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- Lutte de Classe n°73
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France - La "réforme" des retraites : vers une épreuve de force avec le gouvernement ?
Au moment où nous écrivons, la journée de grève et de manifestation du 13 mai, appelée par l'ensemble des confédérations syndicales, est en préparation mais elle n'a pas encore eu lieu. On ne sait donc pas quelle sera son ampleur. On ne peut que souhaiter que la grève soit la plus large et les manifestations les plus massives possibles. Car le problème des retraites, comme celui des salaires, est avant tout un problème de rapport de forces entre la classe ouvrière d'un côté et le patronat et le gouvernement de l'autre. La journée du 13 mai ne suffira pas, bien sûr, en elle-même à inverser ce rapport de forces en faveur de la classe ouvrière mais, si elle encourage les travailleurs à lui donner un prolongement, d'une façon ou d'une autre, elle pourra être une étape qui y mène.
Le gouvernement a dévoilé l'essentiel de son plan pour, comme il dit, réformer les retraites, projet qu'il s'est engagé à faire adopter avant les vacances d'été. Le projet en question s'intitule "Propositions soumises à concertation", le gouvernement faisant mine d'être prêt à négocier, alors que l'essentiel du projet en question est pourtant déjà bien ficelé, pour ne pas dire bouclé. Les modifications que le gouvernement pourrait concéder, en l'absence d'un changement de rapport de forces, sont mineures.
Depuis des mois, il a ostensiblement consulté tout le monde, prétendant n'avoir aucun a priori et être ouvert à tout. Le ministre des Affaires sociales, François Fillon, a commencé par faire le tour des pays d'Europe, prétendant étudier ce qui se fait ailleurs ; puis le ministre de la Fonction publique, Jean-Paul Delevoye, et lui-même ont fait un tour de France pour rencontrer les organisations syndicales dans un certain nombre de régions. Et puis, bien sûr, ils ont reçu les fédérations et confédérations syndicales.
Le gouvernement joue la comédie de la concertation pour tenter de désamorcer les oppositions mais son projet répond très exactement aux objectifs du patronat, bien que celui-ci ne le trouve pas assez ambitieux. Il s'agit cependant d'une attaque de grande ampleur contre la classe ouvrière.
C'est une attaque contre tous les salariés, attaque d'autant plus provocante que ce sont les seuls que le gouvernement entend faire payer et que ni le patronat, ni l'État ne seront mis à contribution.
Le gouvernement veut passer en force pour obliger les salariés du secteur public à accepter des mesures semblables à celles que Balladur avait réussi à imposer en 1993 dans le secteur privé, et qui aboutiraient à cotiser davantage pour recevoir une pension réduite d'un quart, voire d'un tiers. Mais si le gros des attaques de Fillon vise les fonctionnaires, les salariés du secteur privé sont une nouvelle fois touchés.
Nouvelles attaques contre les salariés du privé
Alors que la loi Balladur de 1993 n'est pas encore entrée complètement en application, puisque c'est en 2008 que la règle des 25 meilleures années pour le calcul de la retraite sera pleinement en vigueur, le gouvernement a trouvé le moyen de réduire encore les pensions des salariés du secteur privé d'environ 3 %, en faisant passer de 150 à 160 trimestres la base de calcul du montant de la pension. En effet, bien que 160 trimestres de cotisations soient nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, le calcul de celle-ci se fait encore sur la base de 150 trimestres. Si cette modification passe, c'est de quelque 1,7 milliard d'euros que les retraités pourront faire leur deuil.
