États-Unis - Vingt-cinq ans de baisse du niveau de vie de la classe ouvrière01/05/19991999Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1999/05/couverture_LdC_mai_1999.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

États-Unis - Vingt-cinq ans de baisse du niveau de vie de la classe ouvrière

Selon les statistiques officielles elles-mêmes, le revenu réel moyen (salaire et prestations diverses) des travailleurs américains est aujourd'hui inférieur d'environ 10 % à ce qu'il était au milieu des années soixante-dix. En ce qui concerne les bas salaires, la différence est encore plus grande : la valeur réelle du salaire minimum a diminué de 16 % pendant la même période. Le recul est général et affecte aussi bien les conditions de travail que les prestations sociales. Pourtant, la productivité a augmenté de façon substantielle depuis un quart de siècle et les États-Unis connaissent aujourd'hui ce que les économistes appellent une période de "forte" expansion économique, qui devrait normalement entraîner l'amélioration, et non la régression, du niveau de vie des travailleurs !

On trouve un exemple typique de la façon dont les économistes bourgeois expliquent cette baisse du niveau de vie des travailleurs dans le Rapport économique du président pour 1999, qui accompagne traditionnellement la présentation du budget annuel au Congrès. Selon les conseillers économiques de Clinton, la baisse serait liée au fonctionnement d'une "économie de marché" de plus en plus "compétitive".

Ce qu'ils désignent par les termes "économie de marché compétitive", c'est en fait la loi de la jungle qui règne dans la société capitaliste, c'est la course aux profits les plus élevés possibles qui se déroule à tous les niveaux. D'un côté, les capitalistes se font la guerre pour savoir qui dominera, qui écrasera les autres. De l'autre, ils font tous la guerre à la classe ouvrière.

C'est de la classe ouvrière qu'ils tirent leurs profits et leurs richesses, dont l'importance dépend du rapport de forces entre ces deux classes, c'est-à-dire de la puissance que les capitalistes sont capables de déployer à l'encontre des travailleurs et des forces que les travailleurs peuvent mobiliser pour défendre leurs propres intérêts.

Dans cette bataille, la position occupée par l'État joue un rôle essentiel. Les capitalistes n'attendent pas passivement que la prétendue "loi du marché" leur permette d'augmenter leurs profits aux dépens de la classe ouvrière. Ils demandent l'aide de l'État. Au cours des dernières décennies, tous les gouvernements, qu'ils aient été dirigés par des Démocrates ou des Républicains, ont apporté aux capitalistes une aide conséquente et parfois décisive qui leur a permis de réduire le niveau de vie des travailleurs.

La protection sociale avant son démantèlement par l'État

Jusqu'au milieu des années soixante-dix, c'est-à-dire bien après le début de la récession, fin 1973, le niveau de vie des travailleurs a continué de progresser, bien qu'à un rythme moindre que les profits patronaux. C'était le prix que les capitalistes étaient alors prêts à payer pour maintenir la paix sociale.

Le mouvement noir, et les autres mouvements qui s'étaient développés dans son sillage, étaient encore dans toutes les mémoires. De nombreux secteurs de la classe ouvrière gardaient un esprit rebelle et contestataire, entretenu à la fois par les ouvriers noirs venus du mouvement noir ou influencés par celui-ci et par la jeune génération des anciens du Vietnam. Des grèves sauvages éclataient contre les conditions de travail, les cadences et les licenciements. Des oppositions se faisaient jour à l'intérieur des syndicats, chez les mineurs de charbon, les sidérurgistes, les camionneurs, les ouvriers de l'automobile. Jusqu'en 1976, c'est-à-dire après deux récessions en l'espace de six ans, les syndicats pouvaient encore se prévaloir de quelques avancées. Les travailleurs de l'automobile, par exemple, qui, lors des précédentes négociations sur le renouvellement des accords collectifs, avaient obtenu la retraite à taux plein après trente années de cotisations, indépendamment de leur âge, venaient d'obtenir le remboursement des soins oculaires et neuf jours de congés annuels supplémentaires sans perte de salaire (appelés congés payés personnels), présentés par les leaders syndicaux comme une première étape vers la semaine des quatre jours. Et surtout, les accords comportaient différentes clauses de protection contre la hausse du coût de la vie, voire des augmentations de salaire liées à la hausse de la productivité, qui mettaient les travailleurs plus ou moins à l'abri de l'inflation.

En même temps, était créé tout un ensemble de programmes sociaux qui servaient d'amortisseurs aux risques liés au chômage et à une situation de sous-emploi chronique.

Il y avait, tout d'abord, des programmes de maintien du revenu. Les invalides avaient droit à une pension et le nombre d'invalides du travail pris en charge par les fonds de retraite était passé de 450 000 en 1960 à 2,5 millions en 1975. Trois millions de familles en difficulté, en majorité des femmes seules avec enfants à charge, touchaient une allocation spécifique, l'AFDC. Les célibataires pouvaient aussi toucher une aide qui leur permettait de faire face à des périodes de chômage prolongé. Seize millions de personnes bénéficiaient du système des bons d'alimentation institué en 1965. Les travailleurs en grève avaient droit aux bons d'alimentation, et dans certains États, ils avaient même droit à une allocation chômage.

