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Grande-Bretagne - Dix ans de privatisation dans les chemins de fer
En 1996, la privatisation des chemins de fer britanniques par le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher fut, en Europe occidentale, le premier exemple de privatisation d'un service public d'importance nationale -on sait ce qu'il en advint. Dans leur bimestriel Class Struggle (n°66-Avril-Mai 2006), nos camarades britanniques de Workers' Fight dressent un bilan de cette privatisation, dont nous publions ici la traduction.
Terminée il y a dix ans par un gouvernement conservateur, la privatisation de British Rail, l'ancienne compagnie d'État des chemins de fer britanniques, est devenue le symbole de ce que les privatisations peuvent avoir de désastreux dans les services publics.
À l'époque, on a prétendu que le secteur privé fournirait non seulement un service plus efficace, de meilleure qualité et moins cher, mais aussi les investissements considérables dont les chemins de fer avaient tant besoin. Mais la longue série de fiascos qui suivirent la privatisation, l'augmentation continue des tarifs et la détérioration du service, ont montré ce que valaient de telles affirmations.
Cela n'a pas pour autant empêché le gouvernement travailliste de Tony Blair d'utiliser, après son arrivée au pouvoir en 1997, les mêmes arguments pour justifier de nouvelles privatisations, comme par exemple celle qui confia la maintenance du métro londonien aux mêmes compagnies de maintenance des voies ferrées qui avaient été au centre d'un certain nombre de catastrophes ferroviaires.
Aujourd'hui, le ministère des Transports britannique considère envers et contre tout que les chemins de fer "ont commencé l'année 2006 dans un état remarquable". N'ayant aucune intention d'empêcher le capital de faire du profit aux dépens des chemins de fer, le gouvernement travailliste se contente d'imputer les scandales qui s'y succèdent au "bâclage" du processus de privatisation par les conservateurs. En même temps, il insiste sur le fait que, grâce à ses efforts, le rail privatisé est maintenant devenu une réussite. À en croire les ministres travaillistes, la preuve en serait que le nombre de trajets-passager par an a augmenté de 33 % depuis 1997, pour dépasser le milliard en 2005. Ils se targuent également du fait que les dépenses de l'État dans les chemins de fer atteignent aujourd'hui 126 millions d'euros par semaine. Ce chiffre record ne manque d'ailleurs pas d'ironie, si on se souvient que l'un des prétextes de la privatisation était le coût excessif pour les finances publiques d'une gestion étatique prétendument "inefficace" !
Mais Blair et ses ministres sont moins empressés pour attirer l'attention sur la hausse des tarifs des billets -trois fois plus rapide que l'inflation- ou sur l'aggravation des retards, devenus pires qu'à l'époque, pourtant guère reluisante, de British Rail. Quant au fait que les travailleurs des chemins de fer ont payé le plus gros de la facture de cette opération destinée à extraire des profits du secteur ferroviaire, cela ne figure pas, les leaders travaillistes n'en disent pas un mot dans leurs discours.
Intervention de l'État sous toutes ses formes
En Grande-Bretagne, le chemin de fer s'était développé rapidement dans le courant du 19ème siècle, sous le contrôle d'entreprises privées. Celles-ci se multiplièrent pour profiter d'un boom spéculatif. Il y eut des bulles spéculatives et des krachs boursiers, des faillites et des fusions, tant et si bien qu'en 1843, il y avait 200 entreprises différentes. Mais déjà, après avoir atteint un niveau record en 1840, le prix des actions ferroviaires s'était effondré sans regagner ensuite son niveau précédent. Suite à cela, Gladstone fit passer le Railway Act (loi sur les chemins de fer) en 1844. Non seulement cette loi essayait d'introduire une certaine régulation du secteur, mais elle donnait également à l'État la possibilité de racheter toute future ligne de chemin de fer au bout de 21 ans d'exploitation. Aucun gouvernement n'exerça jamais cette option. Mais elle n'en revenait pas moins à offrir aux entreprises du rail la garantie financière de l'État. Et elle donna un nouvel élan à la spéculation ferroviaire au point qu'entre 1846 et 1848, date à laquelle la bulle spéculative éclata de nouveau, la chasse aux profits ferroviaires absorba pas moins de la moitié de la totalité des capitaux investis en Grande-Bretagne.
Face aux difficultés économiques croissantes qu'elles rencontrèrent entre 1870 et la Première Guerre mondiale, les compagnies ferroviaires se tournèrent de plus en plus vers l'aide de l'État. Ce qui ne les empêcha pas de continuer à refuser la moindre contrainte en contrepartie, en tout cas, jusqu'à ce que leurs profits soient frappés de plein fouet par la profonde crise économique de l'après-guerre. Le Transport Act (loi sur les transports) de 1921 imposa alors le regroupement des 120 entreprises existantes en quatre monopoles régionaux à qui furent attribué des subventions limitées. Mais cela ne suffit pas à amener les entreprises à moderniser le réseau, surtout après le retour de la crise dans les années trente.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la centralisation des chemins de fer dans le cadre de l'économie de guerre fut une reconnaissance de fait que la gestion la plus efficace du réseau ferré consistait à l'intégrer dans une organisation nationale. La nationalisation formalisée officiellement en 1945 ne fit qu'officialiser cet état de fait. Mais surtout, elle libéra la bourgeoisie de la charge de réaliser les énormes investissements nécessaires à la modernisation d'un réseau dont le bon fonctionnement était essentiel pour ses profits, tout en lui offrant des capitaux frais qu'elle pourrait utiliser dans des secteurs plus rentables.