Et Fillon ose prétendre qu'il va arrêter la dégradation du niveau des pensions et qu'il va garantir à tous un niveau de pension minimum ! Un niveau certainement très minimum puisque le smicard ne serait assuré de toucher que 75 % du SMIC, alors que les salariés qui gagnent moins de 7 500 F au moment de leur départ en retraite touchent en moyenne une pension nette égale à leur dernier salaire net. C'est du moins ce que le très officiel Conseil d'orientation des retraites affirme en faisant état d'une situation où les salariés ont vu leurs revenus se dégrader en fin de carrière. Les chiffres avancés par les organisations syndicales situent entre 83 et 90 % du SMIC la pension actuelle d'un smicard. Quelle que soit l'estimation retenue, le ministre annonce bel et bien une nouvelle baisse du montant de la pension même pour les plus bas salaires.
Quant aux autres salariés, Fillon leur garantit 66 % de leur salaire de référence (et non de leur dernier salaire !). C'est dire que le niveau des pensions va fortement baisser puisqu'actuellement, pour les salariés non cadres, la pension représente en moyenne quelque 84 % du dernier salaire. Promettre une pension équivalant aux deux tiers du salaire de référence alors que ce salaire diminue chaque année et va encore diminuer jusqu'en 2008 (jusqu'à ce que l'on atteigne les 25 années à prendre en compte pour le calculer), ce n'est certainement pas garantir un niveau de pension acceptable. En fait Fillon garantit des pensions raccourcies d'un bon quart.
Les travailleurs doivent pouvoir profiter de leur retraites sans avoir à subir une chute brutale de leurs revenus, chute d'autant plus inacceptable que les salaires sont déjà très insuffisants. Oser proposer aux smicards de se contenter d'un trois quarts de SMIC (soit 681,75 e ou 4472 F !), après qu'ils ont trimé quarante ans de leur vie, c'est absolument indigne !
Et puis évidemment si le gouvernement parvient à aligner les retraites des salariés du secteur public sur celles du secteur privé, l'ensemble des salariés fera l'objet de nouvelles attaques. La bourgeoisie, tant qu'elle ne rencontrera pas de résistance, continuera à réduire la part de la classe ouvrière dans les richesses produites, quitte à faire revenir celle-ci à des conditions de vie qui la ramèneront des dizaines d'années en arrière, sans aucune garantie concernant les salaires, les retraites, la santé, l'éducation, etc. Alors que la productivité ne cesse d'augmenter, on prétend que les travailleurs doivent travailler de plus en plus pour payer leur retraite !
Le projet du gouvernement prévoit qu'à partir de 2008 une espèce de commission prétendument indépendante pourra suggérer en permanence de prétendues réformes, c'est-à-dire des tours de vis supplémentaires sur les retraités et les actifs. Le prétexte, c'est de pouvoir ajuster les retraites à l'allongement de l'espérance de vie. En fait, il s'agit surtout de faire accepter l'idée de la possibilité d'une perpétuelle remise en cause des droits à la retraite. Sous prétexte d'équilibrer financièrement les caisses de retraites et de "sauver la retraite par répartition", une fois de plus, les gouvernements futurs n'auront plus qu'à suivre les recommandations de la commission et exiger de nouveaux sacrifices de la part des travailleurs, par exemple si le chômage augmente et surtout si le rapport de forces entre les travailleurs et le patronat reste défavorable aux salariés car l'avidité de celui-ci n'a pas de limites. Il est déjà prévu d'exiger de tous les salariés 41 années de cotisation en 2012 et 42 années en 2020.
Enfin, il y a la menace que fait planer le patronat sur les retraites complémentaires des salariés du secteur privé, l'AGIRC et l'ARRCO. Depuis 1983, date de la mise en place de la retraite à 60 ans, le patronat a menacé à maintes reprises de ne plus autoriser les salariés à liquider leur retraite complémentaire à taux plein à 60 ans, ce qui reviendrait à les empêcher de partir à cet âge, la pension complémentaire améliorant d'environ 40 % la pension de la Sécurité sociale. Il faut dire que, depuis 1983, les différents gouvernements se sont refusés à imposer au patronat de payer pour financer la mesure d'abaissement de l'âge de la retraite, mais ils n'ont pas non plus fait verser par l'État les dizaines de milliards de francs qu'il s'était engagé à payer aux caisses, laissant celles-ci augmenter les cotisations et diminuer les pensions. Malgré tout, le patronat a toujours continué à faire pression pour obtenir des compensations supplémentaires pour la prise en compte de la retraite à 60 ans.
