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Sur la situation politique en France
Les militants du PCF et la direction de leur parti
Certains camarades se sont demandé si cela valait la peine d'essayer de s'adresser plus systématiquement aux militants du PCF, par exemple en allant dans leurs réunions.
Nous n'avons pas d'illusions sur le fait de convaincre les militants du PCF et nous ne dirigeons pas notre activité vers eux. Nous ne demandons pas aux camarades de faire le tour de leurs réunions. En revanche, nous côtoyons les militants PC ou ex-PC dans les syndicats, dans les quartiers. On en rencontre de temps en temps qui veulent bien discuter avec nous lorsque nous organisons des journées d'activité dans telle ou telle commune. Dans un certain nombre de banquets et de fêtes de Lutte Ouvrière, il y a des militants PC qui viennent discuter, et bien sûr nous tenons à nous adresser à eux et à aller jusqu'au bout des discussions, sans rien cacher de nos critiques.
On ne les convaincra pas, on n'en fera pas des révolutionnaires. Mais il y a des militants du PC qui ressentent certaines choses comme nous. Il y en a qui sont préoccupés, comme nous, par la montée des idées réactionnaires, par l'influence croissante du FN dans la classe ouvrière. Certains se posent des questions ou se sentent désemparés et perdus.
Il faut leur montrer que ce n'est pas notre cas, que nous avons une politique, des perspectives. Parce que nous avons une politique à proposer aux travailleurs, celle de la lutte de classe. Il faut leur dire que ce ne sont pas les travailleurs qui ont tourné le dos aux idées portées depuis toujours par le mouvement ouvrier, ce sont les partis ouvriers eux-mêmes, le PS comme la direction du PC. Autant il n'y a aucune confiance à avoir dans ces ministres ou ex-ministres PS, PCF, etc., autant il faut faire confiance aux travailleurs, parce qu'ils se battront à nouveau, eux, ils n'auront pas le choix.
Il y a peut-être de moins en moins de militants du PC qui se retrouvent dans les références du mouvement ouvrier. Mais il faut essayer d'entraîner ceux qui y sont encore sensibles. Il faut leur dire que malgré nos divergences politiques, on pourrait se battre ensemble sur ce terrain.
Il faut profiter des occasions pour discuter, nous faire comprendre, voire en entraîner certains.
Participer ou non à des manifestations organisées par le PCF et le Front de gauche : une question tactique
Il y a eu trois manifestations à l'initiative du PCF et du Front de gauche : celle du 1er décembre 2013, une le 12 avril 2014 et la dernière en date, le 25 novembre. À chaque fois, la question d'y participer se pose. Mais c'est une question tactique.
Dans toutes ces manifestations il y a deux aspects contradictoires. Il y a les arrière-pensées politiques, que nous combattons, mais il y a aussi la volonté, pour tous ceux qui décident de manifester, d'exprimer un mécontentement, une colère et cela nous le partageons et nous voulons même l'encourager. Et il va sans dire que si la manifestation a de l'écho dans les entreprises, si nous apprenons dans les journées d'activité que nous organisons qu'elle va mobiliser largement, on a envie d'en être.
Ce n'était le cas d'aucune de ces manifestations. Même de celle du 1er décembre 2013. Mais le contexte politique n'était pas tout à fait le même alors. En décembre 2013, la direction du PC n'avait pas encore fait le grand saut dans l'opposition et il y avait pas mal de militants qui n'étaient pas à l'aise avec leur vote Hollande. Et on tenait à leur dire qu'ils avaient peut-être voté pour Hollande mais qu'ils n'avaient ni à justifier, ni à assumer la politique menée par Hollande. Que la première des choses, c'était justement de ne pas se sentir liés à ce gouvernement qui trahissait ouvertement les travailleurs. Cela correspondait à ce que beaucoup pensaient et avaient envie d'entendre, et cela facilitait la discussion.