D'autre part, les chômeurs qui restaient sur le marché du travail et continuaient à rechercher activement un emploi touchaient une allocation chômage. En 1970, le Congrès avait voté à deux reprises une extension de la période d'indemnisation de base de 26 semaines : une première de 13 semaines, à laquelle s'est bientôt ajoutée une seconde extension de 26 semaines. Ces "rallonges" entraient en vigueur dans les différents États dès que le chômage dépassait certains seuils. Au total, les demandeurs d'emploi pouvaient donc toucher une allocation chômage pendant 65 semaines, voire dans certains cas pendant deux ans (si le syndicat pouvait démontrer que les suppressions d'emplois avaient pour cause les importations). C'est ainsi que pendant la récession de 1973-1974, deux chômeurs sur trois touchaient une allocation chômage. Et c'est pour financer ces programmes que le Congrès avait décidé de faire passer la contribution des employeurs à l'assurance chômage de 0,5 à 0,7 %.

Grâce à ces mesures, les travailleurs américains ont bénéficié d'une certaine protection pendant la récession de 1973 à 1975. Et ces mesures expliquent sans doute en partie pourquoi les salaires ouvriers n'ont pas chuté à l'époque, en dépit d'une forte augmentation du chômage. Par contre, la fraction la moins bien protégée de la classe ouvrière, en particulier les travailleurs des services, a bel et bien vu ses salaires reculer face à une inflation à deux chiffres.

La bourgeoisie passe à l'attaque... mais connaît parfois la défaite

La récession de 1974-1975 inaugurait une nouvelle période d'incertitude pour la bourgeoisie. Non seulement les profits diminuaient, mais personne ne pouvait dire si la récession allait être suivie d'une crise plus grave et plus générale. Pour s'assurer des profits en hausse pendant cette éventuelle période de recul généralisé, la bourgeoisie décida de lancer une attaque de grande envergure contre la classe ouvrière et obtint de l'appareil d'État qu'il joue un rôle déterminant dans cette offensive.

En 1975, la plus grande ville du pays, New York, faisait faillite. Elle ne pouvait plus faire face aux dettes accumulées au fil des ans auprès des banques et des souscripteurs des différents emprunts lancés par la municipalité pour venir en aide, de toutes les manières possibles, aux grandes entreprises. Elle avait, par exemple, instauré un système très coûteux de dégrèvements fiscaux et de taux préférentiels pour la fourniture d'eau ou d'électricité, sous prétexte d'"encourager" les grandes entreprises à rester à New York et à y construire des immeubles de bureaux. Avec la récession et la chute des marchés financiers, les astuces comptables qui avaient permis aux administrations successives de la ville de cacher le déficit réel ne pouvaient plus faire illusion : New York ne pouvait plus payer ses dettes. Le gouvernement fédéral, avec à sa tête le président républicain Gerald Ford, refusa de se porter garant pour un nouvel emprunt de la ville (d'où la célèbre "une" du Daily News de New York : "Ford : New York peut crever !"). Le gouvernement de l'État de New York, dirigé par le démocrate Hugh Carey, intervint alors et mit la ville sous une sorte de tutelle. Carey nomma un comité, composé de représentants des plus grosses banques, qui prit le contrôle des finances municipales. Il exigea que la plus grande partie des sacrifices soient faits par les syndicats d'employés de la ville. Il y eut des licenciements massifs, comme on n'en avait pratiquement jamais vus dans ce secteur, ainsi que des réductions importantes des salaires et des prestations sociales. Les impôts furent considérablement augmentés et les services municipaux massivement réduits.

Au début, ces sacrifices furent présentés comme des mesures d'urgence et on laissa entendre aux travailleurs qu'avec la reprise économique, ils seraient récompensés des efforts qu'ils avaient consentis. C'était évidemment une illusion, qui devait être bien vite dissipée.

Durant l'hiver de 1977-1978, se déroula le premier conflit important entre la classe capitaliste et le monde du travail. Lors de la renégociation de la convention collective des mineurs de charbon, les compagnies minières, dirigées par les mêmes patrons que les compagnies pétrolières, sidérurgiques et les sociétés productrices d'électricité, demandèrent au syndicat des mineurs (UMWA) d'accepter une réduction du salaire nominal et des prestations sociales, en leur expliquant qu'en cas de refus, il n'y aurait pas d'autre choix que de fermer les mines. Les mineurs refusèrent ce chantage et se mirent en grève.

Les mineurs avaient derrière eux plus d'une décennie de mobilisation et de luttes. L'important mouvement des années soixante avait réussi à imposer au gouvernement central l'indemnisation des mineurs silicosés. Une autre lutte, à l'intérieur du syndicat cette fois, l'avait débarrassé de sa vieille direction corrompue. Les mineurs avaient aussi mené des luttes victorieuses pour la syndicalisation de nombreuses mines de l'Est et du Midwest. A peine un an plus tôt, les mineurs avaient mené une grève sauvage de trois mois pour l'amélioration de la sécurité. Aussi, quand la grève sur la renégociation de la convention collective débuta, ils passèrent aussitôt à l'attaque. Non seulement ils arrêtèrent le travail dans les mines où le syndicat était présent, mais ils envoyèrent des piquets volants pour mettre en grève les autres mines et organisèrent des manifestations qui ne passèrent pas inaperçues dans plusieurs capitales d'État.

