- Accueil
- Lutte de Classe n°70
- États-Unis - Le soutien des appareils syndicaux à un siècle d'impérialisme
États-Unis - Le soutien des appareils syndicaux à un siècle d'impérialisme
L'article ci-dessous est extrait du périodique Class Struggle de l'organisation trotskyste américaine Spark. Ecrit au printemps dernier, il ne traite pas de l'attitude des syndicats américains face à la guerre que préparent les dirigeants des États-Unis contre l'Irak ; cependant, il l'éclaire.
Le dimanche 7 octobre 2001, les États-Unis commençaient à bombarder l'Afghanistan.
Deux jours plus tard, le Conseil exécutif de l'AFL-CIO, la plus importante centrale syndicale américaine, s'offrait une double page dans les principaux journaux du pays pour proclamer : " Nous sommes derrière notre président dans cette riposte contre le terrorisme ". Deux jours après, c'était au tour de l'United Auto Workers (UAW, Syndicat des travailleurs de l'automobile) de se payer des encarts publicitaires dans les quotidiens, affirmant : " L'Amérique est unie. Nous sommes unis dans la lutte contre le terrorisme à l'intérieur du pays et dans le monde ".
Les publicités en question reprochaient bien au Congrès de ne pas avoir récompensé les efforts des syndicats : l'AFL-CIO le critiquait pour avoir voté des crédits destinés à venir en aide aux compagnies aériennes sans avoir rien prévu pour les travailleurs ; l'UAW se plaignait de la volonté affichée du Congrès de recourir à la procédure d'" urgence " afin de ratifier des accords de libre-échange. Mais elles étaient aussi pleines de drapeaux déployés et d'illustrations à caractère patriotique, et aucune ne parlait du bombardement de l'Afghanistan par les États-Unis et des conséquences dramatiques de cette guerre sur la population afghane. Non, les syndicats étaient tout simplement " derrière " un président qui ne faisait que " combattre le terrorisme ".
Dans les mois qui ont suivi, l'ensemble du mouvement syndical à l'exception d'une poignée de responsables de syndicats locaux a fait tout ce qui était en son pouvoir pour apporter son soutien à la guerre.
En 1995, John Sweeney et son équipe qui briguaient la direction de l'AFL-CIO, avec le soutien, entre autres, des dirigeants de l'UAW laissaient vaguement entendre qu'ils désapprouvaient la manière dont l'ancienne direction avait compromis le syndicat dans des opérations aventureuses de soutien à la politique extérieure des États-Unis. En effet, si l'axe principal de la campagne menée par Sweeney et son co-listier Richard Trumka était la nécessité de lutter contre la perte d'influence des syndicats et l'érosion du nombre de syndiqués, ils laissaient aussi entendre qu'il y avait peut-être un lien entre les difficultés des syndicats à l'intérieur du pays et leur soutien jusque-là inconditionnel de la politique extérieure du gouvernement. Et une fois élue, la nouvelle équipe dirigeante a effectivement réorganisé le service de l'AFL-CIO qui avait été directement impliqué dans le soutien aux guerres, aux coups d'État militaires et aux dictatures ainsi que dans la subornation de syndicats étrangers.
Pourtant, à la première épreuve, leur désaccord s'est évanoui et ils se sont tout bonnement ralliés à la politique traditionnelle des dirigeants de la centrale syndicale, une tradition remontant pour ainsi dire à la naissance en 1886 de l'American Federation of Labor (AFL, Fédération américaine du travail) qui consiste à utiliser leur position à la tête du syndicat pour jouer les utilités dans le sale travail de l'impérialisme. Et ils ont applaudi à la dernière guerre impérialiste en date.
L'AFL : "l'Amérique d'abord !"
Avant la guerre hispano-américaine de 1898, l'AFL et les syndicats qui la composaient étaient en général opposés aux aventures extérieures. Comme beaucoup d'autres dirigeants syndicaux de cette époque, Samuel Gompers, président de l'AFL depuis sa création en 1886, se disait pacifiste. Mais, comme les événements allaient le montrer, il donnait un sens très élastique à ce mot.
L'AFL parlait de la solidarité internationale de la classe ouvrière et dénonçait l'oppression des peuples coloniaux, mais sa politique de " non-intervention " était surtout fondée sur un isolationnisme qui tournait le dos à ce qui se passait ailleurs dans le monde.
Les discours des dirigeants de la fédération sont longtemps restés marqués par cet isolationnisme vulgaire qui était très répandu dans le pays. Par exemple, en 1909, après avoir visité un certain nombre de pays européens, Gompers déclarait : " Le Vieux monde n'est pas notre monde. Ses problèmes sociaux, ses philosophies économiques, les questions politiques qui l'agitent n'ont rien à voir avec ce qui se passe en Amérique. Les peuples du monde entier sont sans doute en marche vers la justice sociale, la paix entre les hommes de toutes les langues et la fraternité universelle. Mais les nations et les gouvernements n'en sont pas tous au même point sur ce long chemin : dans ce cortège, c'est l'Amérique qui marche en tête. "
Dans les années qui précédèrent la guerre hispano-américaine de 1895 à 1898 , l'AFL s'opposait publiquement à la guerre contre l'Espagne. Mais quand les menaces de guerre se firent plus précises, Gompers devint tout à coup un fervent partisan de l'" indépendance " cubaine, c'est-à-dire un partisan de la guerre menée par les États-Unis pour ravir à l'Espagne ses colonies, notamment Cuba, et les transformer de fait en colonies américaines.
Immédiatement après la guerre, l'AFL s'opposa à l'annexion de Hawaï, de Cuba, de Porto Rico, de l'île de Guam et des Philippines. Mais derrière les discours des dirigeants de l'AFL sur l'obligation de respecter l'indépendance de Cuba, il y avait la conviction que les annexions ouvriraient la porte à une immigration incontrôlée de travailleurs non qualifiés qui feraient pression sur les salaires des travailleurs syndiqués de l'AFL. D'ailleurs, l'AFL demandait régulièrement aux autorités de limiter l'immigration, pour les mêmes raisons. Mais, s'agissant de l'immigration en provenance de Chine et d'autres pays asiatiques, elle en demandait l'arrêt pur et simple, affirmant que " la survivance de la nation exige le maintien de sa pureté raciale ". On le voit, les déclarations de l'AFL sur la solidarité de classe ne l'empêchait pas d'être ouvertement raciste, chauvine et hostile aux travailleurs des autres pays.
Cette attitude n'était que le reflet de l'attitude de l'AFL à l'intérieur du pays, où son ambition était d'organiser les couches privilégiés de la classe ouvrière, les ouvriers qualifiés, sous prétexte que leur qualification leur donnait une sorte de monopole qui obligerait la bourgeoisie à céder à leurs revendications. Elle tournait ainsi le dos au reste de la classe ouvrière américaine, tout comme elle tournait le dos à toute véritable manifestation de solidarité internationale.
L'AFL demandait régulièrement des mesures favorisant le libre-échange et la suppression des tarifs douaniers, car, pensait-elle, de telles mesures ne pourraient qu'être bénéfiques pour les travailleurs américains. A en croire Gompers, s'exprimant dans un article paru en 1901 dans The Federationist, la classe ouvrière américaine était " la plus efficace, la plus intelligente, la plus alerte, la plus consciencieuse et la plus productive.[ ] L'Amérique occupera à coup sûr le premier rang en matière d'exportation de biens manufacturés. [ ] Jamais le monde du travail n'a été mieux organisé et plus conscient de ses intérêts et jamais le commerce extérieur de l'Amérique n'a été aussi prodigieux qu'aujourd'hui ". Mais la domination américaine sur les marchés extérieurs ne dépendait pas seulement du degré de " productivité " de la classe ouvrière ; elle dépendait aussi de la puissance militaire des États-Unis. Et dès que l'État américain entreprit d'imposer par la force le " libre-échange ", l'AFL montra qu'elle était prête à abandonner toutes ses prétentions au pacifisme.
En réalité, l'AFL voyait le monde à travers le prisme d'un impérialisme américain en pleine expansion. Déjà en 1898, dans un discours au comité pacifiste dont il faisait partie, Gompers avait déclaré : " Nous ne nous opposons pas au développement de notre industrie, à l'expansion de notre commerce, au pouvoir et à l'influence que les États-Unis peuvent exercer sur la destinée des autres nations ".
Mais, à cette époque, le soutien apporté par l'AFL à la guerre et à la multiplication des investissements impérialistes dans le monde ne profita nullement aux dirigeants de la fédération. La bourgeoisie n'avait pas encore besoin d'eux et continua à les ignorer, en dépit de leur alignement sur les intérêts bien compris du capitalisme américain.
L'AFL demande un strapontin
Ce n'est qu'à l'approche de la Première Guerre mondiale qu'une partie de la bourgeoisie américaine, son appareil d'État notamment, découvrit que l'AFL pouvait jouer un rôle utile à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Cette guerre, qui opposait les principales puissances impérialistes pour la domination du monde, dressait aussi les classes ouvrières les unes contre les autres. Au début , les États-Unis restèrent en dehors du conflit, prétendant être " neutres ". Mais avec la Révolution russe et l'approche de la fin de la guerre, ils trouvèrent des prétextes afin d'intervenir et de prendre part à la nouvelle répartition des marchés mondiaux.
