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France - La santé se serait améliorée... mais résistera-t-elle aux mesures d'économie ?
Un rapport du Haut comité de la santé publique sur la santé en France en 2002, paru au début du mois de février, constate des "progrès considérables en termes de santé". Il note la réduction de la mortalité infantile, divisée par deux entre 1970 et 1990, et encore par deux entre 1990 et 1997. L'espérance de vie à la naissance atteint 78 ans (il s'agit, bien sûr, d'une moyenne).
Aujourd'hui, les hommes qui ont atteint l'âge de 65 ans peuvent espérer atteindre 81 ans et les femmes, toujours au même âge, atteindre 85 ans (dans ces nombres, il y a ceux qui mourront dès 66 ans et un certain nombre de centenaires). Ce serait le record d'Europe de l'espérance de vie à cet âge. Ces progrès ont été mis au crédit de "l'excellence" du système de santé en France par une partie des commentateurs.
Le tableau ne va naturellement pas sans ombres. En particulier, les inégalités géographiques disparité entre le nord et le sud du pays et sociales, car l'espérance de vie à l'âge de 35 ans, par exemple, est de 44,5 ans pour les cadres et les membres des professions libérales mais seulement de 37-38 ans pour les ouvriers. C'est-à-dire que la moyenne des ouvriers meurent 7 ans avant la moyenne des cadres et des membres des professions libérales. De cela, il n'y a pas de quoi se vanter. Mais, puisque l'état sanitaire moyen de la France se serait élevé, ce qui est indiscutable, voyons ce que cela cache.
Globalement, sur un siècle, l'amélioration du niveau de vie et de l'instruction a amené un recours plus fréquent à la médecine et à la pharmacie, bouleversées dans le même temps par des progrès spectaculaires des connaissances. Sur le siècle, la mortalité infantile en France est tombée de 141 décès pour 1000 naissances vivantes à environ 5 pour mille aujourd'hui.
Il faut se souvenir que l'inégalité la plus dramatique est à l'échelle du monde. En 1999, l'espérance de vie à la naissance était de 74 ans pour les hommes et 81 ans pour les femmes en Europe occidentale, mais de 51 et 54 ans en Afrique, et tout au plus 40 et 50 ans dans un grand nombre des pays de l'Afrique noire subsaharienne.
La "consommation de soins et biens médicaux", telle est la définition des "dépenses de santé", a été facilitée par l'existence du système de sécurité sociale qui a unifié et généralisé en 1945 divers systèmes d'"assurances sociales" qui existaient dans différentes branches depuis la Première Guerre mondiale. Financé en grande partie par les cotisations des travailleurs, ce système a élargi l'accès aux soins médicaux et chirurgicaux, même pour les moins protégés, et il a constitué sans conteste un progrès pour les conditions de vie des travailleurs et de leurs familles.
Avec des variantes en fonction des pays, des formes analogues de sécurité sociale ont d'ailleurs vu le jour dans la même période dans la plupart des pays d'Europe occidentale.
En fait, en France comme ailleurs, le système reste à l'image de l'ensemble de la société. Il est écartelé entre les critères de profit qui régissent ses parties relevant du secteur privé (industrie pharmaceutique, laboratoires d'analyses, cliniques privées, une grande partie du secteur médical et paramédical...), et les besoins du service public pour pouvoir jouer son rôle.
Dans les années allant de 1945 au milieu des années soixante-dix, la société bourgeoise a sans doute donné le meilleur de ce qu'elle peut sécréter en la matière. Au point qu'un aide-mémoire édité par l'Ecole Nationale de la Santé publique baptise cette période "Les Trente Glorieuses de la santé"... Car, les choses ont changé avec les premiers signes de la crise économique. A partir de 1974-1975, les politiques gouvernementales ont pris un tournant significatif, et les milieux officiels se sont mis à répéter que "si la santé n'a pas de prix, elle a un coût économique"...
