Grande-Bretagne - Main basse sur les retraites des travailleurs01/07/20012001Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2001/07/59.png.484x700_q85_box-17%2C0%2C578%2C811_crop_detail.png

Grande-Bretagne - Main basse sur les retraites des travailleurs

Dans tous les pays industrialisés, les seuls où la population laborieuse ait jamais disposé d'un véritable système de retraites, on ne parle plus aujourd'hui que de la nécessité de "moderniser" ces systèmes.

Sous prétexte de l'accroissement futur de la population retraitée par rapport à la population active, il faudrait repousser l'âge de la retraite tout en remplaçant les systèmes par répartition existants (où les cotisations des actifs financent les retraites) par des systèmes par capitalisation (où chacun finance sa propre retraite par le jeu d'investissements sur les marchés financiers).

Passons sur la grossièreté du prétexte. Même si le nombre de retraités a augmenté par rapport à la population active, la productivité du travail a augmenté bien plus encore. Il faut une sacrée dose d'hypocrisie pour oser dire que des économies aussi riches ne pourraient pas se permettre de pourvoir aux besoins de leurs travailleurs retraités, alors qu'on assiste depuis des années à une explosion des bénéfices des grandes entreprises bénéfices qui sont le produit du labeur des travailleurs actifs, justement.

En fait, les objectifs de cette prétendue modernisation sont partout les mêmes. Il s'agit à la fois de réduire les dépenses de l'État de façon à ce que celui-ci puisse consacrer une plus grande part de ses ressources à subventionner les profits de la bourgeoisie, de diminuer les coûts salariaux du patronat par un abaissement de leurs cotisations et de jeter dans la sphère financière l'énorme manne des cotisations-retraites pour le plus grand profit des capitalistes de la finance.

C'est une telle "modernisation" que le gouvernement travailliste de Tony Blair a entrepris de mettre en oeuvre en Grande-Bretagne depuis son arrivée au pouvoir, en 1997. Comble d'hypocrisie, c'est au nom de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion que Blair a eu le culot de la présenter. Mais il faut croire que l'électorat populaire n'a pas été dupe, ni de cette prétendue modernisation ni de tant d'autres mesures anti-ouvrières prises par les travaillistes, avec le soutien des deux autres grands partis du pays, sous les mêmes prétextes : c'est ce qu'indiquent les élections parlementaires du 7 juin dernier, avec une hausse spectaculaire de 13 % de l'abstention et une chute tout aussi spectaculaire de 2,7 millions des voix travaillistes.

Cela dit, cette attaque en règle de Blair contre le système des retraites, qui n'est d'ailleurs que la continuation de la politique menée avant lui dans ce domaine par les conservateurs, pourrait bien préfigurer ce que Jospin et son gouvernement, ou son éventuel successeur quel qu'il soit, après les élections de l'an prochain, chercheront à un moment ou un autre à imposer en France à la population laborieuse.

Des décennies de paupérisation pour les retraités

Il faut rappeler, tout d'abord, que malgré tout ce qu'on a pu dire sur l'"État-providence" britannique, les retraités y ont toujours été réduits à la portion congrue. Mais il y avait tout de même des éléments positifs dans le système mis en place après la Deuxième Guerre mondiale, et qui demeure encore aujourd'hui en vigueur (pour l'instant tout au moins). Il s'agissait d'un système intégré de financement des retraites et des allocations sociales de tous ordres par les actifs, par le biais de cotisations payées à la fois par le patronat et par les salariés. De plus, la loi prévoyait qu'en cas de besoin, c'était à l'État que revenait la charge de compléter ce financement.

Mais l'administration travailliste qui mit en place ce système à la fin des années quarante n'avait pas agi par pure générosité envers la classe ouvrière. Tandis que par son programme de nationalisations, elle finançait les investissements que la bourgeoisie ne voulait pas faire, son programme social visait à fournir au patronat une main-d'oeuvre bon marché. Toutes les allocations et prestations sociales furent donc calculées pour rendre tout juste supportables les bas salaires pratiqués à l'époque. Il en alla de même de la retraite d'État dont le principal objectif fut d'alléger (au moins en partie) la charge financière que représentaient les retraités pour leurs enfants ou petits-enfants salariés. C'est ainsi que le montant de la retraite d'État pour un célibataire fut fixé à 19 % du salaire moyen. Mais la réévaluation de ce montant en fonction de la hausse des prix ou des salaires fut laissée au bon vouloir des gouvernements au moins jusque dans les années soixante-dix, où fut introduit un système d'indexation sur le montant du salaire moyen.