La politique de la direction de l'AFL fut un fidèle reflet des tours et détours apparents de la politique extérieure américaine. Quand la guerre éclata en Europe, en 1914, la plupart des dirigeants de l'AFL firent connaître leur réprobation et leur opposition à l'entrée en guerre des États-Unis. Mais en adoptant une position qui reflétait les sentiments d'une large majorité de la classe ouvrière et des petits agriculteurs, l'AFL ne s'opposait pas pour autant à la politique du président américain, Woodrow Wilson, qui prétendait se situer au-dessus de la sanglante mêlée européenne. La fédération prit aussi position contre toute tentative d'imposer la conscription aux États-Unis, tout en plaidant pour une armée professionnelle mieux payée que l'État américain avait déjà entrepris de construire en prévision de son entrée en guerre.
En 1916, après une campagne axée sur le fait qu'il avait réussi à tenir les États-Unis à l'écart de la guerre, et sa réélection au poste de président, Wilson commença à changer de ton. Il devenait évident que les États-Unis allaient entrer en guerre, et Gompers se fit l'avocat de l'intervention américaine. Lui et d'autres dirigeants participèrent à des " rassemblements de vigilance ", organisés par la droite et des organisations patronales. Censés apporter leur soutien à la construction d'une flotte de défense des cargos américains de l'Atlantique nord, ces rassemblements étaient en fait des outils de propagande visant à préparer la population à la guerre. Ils attiraient souvent des voyous qui en profitaient pour attaquer les manifestations hostiles à la guerre organisées par les Industrial Workers of the World (IWW, organisation de tendance anarcho-syndicaliste), les anarchistes, les socialistes et divers comités locaux pour la paix. Au sein de la direction de l'AFL, Gompers organisa une campagne systématique pour que la fédération abandonne sa position isolationniste.
En octobre 1916, Wilson fit de Gompers le représentant du monde du travail à la Commission consultative du Conseil national de la défense. C'était la première fois qu'un syndicaliste était nommé à un poste officiel. Gompers se saisit de l'occasion pour défendre l'idée que, si le monde du travail voulait être mieux reconnu, il lui fallait s'allier au gouvernement Wilson. Selon Gompers, les États-Unis seraient inévitablement entraînés dans la guerre et le monde du travail n'y pouvait rien. Alors, mieux valait être présent à l'intérieur des cercles du pouvoir où il serait plus facile de défendre les intérêts des travailleurs. Il rencontra une certaine opposition à l'intérieur du Conseil exécutif de l'AFL. L'United Mineworkers of America, (UMWA, le syndicat des mineurs) était tout à fait opposé à l'entrée en guerre des États-Unis ; d'autres syndicats, notamment celui des teamsters (camionneurs et autres employés des transports routiers), disaient que l'AFL ne devait pas " pousser le président " à entrer en guerre.
Pourtant, en mars 1917, Gompers réussit à faire adopter par le Conseil exécutif de l'AFL une déclaration de soutien à l'entrée en guerre des États-Unis : " Mais si, en dépit de nos efforts et de nos espoirs, notre pays était entraîné dans le maelström du conflit européen, nous nous engageons, animés des idéaux ci-devant proclamés de liberté et de justice, qui forment le socle indispensable de toute politique nationale, à servir notre pays dans toutes les sphères d'activité afin de défendre, protéger et sauvegarder la République des États-Unis d'Amérique contre ses ennemis quels qu'ils soient. " Ce texte ne parlait pas du pays à qui les États-Unis s'apprêtaient à déclarer la guerre. Ce n'était pas nécessaire, car l'" ennemi " tout désigné c'était évidemment l'Allemagne, principal concurrent des États-Unis. Gompers ne l'ignorait pas, lui qui dénonçait régulièrement le Kaiser et l'autocratie allemande.
En échange de leur soutien, les dirigeants de l'AFL réclamèrent des postes dans toutes les commissions et tous les comités créés pour faire tourner la machine de guerre ; ils demandèrent aussi au gouvernement d'imposer des limites aux profits qui seraient réalisés, d'appliquer les tarifs syndicaux dans les industries travaillant pour l'armée et de verser aux femmes un salaire égal à celui des hommes. On leur donna les postes qu'ils avaient demandés dans les comités et autres commissions...
Un mois après avoir reçu l'aval de l'AFL, les États-Unis entraient en guerre. Plusieurs années plus tard, Gompers revint dans son autobiographie sur la position de l'AFL : " Le mouvement syndical avait compris que la meilleure manière d'aider le pays à gagner la guerre était d'aider à maintenir et à accroître la production ".
Malgré l'entrée en guerre des États-Unis, l'été de 1917 fut marqué par une importante vague de grèves. Nombre d'entre elles étaient dirigées par les IWW, dont l'objectif était de créer un seul syndicat regroupant tous les travailleurs, et qui restaient hostiles à la guerre.
Dans cette situation, les dirigeants de l'AFL approuvèrent les recommandations d'un comité chargé des questions syndicales en temps de guerre, comité où certains d'entre eux siégeaient. Celui-ci demandait que soit mis un terme aux lock-out et aux grèves. L'interdiction des grèves était acceptable, disaient les représentants de l'AFL, parce que le comité affirmait que les travailleurs auraient le droit de se syndiquer et de signer des accords collectifs pendant la durée de la guerre. Mais le comité déclarait aussi que les travailleurs ne pouvaient " avoir recours à des mesures coercitives de quelque nature que ce soit dans le but d'inciter des personnes à rejoindre leur organisation ou de contraindre les employeurs à négocier ou à signer un accord avec ladite organisation ". En d'autres termes, les syndicats affiliés à l'AFL avaient le droit de recruter de nouveaux membres et de collecter leurs cotisations, du moment qu'ils n'entreprenaient aucune action permettant aux travailleurs de se défendre.
En échange des promesses de l'AFL, qui s'était engagée à maintenir la paix sociale durant la guerre, Gompers demanda au gouvernement de reconnaître officiellement l'AFL en tant qu'organisation représentative de tous les travailleurs, syndiqués et non syndiqués. Il écrivit à Wilson : " Il n'y a de toute évidence qu'une alternative : soit le gouvernement et les employeurs négocient avec les représentants du seul mouvement ouvrier constructif et de bonne foi du pays, soit ils acceptent l'affrontement avec les IWW et tout ce que cela implique ".
La première guerre mondiale : une occasion à saisir pour les capitalistes et l'AFL
Dès l'entrée en guerre des États-Unis, le Socialist Party of America (SPA, Parti socialiste d'Amérique), qui à l'époque était bien implanté dans la classe ouvrière et chez les petits agriculteurs, convoqua un congrès exceptionnel. Il réaffirma son opposition à la guerre et à toute intervention des États-Unis, il appela à une mobilisation massive contre la conscription et demanda à ses sections et à ses militants de " maintenir leur opposition publique " à la guerre.
Le mouvement grandissant d'opposition à la guerre était très présent à l'intérieur même de l'AFL ; de nombreux dirigeants locaux du syndicat s'unirent aux IWW, au Parti socialiste et à d'autres opposants à la guerre pour former des Workmen's Councils (Conseils ouvriers), appartenant à un mouvement plus large, le People's Council (Conseil populaire), dont l'ambition était de créer un mouvement national en faveur de la paix. A New York, où les Workmen's Councils avaient été créés, ils comptaient plus de 90 syndicats représentant 900 000 travailleurs opposés à la guerre. Le People's Council lança un appel à la tenue d'un congrès national de fondation du mouvement pour la paix, prévu en septembre 1917, à Minneapolis, dans l'État du Minnesota.
Pour faire pièce à ce mouvement, Gompers proposa que l'AFL crée sa propre organisation, l'American Alliance for Labor and Democracy (Alliance américaine pour la défense des travailleurs et de la démocratie), dont l'ambition était de " stimuler l'enthousiasme de la classe ouvrière " pour la guerre. Il fut rejoint par un groupe de " socialistes partisans de la guerre " qui avaient quitté le Parti socialiste au début du conflit. L'Alliance fournissait du matériel de propagande, organisait des rassemblements, faisait circuler des " serments de loyauté " dans les entreprises. Elle fit campagne pour le tenue d'un congrès des partisans de la guerre, à Minneapolis, en septembre, au moment même où devait se tenir le congrès du Conseil populaire. L'Alliance annonça qu'elle avait apporté son soutien au gouvernement américain jusqu'à la " victoire militaire totale ". En écho à la déclaration de Wilson prétendant que les États-Unis étaient entrés en guerre afin de " créer un monde plus sûr pour la démocratie ", l'Alliance déclara que tous ceux qui désapprouvaient la guerre " devaient être réprimés par les autorités constituées ". Et voilà pour la " démocratie " !
L'Alliance était apparemment une création de l'AFL, mais en réalité, elle était financée et dirigée par l'État bourgeois. Le Committee on Public Information (Comité de l'information publique), un des organismes créés par le gouvernement pour soutenir l'effort de guerre, versait secrètement des fonds à l'Alliance. D'autre part, George Creel, dirigeant du Comité, demanda à des capitalistes de verser, eux aussi en secret, de l'argent à l'Alliance.
En réalité, c'était Creel qui dirigeait l'Alliance dont il rédigeait les publications et les résolutions. C'était lui qui décidait de ses activités, les travailleurs se contentant de fournir la main-d'oeuvre. Entre autres choses, Creel demanda à Gompers d'utiliser un langage radical qui, sans nuire à l'effort de guerre, donnerait l'impression que l'Alliance et l'AFL avaient une position " indépendante ". Il suggéra, par exemple, à l'Alliance de se dire favorable à la liberté d'expression mais sans aller jusqu'à critiquer le gouverneur du Minnesota qui venait d'interdire au People's Council de tenir son rassemblement contre la guerre dans cet État.