Dans ce qu'on appelle les "dépenses de santé", il faut cependant faire la part de ce qui est prélevé par les profits capitalistes : trusts pharmaceutiques, fabricants de matériel médical, propriétaires de cliniques et d'hôpitaux privés (certains sont à but non lucratif, mais pas tous). Cela dit, la croissance des chiffres d'affaires de l'industrie, de l'automobile, des réfrigérateurs et même des industries d'armement, chères à Dassault et aux contribuables, fait pousser des cris de satisfaction à droite et parmi la bourgeoisie. En revanche, quand il s'agit de la croissance des dépenses de santé donc, à travers elles, pour l'essentiel, du mieux-être de la population , là on parle de gaspillage, de gouffre... Sous le couvert de campagnes répétées contre le "déficit" ou le "trou" de la Sécurité sociale que le patronat et l'État ont largement contribué à creuser , des plans successifs d'économies budgétaires ont été appliqués depuis 1974-1975 visant essentiellement les salariés.
Les différents gouvernements de la gauche autour du PS n'ont pas, depuis 1981, rompu cette continuité. Aujourd'hui, dans une brochure de propagande électorale qu'il vient de publier, le Parti socialiste présente son bilan dans ce domaine en prétendant que "l'égalité devant la santé est une priorité des socialistes", mais c'est faire un constat que d'affirmer que la restriction des dépenses de santé prônée depuis quelque 25 ans débouche, d'une part, sur la dégradation du service public hospitalier, et, parallèlement, sur un coût croissant de l'accès aux soins pour les familles populaires, dont une proportion notable, les plus vulnérables, restreint sa consommation médicale faute de moyens et subit une baisse relative de sa couverture sociale.
De la charité à l'intervention de l'État
Pratiquement jusqu'au 19e siècle, si l'on veut fixer une date, en France comme dans l'ensemble des pays de l'Europe occidentale, l'état sanitaire dans les classes dominantes n'avait jamais été bien brillant, mais il était franchement désastreux pour les pauvres. La vie ne pesait pas lourd, elle était très brève, les enfants étaient plus que décimés dès le premier âge, les femmes mouraient en couches et dans les villes surpeuplées et insalubres, les épidémies faisaient des ravages. Les soins aux pauvres relevaient de la charité, des Eglises ou de l'assistance communale.
L'industrialisation, au 19e siècle, entraîna brutalement une hausse considérable de la mortalité, surtout infantile. Les campagnes se dépeuplèrent au profit des villes industrielles. Le logement ne suivait pas l'urbanisation. Des marchands de sommeil entassaient leurs locataires dans des logements insalubres où, pour pouvoir payer, les ouvriers se succédaient dans le même lit. A Mulhouse, en 1815, la durée moyenne de la vie était de 25 ans et 9 mois. Douze ans plus tard, en 1827, elle n'était plus que de 21 ans et 9 mois...
Ce fut tellement catastrophique que le souci du renouvellement et de l'entretien de la force de travail déboucha sur quelques initiatives émanant de groupements industriels, comme la Société industrielle de Mulhouse qui créa en 1826 une sorte de médecine du travail. Mais, lorsque le développement du machinisme et de la grande industrie entraîna la nécessité de stabiliser la main-d'oeuvre pour la qualifier, des centres de soins et des caisses de secours en cas d'accident furent créés, dans les mines, les chemins de fer ou les forges. Ce ne furent toujours pas des cadeaux aux travailleurs : gérés par les patrons, ils étaient financés par des prélèvements importants sur les salaires.
Par ailleurs, la population des villes s'accroissait rapidement. Cela entraînait des risques d'explosion sociale. A ces risques pour la bourgeoisie, soulevés par les concentrations ouvrières, s'ajoutaient aussi les risques liés aux maladies très contagieuses. A partir des quartiers insalubres, celles-ci s'étendaient sans épargner les quartiers bourgeois et cela entraîna les premières interventions des autorités en matière d'hygiène publique. Comme un manuel scolaire à visée moraliste l'écrivait en 1910 : "Toutes les classes sociales sont solidaires, puisque le riche dans sa belle maison peut être atteint par la tuberculose qui se développe dans le taudis voisin"...
La malnutrition et la mauvaise santé des populations ouvrières étaient notées par les responsables de l'armée, ce que reflétait le pro-gouvernemental Journal des Débats lorsqu'il déplorait en 1840 : "l'abâtardissement partiel de la race dans les grands centres d'industrie. (...) Le recrutement le constate, au grand effroi du ministre de la Guerre".
Pourtant, les alarmes d'une partie des bien-pensants n'auraient pas suffi, face aux intérêts patronaux ayant le court terme pour tout horizon. Il fallut des luttes de toutes sortes, du mouvement ouvrier et syndical, pour arracher les mesures de limitation de l'exploitation, celle des enfants en particulier, qui furent prises à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Il fallut aussi des protestations d'instituteurs et de médecins, pour que des progrès soient enregistrés de la part de l'administration.