Le gouvernement intervint très vite pour contrer l'action des mineurs. Des membres du gouvernement Carter expliquaient qu'à cause de la grève, il y aurait bientôt des coupures de courant, entraînant un chômage technique considérable, qui toucherait selon eux trois millions de travailleurs ! Carter utilisa ce prétexte pour menacer les mineurs de saisir les mines et de déclarer la grève illégale, ou d'invoquer la loi Taft-Hartley et d'ordonner une suspension de la grève pendant 80 jours pour "calmer les esprits".

C'est dans ce contexte que les patrons des mines firent leurs premières propositions, qui furent acceptées par les dirigeants syndicaux. Mais pas par les grévistes : près d'un millier d'entre eux se rendirent au siège du syndicat à Washington pour envahir la réunion qui devait entériner les propositions patronales. Celles-ci ne furent finalement même pas soumises aux mineurs. Et quand de nouvelles propositions leur furent présentées, ils les rejetèrent à une majorité de deux contre un.

C'est alors que le gouvernement Carter invoqua la loi Taft-Hartley et obtint de la justice une injonction interdisant aux mineurs d'empêcher quiconque de se rendre au travail. Mais les mineurs refusèrent de se laisser impressionner. Un juge fédéral, excédé, décida alors que puisque les mineurs n'obéissaient pas à l'injonction... il l'annulait ! Après 110 jours de grève, les mineurs acceptèrent finalement la troisième série de propositions patronales, d'où avaient été retirées la plupart des exigences des compagnies minières. Mais la ratification ne fut acquise qu'avec une marge relativement étroite de 54 % pour et de 46 % contre. Beaucoup de mineurs affirmaient qu'ils auraient pu obtenir davantage s'ils avaient tenu plus longtemps.

Les mineurs avaient infligé une défaite cuisante aux compagnies minières comme au gouvernement. C'était une défaite dont des millions de travailleurs avaient été les témoins, car le conflit occupait souvent la première place dans les journaux télévisés. Dans les mois qui suivirent, Alfred Kahn, chargé de la lutte contre l'inflation par Carter, ainsi que Charles Schultze, responsable du Comité des conseillers économiques du président, firent tous deux savoir que la convention collective des mineurs ne saurait en aucun cas constituer un exemple. Selon eux, les grandes entreprises devaient se préparer à faire face aux grèves car l'objectif de la période à venir était de réussir à imposer une diminution des salaires. Selon Kahn, il fallait absolument réduire les salaires si on voulait maîtriser l'inflation. En réalité, c'est l'accumulation de la dette publique et privée qui créait l'inflation ; la réduction des coûts salariaux dont il parlait n'était qu'un moyen de garantir des profits élevés aux grandes entreprises.

Le gouvernement mène l'offensive contre les travailleurs

Le gouvernement décida alors de lancer une offensive de grande envergure contre la classe ouvrière. Le gouvernement Carter s'en prit d'abord aux deux extensions des périodes de couverture de l'assurance chômage. D'abord, disait le gouvernement, ces extensions coûtaient cher. A cause de l'augmentation du chômage, de nombreux États avaient vidé leurs caisses et étaient en déficit. Carter se gardait bien sûr de dire que le système en question n'était pas suffisamment provisionné, malgré la hausse de la contribution patronale, car les employeurs n'étaient mis à contribution que sur les premiers 6 000 dollars de chaque salaire annuel, un plafond qui n'avait pour ainsi dire jamais été révisé depuis son instauration dans les années trente.

D'autre part, les extensions posaient un autre problème, plus sérieux celui-là, aux capitalistes : elles permettaient aux chômeurs de prendre plus de temps pour retrouver un travail et donc de refuser les emplois sous-payés. Ce phénomène avait conduit plusieurs éminents économistes bourgeois à déplorer le fait que le capital avait ainsi perdu une partie de sa capacité à réduire les salaires et à augmenter ses profits en jouant sur l'insécurité économique accrue liée à un taux de chômage élevé.

En 1978, le gouvernement Carter mit en oeuvre plusieurs "réformes" de l'assurance chômage. Tout d'abord, il supprima complètement la deuxième extension de 26 semaines, de sorte que les travailleurs des États où le chômage était élevé n'avaient plus droit qu'à une extension de 13 semaines après les 26 semaines de base. Puis, le calcul du taux de chômage fut modifié. Résultat : il fallait, dans un État donné, un niveau de chômage beaucoup plus élevé qu'auparavant pour déclencher l'application de l'extension de 13 semaines. Troisièmement, le gouvernement Carter décréta que les chômeurs qui touchaient des indemnités au titre de cette extension de 13 semaines ne pourraient plus refuser un emploi sous prétexte qu'il était moins bien payé que celui qu'ils avaient auparavant. Quatrièmement, il rendit les indemnités chômage imposables pour tous les travailleurs qui avaient gagné plus de 20 000 dollars (environ 100 000 F) l'année précédente.

Bien souvent, c'est Reagan, le Républicain, qui est accusé d'avoir sabré les programmes sociaux. Mais c'est bel et bien sous Carter, le Démocrate, qu'une bonne partie du système fut mise en place.