Ceux qui n'avaient d'autre revenu que ces retraites minimales pouvaient les compléter au moyen des allocations sociales destinées aux plus bas revenus allocations dont le versement dépend de contrôles tatillons et humiliants des ressources et des biens. Ainsi, après toute une vie d'exploitation, alors qu'arrivait enfin l'heure d'une retraite bien méritée, on exigeait des vieux travailleurs qu'ils aillent mendier leur dû auprès de l'assistance sociale ! Et sans même d'ailleurs que cela leur permette d'échapper totalement à la misère.

Les salariés des grandes industries bénéficiaient, il est vrai, de retraites complémentaires "maison" concédées par le patronat sur la base d'un rapport de forces plus favorable aux travailleurs, souvent avant la Seconde Guerre mondiale. Elles étaient alimentées uniquement par les cotisations des salariés et fonctionnaient comme des comptes d'épargne collectifs, administrés par l'entreprise, parfois avec la participation des syndicats.

Quand un travailleur affilié arrivait à l'âge de la retraite, son épargne lui était "restituée", soit sous forme d'un montant forfaitaire, soit sous la forme d'un versement hebdomadaire jusqu'à un certain âge. Mais dans tous les cas, le montant versé dépendait beaucoup du rapport des forces sociales dans l'entreprise et dans le pays en général. Et surtout, si un travailleur affilié changeait d'employeur, il lui était difficile, voire impossible, d'obtenir le remboursement de ses cotisations. Le licenciement, en particulier, entraînait toujours la perte de toutes les cotisations payées.

Il fallut attendre les années soixante-dix pour qu'une législation encadre ces retraites complémentaires. L'affiliation des travailleurs devint obligatoire dans toutes les entreprises disposant d'un tel système. En outre, les employeurs durent cotiser pour chaque salarié (cotisation qu'ils prirent sur les salaires, bien entendu). Dans la plupart des cas, les cotisations comme les retraites devinrent proportionnelles aux salaires et les entreprises devinrent responsables du versement des retraites tout au moins sur le papier, comme le scandale de l'affaire Maxwell vint le montrer par la suite.

Cela ne réglait pas pour autant le problème des millions de salariés qui, au moment de la retraite, ne bénéficiaient pas de retraites complémentaires. A leur intention, les gouvernements travaillistes qui se succédèrent entre 1974 et 1979 mirent en place le SERPS, un système national de retraite complémentaire obligatoire. Il s'agissait d'un système par répartition qui assurait une retraite proportionnelle : pour un salaire moyen, le SERPS assurait une retraite équivalant à 25 % du salaire antérieur.

Toutes ces mesures entraînèrent une hausse générale des niveaux des retraites dans la deuxième moitié des années soixante-dix. Mais la hausse fut de courte durée. Il n'existait en effet aucun mécanisme protégeant le pouvoir d'achat du SERPS ni de la plupart des retraites complémentaires d'entreprise. La forte inflation qui marqua les années soixante-dix et la première moitié des années quatre-vingt fit qu'en quelques années ces retraites se trouvèrent réduites à peu de chose, particulièrement pour les retraités dont le salaire avait toujours été bas. De sorte que lorsque Thatcher arriva au pouvoir en 1979, le pouvoir d'achat des retraites était si bas que 57 % des retraités dépendaient des allocations sociales destinées aux pauvres.