Joint à l'amélioration de l'alimentation, de l'hygiène publique ainsi que du niveau d'instruction, le bouleversement introduit par les progrès de la médecine a joué un rôle considérable. Les découvertes de Pasteur et de ses successeurs furent à l'origine du recul de la mortalité due aux maladies infectieuses, grâce en particulier aux vaccinations, recul qui s'accéléra par la suite après la Deuxième Guerre mondiale avec l'apparition des antibiotiques. Depuis cette période, le progrès de la recherche médicale n'a plus cessé de bouleverser les thérapeutiques.
1945, la création de la Sécurite sociale
Ce n'est pas un accès de philanthropie qui a poussé l'État à instituer la Sécurité sociale. Il répondait aux nécessités de l'heure en fonction des intérêts généraux du patronat, dans un contexte où l'économie était à reconstruire, le plus vite possible, où la main-d'oeuvre manquait et où le patronat entendait bien verser les salaires les plus bas possibles. La protection sociale collective revenait, à tout prendre, moins cher que de verser à tous des salaires permettant à chacun de se soigner si nécessaire. Et cela s'est fait au moindre coût pour la bourgeoisie puisque le financement de cette protection sociale provenait en grande partie des travailleurs eux-mêmes.
La Sécurité sociale, créée le 4 octobre 1945, instaura un système obligatoire d'assurances qui couvrait non seulement la maladie, mais également la vieillesse (les retraites) et la famille (allocations familiales). Telle qu'elle était définie dans son ordonnance fondatrice, la Sécurité sociale se voulait "la garantie donnée à chacun qu'en toute circonstance il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes". Par le biais de cette couverture sociale, il s'agissait de donner aux travailleurs les garanties que le patronat n'avait pas à leur donner sous forme de salaire.
En mai 1946, une loi fixa les bases du régime. Un régime général regroupait les multiples institutions, mutuelles, caisses et assurances, publiques ou privées, qui s'étaient développées au fil du temps, et plus particulièrement dans l'entre-deux-guerres. Cette loi prévoyait également l'extension de la Sécurité sociale à toutes les catégories de la population mais sur ce point, elle se heurta à des résistances, certaines professions, libérales notamment, refusant ce qu'elles considéraient comme une "fonctionnarisation". Il en résulta un ensemble complexe où plusieurs régimes continuaient à cohabiter, se distinguant par la nature des prestations versées. Et en 1946, il n'y avait toujours que 53 % de la population couverts en cas de maladie.
Les organisations syndicales et le PCF présentent souvent la Sécurité sociale comme une "grande conquête ouvrière" de cette époque. C'est que De Gaulle, alors aux commandes de l'État, avait fait une large place aux syndicats, et plus particulièrement à la CGT, dans les conseils d'administration de la Sécurité sociale. Ils disposaient des trois quarts des sièges, et les représentants des employeurs d'un quart. Ces milliers de sièges d'administrateurs ainsi offerts à la bureaucratie syndicale constituaient la contrepartie du rôle de zélés serviteurs que les appareils syndicaux acceptaient de jouer dans les entreprises, en faisant produire toujours plus les travailleurs et en étouffant toute revendication.
Mais cette présence de représentants syndicaux, élus par les travailleurs, à la tête d'un certain nombre d'organismes de la Sécurité sociale ne permettait en réalité aucun contrôle des travailleurs eux-mêmes sur l'utilisation qui était faite de leurs cotisations. Elle ne constituait même pas la garantie que leurs intérêts spécifiques seraient systématiquement pris en compte dans les décisions. Car, en fixant le fonctionnement de la Sécurité sociale, De Gaulle avait veillé à ce que l'État conserve la haute main sur les décisions essentielles, comme le montant des cotisations et les prestations des différentes caisses. Les représentants syndicaux se trouvaient donc cantonnés dans le rôle de gestionnaires exécutant la politique gouvernementale.
Quant au financement de cette protection sociale, il était en grande partie supporté par les travailleurs. Il reposait en effet sur un système de prélèvements obligatoires sur les salaires qui, du fait du plafonnement, pesaient encore plus fortement sur les bas salaires.