Lorsqu'au milieu des années soixante-dix, la crise revint à l'échelle mondiale, les capitalistes se tournèrent de nouveau vers l'État pour qu'il leur offre de nouveaux moyens de maintenir, et si possible d'augmenter leurs profits. S'agissant des chemins de fer, même nationalisés, ils restaient essentiels aux profits de la bourgeoisie. Mais celle-ci souhaitait désormais que les subventions, versées à une entreprise nationalisée, lui tombent directement dans les poches.
Mais le projet de privatisation du rail eut bien du mal à se mettre en place. Ce n'était pas aussi simple que la vente d'autres "bijoux de famille" comme British Telecom, British Gas, etc. Il était difficile de concevoir une façon d'extraire des profits d'un secteur aussi marqué par le sous-investissement. En plus, c'était un cauchemar logistique. Comment, par exemple, pouvait-on introduire un élément de "concurrence" dans une organisation présentant un tel degré d'intégration ? Et comment pouvait-on exploiter avec profit des lignes régulières sur des voies dont la capacité était limitée ?
La "privatisation fantôme"
Bien que l'idée de privatiser British Rail date des années quatre-vingt, il fallut attendre 1993 pour que le Railway Act (loi sur le chemin de fer) soit adopté, posant les bases sur lesquelles British Rail allait être éclaté en des dizaines d'entités distinctes, destinées à être gérées à terme par des entreprises privées concurrentes.
Le problème pour le gouvernement était de rendre les chemins de fer alléchants pour les capitalistes. Très tôt, il devint clair qu'il était impossible de privatiser l'entreprise en un seul bloc. Vendre le capital de British Rail en un seul morceau sur le marché boursier aurait été prendre le risque de déstabiliser celui-ci au moindre problème, vu le volume énorme des capitaux concernés. Quant à trouver un consortium privé prêt à avancer les capitaux nécessaires pour acheter un tel monstre, il ne fallait pas y compter, même parmi les grandes banques. Comme l'infrastructure ferroviaire nécessitait les investissements les plus importants, il fut décidé de la séparer de British Rail. Le reste serait à son tour éclaté en de multiples entreprises de taille moyenne, selon des critères géographiques et fonctionnels.
Dans un premier temps, ces différentes entités devaient être des "entreprises fantômes", c'est-à-dire fonctionnant de manière autonome comme des entreprises privées, avec leur propre direction indépendante, tout en étant toujours contrôlées par l'État. Une fois qu'elles auraient démontré leur viabilité, ces "entreprises fantômes" seraient finalement vendues ou concédées en franchise. À partir de ce moment-là, un marché de services s'établirait entre elles permettant aux chemins de fer de continuer à fonctionner sur le plan national (par exemple, location de matériel roulant, d'équipements, contrats de maintenance, de services de restauration ou de nettoyage, etc.).
Voilà pour la théorie. Mais les premières expériences dans ce sens ne se firent pas sans bavures. Ainsi, les directeurs de Red Star, la division de British Rail chargée du transport des colis, furent bientôt pris la main dans le tiroir-caisse, sans doute parce qu'ils avaient pris un peu trop au sérieux l'"esprit d'entreprise" dont on les invitait à faire preuve... Un autre cas fut celui de la restauration en gare, Travellers' Fare, qui fit faillite peu après avoir été vendue au groupe hôtelier Trusthouse Forte, de sorte que ce dernier menaça de traîner le gouvernement en justice pour l'avoir trompé sur la viabilité financière de l'opération.
La pagaille qui allait inévitablement résulter de ce processus apparut dès le début de la "privatisation fantôme". Cela n'empêcha aucunement le gouvernement conservateur de John Major de continuer comme si de rien n'était. En 1994, Railtrack fut créée en tant qu'"entreprise d'État par actions", avec l'objectif qu'elle soit un jour cotée en bourse. Son rôle était de reprendre la propriété de l'ensemble des infrastructures, dont elle devait vendre l'utilisation aux opérateurs ferroviaires. En revanche, les tâches de maintenance et de modernisation ne lui incombaient pas : Railtrack devait sous-traiter ces tâches sur une base régionale à de multiples entreprises spécialisées créées dans le cadre de la privatisation.
S'agissant du trafic passagers et fret, le processus fut conçu différemment. Divers regroupements de services et de lignes devaient être concédés en franchise à des entreprises privées par un système d'enchères. L'avantage pour les futures franchisées étaient qu'elles n'auraient pas à payer un penny. Pour enchérir et obtenir leur part du gâteau ferroviaire, il leur suffirait de présenter un plan de gestion (incluant leurs projets pour le matériel roulant) et le niveau de subvention dont elles auraient besoin. Il était prévu qu'il y aurait 25 opérateurs pour le trafic passagers et trois pour le fret. Trois autres entreprises devaient être créées pour assurer la maintenance du matériel roulant et le louer aux opérateurs. Tout le reste, depuis les colis jusqu'à la préparation de la restauration pour les trains, en passant par les magasins des gares, les toilettes, les trains postaux, etc., absolument tout devait être vendu ou passé en sous-traitance.
