Pourtant, par bien des aspects, la situation des classes populaires à la Réunion est similaire à celle des Antilles et de la Guyane, les trois autres DOM. Dans cette île de 800 000 habitants, les travailleurs sans emploi sont dorénavant plus de 100 000. Cela signifie que le taux de chômage dépasse les 24 % et même les 50 % chez les jeunes de moins de 25 ans. Et encore, ces chiffres déjà insupportables sont sans cesse dépassés par une réalité qui rejette toujours plus les travailleurs hors de l'emploi. En un an, le nombre de chômeurs a ainsi augmenté de plus de 10 000. Dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant à ce que 280 000 personnes dépendent des minimas sociaux et que 52 % de la population vivent sous le seuil de la pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 690 euros par mois.
Les difficultés de ces conditions de vie pour la très grande majorité des Réunionnais sont encore accentuées par des prix élevés, bien plus élevés encore qu'en métropole, et qui ne cessent d'augmenter. Depuis fin 2007, les prix des produits de première nécessité ont connu une ascension fulgurante. Le prix de la bouteille d'huile a grimpé de 48 % en douze mois ; ceux d'autres aliments de base comme les haricots, les lentilles, les pois ou la viande ont augmenté de l'ordre de 4 à 7 % ; le riz a augmenté le 1er mai 2008 de 25 à 30 %. Et pourtant, en invoquant la baisse des prix, les services fiscaux et les autorités régionales ont aidé le patronat, y compris celui de la grande distribution, en inventant un système aussi exotique que singulier : la TVA non perçue récupérable. C'est un dispositif d'aide qui, sur de nombreux produits, permet aux entreprises de se faire rembourser une TVA qu'elles n'ont pas payée. Ce système mis en place pour prétendument compenser le surcoût dû à l'éloignement et à l'insularité n'a évidemment pas eu l'effet escompté. L'aide est tout bonnement empochée par les patrons et jamais répercutée sur les prix de vente. De la même façon, pour certains produits de première nécessité, la région a baissé un impôt qu'elle perçoit, l'octroi de mer. Cette baisse s'est elle aussi retrouvée dans les poches de la grande distribution mais pas sur les étiquettes des produits concernés.
Concernant le logement, la situation est tout aussi difficile. Pour les 257 000 ménages que compte l'île, il manque 26 000 logements. Et cela, sans compter tous ceux qui sont insalubres ou dans lesquels les locataires vivent en surnombre. Le prix des loyers représente pour la plupart des familles plus de la moitié des salaires. Sans les aides au logement, la plupart des familles, qui vivent majoritairement du smic ou des minimas sociaux, seraient dans l'impossibilité de payer entre 400 et 450 euros pour être dans un logement social.
... et des revendications identiques
Chômage massif, coût de la vie exorbitant : quand, à la fin du mois de janvier, il est apparu que les travailleurs guadeloupéens engageaient un combat pour des revendications identiques à celles des travailleurs réunionnais, un espoir commença à naître chez certains et une large sympathie à s'exprimer. C'est alors que fut créé un collectif qui allait prendre le nom de Cospar (Collectif des organisations syndicales, politiques et associatives de la Réunion). Au sein de ce collectif qui agrégea un nombre toujours croissant d'organisations, dont certaines d'ailleurs n'étaient ni de près ni de loin liées au monde du travail, l'influence dominante était assumée par le Parti communiste réunionnais et les organisations qui lui sont liées ou qu'il influence à travers leurs dirigeants, à commencer par la CGTR, l'Union des femmes réunionnaises, le Collectif des consommateurs contre les abus bancaires, l'Association réunionnaise des personnes âgées ou l'association de lutte contre le chômage « Agir pour nout tout »... Face à ces organisations proches du PCR, les autres syndicats et courants politiques comme le NPA Réunion, le Parti de gauche ou Lutte Ouvrière, pesaient bien peu.