L'ère Thatcher : une liquidation en partie avortée

Lorsque Thatcher et les conservateurs arrivèrent au pouvoir, en 1979, l'une de leurs premières mesures fut d'indexer le montant de la retraite d'État non plus sur le salaire moyen mais sur l'indice des prix. Au cours des années suivantes, les indices officiels firent l'objet de diverses manipulations, tant et si bien que cette mesure apparemment anodine, entraîna une réduction de la valeur de la retraite d'État de 23 % du salaire moyen en 1978 à 16 % aujourd'hui (car les travaillistes se sont bien gardés de rétablir l'indexation de la retraite d'État après leur retour au pouvoir), soit une réduction de pouvoir d'achat d'un tiers en vingt ans d'après la Convention Nationale des Retraités, une organisation de retraités militante présidée par l'ancien leader du syndicat des Transports, Jack Jones. En outre, avec le chômage et la généralisation du travail précaire, la proportion des retraités qui n'ont pas assez d'années de travail (une année ne compte que si elle est entièrement travaillée) pour toucher le taux maximum augmente : parmi les retraités actuels, 14 % des hommes et 51 % des femmes sont dans ce cas. Et les choses ne sont pas près de s'améliorer, si l'on sait que le nombre des travailleurs dont le revenu est trop bas pour cotiser à la retraite augmente, atteignant officiellement près de 2,5 millions l'an dernier.

La deuxième attaque des conservateurs contre le système des retraites vint en 1986, avec une loi visant à transférer une partie des cotisations vers des fonds privés de retraites par capitalisation. Bien que Thatcher ait pris soin de s'en défendre à l'époque, cette loi préparait également le terrain pour la suppression du SERPS, en réduisant progressivement sa valeur. Mais dans un premier temps, Thatcher comptait surtout pousser les assurés au SERPS à se tourner vers les fonds de retraites par capitalisation. C'est avec le même objectif que les conservateurs s'en prirent aux retraites complémentaires d'entreprises en supprimant l'affiliation automatique de tous les salariés, ce qui affaiblit la base financière de ces programmes, tout en supprimant l'obligation faite aux employeurs de cotiser.

En même temps, la propagande officielle se mit en branle pour vanter les vertus des plans de retraites individuels par capitalisation. On fit miroiter des avantages fiscaux importants et des retraites mirifiques pour inciter les travailleurs affiliés au SERPS ou aux retraites d'entreprises à les abandonner pour souscrire à de tels plans. Ce qui implique que les sommes accumulées dans le cadre du SERPS aussi bien que dans celui des retraites d'entreprises diverses sont récupérées en totalité par la nouvelle compagnie. En même temps, les placeurs des compagnies d'assurances promettaient des primes de bienvenue alléchantes aux nouveaux souscripteurs, ce qui, dans le contexte difficile de l'époque, ne pouvait qu'attirer les plus bas revenus.

Il s'ensuivit un énorme scandale financier. En l'espace de six ans, près de quatre millions de travailleurs quittèrent le SERPS et un autre million sortit des systèmes de retraites d'entreprises et parmi eux, plus d'un million et demi qui étaient tout en bas de l'échelle salariale. Il ne fallut pas bien longtemps pour que les nouveaux souscripteurs de plans de retraites individuels finissent par remarquer certaines clauses cachées de leurs contrats. Ils s'aperçurent par exemple que la "prime de bienvenue" qui avait servi d'appât avait été en fait déduite de la somme accumulée sur leurs cotisations antérieures, que le transfert des fonds de leur ancienne retraite vers le nouveau plan leur avait coûté jusqu'à 4 % du montant total de leurs cotisations, que rien ne protégeait leur future retraite des aléas de la Bourse et enfin que les modestes cotisations qu'ils pouvaient verser étaient en fait en grande partie absorbées par ce que les compagnies d'assurances appelaient par euphémisme des "frais de gestion". Bref, des millions de travailleurs se voyaient condamnés à payer des cotisations toute leur vie pour une retraite au mieux fortement réduite et au pire dérisoire.

