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France - Après les élections présidentielle et municipales
Le 17 mai François Mitterrand installait à l'Élysée son successeur, Jacques Chirac. Après 14 ans de présidence socialiste, voilà donc de nouveau un homme de droite à la présidence. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que le changement n'a pas été brutal. Et pas seulement parce que depuis 1993 c'était déjà la "cohabitation" entre le président socialiste et une majorité parlementaire et un gouvernement de droite. La "cohabitation" elle-même était déjà la deuxième du genre, après la période de 1986-1988. Il s'est établi comme une sorte d'habitude dans ce passage de relais entre gouvernements, même lorsque c'était un gouvernement de droite qui succédait à un gouvernement de gauche ou vice-versa. La politique menée par les gouvernements de gauche et ceux de droite était tellement semblable et depuis tellement longtemps, qu'il n'y avait pratiquement pas de rupture de continuité.
Ce passage d'une longue présidence socialiste à une présidence de droite n'a même pas été l'expression d'un changement brutal dans l'électorat. Il faut rappeler que l'accession de Mitterrand à la présidence en 1981 n'avait pas été, elle non plus, l'expression d'une poussée à gauche dans l'électorat, mais la conséquence de la division de la droite : un certain nombre d'électeurs gaullistes préférant voter pour Mitterrand au deuxième tour, plutôt que de permettre à Giscard de rester à l'Élysée pour un deuxième septennat.
Sans que la droite se renforce particulièrement - nous reviendrons sur les déplacements internes entre les différentes composantes de la droite - le Parti socialiste, qui a exercé le pouvoir gouvernemental pendant un total de dix ans sur les quatorze de la présidence Mitterrand, s'est complètement déconsidéré auprès de son propre électorat. La "chambre introuvable" issue des élections législatives de 1993 où la droite dispose d'une majorité plus confortable que jamais dans l'histoire, à quelques rares exceptions près, était moins le signe d'une puissante poussée à droite que l'expression de la déception, voire du dégoût qu'inspirait le Parti socialiste dans son propre électorat, après ses longues années au gouvernement où il a mené une politique de droite, bassement servile devant le patronat, incapable non seulement de répondre aux problèmes cruciaux des travailleurs et de la société, notamment le chômage, mais incapable de tenir même les plus fades de ses promesses.
Que la présidence allait revenir à la droite ne faisait de doute dans l'esprit de personne. Ce sentiment a sans doute contribué cependant à l'épisode comique du duel entre Chirac et Balladur, c'est-à-dire entre deux dirigeants du même RPR. La droite l'a finalement échappé belle, non pas à ce que la présidence lui échappe une fois de plus en raison de ses zizanies - comme le déclara Jospin lui-même, il n'a jamais cru à ses chances d'être élu - mais à ce qu'un duel droite-droite, plus exactement RPR-RPR au deuxième tour, fasse éclater ce parti. Le premier tour a écarté Balladur, ce qui faisait l'affaire de Chirac, mais celui-ci n'était que second, ce qui le faisait moins.
Jospin est donc arrivé en tête au premier tour. Et au second, il n'a été battu qu'à quelques pour cent près : 47,37 % contre 52,63 % à Chirac. Deux ans après son cinglant effondrement électoral aux législatives, le Parti socialiste s'en tirait plutôt mieux que ce qu'il pouvait espérer.
Le résultat des élections municipales, qui ont directement suivi l'élection présidentielle, a même un peu renforcé, au profit du Parti socialiste, le résultat de la présidentielle. Pas d'"effet Chirac" entraînant dans la foulée un raz-de-marée de droite sur les municipalités. Marseille, gérée par les socialistes depuis 1953, est bien passée cette fois à un maire de droite, Jean-Claude Gaudin. Mais à Paris, dont Chirac croyait avoir fait son fief, les socialistes ont emporté cette année six arrondissements.
Par-delà ces déplacements de la droite qu'on dit classique à la gauche traditionnelle, et vice-versa, l'électorat semble être resté fort stable. Les changements politiques significatifs, car il y en a eu, sont ailleurs que dans les scores respectifs des grands partis qui assurent à ce jour l'alternance au pouvoir.