Sur les 62 revendications mises en avant par le Cospar, quatre ressortaient principalement parce que correspondant aux exigences de tous : 200 euros nets d'augmentation sur les bas salaires, les retraites, les minimas sociaux et les bourses étudiantes ; une baisse de cinq euros de la bouteille de gaz ; une baisse de 20 % sur 500 produits de consommation courante ; un gel des loyers sociaux. Pour exiger la satisfaction de ces revendications, le Cospar appela, le 14 février, à une journée de grève générale pour le jeudi 5 mars, soit dans un délai de près de trois semaines, ce qui semblait à beaucoup un temps bien long. Les travailleurs guadeloupéens étaient en grève depuis le 20 janvier. Par soutien aux grévistes des Antilles et aussi par efficacité pour le mouvement à la Réunion, n'aurait-il pas mieux valu que les mouvements se rejoignent pour se fortifier l'un l'autre ? À cette question que beaucoup se posaient, les dirigeants du Cospar répondirent en disant ne pas vouloir « faire du suivisme par rapport aux Antilles » et en arguant que « la Réunion n'est pas la Guadeloupe ». D'emblée, on pouvait comprendre qu'ils excluaient la grève générale, ce qui rassura momentanément les autorités et le patronat qui craignaient que le conflit antillais gagne la Réunion.
Certes, il faut parfois du temps pour préparer un mouvement, pour que les travailleurs les plus avancés puissent convaincre et entraîner leurs camarades ; pour qu'à travers des étapes de mobilisation, même partielles, ceux qui commencent à entrer dans le mouvement se convainquent que le rapport de forces à construire est susceptible d'aboutir à une issue positive. Mais tels ne furent pas les objectifs que se donnèrent les dirigeants du Cospar. Entre le 14 février et le 5 mars, le collectif mena ce qu'il appela des « opérations coup-de-poing », devant différentes grandes surfaces de l'île et à la Chambre des commerces et de l'industrie. Il s'agissait d'opérations symboliques visant uniquement à attirer l'attention des pouvoirs publics, du patronat et de la population qui, elle, voyait évidemment ces actions avec sympathie. Mais surtout, ces opérations furent volontairement et exclusivement organisées à quelques dizaines, sans les travailleurs donc, qui assistaient en tant que téléspectateurs à ce qui se faisait en leur nom.
Des actions tardives...
Le jeudi 5 mars, jour des premières grandes manifestations, près de 30 000 personnes sont descendues dans les rues de Saint-Denis, la capitale, et de Saint-Pierre, la plus grande ville du sud de l'île. L'augmentation du pouvoir d'achat et la baisse des prix étaient au coeur des revendications. Partout dans les défilés on pouvait lire sur les pancartes ou entendre des slogans qui résumaient les attentes et les revendications de la population.
À la fin de la manifestation, deux représentants du Collectif appelèrent à une grève générale reconductible, mais seulement à partir du mardi 10 mars, jour où de nouvelles manifestations étaient prévues. D'ici là, étaient seulement organisées quelques opérations « coup-de-poing ».
L'annonce de la grève générale reconductible laissa un temps penser que les travailleurs de la Réunion allaient rejoindre enfin ceux des Antilles. L'inquiétude se fit palpable du côté des autorités, au point que le préfet s'empressa d'annoncer que l'État était prêt à prendre à sa charge 100 euros pour financer, pendant trois ans et sous forme d'une prime mensuelle, l'augmentation du salaire des travailleurs du privé percevant moins que 1,4 fois le smic. Seulement, aucune ligne de crédit spécifique n'a été prévue à cet effet, si bien que l'État devra puiser cet argent dans l'enveloppe destinée aux allocataires du RSA, dont l'application serait retardée d'un même temps, c'est-à-dire de trois ans à la Réunion. De leur côté, les patrons étaient invités par le préfet à contribuer à hauteur de 50 euros. Quant aux conseils général et régional, il leur était demandé le complément, soit 25 euros à chacun. Le préfet promettait également une diminution du prix de la bouteille de gaz et des carburants ; baisse qui fut actée, le lundi 9 mars, à la veille de la nouvelle journée de manifestations et de la grève générale reconductible annoncée : trois euros sur la bouteille de gaz et quatre et six centimes sur l'essence et le gasoil.