Lorsque le scandale éclata en 1994, le gouvernement eut vite fait de faire dénoncer les placeurs d'assurances. Pourtant, qui étaient les vrais responsables sinon les ministres conservateurs qui avaient orchestré cette campagne et les géants de l'assurance qui s'étaient si bien arrangés pour gruger les salariés ? En tout cas, le scandale fut tel que le gouvernement conservateur de John Major se trouva contraint de mettre en place un fonds destiné à indemniser les assurés lésés, financé en partie par les compagnies d'assurances. Les finances de l'État y contribuèrent également, mais à ce jour le montant alloué pour subventionner cette escroquerie à la retraite reste toujours secret. L'enquête officielle permit d'identifier 1,4 million de cas nécessitant une indemnisation et la date limite du règlement fut fixée à décembre 1998. Mais en décembre dernier, deux ans après cette date limite, le quotidien d'affaires Financial Times rapportait encore qu'il restait plus de 500 000 dossiers en souffrance.

Ce scandale ne fut pas le seul qui marqua le passage des conservateurs au pouvoir. C'est ainsi que Thatcher changea la réglementation régissant les retraites d'entreprises en autorisant celles-ci à disposer des "excédents", c'est-à-dire de tout ce qui allait au-delà du strict minimum nécessaire pour financer les retraites, compte tenu du rendement prévisible des placements financiers. Ce changement de réglementation permit aux grandes entreprises de faire main basse sur une partie importante des fonds de retraites, pour financer leurs investissements ou des plans de licenciements, voire tout simplement pour gonfler leurs profits. C'est ainsi par exemple qu'à elles seules, les compagnies d'électricité privatisées raflèrent plus de 13 milliards de francs sur leurs fonds de retraites avec lesquels elles financèrent le licenciement de dizaines de milliers de travailleurs.

Mais cette fois, contrairement à ce qui s'était passé lors du scandale des plans de retraites individuels, on ne parla ni de commission d'enquête ni d'indemnisation, à une exception près lors de l'affaire Maxwell. Après l'écroulement de l'empire Maxwell (dont le plus beau fleuron était le Daily Mirror, deuxième quotidien du pays) et le mystérieux "suicide" de ce dernier, il était difficile d'étouffer l'affaire. En outre, les liens connus de Maxwell avec le parti travailliste offraient une occasion en or aux conservateurs, qui ne se privèrent pas d'exploiter le détournement par Maxwell de l'argent des retraites de ses employés. Mais si on fit enquête et contre-enquête, aucun gouvernement (ni conservateur ni a fortiori travailliste) ne montra le moindre empressement à imposer l'indemnisation des travailleurs et retraités du Mirror Group. Près de dix ans après la mort de Maxwell, le ministère de l'Industrie et du Commerce vient de clore un rapport dans lequel il apparaît sans le moindre doute possible que les principaux partenaires de Maxwell y compris de grandes banques comme Midlands (devenue HSBC), NatWest, Lloyds et Goldman Sachs étaient dans le coup des transactions douteuses de Maxwell. Mais il n'est pas question pour autant de les poursuivre pour complicité, sans même parler de les forcer à indemniser les victimes de Maxwell. Mais il est vrai qu'il ne faut pas s'en étonner : que ce soit sous les conservateurs ou sous les travaillistes, il n'a jamais été question de remettre en cause le droit des employeurs d'arnaquer leurs propres salariés !

Une escroquerie à la sauce Blair

Blair mit en chantier son plan de réforme des retraites dès juillet 1997, c'est-à-dire deux mois seulement après son élection. Il ne laissa aucun doute quant à ses objectifs : comme l'indiquait un document du ministère des Affaires sociales publié en novembre 1997, il s'agissait de réduire la part du rôle joué par l'État dans l'administration des retraites de 60 % à 40 % du total. Un an plus tard, lors de la discussion du Livre vert sur les retraites élaboré par le gouvernement, le ministre des Affaires sociales, Alistair Darling, abandonna toutes précautions oratoires en déclarant à la Chambre des Communes : "J'ai l'intention de m'assurer que le système soit réformé de telle façon que tous ceux qui resteront affiliés au système de retraite d'État y perdent de l'argent."

Malgré son engagement électoral de "conserver le SERPS pour ceux qui souhaitent y rester assurés", il était donc clair que l'intention de Blair, tout comme celle de Thatcher en son temps, était de réduire la place de la retraite d'État pour rediriger l'épargne des travailleurs vers les coffres-forts des géants de la finance. Mais, pour cela, encore fallait-il surmonter les résistances engendrées parmi les travailleurs par le scandale des plans de retraites individuels.