Nous avons décidé de ne pas participer à celle du 25 novembre, parce que les retours d'information sur l'état d'esprit des travailleurs, via nos camarades d'entreprise et des groupes locaux de Lutte Ouvrière, étaient quasi inexistants, ce qui montrait que, même dans le milieu militant, l'appel n'était pas très mobilisateur. Et puis politiquement, maintenant que la direction du PC est dans l'opposition et s'affaire à construire son alternative, on a moins de possibilité de les toucher. Cela dit, on a tenu à y envoyer des camarades pour essayer de discuter, avec plus ou moins de réussite.
L'influence du Front national est-elle essentiellement électorale ?
Sur le FN, il y a eu beaucoup de questions, mais plusieurs ont réagi à la phrase suivante : « Pour le moment, les succès (du FN) se situent pour ainsi dire exclusivement sur ce terrain électoral. »
Oui, pour l'instant, la montée du Front national est un phénomène électoral, ce n'est pas un phénomène de mobilisation sociale. Le fascisme, en Italie puis en Allemagne, était un phénomène social. C'était la mobilisation de dizaines, de centaines de milliers de personnes qui étaient prêtes à agir contre les travailleurs, qui étaient prêts à faire le coup de main dans la rue contre les socialistes et les communistes. Les fascistes défilaient, tabassaient ceux qui ne leur faisaient pas allégeance, ils exerçaient une pression sur toute la société du simple fait de leur présence.
À une échelle moindre, on retrouve des bandes organisées comme cela en Hongrie, par exemple, ou en Grèce. Il n'y a rien de tel en France. On ne voit pas des groupes du Front national manifester ou défiler pour montrer leur force. Le Front national, parce qu'on parle là du FN, n'organise pas, pas encore du moins, de groupes pour faire le coup de main contre les clandestins, ou pour faire la police dans certains quartiers. Le FN n'organise pas des campagnes publiques pour se substituer aux aides sociales de l'État en distribuant des denrées de première nécessité, comme cela a pu se faire en Grèce.
On a voulu souligner ce fait-là. On sait qu'il y aurait des individus partants pour faire ce genre de choses, ces groupes identitaires basés à Lyon par exemple. Mais il n'y a pas pour le moment de dizaines de milliers de personnes prêtes à se lancer dans de telles vocations.
À un autre niveau encore, regardez dans les quartiers. Il y a peut-être ici et là des associations aux mains du Front national, mais pour l'instant, cela reste très peu visible. On est loin d'un quadrillage systématique du pays. Et si existence et relais militants il y a dans les quartiers, ils n'ont pas une ampleur comparable à ceux par exemple du Parti communiste jusqu'à une période récente.
Il est difficile pour les plus jeunes d'entre nous de l'imaginer, mais jusque dans les années 1980, il y avait plusieurs cellules du Parti communiste dans les grandes entreprises. Dans les usines, dans les quartiers, le Parti communiste avait des militants qui étaient reconnus, considérés. Ils animaient des kyrielles d'associations, cela allait des associations de parents d'élèves jusqu'aux associations de locataires en passant par les clubs de foot. Ils étaient présents et ils agissaient dans tous les aspects de la vie sociale.
Beaucoup de camarades anciens pourraient en témoigner : il est arrivé bien souvent de ne pas pouvoir aller proposer notre journal dans les immeubles de certains quartiers, car il suffisait de tomber sur un militant du Parti communiste tout en haut de la cage d'escalier pour qu'on soit viré de la barre HLM. Il ne nous est rien arrivé de tel avec le Front national, et pourtant des barres HLM, on en a parcouru un paquet pour les municipales !
Alors tout ça mesure, en creux, la quasi-absence du FN de la vie sociale. C'est au moment des campagnes électorales qu'on le voit surgir et que l'on prend conscience de son influence. Cela explique d'ailleurs qu'à chacune des élections, les succès du Front national font l'effet d'un coup de tonnerre quasi inexplicable aux yeux de beaucoup.