Bref, comme l'expliqua plus tard Pierre Laroque, l'inspirateur et le premier directeur de la Sécurité sociale : "Le but était d'assurer à la masse des travailleurs, et pour commencer aux salariés, une sécurité véritable du lendemain. (...) L'effort qu'on leur demandait pour la remise en marche de l'économie devait avoir une contrepartie. La mise en place de la protection sociale n'a pas nui à la reconstruction du pays. Elle l'a même favorisée car on a pu demander des efforts considérables aux travailleurs".
Tel qu'il avait été conçu, le système de l'assurance maladie n'offrait pas une totale gratuité des soins. Les assurés devaient supporter un "ticket modérateur", en gros de 20 %, sauf pour un certain nombre de maladies longues ou graves ou bien pour la majorité des opérations chirurgicales (à partir de l'appendicectomie). Il ne faisait pas non plus disparaître les inégalités entre les classes face à la maladie ou aux risques du travail.
De 1950 à 1975 : améliorations de la santé publique... et croissance des profits
A partir des années cinquante, la France, comme la minorité des pays riches, connut deux décennies de relative expansion économique. Les cotisations étant indexées sur les salaires, la Sécurité sociale vit ses ressources augmenter jusqu'aux années soixante, moins vite cependant que l'inflation, comme pour les salaires.
A l'époque, les besoins étaient énormes, en quantité comme en qualité. En France, en 1954, on dénombrait 500 000 lits répartis entre les hôpitaux publics et privés. Au regard de la population, ce niveau d'équipement la plaçait derrière bien des pays européens comme l'Allemagne, l'Italie, la Suisse, la Finlande et la Suède. De même, "la grande misère des hôpitaux" n'était pas une expression usurpée. Non seulement les capacités d'accueil ne répondaient pas à la demande croissante de soins, mais bien des bâtiments, de construction ancienne, avaient vieilli et leurs locaux se retrouvaient inadaptés par rapport aux règles d'hygiène. Quant aux salles communes regroupant plusieurs dizaines de malades (jusqu'à quarante), elles étaient la règle dans de nombreux hôpitaux publics. Du coup, les malades de milieux aisés se dirigeaient vers les cliniques privées, plus confortables.
Entre 1962 et 1970, le gouvernement décida la création de 64 000 lits. La modernisation des infrastructures hospitalières s'accompagna de nombreuses améliorations. Alors qu'en 1960, on recensait un lit sur quatre en salle commune, cette proportion était ramenée à un pour neuf en 1979 (ce qui ne signifie pas des chambres individuelles, mais des chambres à deux, trois ou quatre). Quant aux effectifs des médecins et du personnel soignant, ils furent au moins multipliés par sept. Parallèlement, l'activité des hôpitaux augmentait. Ainsi, entre 1961 et 1975, le nombre des admissions doubla dans le secteur public, passant de 2,7 à 5,3 millions de personnes (c'était dû, aussi, à un meilleur dépistage).
L'effort de modernisation des hôpitaux fut néanmoins réalisé à peu de frais pour l'État. Le gouvernement mit à profit sa tutelle sur la Sécurité sociale pour lui imposer sa politique et lui faire supporter le plus gros des investissements, par le biais de contributions directes, l'octroi de prêts avantageux et l'intégration d'une participation à l'entretien et l'équipement des hôpitaux dans le calcul du prix de journée.
Et l'État ne s'arrêtait pas là dans les charges qu'il imposait au budget de la Sécurité sociale et qui auraient dû relever d'autres budgets. C'est le cas notamment de la recherche médicale, de la formation du personnel hospitalier et même de l'enseignement prodigué aux futurs médecins, y compris libéraux, car les facultés de médecine se déplacèrent dans les hôpitaux qui devinrent les CHU (Centres Hospitaliers Universitaires).
L'industrie pharmaceutique bénéficiait dès lors, grâce aux remboursements des traitements prescrits aux assurés, de débouchés garantis. Et les trusts pharmaceutiques ne se contentèrent pas de vendre leurs médicaments avec des marges confortables, ils firent également financer une bonne partie de leurs recherches par les prix acceptés par la Sécurité sociale. Le secteur hospitalier fournissait également un marché très lucratif pour les fabricants de matériel médical. Par le biais du prix de journée qui servait de base aux remboursements des soins prodigués, la Sécurité sociale ne se contenta pas de financer les hôpitaux publics, elle finança également les établissements privés dont le nombre et l'activité, tout autant que dans le secteur public, augmentaient rapidement. Enfin, la consommation croissante de soins médicaux, qui passa de 3 à 50 milliards de francs entre 1950 et 1970, fit également les beaux jours des laboratoires d'analyses et des pharmaciens.