En novembre 1917, Wilson s'adressa au Congrès de l'AFL à Buffalo, dans le nord de l'État de New York. C'était non seulement la première fois que Wilson quittait Washington depuis le début de la guerre, mais c'était aussi la première fois qu'un président américain prenait la parole devant un congrès syndical. Les délégués opposés à la guerre ne purent résister au rouleau compresseur de la propagande patriotique orchestrée par Gompers. Le congrès adopta une résolution demandant que les étrangers soient appelés sous les drapeaux ou déportés en cas de refus. L'année suivante, l'AFL approuva la loi relative à l'espionnage de 1917 qui, dans les faits, rendait illégale toute opposition à la guerre. Elle apporta aussi son soutien à la loi relative à la sédition et aux étrangers de 1918 qui faisait de toute critique du gouvernement en temps de guerre un délit pénal. En vertu de la Loi relative à la sédition, Eugene Debs, candidat du Parti socialiste à l'élection présidentielle, fut traduit en justice et condamné à dix ans de prison.
En février 1918, l'AFL organisa, par l'intermédiaire de l'Alliance, une semaine nationale de " loyauté ouvrière ", afin d'encourager le soutien à la guerre dans les entreprises. L'AFL faisait aussi en permanence campagne contre les grèves : " Aucune grève ne doit être déclenchée s'il n'est pas possible de la justifier aux yeux de celui qui risque sa vie au front ". C'est le même argument cynique qu'on entend à chaque fois qu'il y a la guerre : s'opposer au gouvernement, à sa politique, à sa guerre, c'est attaquer les soldats !
Non, les attaques dont est victime " celui qui risque sa vie au front " sont celles du gouvernement qui l'envoie se battre pour défendre les profits !
L'AFL ne réussit pas à vaincre complètement le sentiment de très forte hostilité à la guerre des travailleurs, mais elle contribua certainement à l'empêcher de s'exprimer, tout comme elle aida le gouvernement à contenir la vague de grèves qui avaient éclaté dans les premiers mois de l'entrée en guerre. Dans les mois qui avaient précédé sa prise de position nette en faveur de la guerre, Gompers avait déclaré : " En temps de guerre, aucune classe ne fait autant de sacrifices que la classe ouvrière. En temps de guerre, les travailleurs voient réduits à néant des années de lutte pour plus de justice ". C'était une assez bonne description de ce que la Première Guerre mondiale a signifié pour la classe ouvrière.
Les "hommes d'État" du monde du travail
Au printemps de 1917, Wilson invita un représentant de l'AFL à se joindre à la délégation américaine qui se rendit en Russie après la chute du tsar dont la mission était de convaincre le nouveau gouvernement provisoire de continuer la guerre contre l'Allemagne et de tenter de ramener le calme en Russie. James Duncan, vice-président de l'AFL, expliqua par la suite qu'il était allé en Russie pour y expliquer qu'" avoir le droit de grève ne signifie pas que nous voulons faire grève, [ ] les responsabilités calment les hommes et les rendent plus prudents dans leurs actions ". En avril, Gompers expédia un télégramme au soviet pour lui expliquer que " la liberté n'est pas le fruit de la révolution mais de l'évolution ". En mai, dans un nouveau télégramme, il demandait au soviet d'ignorer les mouvements en faveur de la paix qui ne pouvaient qu'être manipulés par des " agents allemands ".
Les premiers pas des dirigeants de l'AFL en tant que " diplomates du monde du travail " ne furent pas une réussite. Mais ils marquaient néanmoins une étape nouvelle dans l'histoire du mouvement ouvrier. C'était la première fois qu'un gouvernement américain demandait à des dirigeants ouvriers de les aider dans leur politique étrangère. Ce ne devait pas être la dernière. Les télégrammes de Gompers et consorts franchirent régulièrement l'Atlantique. Des délégations de l'AFL furent envoyées dans les différents pays alliés, avec pour mission de conforter l'engagement du Parti travailliste anglais et des autres socialistes européens en faveur de la guerre. Quand les socialistes " modérés " d'Europe envisagèrent, en réponse à la lassitude des travailleurs après des années de guerre, la convocation d'une conférence internationale pour la paix, regroupant des socialistes et des syndicalistes des deux camps, l'AFL l'ajourna, sous prétexte qu'à cette étape du conflit tout mouvement favorable à la paix servirait le Kaiser. C'était devenu la marotte du quartier général de l'AFL : derrière toute initiative en faveur de la paix, se trouvait le Kaiser, l'autocratie et l'expansionnisme germaniques.
La productivité était une autre de ses marottes. Au printemps de 1918, Gompers proposa d'envoyer des représentants à l'étranger " afin d'inspirer aux travailleurs des pays alliés la même détermination sans faille à poursuivre la guerre qui caractérise l'ouvrier américain ". Le secrétaire d'État, Robert Lansing, donna instruction à l'ambassadeur américain en Grande-Bretagne d'apporter toute son aide à la délégation américaine qui venait, écrivait-il, " discuter des conditions de travail et rechercher le meilleur moyen pour les travailleurs d'apporter leur coopération et leur soutien à leur gouvernement respectif dans la poursuite de la guerre ".
Les dirigeants de l'AFL commencèrent à se considérer eux-mêmes comme les " hommes d'État " du monde du travail. Ils bénéficiaient de postes et d'un prestige qui avaient été jusque-là refusés aux représentants des travailleurs. Ils étaient désormais les plus ardents supporters de la " victoire totale ".
Dans les derniers mois de la guerre, Gompers fit une tournée des pays alliés. Il aurait dû s'adresser aux travailleurs de ces pays, mais il passa la plus grande partie de son temps à être fêté par les diplomates américains, les rois, reines et ministres des pays visités ainsi que les hommes d'affaires américains et européens. Dans chaque pays en guerre, il se rendit au front (ou plus exactement près du front), mais c'était pour s'y faire photographier par la presse américaine. Lorsqu'il s'adressa à des auditoires européens, c'était pour leur dire que la paix ne pouvait être obtenue que par la victoire militaire. Lors d'une réunion organisée par la Chambre de commerce de Gênes en Italie, Gompers déclara : " L'Allemagne doit être détruite ; elle doit connaître non seulement la défaite mais aussi la souffrance ". Quand l'Allemagne proposa de négocier la fin de la guerre sur la base des 14 points de Wilson, Gompers traita tous ceux qui étaient favorables à l'ouverture de négociations de traîtres à leur pays. C'est en France qu'il fit cette déclaration qui déclencha une tempête de protestations dans son auditoire.
Gompers et d'autres dirigeants de l'AFL participèrent à la Conférence socialiste et ouvrière interalliée qui se tint à Londres en septembre 1918. Bien qu'ils aient fait partie de la minorité, ce sont eux qui rédigèrent la déclaration de la Conférence sur les buts de guerre. Les dirigeants de l'AFL avaient réussi à s'imposer au comité chargé des résolutions après avoir menacé ses autres membres de dévoiler le contenu des dossiers réunis contre eux par Scotland Yard dossiers qui leur avaient été transmis par l'ambassadeur américain.
De retour aux États-Unis, Gompers déclara : " L'Amérique est plus qu'un pays. L'Amérique est plus qu'un continent. L'Amérique est un idéal, l'apothéose de tout ce qui est juste. " Apparemment, il n'était pas contradictoire avec " tout ce qui est juste " d'avoir recours à des manoeuvres de basse police pour obtenir ce que l'argumentation seule était impuissante à obtenir.
"Le devoir manifeste de l'Amérique"
A la fin de la guerre, Gompers accompagna Wilson à Versailles où les vainqueurs impérialistes se repartageaient le monde.
Wilson jouait les conciliateurs et Gompers les intransigeants, s'opposant à toute tentative de réunir les dirigeants ouvriers des deux camps et exigeant que l'Allemagne rembourse le coût de " sa " guerre. Il devint président de la Commission ouvrière internationale créée à Versailles, enlisant les discussions dans l'élaboration de projets de loi à soumettre aux différents gouvernements pour ratification. En même temps, il proclamait que les États-Unis ne pouvaient être liés par aucune des décisions prises ; il critiquait d'ailleurs nombre d'entre elles comme trop " socialistes ". En fait, cette Commission ouvrière était mort-née.
De retour aux États-Unis après la conférence de Versailles, Gompers fit campagne contre une résurgence du sentiment isolationniste, déclarant que celui-ci " empêchait l'Amérique d'accomplir son devoir manifeste ". Il défendit la politique de la " porte ouverte " pour les produits américains à travers le monde. Ce faisant, Gompers remettait au goût du jour une vieille idée de l'AFL, mais il dévoilait aussi les véritables objectifs de l'entrée en guerre des États-Unis : briser la domination européenne sur les territoires qui intéressaient les grandes entreprises américaines.
La fin de la guerre ouvrit une ère de révolutions en Europe et fut marquée par une vague de grèves sans précédent aux États-Unis, notamment la grève générale de Seattle et la grande grève de l'acier. Les tout nouveaux " hommes d'État " de l'AFL tentèrent de montrer qu'ils avaient le sens des responsabilités. Gompers combattit le soutien à la Révolution russe dans les rangs ouvriers, y compris à l'intérieur de l'AFL, d'où émanaient des appels de plus en plus nombreux demandant la reconnaissance du nouveau gouvernement soviétique, la levée du blocus et le retrait des troupes américaines et autres engagées en Russie. Lors des congrès de l'AFL de 1919 et 1920, ces questions furent soulevées par d'importantes minorités. En 1919, Gompers et ses partisans proposèrent une vague résolution demandant le retrait de toutes les troupes de Russie " le plus tôt possible " et ignorant la question de la reconnaissance du nouvel État. En 1920, la résolution finale comprenait une condamnation du gouvernement soviétique.