Du côté du Parti communiste, les élections de cette année n'ont pas marqué de grands changements non plus. Car le changement, c'est-à-dire la forte chute de l'électorat du PCF a eu lieu antérieurement, au début des années quatre-vingt, lorsque le PCF est passé de plus de 20 % des voix, qu'il avait encore en 1979, à 15,34 % à l'élection présidentielle de 1981, puis à 11,2 % à l'élection européenne de 1984 et à un peu moins de 10 % aux législatives de 1986, pour atteindre son résultat le plus bas, 6,76 % sur la candidature d'André Lajoinie à l'élection présidentielle de 1988.
Avec un score de 8,7 % à la dernière élection présidentielle, le nouveau secrétaire général du PCF, Robert Hue, a pu se féliciter d'avoir stoppé la chute et même d'avoir un peu redressé les scores du PCF. Le Parti communiste a fait campagne contre le chômage, contre l'exclusion, pour de meilleurs salaires, avec un langage assez radical, du moins dans les meetings où Hue s'adressait à un public relativement militant.
Ce que valait ce radicalisme verbal, Hue n'a pas mis longtemps à le démontrer en se ralliant à Jospin au second tour. Un ralliement mal accepté par une partie de l'électorat communiste et surtout par les militants ouvriers les plus actifs du PCF. Oh, le ralliement était entouré de bien des précautions verbales. Mais les dirigeants du PCF ont eu beau jurer aux plus méfiants qu'il n'était plus question de refaire les erreurs du passé et de participer à nouveau à une "Union de la Gauche" qui ferait la politique du patronat, c'est le chemin qu'ils ont repris. Un chemin qu'ils n'avaient en fait jamais abandonné et qui contribue, depuis trente ans qu'il a été inauguré avec l'appel à voter dès le premier tour de l'élection présidentielle de 1965 pour le candidat Mitterrand, à faire que le PCF laisse la place, puis s'efface devant le PS.
Dans les municipales, "la gauche" s'est peut-être maintenue, mais le PS mieux que le PCF. Le PS a perdu des municipalités, mais il en a regagné autant. Pour le Parti communiste, le solde en villes importantes, de plus de 20 000 habitants, est négatif : 12 municipalités perdues, représentant un total de quelque 640 000 habitants, dont une grande ville, le Havre, de 200 000 habitants, contre seulement six municipalités, représentant 300 000 habitants, dont la principale est Nîmes (130 000 habitants). Et quand bien même ce serait davantage le fruit de circonstances malheureuses et non d'une réelle perte de voix, le résultat n'en est pas moins grave pour le PCF, dont l'appareil a besoin des moyens matériels et humains que lui assurent des bastions municipaux.
La lente érosion des positions politiques du PCF qui fait suite à la chute plus spectaculaire des années précédentes, se poursuit de fait, malgré une stabilisation de ses voix à un niveau très bas.
Le PCF perd d'ailleurs sur tous les tableaux. Non seulement il n'est plus parmi les "grands" partis, ceux qui tiennent des positions de pouvoir centralement ou localement. Mais il n'est plus non plus le principal pôle d'attraction des mécontentements populaires. Car durant toute une période en France, malgré son évolution réformiste stalinienne, le PCF faisait figure de parti d'opposition. Il était un pôle - d'un radicalisme réel ou imaginaire - pour les protestataires. Il l'est de moins en moins.
Le PCF a quitté le gouvernement de l'Union de la Gauche en 1984. Bien plus tard encore cependant, notamment lors de la deuxième présidence de Mitterrand où le Parti socialiste n'avait qu'une majorité relative, le PCF a soutenu le gouvernement lors de votes critiques (ne serait-ce qu'en refusant de voter des motions de censure, qui risquaient de le renverser). Mais enfin, cela fait un bail que le PCF est en "cure d'opposition". Il ne parvient pas pour autant à regagner même seulement une partie significative du crédit qu'il a perdu.
Et c'est un fait que les succès du Front national s'expliquent en grande partie par le fait que face à la situation de plus en plus difficile que vivent les couches populaires, il n'y a plus de pôle radical crédible, au moins électoralement, à gauche.
Les 5,3 % d'Arlette Laguiller
Le jeu politicien classique a été quelque peu perturbé par deux phénomènes dont l'importance et la portée ne sont évidemment pas comparables. D'une part, les 5,3 % obtenus par notre camarade Arlette Laguiller. De l'autre, les 15,3 % obtenus par Le Pen.