Les dépenses de santé prirent une part de plus en plus importante par rapport aux richesses produites, ce qui est somme toute logique dans une société riche et moderne et cela se traduisit par une amélioration de la santé publique, qui trouva son reflet notamment dans un allongement sensible de la durée de la vie.
Crise économique et orientation vers la "maîtrise" des dépenses de santé
A partir du milieu des années soixante-dix, avec la crise et la croissance du chômage, les choses prirent un tournant dans le sens d'une dégradation progressive. D'abord lente, elle s'est accélérée en cumulant ses effets, bien que les innovations et les perfectionnements de la médecine n'aient pas cessé.
Prétextant le coût élevé des dépenses de santé, en France comme dans tous les pays industrialisés, l'État et la bourgeoisie envisagèrent une utilisation plus restrictive de l'accès aux soins. Les masses populaires furent les premières à en faire les frais.
Pour sa part, le patronat, par la voix du CNPF, s'était déjà mis à suggérer ouvertement une remise en cause de la Sécurité sociale, dans un texte de 1965, et le retour à des formes d'assurances comme il en avait existé antérieurement, à la place du système de "sécurité collective". En 1967, de Gaulle, par voie d'ordonnances, majora la cotisation des salariés. Ces ordonnances instaurèrent surtout l'éclatement de la Sécurité sociale en trois branches autonomes maladie, famille et vieillesse chacune devenant responsable de ses ressources et de ses dépenses. Elles s'attaquèrent également à la représentation syndicale dans les organes dirigeants de la Sécurité sociale. De Gaulle n'avait plus besoin de la complicité des syndicats comme au sortir de la guerre pour garantir à la bourgeoisie la paix sociale. Au nom du paritarisme entre les employeurs et les syndicats dans la gestion de la Sécurité sociale, il ramena des trois quarts à la moitié le nombre de sièges attribués aux organisations syndicales. Celles-ci réagirent d'autant plus violemment que l'on entrait dans une période électorale, mais elles durent finalement s'incliner. Il leur fallut attendre 1982 pour que le tandem Mitterrand-Bérégovoy rétablisse la situation antérieure.
Certes, la représentation majoritaire des syndicats dans ces organismes n'avait nullement empêché l'État de se servir des fonds collectés pour d'autres usages que la protection sociale des travailleurs. Pas plus qu'elle n'avait empêché les attaques contre les assurés ou les cadeaux au patronat. Mais ce coup de pouce en faveur du patronat dans les organes de contrôle de la protection sociale ne pouvait améliorer la couverture des malades, des accidentés et des retraités.
Le choc pétrolier de 1973 et la crise qui s'ensuivit portèrent un coup sévère au budget de la Sécurité sociale. Alors que les dépenses, et plus particulièrement celles de la branche maladie, continuaient à progresser, l'augmentation du chômage et la stagnation des salaires réduisaient ses ressources. Et, au fil des ans, le "trou" (tout relatif d'ailleurs, si l'on prend en compte les charges indues supportées par l'assurance maladie, et la Sécurité sociale en général) allait se creuser.
Comme il ne pouvait être question pour aucun gouvernement de s'attaquer aux profits des grands laboratoires pharmaceutiques en réduisant leurs marges, ni de présenter la facture aux patrons qui ne cessaient de réclamer des exonérations, il ne restait plus qu'à s'en prendre aux assurés. Comme le constate le Système de santé français, mémento édité en 1997 par l'Ecole Nationale de la Santé Publique, "depuis 1975, une dizaine de plans de redressement se sont succédé. Tous visent d'abord à freiner les dépenses : augmentation du ticket modérateur (plans Veil en 1977-1978 et en 1993), blocage des honoraires pour les médecins (plan Barrot, 1979) ou encore une mise en place du budget global pour les hôpitaux et la création du forfait journalier (plan Bérégovoy, 1982). En matière de recettes, de nouvelles pistes sont ouvertes : élargissement de l'assiette des cotisations (retraites), recours à l'impôt (Contribution sociale généralisée)."