Gompers liait la dénonciation par l'AFL de la révolution ouvrière russe et ses efforts pour s'opposer à la vague de grèves de 1919. Dénonçant la " menace rouge " représentée par " le bolchevisme qui se développait à l'intérieur du mouvement ouvrier américain ", les dirigeants de l'AFL s'opposèrent à la grève générale de Seattle, organisée sur place par les responsables locaux de l'AFL, ainsi qu'à la grève de l'acier, elle aussi organisée par des membres de l'AFL. Les dirigeants de l'AFL ne réussirent pas à mettre à leur remorque ce vaste mouvement ; ce n'était d'ailleurs pas leur objectif, les travailleurs non qualifiés étant pour eux sans intérêt. Mais ils réussirent à mettre de nombreux obstacles en travers du mouvement.
L'État intervint avec force contre le mouvement de grève, expulsant les immigrés raflés lors des " Palmer raids " (du nom du ministre de la Justice de Wilson) ; organisant un coup monté contre Sacco et Vanzetti, avant de les faire exécuter ; assassinant et emprisonnant les dirigeants américains de ce vaste mouvement de grève. Si ses premières cibles furent les IWW, les anarchistes, les socialistes et les travailleurs du rang, le patronat et l'État à son service ne s'arrêtèrent pas en si bon chemin et finirent par s'en prendre à l'AFL. Gompers et consorts n'opposèrent aucune résistance. L'AFL vit le nombre de ses membres, qui était en hausse pendant la guerre, diminuer de façon spectaculaire : entre 1920 et le milieu de 1929, les syndicats de l'AFL perdirent près d'un tiers de leurs membres.
Et si Gompers espérait continuer à jouer les diplomates après la conférence de Versailles, il dut être amèrement déçu. Il eut beau dénoncer la menace soviétique, apporter son soutien à l'invasion américaine du Nicaragua en 1927, c'en était fini des invitations à accompagner le président ou à dîner avec les têtes couronnées d'Europe.
Deuxième guerre mondiale : les syndicats entrent dans l'appareil d'État
Il fallut l'approche d'une autre guerre pour que l'État bourgeois se résolve à demander au mouvement ouvrier organisé de reprendre du service. Mais cette fois, l'AFL n'était plus seule. A ses côtés, il y avait le Congress of Industrial Organizations (CIO, Congrès des syndicats d'industrie), issu du second grand soulèvement des travailleurs non qualifiés lors des grèves avec occupation du milieu des années trente. A beaucoup d'égards, ce furent les bureaucrates du CIO qui jouèrent le rôle le plus important pour freiner les luttes ouvrières pendant la Deuxième Guerre mondiale, précisément parce que leurs syndicats avaient acquis, au cours de ces vagues de grève, la confiance des secteurs les plus combatifs de la classe ouvrière.
La Deuxième Guerre mondiale fut une réplique de la Première, en plus grand. Une fois de plus, les puissances impérialistes s'affrontèrent pour se repartager le monde ; après la Russie, l'Union soviétique fut entraînée dans l'arène par l'un et l'autre camp ; et encore une fois, les États-Unis restèrent en dehors du conflit pendant des années, laissant les puissances européennes s'épuiser avant d'intervenir finalement.
La grande majorité de la population américaine était opposée à l'entrée en guerre des États-Unis. C'est ce que montrait, par exemple, l'importante mobilisation en faveur du projet de modification de la Constitution présenté par le député Louis Ludlow, qui proposait que toute déclaration de guerre soit au préalable soumise à un référendum. Selon les sondages, près de trois Américains sur quatre y étaient favorables. Comme l'ont montré des documents et des comptes rendus sténographiques récemment rendus publics, les membres du gouvernement Roosevelt savaient très bien qu'il ne leur serait pas facile d'amener la population à soutenir la guerre. Les conseillers de Roosevelt lui firent comprendre que si le Japon ne passait pas le premier à l'offensive, il lui serait presque impossible d'obtenir le soutien nécessaire pour mener une nouvelle guerre. De fait, il fallut des années et l'attaque de Pearl Harbor que les États-Unis provoquèrent en faisant le blocus du Japon afin de l'isoler de ses sources de matières premières pour obtenir ce soutien.
Cependant, il était évident dès 1940 que le gouvernement Roosevelt se préparait à entrer en guerre. Il fit adopter deux nouvelles lois pour museler l'opposition qui ne manquerait pas de se faire jour : l'une, la loi Smith, était un ajout aux lois relatives à la sédition datant de la Première Guerre mondiale : elle faisait un délit pénal de la simple publication ou diffusion de documents de nature séditieuse ou de la création d'une organisation qui " répandrait, défendrait ou favoriserait " la sédition. L'autre, la loi Voorhis, exigeait que toute organisation affiliée à un organisme international remette la liste de ses membres au gouvernement ; il s'agissait, semble-t-il, d'empêcher une organisation de se lancer dans une campagne internationale de solidarité contre la guerre.
En même temps, le gouvernement prenait des mesures pour empêcher de nouvelles grèves avec l'aide de nombreux dirigeants du CIO. D'un côté, le gouvernement Roosevelt contraignit certaines entreprises récalcitrantes, comme Ford et Little Steel, à reconnaître les syndicats ; de l'autre, il entreprit de faire échec aux conflits que les nouveaux bureaucrates ne pouvaient contrôler. Cette année-là, il y eut un nombre particulièrement élevé de grèves ; nombre d'entre elles touchèrent des entreprises déjà très engagées dans la production de guerre. Les plus importantes de ces grèves, celles de Vultee, Allis-Chalmers et North American Aviation, furent toutes dénoncées par le gouvernement Roosevelt comme des " coups portés à la défense nationale ". En s'attaquant aux grévistes de North American Aviation au milieu de 1940, Roosevelt assuma ouvertement le rôle de briseur de grève. Il envoya des troupes d'assaut, équipées d'armes lourdes (y compris des mortiers et des pièces d'artillerie anti-aérienne) pour briser les piquets de grève et maintenir les grévistes à l'écart de l'usine. La loi martiale fut instaurée dans la région. Et quand les travailleurs reprirent le travail, les soldats se trouvaient à l'entrée pour repérer les dirigeants de la grève et les empêcher de rentrer dans l'usine.
Les dirigeants du CIO apportèrent leur soutien à cette brutale attaque. Sidney Hillman, président de la Fédération des travailleurs de l'habillement et l'un des dirigeants les plus en vue du CIO, fut photographié aux côtés de Roosevelt au moment où celui-ci ordonnait aux soldats d'intervenir. Une fois la grève brisée, les dirigeants nationaux de l'UAW terminèrent le travail commencé par Roosevelt en suspendant de leurs fonctions tous les responsables syndicaux de l'usine.
Au milieu de 1941, il y eut une nouvelle offensive d'importance destinée à préparer les esprits à la guerre : la mise en accusation et le procès de 29 personnes ayant joué un rôle dans la création de syndicats de camionneurs dans les États du Middle West ainsi que dans les mouvements qui avaient ouvert la voie à la grande vague de grèves d'où étaient sortis les syndicats industriels, notamment les trois grèves de Minneapolis en 1934. L'encre de la signature au bas de la loi Smith était à peine sèche que le gouvernement eut recours à ce texte pour engager des poursuites contre ces militants, dont la majorité appartenait au Socialist Workers Party (SWP), organisation trotskiste. Ce procès visait la seule organisation politique qui continuait à s'opposer à la guerre et, en même temps, un groupe de militants parmi les plus actifs du mouvement syndical des années trente.
Les dirigeants nationaux du syndicat des camionneurs accoururent à l'aide du gouvernement. Ils avaient déjà tenté, sans grand succès, de s'emparer de la direction du syndicat de Minneapolis. Ils pouvaient maintenant envoyer leurs gros bras, sous la direction de nul autre que Jimmy Hoffa, pour s'en prendre aux travailleurs, et mettre officiellement la main sur la direction locale du syndicat.
Le " droit constitutionnel à la libre expression " fut ignoré au cours du procès éclair qui expédia les militants de Minneapolis en prison, tout comme il avait été ignoré lors du procès de Debs au cours de la Première Guerre mondiale. La nouvelle guerre destinée à " sauver le monde au bénéfice de la démocratie " se menait à l'intérieur du pays de façon aussi antidémocratique que la précédente.
Une "direction stable et responsable" dans l'intérêt de la production de guerre
Bien avant que le gouvernement Roosevelt fasse entrer les États-Unis en guerre, les dirigeants de l'AFL et du CIO lui avaient offert leurs services, demandant que le monde du travail soit " pleinement représenté dans tous les organismes du gouvernement liés à la défense ". En décembre 1940, Sidney Hillman était nommé directeur-adjoint du Bureau chargé de gérer la production. Philip Murray, dirigeant du CIO, proposait la création de conseils d'industrie, avec des représentants des travailleurs, pour coordonner la production, former les travailleurs et " promouvoir la paix dans l'industrie ". Murray et un dirigeant de l'AFL obtinrent des postes dans une commission de neuf membres chargée de la médiation en matière de défense nationale.
Immédiatement après Pearl Harbor, Roosevelt convoqua une réunion paritaire, syndicats-employeurs, dont les participants tombèrent d'accord : il ne devait pas y avoir de grève pendant la durée de la guerre. Cet engagement sera tenu par les dirigeants syndicaux, à la notable exception de John L. Lewis. Comme en écho à Gompers, Rolland J. Thomas, alors à la tête de l'UAW, déclara : " Notre syndicat ne peut survivre que si la nation et nos soldats sont convaincus que nous n'entravons pas l'effort de guerre ".