Au total, ce sont ainsi plus de cent "entreprises fantômes" qui furent créées. En même temps, une armée de directeurs, de comptables et d'avocats fit irruption pour gérer les innombrables contrats et litiges entre ces entités artificiellement séparées. En 1994-1995, le gouvernement dut doubler sa subvention habituelle aux chemins de fer (alors 1,5 milliards d'euros), simplement pour combler le déficit dû à la création de ce "marché fontôme".
Enfin, pour surveiller le fonctionnement de toutes ces franchises et assurer la régulation des nouveaux opérateurs, un organisme prétendument "indépendant" fut mis en place par les conservateurs, supposé défendre les intérêts des usagers et arbitrer les conflits entre les futures entreprises privatisées du rail.
La première mise en vente fut celle de Red Star (la division transport des colis). En l'absence de candidat à l'acquisition, elle fut cédée pour une livre symbolique à ses propres directeurs -un début peu convaincant ! Par la suite, Red Star fut rachetée par Lynx avant de disparaître complètement quand Lynx transféra toute son activité sur le transport routier.
Le 1er avril 1996 (était-ce le sens de l'humour caché des conservateurs ?) s'ouvrit la cotation en Bourse de Railtrack, sur la base d'un prix de vente de l'action qui donnait à la compagnie une valeur de 3,75 milliards d'euros, bien en-dessous de la valeur de ses actifs, estimés alors à 7,2 milliards d'euros (ils comprenaient des terrains considérables autour des gares et des voies).
Les trois entreprises de fret (couvrant respectivement l'Angleterre, le Pays de Galles et l'Écosse) furent finalement vendues au même acquéreur, Wisconsin Central Transportation Corporation, une entreprise américaine qui avait déjà acheté la division responsable des trains postaux. Drôle de concurrence ! Les entreprises chargées de la maintenance du matériel roulant furent elles aussi vendues à très bas prix. L'une d'entre elles fut achetée par la compagnie de cars Stagecoach, qui déboursa 1,2 milliard d'euros. Quatre ans plus tard, Stagecoach revendit son acquisition à la banque Abbey National avec un bénéfice de 70%. En fait, les compagnies de maintenance du matériel roulant se révélèrent si profitables que toutes les trois ne tardèrent pas à être rachetées par des banques. En même temps, des géants des Travaux Publics comme Jarvis, Balfour Beatty, Amey et Amec obtinrent les contrats de Railtrack pour la maintenance des voies, qu'elles passèrent aussitôt en sous-traitance à une myriade de petites entreprises.
En mai 1997, la dernière franchise passagers fut finalement attribuée, non sans difficultés, les acquéreurs potentiels étant nettement moins enthousiastes que prévu. De fait, nombre des compagnies qui obtinrent une franchise furent des compagnies de transport par bus et cars, de sorte qu'en fait d'augmentation de la compétition dans les transports, la privatisation permit aux monopoles régionaux de la route de se débarrasser de la concurrence du chemin de fer ! Après une série de fusions et acquisitions, la plupart des lignes finirent par être contrôlées par quatre grands groupes : National Express, First Group, Virgin/Stagecoach et Connex (les trois premiers étant des compagnies de transport routier, tandis que la dernière est la filiale transport du groupe français Vivendi).
Comme on pouvait s'y attendre, le résultat immédiat de ce "big bang" des chemins de fer privatisés fut une énorme confusion parmi les usagers (devenus du jour au lendemain des "clients") comme parmi le personnel. Des panneaux se mirent à émerger de partout dans les gares, avec les logos de la kyrielle d'entreprises désormais responsables des différents aspects des chemins de fer.
À la gare grandes lignes de King's Cross à Londres, par exemple, Railtrack devint désormais responsable de la maintenance et de la sécurité sur l'emprise de la gare, vendant l'usage de bureaux, de la salle des pas perdus, des quais et d'autres locaux, aux autres entreprises opérant dans la gare. La ligne de la côte-est en direction de l'Écosse fut gérée par Great North Eastern Railway (GNER), sauf les trajets de faible distance vers Cambridge, Hertford, etc., qui le furent par West Anglia Great Northern (WAGN). Un troisième opérateur, Thameslink, devint responsable du service entre Bedford et Brighton depuis une sous-station voisine. Tous les opérateurs devaient payer une contribution à Railtrack pour l'utilisation des voies, et la location des rames utilisées à l'une des entreprises de matériel roulant. GNER payait une autre entreprise, On Board Services, pour préparer les plats servis à bord de ses trains. Les boutiques, pubs et magasins d'alimentation situés dans les gares dépendaient encore d'autres entreprises. Pas étonnant que les frais de gestion d'un tel chaos soient montés en flèche !