Restructurations hospitalières : une logique de rentabilité au détriment de la santé
Parce que les dépenses hospitalières constituaient le poste le plus important de l'assurance-maladie, les hôpitaux furent les premiers visés par la politique de "maîtrise des dépenses de santé", pour reprendre le jargon des gouvernants. La loi de juillet 1970 avait déjà institué la carte sanitaire, "pour assurer la meilleure utilisation (des) moyens financiers et (des) facteurs de production", pour répartir les hôpitaux et cliniques en fonction des besoins estimés. En fait, cette carte, en mettant sur le même plan les hôpitaux publics et les établissements privés, amorçait l'intégration du secteur privé à but lucratif dans le système hospitalier et servit à contenir les créations d'équipements plutôt qu'à assurer une meilleure répartition géographique de l'offre. Vint ensuite le "taux directeur", institué en 1978 pour freiner les dépenses des hôpitaux publics, en encadrant les dépenses et en limitant les créations de postes.
La réforme de 1983 modifia le système de financement des hôpitaux : en instituant une "dotation globale" qui fixait le budget annuel attribué à chaque établissement, à charge pour lui ensuite d'organiser ses activités dans les limites de cette enveloppe annuelle. Par exemple, s'il atteignait son quota d'interventions chirurgicales lourdes au mois d'octobre, il ne pouvait plus en faire pendant deux mois.
Les frais de personnel représentant près de 70 % des frais de fonctionnement des hôpitaux, ceux-ci n'échappèrent pas aux réductions d'effectifs. Cette politique entraîna non seulement une dégradation des conditions de travail du personnel soignant, mais également la fermeture d'un certain nombre de lits, et même de certains établissements. De fait, entre 1981 et 1993, 16 % des lits de court séjour disparurent. Parallèlement, la volonté de réduire les coûts de fonctionnement par tous les bouts introduisit une privatisation rampante dans le système hospitalier. La sous-traitance de certaines activités, comme la restauration, le ménage, la maintenance des installations et la blanchisserie, vint alimenter les appétits de profit d'entreprises comme la Sodexho, ONET, Ellis et bien d'autres.
La mise en place, depuis 1996 et dans le cadre du plan Juppé, d'une enveloppe nationale votée par le Parlement, répartie par région et gérée par les Agences Régionales de l'Hospitalisation (ARH), a renforcé encore cette politique de verrouillage des dépenses. Parallèlement, au nom de la spécialisation d'une part, de la concentration des activités sur les plus grosses structures d'autre part, les gouvernements accélérèrent les fermetures de services et de certains établissements de proximité.
Cette politique visant à faire disparaître une partie des petits établissements au profit des gros s'appliqua aussi aux établissements privés et aux cliniques. En effet, la France est le pays d'Europe où le secteur des cliniques privées est le plus important, puisqu'il représente environ 20 % des lits. Son développement remonte aux années soixante, durant lesquelles de nombreux médecins et chirurgiens créèrent de petites structures destinées à des interventions simples mais lucratives. Au fil du temps, la plupart de ces établissements devinrent trop petits pour pouvoir se mettre aux normes, s'équiper ou embaucher du personnel qualifié. Il en résulta un mouvement marqué d'une part par des fermetures, d'autre part par des regroupements et des concentrations adossés à de gros groupes financiers tels que la Générale de Santé, importante chaîne de cliniques, dont 20 % du capital appartient à Vivendi, qui a été introduite en Bourse en 2001.
Ce type d'établissements est maintenant intégré à part entière dans le système d'organisation des soins conçu par le gouvernement à travers les Agences Régionales d'Hospitalisation. La Générale de Santé possède des filiales spécialisées dans la fourniture de prestations hôtelières aux établissements de santé publics. Elle a obtenu la concession de la gestion d'un hôpital public au Portugal. On voit dans quel sens se fait l'évolution, encouragée par les gouvernements qui, ce faisant, augmentent la part des capitaux privés dans le système hospitalier.
Cette politique, basée sur une logique de rentabilité aux dépens de la santé et qui fait une part de plus en plus belle aux intérêts privés, a été reprise intégralement par le gouvernement Jospin. Et la rallonge de 2 milliards de francs qu'il vient d'accorder aux cliniques privées, après deux jours de grogne, alors qu'il refuse toujours de céder sur les créations de postes réclamées par le personnel des hôpitaux publics, souligne à qui vont ses priorités.