C'est pour surmonter ces résistances que Blair a introduit en avril dernier un nouveau type de retraites par capitalisation, dites "retraites participatives". Après une longue campagne de publicité, ces retraites ont été mises en vente sous la forme de "kits" dans les bureaux de poste et supermarchés.

Ces "retraites participatives" sont officiellement destinées aux quelque 4,5 millions de travailleurs dont le revenu annuel est compris entre 110 000 et 220 000F. Pourquoi cet objectif ? En grande partie sans doute parce que 75 % de ces travailleurs sont actuellement affiliés au SERPS et qu'en les incitant à prendre ces nouvelles retraites, le gouvernement travailliste compte bien accélérer la mise au rancart définitive du SERPS.

Ces "retraites participatives" sont présentées comme des retraites "bon marché" à cotisations fixes. Bon marché, cela veut dire que les cotisations peuvent n'être que de 220F par mois. Mais si on examine les coûts réels, elles ne sont pas si bon marché qu'il y paraît. En règle générale, la loi prévoit que les "frais de gestion" de ces retraites doivent être "au maximum de 1 % par an". Au premier abord, cela paraît peu de chose. Seulement la formulation est délibérément ambiguë, car il ne s'agit pas de 1 % des cotisations versées mais de 1 % du capital accumulé, ce qui n'est pas pareil du tout. La Convention Nationale des Retraités a ainsi calculé qu'au taux actuel de rendement des placements, les compagnies d'assurances pourront ainsi encaisser, au titre des "frais de gestion", 25 % du total des cotisations versées par chaque assuré au cours de sa vie active pas vraiment bon marché pour les travailleurs, mais à coup sûr rentable pour les financiers !

Quant à la sécurité des futurs retraités, dont il est tant question dans les documents officiels, il ne faut pas trop compter sur les "retraites participatives" pour la garantir. Ces plans épargne-retraite à cotisations définies n'offrent en fait pas plus de garanties aux assurés que les retraites individuelles de Thatcher en ce qui concerne le montant de la pension qui leur sera finalement versée. La moindre chute des cours des actions en Bourse peut faire fondre la valeur de ces pensions comme neige au soleil. Et même si ce n'est pas le cas, il suffit que les taux d'intérêt soient bas sur les marchés financiers lorsque le capital accumulé sera converti en une rente viagère au moment de l'âge de la retraite pour que le montant de la pension versée soit très bas. Dans tous les cas, l'assuré n'a aucun recours. Une seule chose est garantie : la part que les requins de la finance s'octroieront chaque année, quelle que soit la situation des marchés financiers.

Beaucoup de travailleurs n'auront pas conscience des risques liés aux "retraites participatives". Non seulement la nouvelle réglementation en matière de retraites protège explicitement les assureurs, en les dispensant de présenter ces risques aux acheteurs potentiels, mais elle les protège même contre toute action en justice à ce sujet. Tous les ingrédients sont réunis pour un remake du scandale des plans de retraites individuels, sauf qu'aujourd'hui, l'escroquerie est prévue et pour ainsi dire encouragée par le gouvernement britannique.

Le gouvernement Blair affirme bien entendu que les intérêts des retraités seront protégés par l'organisme régulateur de la Finance, le PSA, qu'il a mis en place dans ce but. Mais quand il s'agit de faire contrepoids aux intérêts du monde des affaires, ces prétendus régulateurs se montrent toujours bien plus soucieux de "protéger les marchés" que les usagers. Pourquoi en irait-il autrement dans les assurances ? D'ailleurs le cas récent de la semi-banqueroute d'Equitable Life, la plus vieille société d'assurance du pays, est là pour en faire la preuve : les régulateurs du PSA n'ont rien fait pour empêcher que les fonds de la majorité des petits assurés soient gelés pendant sept mois suite à une sous-estimation des risques par la compagnie. Et la gestion douteuse d'Equitable Life n'empêche même pas cette compagnie de continuer à gérer les retraites complémentaires du personnel de la Chambre des Communes comme de celui... du PSA lui-même, c'est tout dire !