En échange de leur allégeance, les syndicats obtinrent du gouvernement Roosevelt une réglementation relative au " maintien de l'appartenance syndicale " dans les entreprises produisant pour l'armée. La décision du War Labor Board, l'organisme chargé des relations du travail en temps de guerre, qui institua ce " maintien de l'appartenance syndicale ", expliquait ainsi quel était l'intérêt du gouvernement dans cette affaire : " Trop souvent, les syndiqués quittent le syndicat parce qu'ils acceptent mal la discipline imposée par une direction responsable. Une autre équipe dirigeante, moins responsable, peut alors être tentée d'obtenir et de garder la direction du syndicat en relâchant la discipline, en refusant de coopérer avec l'employeur et parfois en attaquant l'entreprise de manière injuste et démagogique. Il est dans l'intérêt de l'employeur de coopérer avec les syndicats afin d'y maintenir une direction stable et responsable ". Commentant cette décision, le président du War Labor Board expliquait : " Nous devrons faire appel aux responsables des syndicats pour imposer la stabilité des salaires. C'est là une autre bonne raison de vouloir le maintien d'une direction stable et responsable ".
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants de l'AFL comme du CIO organisèrent des rassemblements en faveur de la " défense " du pays, encouragèrent l'achat de " bons de la défense nationale ", financèrent des " jardins de la victoire " et toutes sortes d'autres initiatives destinées à encourager la population à apporter son soutien à la guerre. Mais sa tâche la plus importante était d'atténuer toute expression du mécontentement des travailleurs devant les sacrifices qui leur étaient demandés sur le " front intérieur ". Dès 1942, le nombre de grèves s'accrut. Il s'agissait le plus souvent de grèves sauvages, de courte durée, mais qui indiquaient que la classe ouvrière, au contraire des bureaucrates, n'était pas prête à accepter des accords qui pénalisaient les travailleurs et que les entreprises elles-mêmes ne respectaient pas. Début 1944, le Wall Street Journal se plaignait que " les travailleurs [ ] semblent aujourd'hui prêts à se saisir de n'importe quelle excuse pour faire grève ".
C'est alors que les bureaucrates de l'ancienne école se tournèrent vers le Parti communiste qui s'était engagé dans l'effort de guerre au nom de la " lutte contre le fascisme " et la " défense de l'Union soviétique ". Ses militants, qui avaient gagné la confiance des travailleurs au cours des nombreuses luttes qu'ils avaient organisées dans les années trente, marchèrent main dans la main avec les bureaucrates de l'AFL et du CIO qui brisaient les grèves.
Le plus important mouvement d'hostilité à l'engagement des syndicats à ne pas faire grève fut celui des mineurs de charbon qui, en 1943, déclenchèrent une vague de grèves et poussèrent le président de leur syndicat, John L. Lewis, à défier ouvertement le gouvernement. Roosevelt menaça en vain d'appeler les grévistes sous les drapeaux. Le gouvernement fit alors adopter la loi Smith-Connely (rédigée en partie par le député Howard Smith, déjà auteur de la loi sur la sédition de 1940), qui prévoyait une série de sanctions, par exemple des amendes importantes et des peines de prison, pour les dirigeants des syndicats qui organisaient une grève. La loi fut votée par un Congrès à majorité démocrate contre la volonté de Roosevelt qui souhaitait des mesures plus sévères, comme la " conscription sur les lieux de travail " de tous les travailleurs âgés de dix-huit à soixante-cinq ans. Le président mit son veto, mais la loi fut quand même adoptée en quatrième vitesse par le Congrès. Après quoi, les dirigeants de l'AFL et du CIO télégraphièrent à Roosevelt pour le remercier de s'y être opposé en utilisant son droit de veto !
Les grèves des mineurs des houillères n'étaient que la partie émergée de l'iceberg. Il y eut des luttes du début à la fin de la guerre. En 1942, première année de l'entrée en guerre des États-Unis, près d'un million de travailleurs firent grève. Et ce n'était qu'un début : au cours des trois années et huit mois qui suivirent, le gouvernement enregistra près de 15 000 grèves sauvages (14 471 pour être précis) et 6 774 000 grévistes. La signature des accords de branche par les syndicats et leur engagement à ne pas faire grève donnaient régulièrement lieu à des affrontements acharnés que les dirigeants de l'UAW n'arrivaient pas à contrôler. Le président de l'United Rubber Workers (URW, Syndicat des travailleurs du caoutchouc) fut même exclu du syndicat de base dont il était membre parce qu'il avait tenté d'exclure des grévistes d'un autre syndicat local de l'URW.
Tout au long de la guerre, les bureaucrates se plaignirent de ce que le gouvernement ne tenait pas sa promesse de contrôler les prix (promesse qu'il n'avait d'ailleurs jamais faite). Mais cela ne les empêchait pas de s'en prendre aux travailleurs qui essayaient de défendre leur niveau de vie de toutes les manières possibles. L'URW en vint même à condamner des grévistes à une amende de 10 000 dollars.
La Deuxième Guerre mondiale fut un remake de la Première d'un autre point de vue. A la fin de la guerre, une attaque fut organisée contre les militants qui avaient dirigé les luttes des années trente ou les grèves sauvages du temps de guerre. Simultanément, l'État entreprit de renforcer la position des bureaucrates qui s'étaient montré dignes de confiance.
A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la bourgeoisie américaine avait finalement acquis la conviction que les syndicats pouvaient lui être utiles en garantissant une stabilité et en coopérant pour permettre une " production plus efficace ".
La carte de l'anticommunisme
La Deuxième Guerre mondiale fit des États-Unis la première puissance impérialiste du monde. Dès avant la fin de la guerre, l'AFL avait commencé à créer des organisations susceptibles d'aider l'impérialisme américain à consolider sa position. En 1944, l'AFL proposa la création d'un Comité des syndicats libres (CSL) pour faire pièce aux partis communistes qui influençaient le mouvement ouvrier de tous les pays du monde. Dans les derniers jours de la guerre, le CSL apporta son aide à des syndicalistes triés sur le volet afin de réduire l'influence de la résistance dirigée par les communistes en France, en Italie et en Grèce. Au début des années cinquante, le Chicago Daily News évaluait à cinq millions de dollars la somme dépensée en Europe entre 1945 et 1950 par le CSL pour " déstabiliser " les syndicats dirigés par les communistes et créer des syndicats anticommunistes. A en croire des études ultérieures de cette même période, c'est le triple qui aurait alors été dépensé. En tout cas, le CSL était ouvertement une officine du gouvernement américain chargée de distribuer une partie des sommes dont celui-ci inondait l'Europe afin d'y " stabiliser " la situation.
En France, le but du CSL était de créer une scission de la CGT, la principale centrale syndicale, dirigée à cette époque par le Parti communiste français (PCF). L'AFL, qui disposait de tout l'argent qu'elle voulait, réussit à provoquer à la fin de 1947 la scission d'environ un cinquième des membres de la CGT, qui créèrent le syndicat Force ouvrière. Dans les premières années de son existence, Force ouvrière touchait toutes les trois semaines 5 000 dollars de l'AFL, sans compter l'argent en provenance directe du gouvernement américain. Des études récentes ont montré que les sommes consacrées par les États-Unis à la lutte contre le PCF se montaient à deux millions de dollars par an dans l'immédiat après-guerre.
En Allemagne, les syndicats avaient été détruits par le nazisme. Le CSL entreprit de les reconstruire sur le " modèle américain ". Il aida directement les dirigeants qu'il avait choisis à créer des syndicats, leur donnant de l'argent, des presses à imprimer, du papier, sans parler de la nourriture et d'autres biens de consommation qui leur permirent de survivre dans la dramatique situation de l'après-guerre. Le CSL s'entendit aussi avec les autorités militaires américaines de la zone ouest de l'Allemagne afin que les immeubles et autres biens ayant appartenu aux syndicats d'avant le nazisme soient remis aux alliés du CSL. Simultanément, les autorités militaires américaines faisaient de leur mieux pour empêcher la croissance des autres syndicats.
En Grèce, le CSL réussit à faire pièce à la principale confédération syndicale en finançant un groupe dirigé par un ancien fasciste aux dépens de la direction aux mains des militants communistes. L'homme de confiance du CSL devint l'un des meilleurs soutiens de la dictature militaire qui prit le pouvoir en Grèce en 1967. En Italie, le CSL n'eut pas autant de succès dans son entreprise de destruction ; néanmoins, il réussit là encore à provoquer une scission minoritaire.
En 1949, à Marseille et dans d'autres ports méditerranéens, le CSL recruta des gangsters pour briser les grèves visant à bloquer le déchargement d'armes et de munitions américaines. Des affrontements sanglants eurent lieu et certains militants syndicalistes furent grièvement blessés et durent être hospitalisés. A Marseille, il y eut plusieurs morts.
De toute évidence, le CSL n'aurait pas pu, par ses seuls moyens, peser sur l'avenir des syndicats européens. Mais le rôle joué par les partis communistes et socialistes d'Europe au cours de cette période qui consistait pour la plupart d'entre eux à s'aligner sur leur propre bourgeoisie afin de " reconstruire l'économie nationale " et donc à s'opposer aux grèves ouvrait la voie au CSL. Ironie de l'histoire, comme ses concurrents, le CSL oeuvrait lui aussi à la consolidation de l'ordre bourgeois en Europe mais dans le but de rendre l'Europe plus sûre pour les capitaux américains qui commençaient à arriver en masse à l'ouest du continent.
Au cours de cette période, l'AFL joua un rôle similaire au Japon, servant d'intermédiaire pour des subsides américains estimés à deux millions de dollars par an à partir de 1947 et destinés à un groupe chargé d'" extirper le communisme " du Sambetsu, la confédération syndicale japonaise.