En 2001, le patronat avait commencé à mettre son chantage en application et à refuser de verser les cotisations aux caisses complémentaires, déclenchant une très grosse manifestation de protestation des salariés le 25 janvier. Depuis, l'accord sur la liquidation des pensions à 60 ans a été reconduit jusqu'au 1er octobre 2003. Mais le patronat a d'ores et déjà annoncé que, si les mesures prises par le gouvernement n'étaient pas suffisantes en termes d'allongement des durées de cotisations, il ne renouvellerait pas l'accord.
C'est dire que la menace sur les retraites des salariés du privé est double, à la fois sur le régime général et sur les régimes complémentaires.
Haro sur les salariés de la fonction publique
Quant aux fonctionnaires, ils sont encore plus touchés puisqu'il s'agit, sous prétexte d'équité, de les obliger à accepter tout ce qu'ils ont refusé en 1995 et plus encore ! On veut leur imposer tout à la fois une augmentation des cotisations, un allongement de la durée de cotisation et une pension réduite !
Le projet du gouvernement prévoit en effet une augmentation progressive de cotisation de 2,5 % (donc une baisse de salaire équivalente), un allongement de la durée de cotisation pour atteindre les 40 années de cotisation en 2008, comme dans le privé, à raison de 6 mois de plus par an, et une diminution des pensions qui seront calculées sur les trois dernières années et non plus les six derniers mois. Enfin et surtout, les pensions seront désormais indexées sur les prix et non plus sur les salaires réels. Les pensions versées vont peu à peu, comme dans le privé, décrocher par rapport aux salaires, car ce que les travailleurs parviendront à arracher comme amélioration de leur niveau de vie ne bénéficiera pas aux retraités.
La Cour des comptes vient, fort opportunément pour le gouvernement, de dénoncer le fait que l'ensemble des augmentations dont bénéficient les actifs sont jusqu'à présent prises en compte pour revaloriser les pensions de retraites, qui évoluent ainsi parallèlement aux revenus des actifs. Elle stigmatise ce qu'elle appelle des "carrières de retraités".
Mais quoi de plus normal que la pension des retraités soit améliorée au même rythme que l'ensemble des salaires et que, lorsque les travailleurs réussissent à arracher une progression de leur niveau de vie, les anciens en profitent aussi ? C'était d'ailleurs le cas aussi dans le secteur privé puisque les pensions des retraités étaient revalorisées chaque année en fonction de l'augmentation du salaire moyen. L'ensemble des augmentations étaient ainsi prises en compte : individuelles, par branche ou générales. C'est à partir de 1983 que le gouvernement de gauche a commencé à ne plus respecter cette règle et à revaloriser les pensions chaque année de façon un peu arbitraire, plus ou moins en fonction de l'évolution des prix. Le plan de réforme de la Sécurité sociale adopté par Seguin, dans le gouvernement Chirac de 1987, a systématisé cette pratique et Balladur l'a inscrite dans la loi pour cinq ans en 1993. Puis en 1999, c'est Jospin qui l'a prorogée.
Le temps où le niveau des pensions du privé suivait le niveau des salaires est maintenant si lointain que le gouvernement peut tenter de faire passer pour des abus scandaleux le fait que les fonctionnaires bénéficient encore du même principe ! Et c'est au nom de la justice que le gouvernement veut exclure aussi les retraités de la fonction publique de la progression du pouvoir d'achat que les actifs pourraient obtenir.