Arlette Laguiller a défendu dans sa campagne l'idée que des mesures d'urgence et immédiates s'imposaient pour les 5 millions de personnes en situation précaire dans le pays, pour l'ensemble du monde du travail et pour toute la population. Des mesures consistant à taxer les industriels et leurs profits, à les contraindre à embaucher, y compris par des mesures autoritaires de réquisition. Elle a défendu l'idée qu'il serait vital que l'État cesse de subventionner à fonds perdus les grands industriels et banquiers, cesse de leur faire des cadeaux, cesse de leur accorder des dégrèvements de charges sociales et fiscales, toutes choses qui n'empêchent pas l'hémorragie d'emplois mais qui vident les budgets sociaux. Elle a défendu l'idée qu'il faudrait au contraire que l'État embauche directement du personnel hospitalier, des enseignants, des postiers, des cheminots, etc. Elle a insisté sur le fait que les travailleurs et la population doivent imposer leur contrôle sur l'économie et les choix étatiques.
Elle a, bien sûr, expliqué que les véritables changements ne viendraient pas du bulletin de vote, mais de la lutte sociale et politique de la classe ouvrière, sur son terrain, dans les entreprises et dans la rue comme elle avait tenté de le faire en 1936 et en 1968, sans parvenir pourtant à une issue décisive [fn]Nous rappelons à nos lecteurs que Lutte Ouvrière a publié un supplément au n°13 de Lutte de Classe, daté de mai 1995, contenant la profession de foi d'Arlette Laguiller, les textes de sa campagne officielle à la radio et à la télévision ainsi que les textes des meetings qu'elle avait tenus à Paris. Ce numéro spécial de Lutte de Classe contient également les résultats d'Arlette Laguiller dans les différents départements.[/fn].
Ces idées ont touché. Elles ont rencontré l'accord d'un million six cent mille électeurs. Il faut dire qu'elles étaient éclairées par les scandales économiques et politiques, les bénéfices fabuleux des grandes entreprises sur fond de chômage généralisé et par le fait que les trois principaux candidats, Balladur, Chirac et Jospin, étaient tous responsables, à un titre ou à un autre, de la situation des quinze dernières années.
Ceux qui ont fait le geste de voter pour Arlette Laguiller ont certes d'abord exprimé leur mécontentement. Mais pas de façon neutre. Ce mécontentement s'est exprimé à l'extrême gauche. Arlette Laguiller a fait les meilleurs scores, jusqu'à 10 % parfois, dans les banlieues ou quartiers ouvriers des grandes villes. Ces électeurs ont voté pour une candidate connue de longue date pour ses convictions communistes révolutionnaires et qui ne les pas cachées dans cette campagne. Ce qui conforte dans la conviction que des révolutionnaires peuvent se faire entendre même dans la période actuelle en se réclamant du marxisme, de la lutte de classe, du communisme, de toutes ces prétendues "vieilleries" que les porte-parole divers et variés de la bourgeoisie ont déjà cherché à enterrer mille fois. Vainement.
Un million six cent mille voix, plus d'un million de plus que les meilleurs scores antérieurs, c'est évidemment un résultat considérable pour la petite organisation qu'est Lutte Ouvrière. Mais du point de vue des nécessités de la situation c'est tout à fait insuffisant. Les commentateurs étaient interloqués par le fait qu'Arlette Laguiller a insisté, aussi bien avant que les résultats ne tombent, qu'après, sur le fait qu'une progression des votes d'extrême gauche, s'ils restaient en deçà de 10 %, ne modifierait pas la situation politique en France. Cela prouve seulement que les commentateurs ne comprennent pas grand-chose. Plus de dix pour cent des voix, c'est-à-dire autour de quatre millions d'électeurs ou plus, auraient exprimé un changement considérable dans l'électorat, en particulier dans l'électorat ouvrier. Cela n'aurait pas seulement été un succès symbolique, ou seulement un événement attirant l'attention et la sympathie d'une partie des travailleurs. Cela aurait été un choc. Un choc donnant du crédit aux propositions avancées pendant la campagne. Un choc, car cela aurait montré qu'une force sociale importante se retrouvait derrière ces propositions ; capable de transformer ces dernières, en effet, en objectif de lutte.
Cela n'a pas été le cas.
Les 5,3 % obtenus par une candidate d'extrême gauche ont marqué l'opinion, ne serait-ce que l'espace d'un lendemain de premier tour. Ils ont apporté à notre faible courant un certain crédit. Mais la situation politique n'en a pas été changée. Rien de comparable, malheureusement, avec le score obtenu, à l'extrême droite, par Le Pen.