Pendant une courte période, le CIO sembla rester à l'écart de ces activités. Alors que l'AFL créait le CSL, son officine " anticommuniste ", le CIO collaborait avec la Fédération syndicale mondiale (FSM) qui comptait parmi ses membres certains des syndicats que le CSL essayait de détruire ainsi que des syndicats soviétiques.
Mais le CIO quitta la FSM dès que le gouvernement Truman s'engagea dans la guerre froide qui allait dominer la politique extérieure américaine pendant des décennies. Elle se joignit alors à l'AFL pour créer la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) en 1949 et tenta d'y amener d'autres syndicats de la FSM, provoquant la scission de cette dernière.
Simultanément, les dirigeants du CIO se lancèrent aux États-Unis dans une purge de leurs propres syndicats. Sous le slogan de la " lutte contre la mainmise communiste sur les syndicats ", les bureaucrates restèrent les bras croisés pendant que les employeurs licenciaient nombre des militants, communistes ou pas, qui avaient dirigé les grèves des années trente et créé les syndicats du CIO. Dans d'autres cas, les bureaucrates chassèrent eux-mêmes ces militants des syndicats. Les syndicats qui refusaient de procéder à cette purge étaient eux-mêmes radiés du CIO. Au total, 11 syndicats furent ainsi exclus. Les syndicats qui restaient voyaient leurs meilleurs militants pourchassés. Cette campagne pour soumettre le mouvement syndical à l'intérieur des États-Unis n'était que le volet américain de la politique suivie par les bureaucrates syndicaux à l'étranger : dans les deux cas, il s'agissait de défendre les intérêts du capitalisme américain.
La guerre à peine finie, une autre commence
Après la Révolution chinoise de 1949, les États-Unis décidèrent de construire une digue pour tenter d'empêcher la révolution anticoloniale de se répandre dans les autres pays d'Asie. La Corée fut sa première cible. En dépit des chasses aux sorcières menées à l'intérieur et à l'extérieur des syndicats et de l'hystérie que le sénateur Joseph McCarthy et d'autres essayaient de créer dans la population face à la " menace communiste ", les Américains n'ont jamais soutenu la guerre contre la Corée avec enthousiasme. En janvier 1951, à peine sept mois après l'envoi de troupes américaines en Corée, un sondage Gallup indiquait que 66 % de la population était favorable à un " retrait des troupes américaines de Corée dans les plus brefs délais ". Il y avait d'autres signes de l'opposition de la classe ouvrière à la guerre. En décembre 1950, un candidat à la présidence d'un important syndicat, l'UAW du complexe industriel de Ford Rouge, fit campagne sur un programme en deux points : " Mettre fin à la guerre de Corée et construire un parti ouvrier ". Il faillit battre celui qui occupait depuis des années le poste de président et qui bénéficiait du soutien de la direction nationale de l'UAW, ne s'inclinant que par 476 voix sur un total de 33 000. Quels qu'aient été les autres thèmes abordés dans la campagne, cela signifiait que la moitié des travailleurs étaient prêts à voter pour un candidat qui mettait l'opposition à la guerre dans son programme.
Les bureaucrates syndicaux, qui n'ont jamais eu peur de se retrouver en porte-à-faux avec leur base, s'empressèrent d'apporter leur soutien à la guerre. Bill Green, président de l'AFL, appela à la " mobilisation du monde du travail " pour soutenir l'effort de guerre ; Philip Murray, président du CIO, promit aussitôt son soutien " sans faille et sans réserve " à la guerre. A peine un mois après le début de la guerre, George Meany, secrétaire-trésorier de l'AFL, déclarait : " Je n'ai aucun doute : le mouvement ouvrier s'engagera le moment venu à ne pas faire grève ".
Mais cette fois, les syndicats ne signèrent pas d'engagement à ne pas faire grève. Il n'est pas certain que les bureaucrates syndicaux auraient pu se maintenir en place s'ils s'étaient opposés de front à la classe ouvrière. Les purges du maccarthysme avaient peut-être permis à Walter Reuther d'être élu président du CIO en 1952 et à d'autres, comme Mike Quill du Textile Workers Union (TWU, Syndicat des travailleurs du textile), de consolider leurs positions. Mais les nouveaux bureaucrates du CIO étaient encore trop occupés à établir leur mainmise sur l'appareil pour se permettre d'être en retrait. En conséquence, pendant toute cette période, ils autorisèrent, dirigèrent ou même prirent l'initiative de grèves parfois très longues et très dures. La situation instable des appareils était encore aggravée par le fait que les syndiqués pouvaient passer de l'une à l'autre confédération.
Pour toutes ces raisons, les responsables syndicaux étaient temporairement moins susceptibles d'imposer une nouvelle guerre à la classe ouvrière. D'autre part, c'est au cours de cette période que le CIO commença à adopter le corporatisme étroit qui caractérisait le fonctionnement de l'AFL. Dans les années trente, les travailleurs avaient pris l'habitude d'unir leurs luttes ou au moins d'apporter un soutien actif à ceux qui étaient en lutte. Les directions syndicales tentaient maintenant de diviser les luttes, présentant les avantages obtenus comme liés à une entreprise particulière et aux accords maisons négociés avec les syndicats.
L'impérialisme américain fut tenu en échec en Corée. Il n'aurait pu remporter la victoire qu'en intensifiant considérablement son effort de guerre. Confronté, à l'intérieur, à un mouvement d'opposition à la guerre ainsi qu'aux grèves dirigées contre les conséquences économiques de la guerre, les dirigeants américains décidèrent de faire passer la guerre au second plan. Les grèves organisées pendant la guerre de Corée jouèrent sans doute un rôle pour en finir avec cette guerre ; mais elles ne furent jamais conduites de façon à permettre à la classe ouvrière de prendre conscience de sa force.
En 1955, les deux fédérations s'unissaient pour former l'AFL-CIO. Cela ne signifiait pas que la classe ouvrière était plus unie, mais seulement que les bureaucrates avaient désormais un contrôle accru sur l'ensemble des syndicats.
Aider l'impérialisme américain à garantir la sécurité des investissements dans sa chasse gardée
L'irruption des révolutions anticoloniales eut des répercussions dans toute l'Amérique latine, même si la plupart des pays y avaient depuis longtemps acquis une " indépendance " formelle. Les luttes qui suivirent la révolution cubaine obligèrent l'impérialisme américain à porter son attention en direction de sa chasse gardée.
Le fiasco de la baie des Cochons au début de 1961 montra que les États-Unis avaient le plus grand besoin de moyens d'intervention non militaires. Entre autres choses, le gouvernement Kennedy appela de ses voeux un programme destiné au mouvement ouvrier d'Amérique latine, afin de " mettre tout le talent et l'expérience du mouvement ouvrier américain au service de la lutte pour empêcher Castro [ ] de détruire le mouvement ouvrier d'Amérique latine ". L'AFL-CIO répondit en créant l'American Institute for Free Labor Development (AIFLD, Institut américain pour le développement de syndicats libres). Les diplomates américains ne pouvaient évidemment pas pénétrer à l'intérieur des syndicats latino-américains ; il leur était même difficile de savoir ce qui s'y passait vraiment. Les représentants de l'AFL-CIO, eux, pouvaient le faire et ils montrèrent bientôt leur empressement à jouer les agents de renseignements des services secrets civils et militaires des États-Unis en d'autres termes, leur empressement à détruire le mouvement ouvrier latino-américain.
En 1967, l'AIFLD disposait déjà d'un budget annuel de six millions de dollars. La moitié de cette somme provenait de l'Agency for International Development (AID, Agence pour le développement international) et environ 40 % de diverses sources dont il fut démontré par la suite qu'elles étaient des officines sous le contrôle de la Central Intelligence Agency (CIA, Agence centrale de renseignements). Les 10 % restants provenaient à parts égales de l'AFL-CIO et d'entreprises bien implantées en Amérique latine. A la fin des années soixante-dix, les liens financiers entre l'AIFLD et la CIA avaient été si clairement établis que, devant le scandale provoqué par cette affaire, le gouvernement eut de plus en plus recours à l'AID et à d'autres fondations contrôlées par le département d'État pour financer l'AIFLD. Mais quelle qu'ait été sa provenance, le financement de l'AIFLD par le gouvernement ne fit que s'accroître. En 1987, l'AID seule lui versait quelque 14 millions de dollars par an qui venaient s'ajouter aux 15 millions de dollars qu'elle versait à d'autres instituts " régionaux " créés par l'AFL-CIO en Asie, en Afrique et en Europe de l'Est.
L'AIFLD affirmait régulièrement que son but était de " créer des syndicats libres ", de " jeter les bases de la démocratie " et autres affirmations du même tonneau. Mais quand les représentants de l'AIFLD se rendaient à Washington devant le Congrès pour justifier l'utilisation des fonds reçus, ils tenaient un tout autre langage. En 1967, William Doherty junior, directeur exécutif de l'AIFLD, déclara au Congrès : " Notre collaboration [avec les employeurs] consiste à tenter de rendre la situation plus attrayante et plus favorable aux investisseurs ". Peter Grace, président du conseil d'administration de l'AIFLD, expliqua pour sa part que son but était d'" apprendre aux travailleurs à accroître le chiffre d'affaires de leur entreprise ".