Bien sûr, cette fragmentation perturba également le trafic, par exemple en raison des procédures adoptées pour répartir les responsabilités, c'est-à-dire les amendes, en cas de retard. Jusque-là, les conducteurs, les techniciens de la signalisation et ceux des postes d'aiguillage s'informaient mutuellement des problèmes. Mais désormais, la signalisation et les aiguillages étant gérée par Railtrack et les conducteurs travaillant pour un opérateur passagers ou fret, tous se mirent à subir des pressions de leurs directions respectives pour ne communiquer que le minimum d'information. Mais heureusement pour la sécurité de tous, les privatisées du rail ne connurent pas un franc succès dans leurs tentatives d'insuffler ce genre de loyauté à "leurs" salariés.
Les travaillistes reprennent le flambeau
Ce fut de justesse que John Major privatisa le rail, juste avant que les conservateurs soient chassés du pouvoir par leurs rivaux travaillistes lors des élections de 1997. Mais ceux qui nourrissaient l'illusion que la formule ambiguë des travaillistes se disant partisans d'un service "contrôlé par l'État et responsable envers lui" signifiait qu'ils allaient renationaliser les chemins de fer, durent rapidement déchanter. En loyal défenseur des intérêts de ses "amis" du monde des affaires, le nouveau gouvernement de Blair n'avait aucune intention d'en venir là, ni même de prendre des mesures sérieuses pour garantir la sécurité des passagers contre l'avidité de profit des compagnies privées.
Les travaillistes firent la première démonstration de leur veulerie dans ce domaine à la suite de l'accident ferroviaire de Southall, en 1997. Cet accident aurait pu être évité si un système de sécurité qui arrête les trains automatiquement en cas du franchissement d'un signal de danger, l'ATP, avait été installé. Ce système avait été recommandé par une commission d'enquête mise en place après l'accident de Clapham, en 1988. Mais il avait été jugé trop onéreux par les conservateurs. Après l'accident de Southall, le secrétaire d'État aux Transports, John Prescott, promit que le système ATP serait enfin mis en place. Mais il n'alla pas jusqu'à mettre la pression sur les requins du rail. Si bien que deux ans plus tard, la même cause produisant des effets encore plus graves, un train quittant la gare londonienne de Paddington franchit un signal au rouge et provoqua une collision frontale qui fit 31 victimes, faute d'un système de sécurité efficace.
L'accident de Paddington fit scandale. Cette fois, le gouvernement sentit qu'il devait avoir l'air de faire quelque chose. Toutefois, ce ne fut pas le système ATP qui fut choisi, mais un système moins cher appelé TPWS, qui ne pouvait arrêter que les trains roulant à moins de 110 km/h. Le passage à l'ATP était censé être l'étape suivante mais... il n'y eut pas d'étape suivante. Et à ce jour, il n'y a toujours pas de système de protection moderne des trains couvrant l'ensemble du réseau.
De fait, les seuls changements introduits par les travaillistes dans les chemins de fer privatisés visèrent la forme de leurs structures de régulation, jamais leur nature. Les travaillistes avaient bien prévu de réduire le nombre des opérateurs ferroviaires, par le jeu de fusions, notamment entre opérateurs desservant la même gare principale. Mais ils se gardèrent bien de remettre en cause le système des franchises privées, même lorsque les concessions en cours arrivèrent à échéance. Ils supprimèrent en partie la "concurrence" artificielle entre opérateurs, mais pas les conséquences de leur course au profit. Il n'y eut aucune tentative pour imposer un contrôle public plus étroit dans les chemins de fer, pas plus que pour rendre les opérateurs privés responsables de la pagaille qu'ils engendraient.
En 2000, les travaillistes remplacèrent le régulateur mis en place par les conservateurs par une nouvelle Autorité stratégique du rail (SRA), dotée de pouvoirs supplémentaires pour superviser l'allocation des investissements. L'"indépendance" de cet organisme fut illustrée par le fait que son premier responsable, Richard Bowker, avait été recruté parmi les directeurs d'un opérateur privé, Virgin Trains. Loin de mettre un frein à la course au profit des opérateurs privés, l'objectif principal des travaillistes était au contraire de les aider à en faire. La SRA menaça bien quelques opérateurs d'amendes pour la mauvaise qualité de leur service, mais elle mit rarement ses menaces à exécution. En revanche, en de nombreuses occasions, elle apporta une aide financière supplémentaire à des opérateurs en difficulté, notamment à ceux touchés par des mouvements de grève, auxquels elle paya le manque à gagner dû à l'interruption de leur trafic.
En dépit des promesses selon lesquelles l'argent privé permettrait de créer un "chemin de fer moderne", les premières années de la privatisation furent caractérisées par l'extrême réticence des opérateurs à investir, au point que l'un d'entre eux alla jusqu'à louer des wagons à un musée du chemin de fer quand il se trouva à court de matériel roulant !
Le fonctionnement des lignes de South West Trains devint si catastrophique que, en juin 2002, son opérateur Stagecoach se vit infliger une amende de 16 millions d'euros, suivie par une autre amende de 18 millions d'euros en décembre. Mais entre temps, Stagecoach avait reçu une subvention spéciale de 44 millions d'euros pour l'aider à régler ses "problèmes" et sa franchise avait été prolongée pour cinq ans ! La compagnie Connex fit encore mieux (ou pire) dans le genre. La ligne qu'elle exploitait entre Londres et Brighton devint si peu fiable que, en juin 2003, Connex en perdit la franchise. Il ne fut pas question de reprendre la subvention spéciale de 87 millions d'euros que Connex avait reçue l'année précédente, pas plus que le dividende de 30 millions d'euros qu'elle avait versé à sa maison-mère, Vivendi. Après une brève période dans le domaine public, la ligne Londres-Brighton fut de nouveau mise aux enchères.