Enfin la décote de 3 % par an qui serait instaurée pour tous ceux qui n'auront pas leurs 40 années de cotisations est catastrophique pour bon nombre de personnes qui, jusqu'ici, partaient avec 32 années de cotisations. Elles verraient leur pension diminuer de 25 %, ou il leur faudrait travailler jusqu'à 68 ans !
Soit dit en passant, ce système de décote, depuis longtemps en vigueur dans le secteur privé, est d'autant plus scandaleux que la décote est bien loin d'être proportionnelle au nombre d'annuités manquantes : c'est un abattement de 10 % par année manquante qui est actuellement pratiqué. C'est dire que les chômeurs non indemnisés, tous ceux qui ne sont même pas dans les statistiques ou les Rmistes, tous ceux dont les droits à la retraite ne sont pas validés probablement autour de deux millions de personnes , sont doublement sanctionnés. Non seulement parce que leurs revenus ont brutalement chuté et qu'ils connaissent des mois voire des années difficiles à vivre, mais parce que ces mois ou ces années peuvent se traduire par un manque à gagner important pendant toute leur retraite.
Alors, le gouvernement a annoncé que la décote sera abaissée à 6 % au lieu de 10 dans le secteur privé à partir de 2009 mais, entre temps, ce sont les salariés de la fonction publique qui se verront aussi appliquer une décote, qui se montera progressivement à 3 puis 6 % ! Par souci de justice, tous les salariés seront soumis à ce même arbitraire !
Quant aux heures supplémentaires, aux primes, aux indemnités de résidence, qui peuvent représenter une partie importante du salaire dans la fonction publique mais qui ne sont pas prises en compte dans le calcul de la retraite à l'heure actuelle, il est question de faire cotiser les fonctionnaires en plus à une caisse complémentaire pour qu'une partie de ces primes soit prise en compte.
Le projet du gouvernement peut encore être remanié dans les détails d'ici qu'il soit définitivement adopté par le conseil des ministres, le 28 mai prochain. Reculer sur des aspects mineurs pour tenter de désamorcer le mécontentement, tout en maintenant l'essentiel : c'est la tactique que le gouvernement semble avoir adoptée.
Mais de toute façon, qui peut croire que les sacrifices demandés vont s'arrêter là ? Déjà, les salariés de la fonction publique sont avertis, comme les salariés du privé, qu'il leur faudra cotiser 42 ans en 2020. Et comment croire que, sous couvert d'équité, les règles pour calculer la pension des fonctionnaires ne vont pas à terme être alignées par le bas sur celles du secteur privé ? Non seulement le nombre d'années prises en compte passerait alors progressivement à 25, mais la revalorisation des anciens salaires pour le calcul de la pension se ferait en fonction de l'évolution de la hausse des prix et non plus de l'évolution des salaires réels. Cette mesure, qui est la moins connue des mesures prises par Balladur, est pourtant l'une des plus nuisibles pour les salariés puisqu'elle peut faire baisser considérablement le montant de la pension.
L'opacité des comptes de l'État
Quand le gouvernement présente ces attaques contre les salariés de la fonction publique comme des mesures indispensables pour sauver l'avenir des retraites, c'est un mensonge de plus. Il s'agit avant tout d'une mesure politique destinée à débloquer une situation qui empêchait de pousser plus loin les attaques sur les retraites dans le secteur privé. Mais, en tant que telles, les mesures envisagées ne rapporteront pas grand-chose à l'État. Car allonger la durée de cotisation dans la fonction publique, cela signifie payer plus longtemps des salaires plus élevés à des fonctionnaires qui arriveront au bout de leur déroulement de carrière ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Et un salaire plus élevé au moment de la retraite, c'est aussi une pension plus importante, du moins tant que les règles de calcul ne sont pas modifiées. Cela serait donc plus coûteux pour l'État.