Une loi pour supprimer les acquis des travailleurs

Le gouvernement Carter joua un rôle de premier plan dans l'affaire des concessions imposées aux travailleurs par Chrysler. Cette bagarre marqua un renversement de tendance spectaculaire dans le rapport de forces entre le monde du travail et les patrons. En 1979, Chrysler, le plus petit des trois géants de l'automobile, perdait de l'argent et était surendetté, à hauteur de 1,5 milliard de dollars. Il était question d'une banqueroute possible de Chrysler et les banques refusaient d'accorder de nouveaux prêts sans un certain nombre de garanties.

Le gouvernement Carter décida alors d'intervenir. En août 1979, au moment de la renégociation de l'accord collectif, le ministre des Finances de Carter, G. William Miller, annonça que le gouvernement américain apporterait sa caution à un prêt de 750 millions de dollars. Mais, ajoutait-il, les travailleurs de Chrysler devraient faire des sacrifices.

De prime abord, tout cela ressemblait beaucoup aux habituelles déclarations d'intention des uns et des autres au début de chaque nouvelle négociation. Doug Fraser, le président du syndicat de l'automobile (UAW), commença donc par traîner les pieds : l'UAW, disait-il en substance, n'avait jamais accepté ce genre de concessions. Ce qu'exigeait le gouvernement s'apparentait plutôt à un retour en arrière. Mais devant l'insistance du gouvernement et des banques, qui menaçaient de mettre Chrysler en état de cessation de paiement, l'UAW accepta de revenir sur un certain nombre d'acquis. Ces concessions, les premières du genre, furent aussi, comme la suite allait le montrer, les moins lourdes : elles ne représentaient "que" 203 millions de dollars en réductions de salaires et de prestations sociales. Cet accord tranchait évidemment sur les accords précédemment votés chez Ford et General Motors. En octobre, la ratification de cet accord par les travailleurs de Chrysler fut le signe que les syndicats les plus importants du pays ne suivraient pas l'exemple des mineurs. Le chantage reprit alors de plus belle : la plupart des politiciens déclarèrent que le gouvernement avait eu tort de cautionner un tel prêt à Chrysler, mais que, puisqu'il le faisait, les travailleurs devaient accepter de faire des concessions encore plus importantes. Elus et fonctionnaires de tous les niveaux de gouvernement (de la municipalité au gouvernement central en passant par les États) expliquaient que des centaines de milliers d'emplois étaient menacés, non seulement chez Chrysler, mais chez tous les sous-traitants. Et la direction de l'UAW accepta de renégocier l'accord qu'elle venait à peine de signer.

L'accord final fut élaboré par les Commissions bancaires du Sénat et de la Chambre des représentants. Un Comité de garantie des prêts fut créé pour veiller à l'application de l'accord et une loi fut même votée pour détailler les sacrifices qu'auraient à faire les travailleurs de Chrysler : 462 millions de dollars de réductions de salaires et de prestations sociales de la part des travailleurs syndiqués et 125 millions de dollars de la part des non-syndiqués. Le nouvel accord fut ratifié trois mois après le précédent, en janvier 1980. Un an plus tard, le Comité de garantie demanda une nouvelle série de sacrifices aux travailleurs, pour une valeur totale de 673 millions de dollars, y compris une réduction du taux horaire de 1,15 dollar (environ 5,75 F). Ces nouveaux sacrifices furent à leur tour ratifiés en janvier 1981. Cet effondrement subit du syndicat de l'automobile, qui apparaissait jusque-là comme le plus puissant du pays, montrait que les syndicats pouvaient être contraints de revenir sur des acquis figurant dans les accords déjà signés. Et que les travailleurs pouvaient être contraints d'accepter une diminution de leur niveau de vie.

Des syndicats moins importants, comme celui des travailleurs du caoutchouc (URW), avaient déjà accepté de faire des concessions. Mais la défaite sans combat de l'UAW devant le gouvernement et le patronat ouvrit une brèche qui permit la généralisation des sacrifices. L'accord donné par l'UAW aux sacrifices chez Chrysler contraignit de nombreux autres syndicats à faire de même.

Dans les chemins de fer, le transport routier, voire dans l'administration, au niveau des États ou des municipalités, les patrons n'acceptaient plus d'attendre la date fixée pour renégocier les accords collectifs. Ils se mirent partout à demander la réouverture immédiate des négociations afin d'obtenir des concessions semblables à celles obtenues par Chrysler. Les travailleurs durent abandonner l'indexation des salaires sur le coût de la vie et renoncer à des augmentations de salaires. A une époque de forte inflation, cela se traduisit par une diminution effective de leur niveau de vie. La réduction des prestations sociales devint la règle. Les ouvriers comme les employés de bureau voyaient leur revenus réels diminuer, parfois brutalement.

Le président démocrate, soutenu par un Congrès à majorité démocrate, avait donc réussi à imposer aux travailleurs de Chrysler des sacrifices qui avaient ouvert la voie à des mesures similaires dans tous les secteurs. Sa gestion des affaires s'accompagna aussi d'une nouvelle récession économique, ainsi que d'une inflation et d'un chômage accrus. En guise de protestation, les syndicats boudèrent les élections de 1980 et de nombreux travailleurs votèrent contre les Démocrates, c'est-à-dire pour Reagan.