Loin de protéger les droits des futurs retraités, comme le prétend le gouvernement, la réglementation des "pensions participatives" protège seulement les profits des banques et des compagnies d'assurances. Il n'est donc pas surprenant que les grands établissements financiers se soient précipités pour profiter de l'aubaine : dès le 6 avril, toutes les grandes banques et compagnies d'assurances se bousculaient pour proposer leurs propres "retraites participatives" aux salariés, sans parler de la chaîne de grands magasins Marks & Spencer, du groupe de loisirs Virgin et de la National Farmers' Union, le puissant syndicat des exploitants agricoles.

Des retraités "moins dépendants de l'État" ?

Lorsque les travaillistes sont revenus au pouvoir en 1997, la situation des futurs retraités parmi les bas salaires était incertaine. Mais au moins, grâce aux retraites d'entreprises et au SERPS, la situation des retraités d'alors s'était très légèrement améliorée par rapport à 1979. Mais seulement très légèrement : en 1998, 65 % des retraités avaient un revenu tellement bas qu'ils n'étaient pas imposables, 37 % percevaient des allocations sociales diverses, dont plus de 25 % percevaient les allocations sociales destinées aux pauvres.

Certes, la retraite d'État doit être augmentée de près de 7,5 % en avril, pour atteindre 780F par semaine pour un retraité vivant seul la différence n'est pas négligeable, quand on se souvient que le dernier "coup de pouce" en date généreusement accordé par Blair n'a été que de 8F l'année dernière, ce qui avait fait l'effet d'une véritable insulte à des millions de retraités, et à juste raison ! Mais malgré l'augmentation de cette année, les quelque 1,3 million de retraités britanniques qui ne disposent d'aucun autre revenu que la retraite d'État resteront bien en dessous du seuil de pauvreté.

Sous prétexte de combattre cette pauvreté endémique, le gouvernement travailliste a commencé à mettre en oeuvre toute une série de mesures complexes. En avril 1999, les retraités ont d'abord cessé d'avoir droit aux allocations pour les pauvres pour percevoir, toujours sous réserve d'avoir un revenu inférieur à un certain niveau, une nouvelle allocation permettant d'assurer aux retraités un revenu minimum garanti. Les étiquettes ont changé mais pas le contenu, à ceci près que ce revenu minimum garanti devrait être indexé sur le salaire minimum, mais seulement si "les ressources nécessaires sont disponibles", pour reprendre les mots du ministre des Finances. En avril de cette année, ce minimum garanti a été porté de 800F à 1000F par semaine pour un retraité célibataire. L'augmentation paraît importante à première vue, mais en fait toute autre allocation ou revenu entre en déduction de ce minimum, y compris les allocations-logement, de sorte que pour les plus pauvres il ne peut fournir au mieux qu'un minimum de survie.

La nouvelle étape de la réforme de Blair viendra en avril 2003, avec l'introduction d'un nouveau crédit d'impôt destiné aux retraités, qui offrira une petite prime aux retraités ayant un revenu salarié et à ceux qui ont une retraite complémentaire privée. Mais comme tout crédit d'impôt, il ne profitera qu'à ceux qui en payent et pourra, dans certains cas, entraîner une réduction d'autres allocations comme l'allocation logement.

En ce qui concerne les futures retraites des bas salaires (c'est-à-dire dont le revenu est inférieur à 110 000F par an), Tony Blair a déjà annoncé qu'à partir d'avril 2002, le SERPS sera remplacé par une nouvelle retraite complémentaire d'État, le S2P. Au début, les retraites S2P suivront le modèle du SERPS : elles conserveront une certaine proportionnalité par rapport aux salaires antérieurs mais cette proportionnalité sera dégressive au fil du temps. Puis, en 2007, la S2P deviendra une retraite forfaitaire, comme la retraite d'État. Mais contrairement à ce qui se passe pour le SERPS et la retraite de base, les périodes d'interruption de l'activité pour cause de maladie ou pendant les six mois de versement de l'indemnité de chômage ne seront pas compensées par l'État. Autrement dit, pour obtenir une retraite S2P à taux plein, la plupart des travailleurs devront verser des cotisations pendant 49 ans sans interruption ce qui leur sera quasiment impossible, même en travaillant jusqu'à 70 ans.