De toute façon, l'État est bien incapable de faire ses comptes en la matière, puisqu'une partie des fonctionnaires, les fonctionnaires d'État, ne relèvent d'aucune caisse de retraite. Chaque ministère reçoit sur le budget de l'État des crédits pour payer les retraites de ses fonctionnaires. Quant aux recettes, certaines sont purement fictives, d'autres font l'objet de reversement au budget ; elles ne sont jamais mises en rapport avec les dépenses et l'opacité la plus totale règne. la Cour des comptes elle-même souligne dans son dernier rapport que le "manque de transparence ne permet pas à la représentation nationale d'appréhender de façon précise l'équilibre financier immédiat du régime, pas plus que ses perspectives à long terme". A la demande de la Cour des comptes, il y aura, paraît-il, en 2006 un compte où seront regroupées toutes les dépenses et toutes les recettes, au lieu de rester éclatées comme aujourd'hui entre les différents ministères. En attendant, cela n'empêche pas les experts d'asséner avec aplomb des chiffres précis !
Toujours est-il que pour l'instant ce sont justement les régimes des salariés du secteur public et le régime général qui versent chacun chaque année des milliards d'euros pour équilibrer d'autres régimes, déficitaires, en particulier les régimes des non-salariés. Qu'à cela ne tienne, depuis 1993 les salariés du privé doivent se serrer la ceinture en prévision des déficits supposés à venir, et aujourd'hui le gouvernement a encore le culot d'exiger de nouveaux sacrifices de l'ensemble des salariés !
Des sacrifices pour "sauver les retraites" ?
A supposer que les calculs des experts, pourtant bien peu fiables, se révèlent exacts lorsqu'ils affirment que d'ici 2020, il manquera 15 à 19 milliards d'euros par an pour payer les retraites du privé et 18 milliards pour celles du public, le déficit se monterait à moins de 40 milliards d'euros. Or, voilà des années que les aides de l'État aux entreprises se chiffrent par centaines de milliards de francs et dizaines de milliards d'euros. L'estimation qui en est faite de nos jours se monte à 46 milliards d'euros par an.
Rien n'est trop cher lorsqu'il s'agit d'aider les entreprises. Personne ne dénonce le fardeau insupportable de ces aides au patronat, insupportable non seulement pour les générations futures mais déjà pour les générations actuelles. Notre ministre désarmorceur de "bombes à retardement" ne se soucie pas de désamorcer celle-là. Au contraire : il a déjà annoncé de nouvelles aides pour que les entreprises gardent plus longtemps les travailleurs de plus de 50 ans. Et pourtant c'est bien à cause de ces milliards d'aides à fonds perdus au patronat, ce gaspillage monstrueux de l'argent public, qu'on nous raconte que les retraites des anciens constituent un fardeau trop lourd à supporter...
Et pourtant ce sont bien les richesses créées par les salariés qui financent non seulement ces cadeaux-là au patronat mais aussi les profits, les dividendes versés aux actionnaires, les capitaux des batailles boursières et de la spéculation.
Si les richesses produites par les travailleurs peuvent servir à faire vivre autant de parasites sur leur dos, il y en a en suffisance qui seraient beaucoup mieux employées à faire vivre correctement et les salariés et les retraités. C'est une question de rapport de forces pour que la classe ouvrière récupère une partie de ce que le patronat et l'État lui volent.
Une véritable campagne d'intoxication veut nous faire croire que toutes ces "réformes" sont indispensables pour sauver les retraites et que c'est pour leur bien que le gouvernement impose des sacrifices aux travailleurs.
Rien n'est plus faux. En prenant sur les salaires déjà trop faibles et en réduisant les pensions, ce ne sont que les profits des patrons que l'on sauve, ces patrons qui depuis 25 ans ont réussi à faire payer la crise aux travailleurs, par le chômage, les bas salaires, la précarité, et la flexibilité, au point que leurs profits ont explosé. En même temps que les gouvernements successifs exonéraient toujours davantage le patronat de charges sociales et qu'ils allégeaient les impôts sur les entreprises, ils augmentaient les prélèvements sur les salariés. Les salariés doivent faire efforts sur efforts pour remplir des caisses qui sont en permanence vidées au profit du patronat.