Quant à l'Autorité stratégique du rail (SRA), elle fut supprimée en 2005 et ses prérogatives furent transférées au ministère des Transports. Un nouvel Office de régulation du rail (ORR), également subordonné au même ministère, vit le jour avec pour mission de superviser les opérateurs. Et cette fois encore, comme par hasard, l'ORR est dirigé par un ancien responsable de l'opérateur First Group.
Railtrack va dans le mur
La faillite la plus spectaculaire de cette décennie fut celle de Railtrack. Pendant les quatre années allant de l'arrivée de Blair au pouvoir à mars 2000, et malgré des subventions d'État colossales, Railtrack n'investit que 5,7 milliards d'euros dans l'infrastructure, c'est-à-dire encore moins que ce que les conservateurs avaient prévu d'investir sur la même période. La maintenance et la modernisation des voies furent réduites au profit des dividendes versés, qui s'élevèrent à plus d'un milliard d'euros sur la même période. Du coup, l'action Railtrack atteignit un prix record de 26 euros, soit quatre fois son cours initial après la privatisation.
Mais cette politique produisit un autre dividende -bien moins reluisant celui-ci -le déraillement de Hatfield, en octobre 2000. Un train de la compagnie GNER dérailla, tuant quatre personnes. L'accident fut causé par la rupture d'un rail en raison de fissures dues à une défaillance connue. Le mauvais état des voies était pourtant un fait notoire. Il y avait eu 90 déraillements au cours des douze mois précédents et Railtrack s'était vu menacé d'une amende de 135 millions d'euros pour défaut de maintenance. Le remplacement du rail à l'origine du déraillement de Hatfield avait bien été prévu, mais depuis des mois son remplaçant attendait, posé à côté de la voie : cela ne faisait simplement pas partie des priorités de Railtrack !
Suite à l'accident, Railtrack imposa immédiatement des limitations de vitesse sur des centaines de sections de voies, preuve, soit dit en passant, que ses dirigeants savaient exactement où les voies étaient dangereuses. Mais que valait la vie des passagers et des cheminots face aux voeux des actionnaires ?
Ce déraillement et les mois de chaos qui suivirent dans les chemins de fer, du fait des limitations de vitesse, provoquèrent un scandale sans précédent dans l'opinion publique. En un an, le cours de l'action Railtrack s'effondra, tombant à un peu plus de quatre euros. Cette fois, le gouvernement décida d'agir, mais seulement pour venir en aide aux actionnaires et éviter qu'une telle faillite affecte le marché boursier. Ayant suspendu la cotation de Railtrack, il chercha une grande entreprise susceptible de vouloir en prendre le contrôle. N'en trouvant aucune, il racheta respectueusement leurs titres aux actionnaires, pour 3,75 euros pièce.
De toute façon, le gouvernement savait très bien qu'il n'aurait pas été politiquement tenable de conserver à Railtrack son statut d'entreprise capitaliste privée. Mais la politique qu'il adopta alors ne fut pas destinée à servir l'intérêt général, pas plus qu'elle ne constitua une "renationalisation" comme on le prétendit à l'époque.
Privatisation à la Blair
Pour remplacer Railtrack, les travaillistes créèrent Network Rail, une entreprise privée "sans but lucratif". Cet oiseau rare devait être financé par l'État, sans être dans son périmètre. Il n'avait pas d'actionnaire privé, mais le gouvernement ne cachait pas qu'il entendait le privatiser à terme, c'est-à-dire sans doute une fois qu'il aurait reçu suffisamment de fonds publics. Network Rail était censé être responsable vis-à-vis de ses "membres", qui comprenaient des représentants des associations d'usagers et des syndicats du rail.
Mais en fait, la composition du conseil d'administration de Network Rail, telle qu'il est aujourd'hui, en dit long sur sa véritable nature. Curieusement, pour une structure financée par l'État, celui-ci n'y est pas représenté ! En revanche, son directeur général, John Armitt, qui vient tout droit de la direction de Railtrack, est un ancien PDG du groupe de BTP Costain (qui assure une partie de la rénovation des voies) et de la compagnie Union Railways (qui est maître d'oeuvre dans la construction de la voie rapide reliant le tunnel sous la Manche à Londres). Les autres membres de ce conseil d'administration sont d'anciens directeurs d'entreprises du BTP comme Balfour Beatty, BICC et Bechtel, d'opérateurs de lignes passagers comme Virgin et First Group, ou des compagnies privées à qui Blair a transféré la maintenance du métro londonien. Autrement dit, tous sont, à un titre ou un autre, liés aux entreprises qui se partagent le fromage de la privatisation du rail et du métro londonien !
En réalité, le rôle de Network Rail est avant tout de centraliser les subventions publiques aux chemins de fer et de les répartir entre les diverses entreprises privatisées. En plus, le statut "privé" de Network Rail présente un avantage de taille pour le gouvernement dans la mesure où sa dette énorme (actuellement de 29 milliards d'euros) n'apparaît pas dans la dette publique.