Jusqu'en 1981, le conseil d'administration de l'AIFLD comprenait des représentants des entreprises les plus implantées en Amérique latine. Peter Grace, son président, dirigeait en même temps le groupe W. R. Grace qui détenait des avoirs dans toute l'Amérique latine sous forme de plantations, distilleries, usines de carton, filatures et entreprises de transport maritime ainsi que des usines sans syndicat aux États-Unis ! Siégeaient avec lui des représentants d'American Telephone and Telegraph (AT&T) ; Kennecott et Anaconda, deux compagnies minières exploitant le cuivre ; la compagnie aérienne Pan American ; et le holding financier des Rockefeller. En 1981, l'AFL-CIO, un peu embarrassée par les critiques incessantes de ses liens avec des entreprises hostiles aux syndicats à l'intérieur même des États-Unis, supprima les postes réservés aux représentants des entreprises dans son conseil d'administration. Cela ne changea en rien la politique de l'AIFLD. Commentant la suppression de ces postes, Doherty déclara : " Nous accueillons chaleureusement tous ceux qui désirent coopérer avec nous, non seulement sur le plan financier, mais aussi quand il s'agit d'élaborer notre politique. Notre coopération avec les milieux d'affaires s'améliore de jour en jour. "
La coopération de l'AIFLD avec le bras armé de l'appareil d'État était, elle aussi, très " chaleureuse ". Parmi ceux qui étaient présents lors de la réunion qui créa en 1961 cet institut voué au développement du syndicalisme " libre ", se trouvaient non seulement Arthur Goldberg, ministre du Travail, et George Meany, représentant l'AFL-CIO, mais aussi des représentants du département d'État et de la CIA, qui ne sont pas vraiment des bastions de la démocratie et du syndicalisme. Ces messieurs demandèrent à Serafino Romualdi de quitter les rangs de l'Office of Strategic Services (OSS, Bureau des services stratégiques), le prédécesseur de la CIA, pour devenir le premier président de l'AIFLD. Selon Philip Agee et d'autres ex-agents secrets de la CIA, celle-ci disposait d'au moins un agent dans chacun des bureaux de l'AIFLD.
Quels qu'aient été les liens directs ou indirects entre l'AIFLD et la CIA, l'AIFLD n'était que l'un des appendices de l'appareil d'État américain, chargé de multiples missions secrètes hostiles au mouvement ouvrier latino-américain.
Dans la liste des coups d'État militaires et des tentatives faites pour renverser des gouvernements démocratiquement élus en Amérique latine, il n'y en a sans doute pas un seul où l'AIFLD n'ait joué un rôle. Ce fut le cas en Guyana et en République dominicaine en 1963 ; au Brésil en 1964 ; au Chili en 1973 ; exactement comme auparavant un comité de l'AFL avait apporté son soutien moral et matériel au coup d'État militaire qui avait renversé le gouvernement du Guatémala en 1954. L'AIFLD finança aussi les syndicats favorables à la droite au Nicaragua et à Haïti. L'AIFLD et les représentants de l'AFL-CIO n'hésitaient pas à se vanter de leurs exploits. Ainsi, après le coup d'État militaire au Brésil, Doherty déclara fièrement que les syndicalistes liés à l'AIFLD " étaient très actifs, au point d'avoir été mêlés de près aux opérations clandestines qui avaient préparé la révolution ". Ce que Doherty appelait une " révolution ", c'était le coup d'État militaire, dont les sbires attaquèrent par la suite les syndicalistes liés à l'AIFLD qui avaient aidé les militaires à prendre le pouvoir.
A l'étranger, les agents de l'AIFLD aidaient à créer et à financer des syndicats inféodés aux régimes dictatoriaux. Ce fut le cas des syndicats liés à l'armée du Salvador, d'Argentine, du Brésil et du Chili, après les coups d'État militaires de ces pays, ou ceux du Nicaragua sous Somoza. D'autres antennes régionales de l'AFL-CIO s'efforçaient d'apporter le soutien du mouvement ouvrier aux régimes dictatoriaux d'Indonésie, de Corée du Sud ou d'Afrique du Sud avant la chute de l'apartheid. Dans de nombreux pays, ils fournissaient des informations sur les dirigeants syndicaux aux militaires, dont l'arrivée au pouvoir était souvent saluée par l'AIFLD comme une " victoire " le tout au nom de l'" anticommunisme ", bien sûr.
Le développement de ces instituts allait à l'encontre des intérêts des travailleurs, à l'étranger mais aussi aux États-Unis. En favorisant l'inféodation du mouvement ouvrier en Amérique latine, les dirigeants de l'AFL-CIO y favorisaient aussi la perpétuation des bas salaires, qui attiraient toujours plus de capitaux américains, en particulier dans les secteurs ne travaillant que pour l'exportation vers les États-Unis. De nos jours, les dirigeants syndicaux dénoncent régulièrement le phénomène de " délocalisation ", mais ils font partie de ceux qui l'ont rendu possible. En apportant leur soutien aux régimes militaires, en s'opposant aux syndicats qui menaient des luttes dans de nombreux pays, en attaquant les dirigeants syndicaux qui échappaient à leur contrôle, ils n'ont pas réussi à créer un syndicalisme " libre ", mais ils ont bel et bien contribué à accroître l'exploitation des travailleurs du monde entier par les trusts américains.
L'opposition à la guerre du Vietnam
La guerre du Vietnam fut, à de nombreux égards, une réédition de la guerre de Corée. Elles furent toutes les deux déclenchées dans le cadre d'une stratégie de " containment " pour éviter que des luttes nationalistes fassent basculer des pays sous-développés dans la sphère d'influence soviétique, et elles suscitèrent l'une et l'autre un profond mouvement d'opposition aux États-Unis. Enfin, dans ces deux occasions, les dirigeants syndicaux ont été presque unanimes dans leur soutien à la guerre.
Au début de 1965, alors que l'intervention américaine au Vietnam était déjà l'objet de protestations, le Conseil exécutif de l'AFL-CIO s'empressa d'apporter son soutien au président Lyndon Johnson. George Meany déclara : " Nous sommes présents au Sud-Vietnam parce que c'est notre devoir d'y être. Nous avons promis au peuple vietnamien de l'aider à défendre sa liberté. Et nous sommes présents à Saint-Domingue pour la même raison, parce que nous avons promis aux membres de l'Organisation des États américains d'empêcher le castrisme de se répandre dans d'autres pays ". Entonnant un refrain qui sera répété tout au long de la guerre du Vietnam, Meany traita ceux qui, à l'intérieur du mouvement ouvrier, critiquaient la politique de Johnson de " victimes de la propagande communiste ".
Plus tard, Walter Reuther, dirigeant de l'UAW, fut présenté comme un opposant de la première heure à la guerre. En réalité, en 1965, Reuther avait tout simplement proposé que l'AFL-CIO déclare publiquement qu'elle n'était pas opposée à l'ouverture de négociations. Dans un remarquable élan unitaire, le Conseil exécutif de l'AFL-CIO reprit cette déclaration à son compte, ajoutant que le président Johnson lui-même était favorable à des négociations ! Par un vote unanime de toute sa direction, Reuther compris, l'AFL-CIO approuva " toutes les mesures que le gouvernement jugerait nécessaires pour mettre fin à l'agression communiste et instaurer une paix juste et durable ".
Les responsables syndicaux trouvèrent toutes sortes d'arguments pour justifier la guerre. Ils ne pouvaient plus se contenter de l'anticommunisme qui, dans les années soixante, avait un peu perdu de son efficacité. Nombre d'entre eux disaient ouvertement que la guerre créait des emplois et que le retrait des troupes américaines présentes au Vietnam se traduirait par une hausse immédiate du chômage. " La guerre a pour effet, tant qu'elle dure, de maintenir l'économie à un niveau élevé grâce à un afflux de dollars qui permet d'employer les travailleurs à fabriquer ce qu'il faut pour faire la guerre. Si vous mettiez un terme à tout cela, ces travailleurs ne pourraient pas demain construire leurs maisons. " Ainsi parlait Joseph Beirne, président du Communication Workers of America (CWA, Syndicat des travailleurs des communications) et vice-président de l'AFL. Il ne s'agissait pas pour lui de condamner le capitalisme américain pour son incapacité à fournir un toit à chacun, mais de défendre l'idée que les syndicats devaient continuer à soutenir la guerre.
Le soutien des syndicats à la guerre n'était pas seulement verbal. En 1967, les syndicats de la ville de New York participèrent à l'organisation d'une manifestation de " soutien aux boys ". Certains syndicalistes, se joignant à des membres de deux organisations d'extrême droite, la John Birch Society et l'American Legion, s'en prirent physiquement à des passants qui exprimaient leur opposition à la guerre. Les mêmes hommes de main avaient déjà été utilisés dans les rues de New York pour attaquer des manifestations en faveur de la paix. Les militants qui remettaient en cause la poursuite de la guerre dans les réunions syndicales étaient traités d'agents de l'ennemi, en référence à une déclaration du Conseil exécutif de l'AFL-CIO de 1966 qui disait : " Ceux qui refusent d'apporter un soutien sans faille à nos troupes soutiennent l'ennemi communiste de notre pays ".
Malgré les appels incessants de l'AFL-CIO, l'opposition à la guerre se développait, en particulier dans la classe ouvrière. En mars 1968, un sondage effectué après l'offensive du Têt montrait que 69 % des personnes interviewées étaient favorables au retrait des troupes américaines du Vietnam. Cette année-là, Lyndon Johnson en tirait la conclusion qu'il ne pourrait pas se représenter à l'élection présidentielle. Simultanément, le Pentagone en arrivait à la conclusion qu'il ne pourrait pas gagner la guerre du Vietnam sans l'intensifier considérablement, chose qu'il ne pouvait pas se permettre à cause du quasi-état de guerre qui régnait dans les villes américaines à la suite des révoltes de la population noire.