Les attaques sur les retraites font partie des mille et une mesures prises depuis un quart de siècle par les gouvernements pour réduire la part des salariés dans le revenu national et augmenter celle des patrons. La bourgeoisie s'est considérablement enrichie au détriment de la classe ouvrière et elle entend bien continuer à le faire.
Le patronat veut pouvoir continuer à vider les caisses publiques comme les caisses de retraites, à profiter des exonérations de cotisations sociales et des baisses d'impôts, et surtout à ne pas payer davantage. C'est la raison pour laquelle il réclame un allongement de la durée de cotisation, qui sera supporté par les seuls salariés et qui présente l'avantage de diminuer d'autant la durée de versement des pensions. Il s'agit donc d'une économie considérable sur le montant global des pensions versées, réalisées bien évidemment au détriment des salariés et des retraités, mais qui permet au patronat de ne pas payer un sou. D'ailleurs, lors de son émission "100 minutes pour convaincre", François Fillon a expliqué les choix du gouvernement par sa volonté de ne pas alourdir les prélèvements sociaux afin de ne pas nuire à la compétitivité des entreprises. En prenant sur les profits, il y aurait pourtant largement de quoi financer les retraites. Mais ce n'est pas au secours des retraites par répartition menacées d'explosion que le gouvernement vole, mais au secours du patronat.
Le double jeu des confédérations syndicales
Les confédérations syndicales, loin de mettre tout leur poids pour contrer les mensonges des prétendus experts, des gouvernants, du patronat, abondamment relayés par des journalistes complaisants, se sont elles aussi placées sur le même terrain en accréditant l'idée qu'une réforme des retraites était indispensable. En fait, les dirigeants syndicaux voulaient être admis comme partenaires à part entière, associés à l'élaboration du projet gouvernemental. Ils ont ainsi accepté une série de rencontres avec le gouvernement, affirmant qu'ils étaient prêts à négocier, c'est-à-dire à faire des concessions !
Les confédérations syndicales ont appelé à manifester le 1er février mais n'ont pas donné suite avant le mois d'avril. Elles ont encore moins présenté aux travailleurs un plan de mobilisation et de lutte pour s'opposer à cette attaque d'envergure.
C'est le gouvernement qui, malgré ses tentatives pour enrober les choses, a clairement fait comprendre que son projet n'était pas négociable. Même la CFDT, pourtant prête à bien des concessions, a commencé à regimber. Dans le calendrier du gouvernement, le temps de la concertation avec les organisations syndicales est clos et aucune contrepartie à leur bonne volonté n'a été accordée. L'ensemble des organisations syndicales a donc programmé une nouvelle journée d'action le 13 mai.
Il est manifeste que les confédérations veulent faire pression sur le gouvernement mais ne donnent pas les moyens aux salariés de se préparer à une vraie bataille pour faire reculer vraiment le gouvernement.
Et même si FO se dit radicalement opposée au projet du gouvernement, réclamant à juste titre l'abrogation des mesures prises par Balladur, c'est-à-dire le retour à 37,5 années de cotisation pour tous, elle s'est alignée jusqu'à présent sur les propositions des autres confédérations dont les discours sont forts ambigus. L'objectif de la CFDT est que le gouvernement fasse un geste pour avoir l'air de prendre en considération ses revendications, mais elle ne veut surtout pas faire capoter la "réforme" qu'elle a réclamée avec insistance.