Le Pension Provisions Group, organisme d'experts nommé par le gouvernement, a résumé les implications de cette situation. Selon ses projections, effectuées sur la base des chiffres avancés par le gouvernement, la somme de la retraite de base et de la retraite complémentaire S2P sera largement inférieure aux 23 % du salaire moyen que garantissait en 1979 la retraite de base seule. Et les experts en concluent que loin de rendre les retraités plus indépendants de l'État, comme le proclame Blair, sa réforme les rendra encore plus tributaires des allocations sociales. Autrement dit, ils deviendraient encore plus pauvres.

Le TUC et la réforme des retraites

Pour faire contrepoids à la suspicion suscitée par les plans de "retraites participatives", Blair a invité les "associations" à parrainer leurs propres plans. Et comme on pouvait s'y attendre, le TUC (Trade Union Congress), la centrale syndicale britannique, ne s'est pas fait prier. Son leader, John Monks, a répondu à la première législation du gouvernement sur les retraites en novembre 1999, en ces termes : "Nous sommes très satisfaits des propositions du gouvernement en ce qui concerne la réforme des retraites : il y a trop peu de salariés qui épargnent suffisamment pour leur retraite. Ce que nous voulons, c'est garantir que ceux qui travaillent aujourd'hui auront accès aux meilleurs placements pour constituer leur retraite. C'est pourquoi nous pensons que les salariés assurés par un système de retraites d'entreprises devraient aussi avoir la possibilité de souscrire des programmes de "retraites participatives", afin de constituer de manière rentable un capital plus conséquent. (...) Correctement mises en place, les "retraites participatives" donneront à des millions de travailleurs la possibilité de se constituer une épargne honorable leur donnant droit à une retraite digne. Et les syndicats ont un rôle clé à jouer dans la généralisation des programmes de "retraites participatives" : ils peuvent fournir à leurs membres des prestations de qualité, apportant une plus-value au timbre syndical, en fournissant des services modernes et utiles pour relever les défis du XXIe siècle."

Après les voyages organisés, cartes de crédit et autres prêts immobiliers, la presse syndicale britannique se lance aussi dans la publicité pour les "retraites participatives". Le syndicat des électriciens et des professionnels de la métallurgie a déjà créé son propre plan, suivi par le syndicat des médias, et d'autres s'y préparent.

Le mépris affiché par les bureaucrates syndicaux pour les intérêts collectifs des travailleurs y compris les plus fondamentaux, comme la solidarité entre générations et leur manque de scrupules à jeter les travailleurs en pâture aux requins de la City, tout cela n'est pas vraiment nouveau. Après tout, les syndicats britanniques ont toujours été les promoteurs les plus enthousiastes des retraites d'entreprises, malgré leur caractère corporatiste et souvent spéculatif.

Ecartés de la gestion de nombreux programmes de retraites d'entreprises sous les précédents gouvernements conservateurs, les appareils syndicaux ne sont que trop heureux de revenir par la grande porte dans le domaine des retraites avec la réforme de Blair. Ce sera pour eux un moyen de gagner un peu plus de respectabilité vis-à-vis des milieux d'affaires, en s'octroyant au passage des sinécures dans les nombreux organismes administratifs et régulateurs impliqués dans la gestion des retraites et, plus généralement, d'augmenter leur poids social sans rien devoir pour cela à la conscience des travailleurs et au militantisme de leurs membres, choses qu'ils craignent plus que tout.

Une société incapable de pourvoir aux besoins de ses retraités ?

Pendant la phase de mise en place de sa réforme, entre 1997 et 1999, le gouvernement Blair a ouvertement rejeté l'idée que les "retraites participatives" assurent aux futurs retraités une retraite d'un montant minimum fixé à l'avance, prétextant que cela les rendrait "trop chères" pour les travailleurs, étant donné le coût des polices d'assurance nécessaires.