Si Arlette Laguiller a obtenu 1 600 000 voix, Le Pen en a obtenu 4 500 000. C'était aussi, en grande partie, un vote protestataire et un vote populaire, mais exprimant un profond désarroi, et lourd de menace pour l'avenir.
Le Front national s'installe dans la vie politique
Les scores obtenus par Le Pen et le Front national, au premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril comme aux deux tours des municipales qui ont suivi, sont le fait le plus notable des scrutins qui ont conclu ces longs mois de péripéties politiciennes. Le Front national ne fait certes que confirmer qu'il est un courant non négligeable. Mais la durée lui confère malheureusement un poids accru. Le Front national est installé dans la vie politique.
Au premier tour de la présidentielle de 1995, Le Pen a dépassé pour la première fois la barre des 15 %, alors qu'il avait obtenu 14,4 % à la présidentielle de 1988, 13,9 % aux régionales de 1992, 12,7 % aux législatives de 1993. Autres chiffres non négligeables : il a obtenu plus de 20 % des suffrages dans une dizaine de villes de plus de 100 000 habitants (Nice, Marseille, Nîmes, Saint-Étienne, Metz, Perpignan, Strasbourg, Mulhouse, Toulon). Et ce vote s'est confirmé et a vu ses effets amplifiés aux municipales.
Le Pen a bénéficié de quelques circonstances favorables, comme la multiplicité de listes de droite tandis que le mode de scrutin déformant fait qu'au second tour, dans les communes de plus de 3 500 habitants, la liste qui arrive en tête avec la majorité relative des voix, emporte la majorité des sièges.
Le Front national sort donc de ces élections avec plus d'un millier de conseillers municipaux, ce qui n'est pas beaucoup - il y en a tout de même plusieurs centaines de milliers en France - et surtout les mairies de trois villes, une grande de 160 000 habitants, Toulon, et deux moins grandes mais importantes, Marignane et Orange.
Le problème politique majeur n'est pas dans la progression de l'électorat lepéniste, ni même dans le risque que les municipalités conquises leur servent de point d'appui pour de nouveaux progrès, et éventuellement, d'une radicalisation de l'attitude du Front national (bien que tout cela soit dangereux). La progression en elle-même est relativement limitée, loin du caractère fulgurant qu'elle avait au milieu des années quatre-vingt lorsque, en quelques mois, l'électorat d'extrême droite était passé d'un pourcentage insignifiant à plus de dix pour cent. Mais Le Pen puisait alors la quasi-totalité de ses troupes dans l'électorat de la droite classique (de même que le gros de ses notables). Aujourd'hui encore, le gros des voix de Le Pen vient de cet électorat de la droite traditionnelle. Et les bénéficiaires de la poussée électorale en faveur du Front national dans les municipales sont, pour les plus connus d'entre eux, des notables vieillis à la tâche derrière Giscard ou Chirac et qui ont trouvé, grâce au Front national, un tremplin pour leur carrière politique.
Il y a toujours eu en France un électorat populaire de droite. Le glissement de cette fraction de l'électorat de droite vers l'extrême droite, vers la démagogie raciste ou xénophobe est grave, car cela pèse sur le moral et la conscience des milieux populaires. Et, plus grave encore, cette évolution mord sur l'électorat ouvrier qui s'identifiait peu ou prou à la gauche, ne serait-ce qu'en votant pour elle.
Les sondages valent ce qu'ils valent. Une enquête de la Sofres prétend qu'en 1984, Le Pen aurait obtenu 8 % des votes ouvriers, 19 % en 1988, 21 % en 1994 et que cette année, cela tournerait autour de 30 %.
Point besoin cependant d'enquêtes de la Sofres pour mesurer ce désarroi dans les quartiers les plus pauvres et délabrés des villes. Les résultats de Le Pen par bureaux de vote y suffisent ! Certes, la ségrégation sociale n'est pas telle qu'il n'y ait pas aussi des petits commerçants, des contremaîtres, des flics, des petits ou moins petits-bourgeois dans les quartiers ou les cités populaires, parmi lesquels Le Pen recrute aussi ses électeurs. Mais c'est un fait qu'une partie croissante de la population travailleuse exaspérée par les conséquences dramatiques du chômage et les bas salaires, par les difficultés à se loger, à se soigner, à faire vivre un tant soit peu décemment une famille, tombe dans le panneau et prend pour du bon pain tout le fatras qui sert de programme à l'extrême droite, en particulier l'idée qu'il suffirait de s'en prendre à plus malheureux que soi, de renvoyer les immigrés chez eux, pour vivre bien à Vitrolles ou à Dreux.