Reagan met en pièces la protection sociale

Reagan arriva au pouvoir en 1981, pendant la pire récession que le pays ait connue depuis la crise des années trente. Le chômage et l'inflation atteignaient des niveaux supérieurs à ceux de 1973-1974. Pour protéger les capitalistes, Reagan réduisit leurs impôts, y compris l'impôt sur la fortune, sous prétexte qu'ils seraient ainsi encouragés à investir, ce qui ferait redémarrer l'économie et créerait finalement des emplois. En même temps, les dépenses militaires étaient accrues de façon substantielle, ce qui revenait à subventionner ouvertement les grandes entreprises.

Ces largesses présidentielles creusèrent encore plus le déficit. Déficit que Reagan s'empressa d'utiliser comme argument pour exiger des coupes claires dans les programmes sociaux. L'un des artisans de ces mesures draconiennes, David Stockman, directeur du Budget du gouvernement Reagan, expliqua plus tard dans ses mémoires que le déficit en question servit en réalité de cheval de Troie pour faire accepter à l'opinion l'attaque en règle contre les programmes sociaux. Il servit aussi de prétexte au Parti Démocrate, qui avait la majorité au Congrès, pour approuver loyalement toutes les mesures demandées par Reagan.

Un vaste éventail de programmes sociaux fut ainsi touché. Des programmes de formation, comme celui mis sur pied par la loi sur la formation et l'éducation générale et qui comptait 400 000 personnes en formation, furent supprimés. Le nombre de bénéficiaires des allocations d'invalidité fut considérablement réduit. Le système des bons d'alimentation fut modifié : les prestations maximales furent réduites, les mécanismes d'indexation sur l'inflation revus à la baisse, et les grévistes exclus du système. On entreprit parallèlement une "réforme" de l'aide sociale. L'organisation de l'aide sociale fut transférée aux États, puis les sommes versées aux États par le gouvernement fédéral au titre de l'aide sociale furent réduites. Les États entreprirent alors soit de réduire les prestations, soit, le plus souvent, de limiter l'accès à ces prestations. Au niveau de l'assurance chômage, les "réformes" entreprises sous Carter entrèrent pleinement en application et furent aggravées. En conséquence, 1,5 million de chômeurs cessèrent d'être indemnisés entre 1982 et 1984. Le pourcentage de chômeurs indemnisés, qui n'était déjà plus que de 44 % en 1980, tomba à 29 % en 1984. Reagan veilla d'autre part à ce que tous ceux qui continuaient à toucher des indemnités chômage soient imposés.

Les millions de chômeurs jetés à la rue, la misère croissante des plus pauvres augmentèrent la pression sur ceux qui avaient un emploi.

L'épreuve de force avec les contrôleurs aériens

Peu après son entrée en fonction, le gouvernement Reagan se lança dans une nouvelle épreuve de force avec le monde du travail. Il s'en prit à un secteur relativement privilégié, celui des contrôleurs aériens. Les aiguilleurs du ciel étaient mieux payés que la plupart des travailleurs et ils croyaient que leur travail hautement qualifié les rendait irremplaçables. Ils pensaient que, sans eux, le trafic aérien serait complètement bloqué.

Pendant les années qui avaient précédé le début de la grève, le gouvernement avait laissé les conditions de travail se détériorer, particulièrement en ce qui concernait les heures supplémentaires imposées. Le syndicat des contrôleurs aériens (PATCO) avait été tellement ulcéré par les fins de non-recevoir du gouvernement Carter qu'il avait soutenu la campagne de Reagan. Invité à son congrès, le candidat Reagan avait fait toutes sortes de promesses.

Mais quand vint le temps de renégocier l'accord collectif, Reagan avait oublié toutes ses promesses électorales. La Federal Aviation Agency (FAA), qui réglemente le transport aérien aux États-Unis, exigeait des sacrifices de la part des salariés. En août 1981, le PATCO menaça la FAA d'appeler à la grève et de paralyser le transport aérien dans tout le pays. La FAA répondit au syndicat de ne pas se gêner. En fait, la FAA était prête à cette éventualité : un an plus tôt, sous Carter, elle avait mis sur pied un "Groupe de gestion des contingences". Et quand les 12 000 contrôleurs aériens se mirent en grève, la FAA lança le plan élaboré par son "Groupe de gestion" pour assurer le trafic aérien sans les aiguilleurs du ciel. Quatre heures après le début de la grève, Reagan annonça à la télévision que cette grève, déclenchée contre le gouvernement, était illégale et que les grévistes devaient avoir repris le travail dans les 48 heures, faute de quoi ils seraient licenciés. Quand les grévistes refusèrent, comme on pouvait s'y attendre, de céder au chantage de Reagan, ce dernier annonça qu'ils étaient tous licenciés. La FAA fit alors appel à du personnel militaire et d'encadrement pour remettre en marche le système. Petit à petit, le trafic reprit, les candidats aux postes nouvellement libérés se multiplièrent, leur formation fut accélérée et les aiguilleurs du ciel furent remplacés. Reagan avait fait la démonstration que personne n'était indispensable.

Les syndicats réagissent... un peu

L'AFL-CIO réagit à ces attaques par de grands rassemblements et de grandes manifestations. Début septembre 1981, à l'occasion du Jour du travail, elle organisa à New York sa première manifestation depuis des décennies. Plus de 100 000 travailleurs défilèrent à New York, et 100 000 autres à Détroit. Deux semaines plus tard, l'AFL-CIO organisait une "Journée de solidarité", marquée par une manifestation monstre à Washington, qui attira quelque 500 000 manifestants, représentant tous les syndicats du pays, avec à leur tête les aiguilleurs du ciel en grève.