Dans l'attente de la journée du mardi 10 mars, des diffusions de tracts sur différents ronds-points de l'île ont eu lieu, ainsi que des « opérations coup-de-poing », toujours avec un nombre restreint de participants, c'est-à-dire sans participation de la population. Il apparaissait ainsi de plus en plus évident que la direction du Cospar n'irait pas plus loin dans la mobilisation. Dès lors, dans une situation marquée par l'absence d'une réelle pression émanant du monde du travail, plus aucune concession ne sera faite de la part des autorités préfectorales, ni du patronat bien sûr, qui tout en rechignant s'aligna quand même sur les positions du préfet : 50 euros de plus par mois, soit 1,66 euro de plus par jour et par salarié. Il n'y a là rien qui puisse le ruiner ni même égratigner ses profits.
La présidente de droite du conseil général, Nassimah Dindar, et le président de la région, Paul Vergès, leader du PCR, maintenaient leur position : pas question de financer les deux fois 25 euros restants et cela au prétexte, juste au demeurant, que les collectivités territoriales n'ont pas à se substituer au patronat pour augmenter les salaires. Seulement, Vergès, qui dit se situer dans le camp de la population laborieuse, aurait été autrement plus convaincant s'il avait réellement aidé à l'organisation de la pression nécessaire pour faire céder le patronat. Il n'en a rien été et la journée du mardi 10 mars qui a regroupé dans les manifestations environ 15 000 personnes, soit deux fois moins de monde que celle du jeudi 5 mars, s'est terminée sans que les dirigeants du Cospar annoncent quoi que ce soit pour la suite, si ce n'est les sempiternelles actions coup-de-poing contre les magasins de la grande distribution, qui au fil du temps se sont d'ailleurs transformées en de simples opérations de communication.
... laissant les travailleurs sans perspectives et insatisfaits
Eût-il été possible d'aller au-delà de ce qui fut fait ? Il est bien difficile de le savoir puisque rien n'a été tenté dans ce sens. C'est d'ailleurs ce sentiment de ne pas avoir été au bout des possibilités qui laisse un goût amer à certains. Quoi qu'il en soit, ce mois et demi durant lequel de nombreux travailleurs ont pu exprimer leurs besoins, dire collectivement ce qu'ils pensaient de la politique patronale et gouvernementale qu'ils subissent à longueur de temps, aura, il faut l'espérer, laissé des traces positives pour l'avenir. En particulier est apparu au grand jour le fait que les travailleurs quels qu'ils soient, guadeloupéens, martiniquais, réunionnais, de métropole ou d'ailleurs ont des intérêts communs, face à des adversaires tout aussi communs, quand ce ne sont pas exactement les mêmes, comme dans le cas des patrons de la grande distribution, par exemple. Et cela est si vrai, que ce qui sera au final obtenu à la Réunion, y compris la baisse des prix sur 200 articles qui se dessinerait, l'aura été grâce à la lutte des travailleurs des Antilles. Cette réalité est si évidente, si limpide que même les dirigeants du Cospar, dont certains sont pourtant prompts à rechercher des particularismes qui isoleraient les travailleurs de la Réunion, sont bien obligés de la reconnaître, ne serait-ce qu'en demandant de façon répétée à Yves Jégo, le secrétaire d'État à l'outre-mer, de bien vouloir étendre à la Réunion ce qui a été obtenu aux Antilles, comme il s'y est engagé.
Et enfin, si parmi les militants du mouvement certains en sortent avec la conviction que, pour faire reculer patronat et gouvernement, c'est l'action de tous qui est nécessaire, qu'aucune action minoritaire ne peut remplacer l'action collective ; qu'il est vital d'entraîner toujours plus de travailleurs et de jeunes dans les grèves et les manifestations, et surtout que c'est aux travailleurs, aux grévistes eux-mêmes d'expliquer, de convaincre, d'entraîner, alors, même ce mouvement inabouti aura porté ses fruits.
27 mars 2009