La création de Network Rail n'empêcha pas de nouvelles franchises d'être attribuées aux entreprises privées demandant les subventions les plus basses. Les ministres travaillistes prétendirent que dans le type de franchises qu'ils attribuaient, le niveau des subventions d'État irait en diminuant jusqu'à se transformer en une prime reversée au gouvernement par les opérateurs.
Mais qui croira cette histoire, qui sent tout de même le réchauffé ? Dans la réalité, les chiffres soumissionnés par les opérateurs s'appuient sur des estimations pour le moins surréalistes. GNER, par exemple, s'est engagé à reverser 54 millions d'euros à l'État en 2006-2007 (c'est-à-dire plus que ses profits l'année précédente !), somme qui est censée atteindre 574 millions d'euros en 2014-2015. C'est qu'en fait, ces estimations sont basées sur une croissance annuelle des recettes équivalente au triple de l'inflation. Comme il paraît difficile de faire rentrer davantage de monde dans des trains déjà archi-pleins, ce sont sans doute les passagers qui doivent s'attendre à une hausse brutale des tarifs.
Les opérateurs n'ont pourtant pas de quoi s'inquiéter. Leurs contrats comportent une clause qui leur évite tout ennui au cas où leurs prévisions de chiffre d'affaires excessivement optimistes ne se vérifieraient pas, les empêchant de restituer les primes "garanties" promises à l'État. Il est vrai que même si cette clause bien pratique n'existait pas, rien n'empêcherait les opérateurs de trouver de bonnes excuses pour aller pleurnicher auprès du gouvernement en demandant encore plus de subventions, celui-ci ne s'est-il pas montré déjà tant de fois enclin à leur céder ?
Bien que la création de Network Rail ainsi que la consolidation et le remaniement des franchises aient entraîné une certaine recentralisation du réseau ferré, le nombre d'opérateurs privés a augmenté, dans un secteur comme le fret par exemple, ou encore par le biais de la sous-traitance, permettant à des géants du nettoyage comme ISS et Initial, d'avoir eux aussi leur part du gâteau.
Pour ce qui est des opérateurs de services passagers, après la dernière partie de chaises musicales, les principaux acteurs restent les grandes compagnies d'autocars (National Express, Stagecoach, First Group, Arriva, Go-Ahead) et quelques outsiders comme Virgin, GNER (qui appartient à Sea Containers), Laing Rail (filiale du groupe du BTP Laing) et Serco (géant du service industriel). Ces opérateurs privés ne se sont guère montrés à la hauteur du rapport qualité-prix optimal qu'ils étaient censés apporter. À ce jour, le gros des profits de ces opérateurs provient des subventions de l'État. Mais même si, ce qui n'est pas certain, ils réussissent à l'avenir à réaliser des profits sans recevoir de subventions directes, ce sera quand même grâce aux fonds publics qu'ils reçoivent indirectement, par l'intermédiaire de Network Rail.
Alors que la privatisation était censée réduire le fardeau que représentait le financement du réseau ferré pour l'État, les chiffres parlent d'eux-mêmes : la subvention totale annuelle de l'État est passée de 1,9 milliard d'euros en 1996-1997, à 5,5 milliards en 2004-2005. Et actuellement, les travaillistes transfèrent l'argent public vers le rail privatisé au rythme annuel de 6,7 milliards d'euros !
La bureaucratie syndicale prend le train de privatisation en marche
L'objectif principal de la longue période de "préparation" à la privatisation fut de réduire les coûts salariaux.
Déjà à l'époque de British Rail, l'effectif avait été réduit d'un tiers entre 1976 et 1994. On avait pris des mesures supposées améliorer "l'efficacité", comme la suppression du deuxième conducteur sur les trains de grandes lignes. Sur certaines lignes, les chefs de train avaient été supprimés, et le personnel des petites gares supprimé. La flexibilité des horaires avait été introduite, et avec elle des roulements comportant des rotations plus longues tandis que les pauses étaient réduites.
Mais dans les années précédant la privatisation, les suppressions d'emplois et autres aggravations des conditions de travail s'intensifièrent de façon dramatique. Durant cette période, on embaucha 10 000 cadres supplémentaires, avec pour tâche principale de se débarrasser par tous les moyens du plus grand nombre possible de travailleurs, y compris en les licenciant sous les prétextes disciplinaires les plus mesquins.
Face à ces attaques, les leaders des trois syndicats du rail opposèrent, au mieux, une résistance passive. Parmi eux, ASLEF organisait la plupart des agents de conduite, TSSA organisait principalement des cols blancs et le RMT, le plus grand des trois, organisait tout le reste du personnel cheminot, ainsi qu'une minorité d'agents de conduite. À aucun moment, ces syndicats ne tentèrent de préparer une riposte commune de l'ensemble des cheminots face aux menaces qui s'amoncelaient au début des années quatre-vingt-dix.