Suivant le même raisonnement, les ministres de Blair auraient dû considérer qu'extorquer 25 % des cotisations des travailleurs pour les mettre dans la poche des compagnies d'assurances, c'était aussi "trop cher". Et puisque la seule "justification" donnée à ces "frais de gestion" exorbitants était la nécessité de jouer en Bourse avec l'argent des retraites pour en augmenter la valeur, il en découlait un seul choix possible que toutes les cotisations de retraites soient gérées par l'État, dans le cadre d'un système par répartition, qui serait seul en mesure de garantir des retraites décentes à tous les travailleurs, sans dépendre du coût de la spéculation ni des hauts et des bas des marchés financiers.

A cela, les adversaires du système par répartition objectent que tôt ou tard, la proportion de travailleurs actifs sera trop faible pour assurer le financement des pensions de tous les retraités. Cet argument ne tient pas. D'après les statistiques officielles, la population active a diminué de 15 % par rapport à la population à la retraite entre 1971 et 1991, soit en vingt ans. Le système des retraites ne s'est pas effondré pour autant alors qu'il continuait à reposer en grande partie sur un système par répartition. Selon leurs propres chiffres, entre 1991 et 2011, la population active devrait baisser de 11 % par rapport à la population âgée de 65 ans et plus soit une baisse moindre que celle de la période précédente. Alors pourquoi donc le système des retraites serait-il davantage menacé aujourd'hui que dans les années soixante-dix et quatre-vingt ?

Derrière l'argumentation officielle, il y a l'idée qu'une réduction du rapport des actifs aux retraités générerait mécaniquement moins de richesses et empêcherait par conséquent de subvenir aux besoins croissants des retraités. Mais depuis deux décennies, les ministres britanniques ne cessent-ils pas de se féliciter sur tous les tons de la "croissance" de l'économie comme si cette croissance était le résultat de leur politique et non du travail de millions de salariés ? Et en effet, la productivité du travail a augmenté à un rythme bien plus rapide que celui de la baisse des effectifs ouvriers. Il suffit de prendre n'importe quel grand secteur industriel pour s'en convaincre : dans l'automobile par exemple, les effectifs ont été considérablement réduits dans les deux dernières décennies, mais le nombre de voitures produites n'a pas cessé d'augmenter. Autrement, les entreprises et leurs actionnaires n'auraient jamais pu engranger de tels profits. Car, ce n'est pas le fait de siéger à des réunions de conseil d'administration et d'empocher des jetons de présence ou des dividendes qui crée des richesses.

Bien que ses effectifs aient été réduits par les mesures de "rationalisation" et les licenciements économiques, la classe ouvrière produit bien plus de richesses aujourd'hui qu'il y a vingt ans, ou a fortiori quarante ans. Alors pourquoi ce surcroît de richesses produites ne pourrait-il pas être utilisé pour assurer au nombre croissant de salariés âgés une retraite décente ?

Il n'y a qu'une raison à cette aberration, et elle n'a aucun rapport avec d'hypothétiques contraintes démographiques : il s'agit de la détermination de la bourgeoisie (et des hommes politiques à sa solde) à augmenter sa part dans les richesses produites par la société. Et c'est exactement ce qui s'est produit au cours des deux dernières décennies, en réduisant le niveau de vie de la population laborieuse, en imposant la précarisation du travail, en démantelant les services publics, tandis qu'en même temps les impôts payés par les riches et les grandes entreprises étaient réduits. Et le plan de réforme des retraites des travailleurs élaboré par Tony Blair ne peut qu'aggraver la situation, en transférant une partie du revenu de la population laborieuse dans les caisses de la City, au lieu de l'utiliser pour financer des retraites décentes.

Alors si on laisse faire les capitalistes, la part laissée à la classe ouvrière sur les richesses qu'elle produit risque en effet d'être insuffisante pour couvrir les besoins de ses retraités. Mais il n'y a là rien d'inéluctable. Et, au lieu de laisser leurs aînés à la merci des soubresauts irrationnels des marchés financiers et de l'appétit des requins de la City, les travailleurs britanniques auraient tout à gagner à reprendre confiance en eux-mêmes et à riposter à ces attaques de la bourgeoisie et de ses politiciens aux ordres, avec les armes de la lutte de classe.

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