Dans les rassemblements qu'elle organisait, l'AFL-CIO s'en prenait à Reagan, aux Républicains, aux coupes budgétaires, mais elle prenait aussi ses distances par rapport aux Démocrates. Des travailleurs réunis au stade Robert F. Kennedy de Washington n'avaient-ils pas chassé de la tribune des orateurs démocrates comme Hubert Humphrey, en couvrant leur voix de huées ? Les Démocrates ne furent donc pas invités à prendre la parole en cette "Journée de solidarité". Ils ne furent pas invités non plus à défiler avec les manifestants. Quelques-uns d'entre eux regardèrent les manifestations depuis le trottoir ou envoyèrent des messages de sympathie, mais ils n'étaient pas là en tant qu'invités.

Ces grands rassemblements et manifestations donnaient l'impression que les syndicats se préparaient à riposter aux attaques subies par les travailleurs. Mais la mobilisation en resta là. Il n'y eut pas de suite à la "Journée de solidarité". Les dirigeants syndicaux se contentèrent de critiquer Reagan et les Républicains et se réconcilièrent bien vite avec les Démocrates. En 1982, la seconde "Journée de solidarité" tourna à la "Journée électorale pro-démocrate". L'AFL-CIO se lança dans la campagne pour battre les Républicains... en appelant à voter pour les Démocrates, évidemment. Elle apporta même son soutien financier au Parti Démocrate, en lui versant un million de dollars.

Les aiguilleurs du ciel furent abandonnés à leur sort. La leçon qu'en tirèrent de nombreux travailleurs fut que ceux qui tentaient de s'opposer aux "concessions" allaient à la défaite. Encore aujourd'hui, quand il est question de grève, de nombreux travailleurs répondent : "Souviens-toi des aiguilleurs du ciel".

Une vague de défaites

Avec la défaite du syndicat PATCO, qui suivait de peu les sacrifices imposés chez Chrysler, le gouvernement était en bonne position pour imposer un nouveau rapport de forces, entièrement en sa faveur. Avant ce renversement de tendance, les travailleurs attendaient généralement avec impatience la renégociation des conventions collectives, car ils en tiraient habituellement quelque avantage. Mais à cette époque, les travailleurs se mirent à craindre les renégociations : ils savaient que les patrons s'en prendraient à leurs salaires, à leurs acquis, voire à leurs emplois.

Après les affaires Chrysler et PATCO, les patrons avaient l'initiative. Ils s'en prirent aux syndicats les uns après les autres. Les négociations devinrent de plus en plus parcellisées. Les patrons pouvaient plus facilement qu'auparavant jouer une usine contre une autre, et ils pouvaient plus facilement résister à la pression d'un syndicat national qui leur demandait de se conformer à ce qui avait été obtenu nationalement par un autre syndicat. Les accords salariaux, pour les ouvriers comme pour les employés, devinrent de plus en plus "individualisés", pour reprendre les termes d'Audrey Freeman, un économiste au service d'une organisation patronale.

Les conséquences de cet état de choses se firent bientôt sentir. Fin 1982, la production repartait à la hausse après une période de récession prolongée et les profits atteignaient de nouveaux sommets. Mais le taux de chômage, lui, ne diminuait que beaucoup plus lentement. Les travailleurs restaient sous la pression et devaient accepter des sacrifices qui transféraient des milliards et des milliards de dollars de leurs poches à celles des patrons.

Toutes les entreprises tentaient évidemment de profiter de ces sacrifices. Elles ne se donnaient même plus la peine de prétendre qu'elles étaient menacées de faillite. Dans l'automobile, Ford, bientôt suivi par GM, avancèrent la date des négociations et imposèrent aux travailleurs des concessions considérables (d'une valeur de deux milliards de dollars pour Ford et de trois milliards pour GM). L'argument de Ford était qu'en obtenant des sacrifices, Chrysler avait faussé le jeu de la concurrence. GM, à son tour, expliqua, après que Ford eut obtenu des sacrifices, qu'il avait, lui aussi, faussé le jeu de la concurrence. La boucle était bouclée : désormais, des entreprises pouvaient exiger, et obtenir, des concessions des travailleurs même si elles n'étaient pas le moins du monde en difficulté.

Les "concessions" se répandirent comme un feu de forêt : dans le transport routier, le transport aérien, les chemins de fer, l'industrie du caoutchouc, la sidérurgie, les administrations. Les patrons de la sidérurgie renégocièrent leurs conventions collectives trois fois en six mois, imposant à chaque fois de nouveaux sacrifices aux travailleurs.

Il semblait que rien ne pourrait arrêter cette vague de reculs, au niveau national, comme au niveau d'entreprises isolées. Les salaires et les avantages acquis étaient battus en brèche, comme l'étaient les conditions de travail, pour permettre aux directions d'augmenter sans cesse la productivité.

Au départ, les travailleurs avaient cédé en se disant qu'une fois les difficultés de l'entreprise surmontées, ils seraient payés de leurs efforts. Mais ce ne fut nulle part le cas.