Un accès aux soins de plus en plus coûteux
La politique d'économies inaugurée dans les années soixante-dix, poursuivie et aggravée aussi bien par les gouvernements de gauche que par ceux de droite, passa également par une diminution des remboursements des soins et un relèvement constant des cotisations. Du moins, des cotisations prélevées sur les salariés car, dans le même temps, les exonérations pour le patronat, au nom de la réduction du coût du travail pour créer des emplois, ont eu pour résultat qu'entre 1980 et 1993, le taux des cotisations patronales a reculé de 34,6 % à 30 % tandis que celui des travailleurs est passé de 10,2 à 13,45 %.
Parallèlement, rien que sur la seule période 1980-1990, la part des dépenses de santé prise en charge par l'État, les collectivités locales et la Sécurité sociale a baissé de 78,8 % à 74 %, alors que la part payée par les ménages progressait de 15,6 à 18,7 %.
Dès 1977-1978, Raymond Barre et Simone Veil avaient inauguré cette politique de transfert des charges au détriment des assurés en relevant les cotisations d'assurance-maladie et en ramenant le remboursement des médicaments dits "de confort", c'est-à-dire les plus courants et les plus consommés, de 70 à 40 %. Un an plus tard, Barrot augmentait de 1 % la cotisation des salariés à l'assurance-maladie, créait une cotisation maladie pour les retraités et décrétait le gel du budget des hôpitaux. Et en février 1980, les indemnités journalières versées en cas d'arrêt-maladie, pourtant déjà financées par les cotisations des salariés, devinrent imposables.
L'arrivée de la gauche en 1981 ne remit pas en cause cette politique. Dès novembre, Nicole Questiaux releva encore d'un point le taux de la cotisation assurance-maladie des salariés. En 1982, avec la complicité de Ralite alors ministre communiste en charge des questions de santé, Bérégovoy instaura le forfait hospitalier. Les malades devaient prendre en charge une partie des frais de restauration liés à leur hospitalisation. Fixée à 20 F par jour, cette contribution n'a cessé d'augmenter depuis cette époque.
Ce gouvernement réduisit encore le remboursement des médicaments dits "de confort", certains virent leur taux révisé à la baisse, d'autres ne furent plus remboursés. La franchise postale pour les échanges de courrier entre les assurés et leur caisse fut supprimée.
En 1985, Georgina Dufoix ajouta 379 médicaments à la liste de ceux qui ne sont plus remboursés qu'à 40 %.
En 1986, Séguin remettait en cause la prise en charge à 100 % de tous les soins pour les assurés atteints d'une maladie de longue durée, seules restant couvertes à 100 % les prescriptions liées à cette affection. De plus, alors que primitivement, en fonction des affections, les "100 %" étaient automatiques, il fallut les justifier auprès des caisses. Par ailleurs, il créait un prélèvement de 0,4 % sur les revenus pour financer la Sécurité sociale.
En 1988, Claude Evin supprima ce prélèvement mais en 1990, Rocard créa la contribution sociale généralisée (CSG). Cet "impôt Sécu" était certes applicable à toutes les formes de revenus, mais il n'avait rien d'équitable car le même taux s'appliquait à tous, riches ou pauvres. En 1995 cinquantième anniversaire de la Sécurité sociale ! il était d'ailleurs financé à hauteur de 86 % par les salariés, qu'ils soient actifs, retraités ou chômeurs.
En 1989, Bianco relevait de 0,9 % la cotisation maladie des salariés ainsi que le forfait hospitalier, qui passait de 35 à 50 F par jour.
En 1993, les multiples plans ont eu pour effet de transférer une part toujours plus importante sur les ménages, qui assumaient déjà 25,5 % des dépenses de santé. Mais Simone Veil revint et en rajouta. Le taux de la CSG passa de 1,1 % à 2,4 %. Parallèlement, elle baissa encore de 5 % les remboursements de l'assurance-maladie, laissant désormais 35 % des dépenses à la charge des assurés.
En 1995-1996, Juppé prit tout un arsenal de mesures. Au nom de la "maîtrise comptable des dépenses", le budget de chaque branche de la protection sociale fut soumis au vote du Parlement et les hôpitaux soumis au contrôle des Agences Régionales de l'Hospitalisation. Le déficit croissant de la Sécurité sociale lui servit de prétexte non seulement au relèvement de la CSG à 3,4 % mais également à la création d'un nouvel impôt : la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Ce prélèvement de 0,5 % sur tous les revenus, qui rapportait 28 milliards de francs par an au gouvernement, devait aller dans un premier temps jusqu'en 2009, mais Juppé se ravisa et l'étendit jusqu'en 2014. Quant au forfait hospitalier, il a été fixé à partir du 1er janvier 1996 à 70 F par jour.