A cette date, enfin, un petit nombre de dirigeants syndicaux commencèrent à se demander si la guerre n'était pas une " erreur ". Plusieurs centaines de responsables syndicaux se réunirent à Chicago à la fin de 1967. Cette Labor Leadership Assembly for Peace (Assemblée des directions syndicales pour la paix) fit une déclaration qui montrait toutes les limites de son opposition à la guerre : " Le mouvement ouvrier américain a un rôle à jouer afin de mettre un terme rapide et juste à cette guerre cruelle et de consacrer notre richesse et nos énergies à la lutte contre la pauvreté, la maladie, la faim et le fanatisme ". A cette fin, elle proposait d'" encourager la libre discussion de la politique étrangère dans tous les syndicats du pays ". Comme on le voit, même les dirigeants " opposés " à la guerre étaient bien plus timorés que les syndiqués de base. Aucun d'entre eux n'osa réclamer publiquement le retrait immédiat des troupes américaines du Vietnam.
En 1969, l'UAW et le syndicat des camionneurs, qui avait été auparavant expulsés de l'AFL-CIO pour corruption et gangstérisme, ainsi que la Chemical Workers Union (CWU, Syndicat des travailleurs de la chimie) formèrent l'Alliance for Labor Action (Alliance pour l'action syndicale). La politique menée par les États-Unis au Vietnam était censée être une des raisons du rapprochement de ces trois syndicats. Pourtant, ils n'avaient rien d'autre à dire sur le sujet que : " Nous sommes favorables à la paix et à la fin de la guerre au Vietnam ". Meany répétait lui aussi qu'il était favorable à la paix et à la fin de la guerre ce qui l'amenait à soutenir la politique menée par Johnson pour y mettre fin !
Ce que ces pseudo-opposants à la guerre ne disaient pas n'était rien à côté de ce qu'ils ne faisaient pas. Ces bureaucrates syndicaux, qui savaient très bien prendre des initiatives à l'étranger et aux États-Unis quand il s'agissait de soutenir une guerre, n'avaient rien à proposer aux travailleurs américains pour leur permettre d'exprimer leur opposition déterminée à la guerre. Et pourtant, la bourgeoisie américaine, une nouvelle fois confrontée à des problèmes intérieurs, dut se résoudre à se retirer du Vietnam sans avoir gagné la guerre.
A bien des égards, la guerre du Vietnam fut une défaite pour l'impérialisme américain, sur la scène internationale et à l'intérieur du pays. Pendant toute la période qui suivit, les dirigeants américains furent contraints de bien mesurer, sur le plan économique et en matière de politique étrangère, ce qu'ils imposaient à la population.
Mais, dans les années quatre-vingt, les dirigeants américains se lancèrent dans une série d'interventions mineures (en particulier les invasions de Grenade et de Panama), comme s'ils voulaient habituer la population à l'idée qu'il y aurait d'autres guerres. Ces interventions militaires furent suivies du bombardement de la Libye, de l'envoi de " conseillers " militaires au Salvador, de troupes au Soudan et de soutien financier aux guérillas du Nicaragua, d'Angola et d'Afghanistan (où l'intervention américaine ne faisait que commencer). Enfin, il y eut la guerre du Golfe de 1991 qui fut une campagne de bombardements massifs plutôt qu'une guerre véritable avec des troupes au sol. Et ces bombardements n'ont pas cessé depuis cette date.
A chaque occasion, les dirigeants de l'AFL-CIO se montraient moins réticents que la bourgeoisie américaine. Ils étaient à chaque fois au premier rang, agitant des drapeaux, portant des rubans jaunes en signe de solidarité avec les soldats et débitant des insultes chauvines contre les peuples du monde entier.
Un "nouvel objectif"... Jusqu'à la prochaine guerre
Quand l'équipe Sweeney prit la direction de l'AFL-CIO en 1995, elle annonça un nouvel objectif pour les activités internationales de la centrale syndicale et le nouveau Conseil exécutif décida de transformer ses trois " instituts " d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie en un American Center for International Labor Solidarity (ACILS, Centrale américaine pour la solidarité internationale des travailleurs). En même temps, les nouveaux dirigeants de l'AFL-CIO recommandaient " que le financement de l'AFL ne soit pas lié à un contrôle du gouvernement sur ses activités à l'étranger ou à l'intérieur du pays ".
Mais rien n'était dit sur l'origine de ce financement. Et pour cause : l'ACILS continue à recevoir de l'argent des mêmes fondations qui finançaient les trois instituts régionaux de l'AFL-CIO. L'un des plus importants bailleurs de fonds de l'ACILS est la National Endowment for Democracy (NED, Fondation nationale pour la démocratie), elle-même financée par le département d'État. Il est difficile de croire que ce dernier finance l'ACILS sans exercer le moindre " contrôle " sur ses activités.
De toute manière, ces modifications superficielles ne constituent pas un changement de politique. Si Sweeney et consorts avaient rompu avec l'ancienne politique, ils auraient dénoncé le bombardement de l'Irak, qui n'a pas cessé depuis la fin de la guerre du Golfe. Au lieu de quoi, ils gardent un silence prudent, ce qui revient à donner leur accord tacite. Et même quand ils ont paru adopter une attitude indépendante vis-à-vis de Cuba attitude qui n'est pas très indépendante, si l'on en juge par le nombre de personnalités qui se sont rendues à Cuba récemment, à commencer par l'ancien président Jimmy Carter , ils l'ont fait en quelque sorte pour soutenir d'une autre manière le point de vue des États-Unis. Ils se disaient " touchés " par les souffrances du peuple cubain, mais les attribuaient au régime castriste, pas à l'embargo américain ou à la multitude des initiatives prises par les États-Unis pour saboter l'économie cubaine.
Une semaine après les attentats du 11 septembre, John Sweeney, président de l'AFL-CIO, et d'autres dirigeants syndicaux rencontraient un groupe de leaders du monde patronal, notamment Tom Donohue, président de la fédération des Chambres de commerce des États-Unis. A l'issue de cette réunion, ils ont conjointement annoncé une sorte de " trêve " Sweeney disant que les syndicats gelaient temporairement leurs préparatifs concernant certaines grèves importantes ou même la conduite de négociations dures, Donohue demandant aux patrons de ne pas licencier de travailleurs, même si la situation était difficile.
De toute évidence, les syndicats ont tenu parole et les patrons ont encore une fois manqué à la leur.
Mais cela n'a pas empêché l'AFL-CIO de se précipiter pour apporter son soutien à la guerre contre l'Afghanistan dès que Bush a envoyé ses bombardiers. Quelles que soient ses récriminations contre la façon dont Bush traite les syndicats à l'intérieur des États-Unis, l'AFL-CIO lui a donné un chèque en blanc non seulement pour s'en prendre au peuple afghan, mais pour se lancer aux quatre coins de la planète dans une guerre sans fin contre le " terrorisme ". Ce qui signifie, en outre, de nouvelles attaques contre les libertés civiques, par l'intermédiaire notamment de la loi dite " patriote " qui transforme en délit le fait de manifester contre la guerre. La réaction de Sweeney et des autres dirigeants de l'AFL-CIO a été de geindre, en se contentant de rappeler mollement à Bush que les États-Unis avaient été fondés sur le " respect " des libertés civiques sauf, bien sûr, quand des citoyens sont déterminés à s'en servir.
Leur réaction face à la guerre en Afghanistan montre qu'ils sont tout aussi inféodés à l'impérialisme américain que n'importe lequel de leurs prédécesseurs.
Des miettes qui coûtent cher
La politique de collaboration de classe proposée par Gompers lors de la guerre hispano-américaine s'est pleinement réalisée dans les décennies qui ont suivi, avec la Première puis la Deuxième Guerres mondiales, puis la guerre froide, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, la guerre contre l'Irak, qui continue depuis des années, et la guerre contre l'Afghanistan.
On pourrait dire que, du point de vue des appareils syndicaux, cette politique a été un succès. Les dirigeants en ont tiré des avantages : ils occupent des postes dans la société bourgeoise, ils ont acquis un certain prestige. Ils ont même été autorisés à se mêler à la bourgeoisie à l'occasion d'un dîner ou d'un voyage d'agrément. Ils ont obtenu quelques avantages matériels à distribuer à une partie de la classe ouvrière. Il ne s'agit que de miettes quand on les compare aux richesses accumulées par le grand capital américain, mais ces miettes ont été utilisées pour lier une partie de la classe ouvrière à l'impérialisme.
Par contre, pour la classe ouvrière dans son ensemble, cette collaboration de classe entre les syndicats et la bourgeoisie a été un désastre. La classe ouvrière n'a pas seulement servi de chair à canon dans les guerres de l'impérialisme ; aux États-Unis même, elle a été affaiblie et démoralisée dans sa lutte pour la défense de ses propres intérêts.
Pour reprendre les mots de Daniel DeLeon, les dirigeants syndicaux ne peuvent pas être les " lieutenants ouvriers du capital " dans le reste du monde et agir différemment aux États-Unis.
Ce qui est condamnable dans l'histoire centenaire des dirigeants syndicaux, ce n'est pas seulement le fait qu'ils ont soutenu les guerres de l'impérialisme, les coups d'État militaires, la torture, qu'ils ont brisé des grèves, etc. même s'il s'agit là d'infamies. C'est avant tout le fait d'avoir été un frein pour la classe ouvrière américaine, dans les périodes où elle était prête à s'opposer à la guerre et aux sacrifices que lui demandait la bourgeoisie. Ce sont autant d'occasions manquées, que la classe ouvrière continue à payer très cher.
Le 10 avril 2002