Quand les entreprises redevenaient rentables, elles se mettaient à verser des dividendes royaux aux actionnaires et des primes faramineuses aux cadres dirigeants. Non seulement elles ne versaient rien de plus aux travailleurs, mais elles continuaient à leur demander de nouveaux sacrifices. Les travailleurs se mirent alors à exprimer leur mécontentement. En 1983, chez Chrysler, les ouvriers refusèrent un accord général d'entreprise pour la première fois de toute l'histoire de l'UAW. L'hostilité à l'accord était si grande que l'UAW ne put l'ignorer. Mais en l'absence d'une opposition organisée à la négociation menée par l'UAW, les travailleurs durent se résoudre à ratifier un second accord qui différait à peine de celui qu'ils avaient d'abord rejeté.

Dans quelques cas, les syndicats furent contraints d'appeler à la grève pour répondre à la colère des travailleurs, comme à AT&T, à General Dynamics et à General Tire and Rubber.

Mais il ne se créait aucun lien entre les grèves. Aucune unité d'action. Les grèves ne réussirent pas à arrêter la vague de "concessions". Les patrons firent même monter les enchères. Dans certaines grèves importantes, ils menacèrent l'existence même des syndicats. La grève de Phelps-Dodge, dirigée par l'USWA et plusieurs syndicats moins importants, ne réussit pas à empêcher que le syndicat soit brisé. Les patrons firent appel à des jaunes pour refaire fonctionner les mines. Les interventions de la police d'État transformèrent les manifestations de protestation en batailles rangées avec la police. Le gouverneur de l'Arizona, Bruce Babbit, se permit même d'envoyer la Garde nationale occuper des villages miniers, avec tanks et hélicoptères. Les patrons des mines de cuivre licencièrent les grévistes et firent voter par les jaunes la non-représentativité des syndicats. Dans deux autres entreprises qui connurent des grèves longues et dures (Iowa Beef Processing et Caterpillar), la menace de briser le syndicat fut retirée à la dernière minute, mais en échange de nouvelles concessions de la part des travailleurs.

S'appuyant sur ces défaites, les bureaucrates syndicaux commencèrent à expliquer que les grèves n'étaient plus à l'ordre du jour, qu'elles étaient une forme d'action dépassée. Le nombre de grèves diminua régulièrement, de 424 en 1974 à 51 en 1989.

Tout au long de ces années, la résistance des travailleurs s'était émoussée : le salaire réel des ouvriers avait perdu 10 %, celui des employés à peine moins.

L'intervention du gouvernement à partir de 1990

Dans les années quatre-vingt-dix, le nombre de grèves a continué à diminuer. Il n'y en a eu que 34 en 1998. Les grèves qui ont éclaté quand même avaient tendance à être à la fois plus longues et plus dures. Les enjeux étaient aussi plus dramatiques, comme l'ont montré les trois conflits à Caterpillar ou la grève de la presse à Détroit, qui est aujourd'hui dans sa troisième année.

Le gouvernement n'a pas hésité à intervenir, quand il l'a jugé nécessaire, pour imposer aux syndicats et à la classe ouvrière de se soumettre aux "lois du marché". En 1997, la grève d'UPS a été un relatif succès. Le syndicat des camionneurs avait cette fois soigneusement préparé la grève et quand les travailleurs ont cessé le travail, ils étaient organisés. En réclamant un emploi décent pour tous, ils ont rencontré un écho favorable dans la classe ouvrière. D'autre part, les camionneurs ont réussi à imposer leurs revendications, qui étaient plutôt modestes, il faut bien le dire. Mais ce mouvement, en comparaison avec les grèves qui l'avaient précédé, est apparu comme une grande victoire et a été ressenti comme tel par les autres travailleurs.

Pourtant, aussitôt après la fin de la grève, l'administrateur judiciaire nommé par le gouvernement Clinton est intervenu pour démettre Ron Carey, le président du syndicat, de ses fonctions, sous prétexte qu'il était accusé de corruption. Cette mesure n'a pas été contestée par les autres dirigeants syndicaux. Et aucune suite n'a été donnée à la grève des camionneurs d'UPS. Un an après la grève, la direction d'UPS s'est sentie assez forte pour remettre en cause certaines clauses de l'accord qu'elle venait pourtant de signer.

Entre temps, le gouvernement continuait à s'en prendre aux quelques protections sociales dont bénéficiaient encore les travailleurs, avec par exemple la réforme générale de l'aide sociale votée en 1996 par un Congrès à majorité républicaine et signée par le Démocrate Clinton. En remplaçant l'aide aux familles défavorisées (AFDC) par une aide temporaire qui dépend des périodes d'activité des bénéficiaires, le gouvernement fournissait aux capitalistes un flux continu de centaines de milliers de femmes pauvres et non qualifiées qui venaient faire concurrence à ceux et celles qui occupaient déjà un emploi au bas de l'échelle des salaires. Le gouvernement instaurait aussi un système dit d'aide à l'emploi, accordant aux employeurs privés de substantiels dégrèvements d'impôts, voire des subventions payées par le système d'aide sociale. La plupart du temps, les travailleurs embauchés dans ce cadre ne sont pas protégés par les lois fédérales ou les lois de l'État. Ils n'ont droit ni au salaire minimum, ni à l'assurance chômage, ni à la couverture médicale, ni aux protections de toute une série de lois d'État. En d'autres termes, ils constituent une main-d'oeuvre corvéable à merci, un réservoir de salariés en situation de précarité extrême, à la disposition des employeurs. Les villes et les États eux-mêmes ont de plus en plus souvent recours à cette main-d'oeuvre pour des travaux qui étaient auparavant effectués par des employés bien mieux payés.