Les nouveaux édiles du Front national brandissent, en guise de programme, la "préférence nationale". Cela a permis à Le Pen, Mégret et quelques autres, de se montrer radicaux en se déclarant prêts, sur la question, dans les villes où le Front national a gagné la mairie, à passer outre aux lois et à appliquer la prétendue "légitimité démocratique" qui leur viendrait de l'élection municipale et qu'ils opposent à la "légitimité administrative" des préfets qu'ils seraient prêts à bafouer. Soulignons qu'ils vont un peu vite à parler de "légitimité" sortie des urnes, là où leurs élus ne le sont en général pas mieux que les autres, c'est-à-dire pas élus avec plus de 40 % des suffrages exprimés. D'ores et déjà, les maires FN de Toulon et de Marignane se sont engagés à davantage de légalisme, en paroles du moins, que Le Pen et Mégret. L'avenir dira ce qu'ils feront - ou ce qu'ils seront empêchés de faire par crainte de réactions populaires. Mais la première conséquence des élections municipales a été d'amener le gouvernement à faire des gestes - ne serait-ce que symboliques - à l'égard des sentiments anti-immigrés de la population. A peine deux jours après le second tour, Chirac et Juppé ont fait organiser une rafle contre les milieux intégristes musulmans, dont la motivation est surtout de faire de la surenchère sur l'extrême droite raciste.
Cela dit, le slogan "La France aux Français" a toujours masqué le fait que les Français ne sont pas tous égaux, qu'une mince couche étale la même richesse, tandis que d'autres sont condamnés à la misère. Une certaine France possède des comptes en banque fournis et des résidences somptuaires, tandis qu'une autre parvient péniblement à payer les loyers de HLM quand elle n'est pas jetée à la rue, faute de pouvoir payer. Le Pen se garde bien de souligner ces différences de classe et ces inégalités entre "Français". A défaut de souligner le fait que la misère des uns vient de l'accumulation sur leur dos de fortunes colossales bien françaises le plus souvent, il est évidemment plus pratique aux démagogues de l'extrême droite de tenter de détourner les rancoeurs des travailleurs contre leurs voisins de palier d'origine ou de nationalité malienne ou marocaine, ou encore contre le boulanger algérien qui viendrait manger leur pain !
Cela dit, Le Pen a beau être un vrai démagogue d'extrême droite, un vrai ennemi des travailleurs, sa démagogie ne peut trouver d'écho et assurer ses succès électoraux que parce que les exigences du patronat, soutenues par la politique anti-ouvrière des gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis vingt ans, de gauche comme de droite, ont engendré un sérieux mécontentement. Au chômage, à la misère, sont venus s'ajouter, par-dessus le marché, la série sans fin des scandales et des prévarications qui ont valu aux politiciens de droite et de gauche, membres de "l'établissement", comme à des PDG et hommes d'affaires, des inculpations, voire de la prison. Le Front national s'est nourri de ces mécontentements populaires.
Face au danger réel que représente le maintien, c'est-à-dire la consolidation d'un électorat populaire lepéniste, ce ne sont pas les dirigeants de la gauche traditionnelle qui feront barrage, quoi qu'ils en disent. Ils sont responsables de la politique anti-ouvrière dont les effets font se tourner des travailleurs abusés vers Le Pen. Et quand certains regrettent aujourd'hui qu'il n'ait pas été fait davantage barrage à Le Pen, par la constitution d'un "Front républicain", c'est-à-dire d'alliances électorales systématiques entre la gauche et la droite classique, cela indique bien le dérisoire ou le bluff de la prétendue opposition socialiste à Le Pen. La façon dont certains socialistes posent le problème est tout un programme. Il s'agirait donc d'être "tous unis" contre le Front national, socialistes et giscardiens ou chiraquiens, comme cela s'est fait dans quelques villes lors des dernières municipales. Il s'agirait donc, plus encore qu'auparavant, d'une espèce de fusion avec la droite, c'est-à-dire d'une encore plus grande confusion, qui aurait pour seul résultat que la population verrait encore moins de différence entre les politiciens de gauche et de droite. A propos de l'élection à Toulon par exemple, il s'est trouvé des dirigeants socialistes pour regretter que le PS n'ait pas accepté de se retirer et d'appeler à voter pour le représentant de la droite classique, un ami de la fripouille Arrecks, discrédité lors des scandales récents.