Quant à la CGT, qui a le plus de poids parmi les salariés, elle se veut responsable vis-à-vis du gouvernement et du patronat mais pas vis-à-vis des travailleurs. Aussi se garde-t-elle bien de formuler des revendications trop précises et de définir un plan d'action clair à proposer aux travailleurs. Il est significatif, par exemple, que la confédération ne veuille pas mettre en avant les 37,5 années de cotisations pour tous. Elle se refuse à revendiquer clairement l'abrogation des mesures Balladur. Ses responsables prétendent que la revendication des 37,5 années de cotisations n'a pas été abandonnée puisqu'elle figure toujours au beau milieu des "Repères revendicatifs de la CGT". Ainsi inscrite à la page 45 d'un recueil qui en comporte 98, le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle n'est pas d'actualité pour la confédération, qui ne veut surtout pas apparaître comme hostile à toute "réforme", y compris donc à celle de Balladur, et donc partisan d'en revenir aux règles d'antan, d'avant 1993.
Et surtout, par delà les revendications, les organisations syndicales qui, toutes, ont laissé passer les mesures de Balladur sans appeler les travailleurs à se mobiliser, se sont contentées jusqu'à présent d'appeler à des journées d'action au coup par coup, sans plan d'ensemble, sans préparer les travailleurs à l'affrontement avec le patronat et le gouvernement, indispensable si on veut ne serait-ce que refuser de nouveaux reculs du monde du travail.
Rien de tout cela ne permet de redonner véritablement confiance aux travailleurs, ni dans la justesse de leur refus, ni dans les chances de succès d'une lutte. Peu soucieuses de contrer le matraquage médiatique sur l'urgence de faire des sacrifices pour sauver les retraites, incapables d'opposer au patronat une politique de la classe ouvrière défendant sans compromission les intérêts du monde du travail dans cette affaire des retraites comme dans les autres, les centrales syndicales sont tout aussi incapables d'insuffler aux travailleurs confiance dans leurs propres forces et volonté de vaincre.
Les confédérations syndicales veulent simplement faire quelques démonstrations de force pour défendre leur prérogatives d'appareils.
Mais après tout, en 1995, les appareils syndicaux n'avaient pas d'autres buts et, lorsque les cheminots ont répondu plus que d'autres aux appels syndicaux en déclenchant la grève, ils se sont appuyés sur eux. Mais évidemment, depuis lors, la CGT, qui joue de plus en plus ouvertement la carte de la respectabilité auprès du patronat et du gouvernement, est encore plus prudente, d'autant qu'elle a toujours la base militante la plus combative. Elle appelle bien sûr au 13 mai, mais fera-t-elle le nécessaire pour mobiliser massivement les travailleurs, ou bien réservera-t-elle ses efforts à la manifestation qu'elle organise seule le 25 mai ?
Seuls les travailleurs peuvent bouleverser les petits calculs des directions syndicales, leurs rivalités soigneusement entretenues et leurs scènes de ménage avec le gouvernement. Par leur intervention directe, ils peuvent pousser les directions syndicales à aller plus loin qu'elles n'en avaient l'intention. En répondant massivement aux appels à la grève, les travailleurs peuvent se redonner mutuellement confiance, les plus décidés entraînant les hésitants, et cela peut redonner le moral à l'ensemble des travailleurs au point de changer d'un coup le rapport de forces.
C'est d'ailleurs bien ce que craint le gouvernement. Car, malgré toutes les précautions dont il s'entoure, les attaques qu'il porte et s'apprête encore à porter à la classe ouvrière sont considérables dans tous les domaines, sur les retraites mais aussi sur la santé, l'éducation, sur tous les services publics, et cela au moment où le patronat licencie à tour de bras. Le mécontentement monte incontestablement. Même s'il n'est pas explosif pour l'instant, il se peut bien que les travailleurs qui sont attaqués tous ensemble sur les retraites se saisissent de cette occasion pour remettre en cause l'ensemble des reculs qu'on veut leur imposer.
Alors il faut tout faire pour que le 13 mai la grève et les manifestations soient massives et pour que partout les travailleurs se concertent pour décider de la suite à donner à cette journée, sans laisser l'initiative au gouvernement ni s'en remettre aux petites manoeuvres des appareils syndicaux.