Sur le plan organisationnel, c'est difficile de le mesurer de l'extérieur, mais, y compris sur ce plan-là, le Front national se heurte encore à des limites militantes. Parce que voter, voire payer une adhésion, c'est une chose, s'engager pour être militant et donner de son temps à un parti, c'en est une autre. Pour le FN, tout cela est peut-être en train de changer mais la direction même du Front national ne cache pas ses difficultés à trouver des cadres, en tout cas des cadres qui tiennent la route, et sa présence aux municipales est un indicateur objectif.
En 2014, aux municipales, le FN a présenté des listes dans 585 villes. En 2008, il en avait présenté dans 75 villes. C'est un progrès spectaculaire. Mais on sait qu'il a essayé d'en faire d'autres dans certaines villes et qu'il a manqué de militants pour y arriver. Aux dires de Le Pen elle-même, présenter des candidats dans tous les cantons lors des élections de mars prochain reste un défi. Cela montre que le décalage entre les succès électoraux du Front national et son appareil militant persiste.
Aujourd'hui ce qui fait la grande force du FN, ce sont ses succès électoraux, parce que les succès électoraux en appellent d'autres. Plus le poids électoral du Front national grandit, plus cela le rend crédible aux yeux de ceux qui veulent contester. Le FN est le « vote utile » de tous ceux qui veulent sanctionner les partis classiques qui se sont succédé au gouvernement. Tout ça pour dire que l'expression « phénomène électoral » est le constat d'un processus en cours qui fait justement la force du FN.
Des camarades ont contesté cette phrase en trouvant qu'elle ne prenait pas la mesure de l'avancée du FN dans les consciences et qu'il s'agissait d'un phénomène plus profond qu'on ne le laissait entendre. Ce n'était absolument pas cela que l'on discutait. Loin de vouloir limiter l'influence ou amoindrir le danger que le FN représente, on a voulu en montrer les ressorts actuels, et ce sont presque exclusivement des ressorts électoraux.
Il y a une montée des idées réactionnaires, du racisme, de la misogynie, la montée des idées complotistes, l'image déformée de l'obscurantisme. Il y a encore la montée des idées religieuses et même de l'intégrisme. Le Front national chevauche cette vague réactionnaire, qui le dépasse dans une large mesure, et qu'il contribue lui-même à alimenter.
Cette montée réactionnaire s'incarne dans différents mouvements, dans les associations du style La Manif pour tous, ou encore SOS éducation qui se fait le censeur contre les prétendues dérives pornographiques de la société et qui a milité contre les ABCD de l'égalité. Dans ces associations, il y a peut-être des militants du FN, mais elles ne sont pas les produits du FN.
Dans le même registre, il y a aussi les idées de Dieudonné et de Soral. Elles sont le dernier avatar en date des idées réactionnaires qui commencent à pénétrer dans le monde ouvrier. Mais l'antisémitisme, le racisme, la misogynie, les préjugés religieux, l'individualisme, les comportements de voyous ont toujours existé dans la classe ouvrière. Il y a toujours eu des petits chefs et même des ouvriers d'extrême droite. Ils ont bien souvent servi de nervis au patronat.
Aujourd'hui, ces idées sont portées par des jeunes des quartiers, par des jeunes beurs qui croient exprimer par là un rejet de l'ordre établi mais qui sont fondamentalement sans principes, racistes et individualistes. Les liens avérés entre Dieudonné et la famille Le Pen ne les gênent pas parce que les idées de Soral ou de Dieudonné recouvrent la même logique xénophobe que celle du FN.
C'est peut-être un phénomène qui prend une forme nouvelle, mais c'est le même processus. En l'absence d'organisations ouvrières et de mouvement ouvrier actif, ce sont les réflexes et les idées les pires qui ressortent. En l'absence de conscience de classe, ce sont les idées et les comportements du lumpenprolétariat qui l'emportent.
On n'a pas plus à dire sur tels ou tels. Tous contribuent à alimenter les idées réactionnaires. Et politiquement, c'est le FN qui tire les dividendes de cette mixture réactionnaire.