En 1998 : sous prétexte de substituer la CSG à la cotisation maladie des salariés, le plan Aubry-Kouchner porta la CSG à 7,5 %. Si certains salariés gagnaient un peu de pouvoir d'achat dans cette affaire, les retraités, les chômeurs et les fonctionnaires y perdirent. La CSG est devenue le premier impôt direct avec un produit, en 1999, de 356 milliards contre 315 pour l'impôt sur le revenu.
Au bout du compte, ces mesures, prises à petites doses, diluées dans le temps mais d'une manière systématique, par les gouvernements de droite comme par ceux se prétendant de gauche, se soldent par un transfert croissant du coût de la santé sur le dos de la masse des assurés, c'est-à-dire des travailleurs et des masses populaires.
Le Parti Socialiste voudrait "un système de santé plus performant"... mais pour quels intérêts ?
Alors, on mesure toute l'hypocrisie du PS quand, dans sa brochure électorale en forme de bilan intitulée 1997-2002 : La France qui change, il évoque "un système de santé plus performant", et toute une série de prétendues réformes et mesures "sans précédent".
Il met bien sûr en avant quelques mesures qui ont surtout le mérite de ne pas coûter cher, comme son projet de loi sur le droit des malades ou la création d'un "Institut national de prévention et de promotion de la santé". Quant à l'inscription dans la loi du principe de l'indemnisation de l'aléa thérapeutique, cela reste une promesse, sans échéance ni contenu précis.
Cette brochure vante surtout le "rétablissement historique" des comptes de la Sécurité sociale, qui seraient dans le vert depuis 1999. Peut-être, mais à quel prix ? Il aurait mieux valu améliorer les ressources de la Sécurité sociale que de réduire ses dépenses.
En tout état de cause, il ne s'agit que d'une estimation, de l'aveu même de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, car les comptes, ne serait-ce que pour 2001, ne sont pas définitifs. De plus, si l'on rapporte ces 15 milliards de francs d'excédent annoncés pour la période 1999-2001 aux quelque 2 000 milliards du budget annuel de la Sécurité sociale, soit 0,75 %, on mesure toute la fragilité des affirmations du PS. Et il y a fort à parier qu'on apprenne, après les élections bien sûr, que le vert a finalement viré au rouge.
Il faut d'ailleurs tout le cynisme de ces gens-là pour oser parler des "investissements importants consentis à l'hôpital" et d'une "décision sans précédent" pour annoncer la création de 45 000 emplois sur trois ans. Certes, le chiffre peut paraître ambitieux. Mais, même agrémenté comme il l'est de la photographie d'une infirmière tout sourire, il ne peut tromper. Pour compenser ne serait-ce que le passage aux 35 heures des quelque 800 000 salariés des hôpitaux publics, il faudrait créer entre 80 000 et 100 000 emplois, et non pas étalés sur trois ans mais immédiatement. Le PS est donc loin du compte, et loin des améliorations qu'il promet aux usagers comme au personnel.
Reste la Couverture médicale universelle (CMU), mise en place depuis le 1er janvier 2000. Il s'agit d'une mesure positive que l'on peut certes porter au crédit du gouvernement actuel. Néanmoins, en fixant à 3 500 F le plafond de revenus mensuels pour pouvoir en bénéficier, le gouvernement a exclu du même coup des centaines de milliers de personnes qui touchent à peine plus, à commencer par toutes celles relevant du minimum vieillesse, fixé à 3 575 F par mois. Le fait que, plus d'un demi-siècle après la mise en place de la Sécurité sociale, 150 000 personnes se soient retrouvées sans aucune couverture sociale et que 5,1 millions puissent prétendre à une couverture complémentaire dans le cadre de la CMU, reflète bien une situation catastrophique. Un bilan sans appel quant à la politique menée par ce gouvernement, comme par ceux de droite et ceux prétendument de gauche depuis plus de vingt ans, en matière d'emploi et de lutte contre le chômage !
Il est vrai que l'on ne peut tout à la fois servir les intérêts des patrons et ceux des actionnaires des cliniques privées, et garantir à toute la population l'accès gratuit à des soins de qualité. Jospin a déjà montré où allaient ses choix.