En fait, aucun de ces trois syndicats ne tenta même d'organiser une action collective à laquelle aurait pu participer l'ensemble de ses propres membres. Par exemple, en 1994, alors que toutes les catégories de cheminots subissaient des suppressions d'emplois et des attaques drastiques contre leurs conditions de travail, les 4 800 aiguilleurs syndiqués au RMT lancèrent un mouvement de grève sur les salaires. Mais au lieu de profiter de l'occasion pour essayer de généraliser la grève, ne serait-ce qu'au reste des secteurs où le RMT était majoritaire, sa direction fit tout pour que la grève reste isolée, puis appela à la reprise alors que la direction commençait à montrer des signes de faiblesse.
L'année suivante, ASLEF appela les agents de conduite à faire grève, également sur les salaires. Mais le syndicat appela à la suspension du mouvement après deux grèves de 24 heures, de sorte que le mouvement n'eut pas le temps de créer les conditions pour que d'autres cheminots puissent s'y joindre. Malgré cela, de nombreux cheminots attendaient encore de leurs dirigeants syndicaux un appel à la grève contre les attaques liées à la privatisation, mais cet appel ne vint jamais.
Pendant toute cette période précédant la privatisation, les dirigeants syndicaux arguèrent du fait qu'il était essentiel de ne pas se mettre à dos les usagers, alors même que la majorité de l'opinion était opposée à la privatisation ! Mais en réalité, leur principale préoccupation durant cette période était de s'assurer qu'ils conserveraient leur place à la table des négociations après la privatisation, fût-ce au prix d'une chute importante de leurs effectifs, ce qui fut précisément ce qui arriva, au moins pour le RMT. Du coup, les directions syndicales s'efforcèrent de prouver combien elles étaient nécessaires aux futurs opérateurs privés, en partie en démontrant leur capacité à immobiliser le réseau par des grèves symboliques, mais surtout en se montrant responsables des intérêts de ce qui allait bientôt devenir des entreprises privées.
Les syndicats du rail cautionnèrent de fait le processus de privatisation en signant un accord qui était censé protéger les retraites complémentaires et conditions de travail des cheminots, ainsi que leur droit à voyager gratuitement, quelles que soient leurs tribulations futures d'un opérateur privé à l'autre. Cet accord fut présenté comme une grande victoire par les appareils syndicaux. Mais en fait, il ne couvrait que les cheminots en poste et pas les futurs embauchés, et créait donc la base pour un autre type de division dans les rangs des cheminots.
L'offensive contre les conditions de travail
En fait, nombre des opérateurs privés privèrent les nouveaux embauchés du système de retraite hérité de British Rail et, dans certains cas, comme celui de Red Star (colis), ils leur refusèrent même toute forme de retraite complémentaire.
Il en fut de même des voyages gratuits. Du temps de British Rail, les cheminots pouvaient voyager gratuitement dans un rayon donné de leur lieu de travail, quel que soit le moyen de transport utilisé (train, bus ou métro à Londres), ce qui constituait une petite compensation compte tenu de leurs bas salaires. Pour les cheminots embauchés après la privatisation, en revanche, ce droit fut dans la plupart des cas limité aux trajets sur les lignes gérées par leur employeur. Dans certains cas, ce droit fut réduit à néant, en particulier pour ceux qui furent transférés par le biais de la sous-traitance à des entreprises n'exploitant pas de ligne passagers (comme ce fut le cas des agents de nettoyage, par exemple).
Un bonne partie des attaques contre les emplois et les conditions de travail avait déjà eu lieu avant la privatisation, mais elles continuèrent après. Au fil des "restructurations" incessantes pratiquées par les opérateurs, bien des concessions arrachées de haute lutte par les cheminots dans le passé furent annulées. En échange, on leur offrit des rallonges minables, qui n'étaient d'ailleurs bien souvent que le résultat de l'intégration de l'une de leurs innombrables primes dans le salaire. Les plans de suppressions d'emplois se multiplièrent : 40% des effectifs furent supprimés chez South West Trains, 50 % chez Great Western, 30 % chez Network South Central, 37 % dans le frêt, etc.
Le passage en sous-traitance de certaines activités aggrava encore plus les conditions de travail et les salaires de certaines catégories de cheminots. Par exemple, ceux qui furent embauchés par ISS après que cette entreprise avait obtenu le contrat de nettoyage des trains de GNER, durent se contenter du salaire minimum (aujourd'hui 7,30 euros de l'heure), avec 20 jours par an de congés payés, jours fériés inclus (ce qui n'est même pas légal), et le niveau minimum ridicule prévu par la loi pour l'indemnisation des congés maladie. En plus de la division entre anciens de British Rail et nouveaux embauchés, le recours omniprésent à la sous-traitance entraîna donc une division de plus dans les rangs des cheminots. Toutefois, abstraction faite de la perte de leurs droits passés, les salariés d'un sous-traitant comme ISS, par exemple, sont maintenant tous logés à la même enseigne. Ce géant du nettoyage a l'habitude d'escroquer son personnel de l'argent qu'il lui doit, en faisant des "erreurs" systématiques jamais redressées sur la paie, et lui a refusé toute augmentation de salaire au cours des deux années écoulées. Et ISS n'est en aucun cas la seule entreprise agissant de la sorte parmi les sous-traitants.