Inutile de dire qu'une telle politique, non seulement ne fera pas barrage à Le Pen, mais ne pourrait que renforcer son camp en détournant un peu plus les couches populaires de ces politiciens de gauche ou de droite, responsables et complices.
La nécessité d'un parti pour la classe ouvrière
Les menaces qui pèsent sur la classe ouvrière pendant la période à venir sont à la fois matérielles et politiques. Les deux sont étroitement liées.
Le nouveau gouvernement continue rigoureusement la même politique que les précédents. Même pour l'emballage le gouvernement de Juppé ne parvient pas à se renouveler par rapport à ses prédécesseurs, Balladur, Bérégovoy, Rocard sans remonter plus loin. Les dégrèvements sur les cotisations sociales, en faveur du patronat, continuent. Les impôts augmentent. Non seulement le chômage ne reculera pas avec ces ingrédients-là, mais les caisses de la protection sociale finiront en faillite complète, à force d'y puiser pour aider le patronat.
La situation matérielle de fractions croissantes de la classe ouvrière est déjà dramatique. Mais cela continuera à s'aggraver s'il n'y a pas, rapidement, des mesures radicales. L'influence de l'extrême droite sur une partie des classes populaires est une conséquence de la misère croissante. Mais cette influence, déjà néfaste, pourrait devenir un facteur rendant les luttes de la classe ouvrière bien plus difficiles, aggravant la misère.
Tout se tient. Ceux qui font la réclame pour toutes sortes de potions magiques contre Le Pen en "oubliant" d'où sort son influence mentent comme ils ont menti lorsque, au gouvernement ou le soutenant, ils ont appuyé des politiques appauvrissant la classe ouvrière. Ils portent une responsabilité écrasante dans le fait que la classe ouvrière, trompée, trahie, dépourvue de perspectives n'était pas en situation de faire face aux dangers qui menacent.
La classe ouvrière réagira, tôt ou tard. L'incroyable cynisme du patronat qui continue à licencier, à sortir des plans sociaux même en cette période où ses affaires vont bien ; le culot de Gandois - un patron social, disait-on pourtant ! - et de ses semblables à réclamer plus, toujours plus du gouvernement, tout cela finira par faire exploser la colère.
Cette explosion de la colère ouvrière est indispensable. Sans elle, sans que le patronat ait vraiment peur, rien ne changera. Mais cela ne suffit pas. Il faut que la classe ouvrière réagisse sur le plan politique. Il lui faut un parti politique. Pas un parti électoral, mais un parti qui soit présent dans les luttes, qui les impulse, qui sache et veuille les organiser, les unifier, les rendre victorieuses, en faisant des grèves, des manifestations des travailleurs, consciemment, une arme politique.
Ce parti n'existe pas. Le PCF n'est plus réformable depuis longtemps, même si nombre de ses militants ouvriers trouveront leur place dans le futur parti représentant réellement les intérêts politiques de la classe ouvrière. Le Parti socialiste, n'en parlons même pas.
Quant aux groupes d'extrême gauche, ils sont trop faibles en nombre, en présence dans les entreprises ou dans les différentes régions pour pouvoir prétendre être le parti, sans même parler du fait que certains d'entre eux, à force de suivisme envers les modes politiques dominantes dans la petite bourgeoisie, ont oublié ce qu'est le communisme révolutionnaire et ce qu'est un parti pour la classe ouvrière.
C'est dans cette optique, aussi, de la construction du parti, que nous pensons que les 5,3 % de voix obtenus par Arlette Laguiller étaient insuffisants pour créer le choc qui aurait pu précipiter les choses, au sens commun comme au sens chimique du terme. Elle a néanmoins lancé un appel au soir du premier tour à tous ceux qui avaient voté pour sa candidature et à ceux qui avaient été tentés de le faire mais avaient cédé finalement à l'illusion de voter "utile" en votant pour Hue ou Jospin pour qu'ils apportent leur pierre à la construction d'un parti représentant les intérêts politiques de la classe ouvrière.
Il n'y a nul miracle à attendre d'un appel. Mais il fixe un objectif militant, un objectif politique. Ce qui est certain, c'est qu'un parti politique pour la classe ouvrière n'est pas seulement une nécessité historique - elle l'est depuis des décennies ! - mais une nécessité à court terme pour faire face aux menaces qui pèsent sur les travailleurs.
23 juin 1995