La concurrence que représente cette main-d'oeuvre vulnérable et bon marché risque d'aggraver la situation de ceux qui ont déjà un emploi et qui verront leurs salaires réduits, leur mobilité accrue, etc.

Voilà comment le gouvernement utilise les fonds dégagés pour les programmes sociaux et ses propres services publics : il verse toujours plus d'argent aux capitalistes, à qui il fournit par ailleurs de nouveaux contingents de travailleurs à bas prix.

Rien n'est inévitable, sauf la lutte de classe !

Les capitalistes se sont formidablement enrichis. Année après année, les grandes entreprises annoncent des profits records. De millionnaires, leurs actionnaires deviennent milliardaires ; ceux qui étaient déjà milliardaires deviennent multimilliardaires. Et les cadres dirigeants s'enrichissent comme des voleurs.

Les capitalistes prétendent que des profits en hausse se traduisent par des investissements, une production accrue et davantage d'emplois. En réalité, les investissements et la production stagnent. Les emplois créés sont des emplois sous-payés dans les services, des emplois temporaires et à temps partiel. D'année en année, le nombre d'emplois industriels correctement payés ne cesse de diminuer. Au cours de la seule année 1998, septième année de la "reprise économique" actuelle, 234 000 emplois industriels ont été supprimés.

En réalité, cette "économie de marché" n'a pas réussi à tirer la société de l'ornière. Elle a surtout gonflé les circuits financiers et créé une multitude de marchés financiers où l'on spécule sur l'immobilier, les matières premières, les actions, les obligations et autres produits financiers. Les profits gigantesques créés par cette "économie de marché" n'ont réussi qu'à créer... encore plus de profits, qui sont de plus en plus des profits spéculatifs.

Quelle hypocrisie que cette "économie de marché" dont on nous rebat les oreilles ! On nous demande de croire que cet accroissement des profits et de la richesse est inévitable, qu'il fait partie de l'ordre naturel des choses, et que personne n'y peut rien.

C'est faux.

Si la classe ouvrière s'appauvrit aujourd'hui, c'est que le rapport de forces dans la lutte des classes lui est défavorable. Les capitalistes ont engrangé d'énormes profits ces dernières décennies parce qu'ils ont réussi, avec l'aide des différents gouvernements qui se sont succédé au pouvoir, à faire reculer la classe ouvrière.

Les travailleurs n'ont pas à se sacrifier pour que les patrons deviennent encore plus riches. Quelle que soit la situation des patrons, les travailleurs ont à défendre leurs intérêts. Ne serait-ce que pour donner un coup d'arrêt à la dégradation de leur niveau de vie, ils vont devoir lutter. Les luttes isolées menées par les syndicats et les divisions corporatistes qu'ils ont semées dans la classe ouvrière n'en ont pas donné aux travailleurs les moyens. La classe ouvrière doit au contraire mettre à chaque fois tout son poids dans la lutte. Les travailleurs sont forts de leur nombre et de leur rôle en tant que classe. C'est la classe ouvrière qui fait fonctionner la société : elle doit utiliser son rôle pour prendre sur les profits accumulés par la bourgeoisie ce dont elle a besoin pour garantir un niveau de vie correct à tous les travailleurs et à l'ensemble de la population.

Même quand les capitalistes peuvent se permettre de mieux payer leurs ouvriers, ils ne le font jamais volontairement, par philanthropie. Les patrons ne lâchent que ce que les travailleurs réussissent à leur arracher. Et si les travailleurs ne résistent pas, les patrons continueront à les appauvrir. Aujourd'hui, la pauvreté se répand et s'accroît. La situation dans certaines régions des États-Unis est aussi dramatique que celle de certains pays sous-développés. De plus en plus de pauvres dans le pays le plus riche du monde, qui continue à accumuler les richesses les plus considérables : voilà le résultat de ce que les conseillers économiques de Clinton appellent "l'économie de marché", c'est-à-dire le capitalisme. C'est un système irrationnel et révoltant.

Et pourtant, tous les moyens existent pour construire une société où non seulement les besoins de chacun pourraient être facilement satisfaits, mais où la pression du chômage, de la pauvreté et de la misère n'existerait plus. Le socialisme est possible dans ce pays, comme sur toute la planète. En tout cas, la richesse nécessaire est là, sous nos yeux, ainsi que les ressources, la technologie, et la main-d'oeuvre nécessaire, main-d'oeuvre qui pourrait être facilement augmentée des millions de travailleurs qui doivent aujourd'hui vivre en marge de la société et dont les vies sont gâchées par le chômage, les emplois temporaires et mal payés, voire la prison.

Evidemment, pour mettre fin à ce gaspillage, pour libérer ce vaste potentiel humain, il faut renverser la société capitaliste et la remplacer par une société dirigée par la classe ouvrière, en fonction de ses intérêts et de ses besoins. Nous sommes condamnés à régresser si la classe ouvrière ne s'attelle pas à cette tâche.

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