La seule exception à cette aggravation des conditions des cheminots est celle des agents de conduite, au moins en ce qui concerne la paie, mais cette exception est uniquement due au fait que, dans ce cas, les opérateurs privatisés ont été victimes de leur propre avidité. En effet, la formation d'un agent de conduite est longue et coûteuse et pendant toute une période après la privatisation, les opérateurs préférèrent attirer à eux des conducteurs déjà formés avec des salaires plus élevés, allant même jusqu'à débaucher les conducteurs d'autres opérateurs. Finalement, bien sûr, au fur et à mesure que des agents de conduite arrivaient à l'âge de la retraite ou étaient poussés à prendre une retraite anticipée par un employeur toujours prompt à supprimer des emplois pour augmenter les profits, cela conduisit à une forte pénurie d'agents de conduite. Quand ce phénomène commença à affecter sérieusement le service, les opérateurs durent soudain recruter et former de nouveaux agents dans la panique la plus complète, mais pas avant d'avoir eu à supprimer des milliers de trains faute de conducteurs. Dans l'immédiat, cette situation eut pour effet d'entraîner une hausse rapide des salaires des roulants (bien qu'ils durent aussi jeter par dessus bord tout un tas de droits acquis par la lutte). Mais elle creusa aussi un énorme fossé entre les salaires des conducteurs des divers opérateurs. À la gare de King's Cross, par exemple, les agents de conduite de Great Northern gagnent environ 3600euros par mois, alors que ceux de GNER, qui travaillent deux quais plus loin, en gagnent 4800. Mais même les conducteurs de Great Northern, qui sont parmi les plus mal payés, gagnent encore environ le double du salaire moyen des personnels de gare ou des autres catégories de cheminots qui travaillent dans les trains.
Les divisions apparues entre cheminots employés par des opérateurs différents ne disparaissent même pas nécessairement lorsqu'il arrive que ces opérateurs fusionnent. Il y a un an, par exemple, les trois opérateurs basés sur la gare londonienne de Liverpool Street fusionnèrent en un opérateur unique appelé One, propriété de National Express. Mais malgré le nom de leur employeur (qui signifie "un" en anglais), les agents de conduite de One n'ont pas un statut unique, mais trois, aussi bien en termes de salaires que de conditions de travail, selon l'entreprise qui les employait avant la fusion.
Quant à Network Rail, l'une de ses premières tâches fut de remettre de l'ordre dans le chaos laissé par la sous-traitance de la maintenance par Railtrack. Les travailleurs qui avaient jusque-là travaillé pour les sous-traitants de Railtrack furent réembauchés par Network Rail. Mais ils n'en continuent pas moins à conserver encore aujourd'hui une ribambelle de grilles salariales et de conditions de retraite différentes, reflétant celles qu'ils avaient chez leurs anciens employeurs sous-traitants. Et ce n'est qu'aujourd'hui que l'on commence à parler de tentatives d'harmonisation.
Il y a donc peut-être, aujourd'hui, moins d'acteurs sur la scène du côté patronal qu'au lendemain de la privatisation, mais les travailleurs sont, par contre, toujours aussi divisés sur le terrain. Les effectifs ont été réduits de manière drastique et les conditions de travail et de salaires se sont dégradées pour une grande partie d'entre eux, en particulier ceux employés en sous-traitance. Et les attaques vont certainement s'accentuer du fait des mesures prises par les opérateurs pour réduire leurs coûts salariaux afin de tenter d'atteindre leurs objectifs de profit aberrants.
Malgré cette fragmentation, la possibilité d'une action à l'échelle nationale existe toujours. Les cheminots peuvent bien être divisés par leurs uniformes et le fait qu'ils répondent à des directions différentes. Mais le principal obstacle à leur capacité à défendre leurs intérêts collectifs a été surtout le manque de volonté politique des appareils syndicaux qui ont toujours choisi de s'adapter aux divisions artificielles créées par la privatisation, affaiblissant du même coup la confiance des cheminots dans leur propre force collective.
En fin de compte, la principale réalisation de la privatisation dont ses promoteurs pourraient se vanter s'ils l'osaient, aura été cette réduction dramatique des coûts salariaux dans les chemins de fer. En dehors de cela, la privatisation a tourné au désastre dans tous les domaines, y compris du point de vue des promesses des privatiseurs.
Cette décennie de privatisation ne fait qu'illustrer le fait qu'un service public comme les chemins de fer ne peut que souffrir des effets de l'anarchie de la concurrence et du parasitisme du profit capitaliste. En même temps, elle a montré que si ce sont les cheminots qui ont payé l'essentiel de la note de ce désastre, il a aussi coûté fort cher à l'ensemble du monde du travail.
C'est pourquoi l'avenir pourrait bien donner tort aux champions de la privatisation du rail qui pensent que, après un tel tour de vis contre les cheminots, le spectre d'une grève nationale du rail n'est plus à l'ordre du jour. Quel que soit leur uniforme, les cheminots restent liés par le travail qu'ils font, faisant fonctionner le même réseau et accomplissant les mêmes tâches à l'échelle de tout le pays. Et un de ces jours, ils finiront par renouer avec la longue tradition de lutte des générations précédentes, avec le soutien massif de la population laborieuse qui a toutes les raisons d'en avoir assez du parasitisme du profit capitaliste dans cette société.
11 mars 2006