Sidérurgie lorraine -Des de Wendel à Mittal : l’enrichissement ininterrompu des grandes familles bourgeoises05/11/20122012Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2012/11/147.png.484x700_q85_box-7%2C0%2C590%2C843_crop_detail.jpg

Sidérurgie lorraine -Des de Wendel à Mittal : l’enrichissement ininterrompu des grandes familles bourgeoises

L'annonce de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange a refait parler de la sidérurgie lorraine et ce qui se passe dans cette vallée de la Fensch est assez représentatif de l'évolution de cette industrie. Le site de Florange s'étend sur plusieurs kilomètres et plusieurs communes. C'est le dernier site sidérurgique intégré de Lorraine qui comprend laminoirs, aciérie, cokerie, agglomération et hauts-fourneaux. Il ne restait plus que deux hauts-fourneaux, le P3 et le P6, sur les six qui ont été construits au début du 20e siècle et reconstruits ensuite dans les années 1950.

Dans le cadre du plan Monnet de 1946, le gouvernement prévoyait une importante augmentation de la demande d'acier, notamment des aciers plats pour l'industrie automobile et l'électroménager. Pour répondre à ces besoins, il aida les patrons de la sidérurgie à réaliser à Florange une grande usine fabriquant exclusivement des tôles minces, d'une capacité d'un million de tonnes par an.

C'est ainsi que plusieurs groupes de l'acier, dont les de Wendel, créèrent la Sollac (Société lorraine de laminage continu), une usine géante alimentée par les hauts-fourneaux de la vallée de la Fensch. La Sollac a été absorbée en 1990 par le groupe nationalisé Usinor-Sacilor. Privatisé en 1995, Usinor fusionna avec deux autres groupes européens pour donner naissance à Arcelor en 2002, racheté par Mittal Steel quatre ans plus tard pour faire ArcelorMittal, le numéro Un mondial de l'acier.

À défaut de faire la fortune de la région lorraine, dévastée par les fermetures d'usines, la sidérurgie a fait la fortune de ses propriétaires successifs. Les de Wendel sont aujourd'hui la quarante-huitième fortune du pays avec près d'un milliard d'euros. Mittal est encore plus riche. Avec 20,7 milliards de dollars, c'est la vingt-et-unième fortune de la planète et la première de Grande-Bretagne. Voilà les gens qui éteignent les hauts-fourneaux.

Les de Wendel : une famille en or

L'histoire de cette famille qui compte aujourd'hui plus de 900 héritiers ne manque pas d'intérêt. Venant de Bruges, les de Wendel se sont installés en 1704 en Lorraine, où il y avait abondance de bois nécessaire pour chauffer et réduire le minerai (il fallait 1,5 tonne de bois pour fabriquer une tonne de fonte) et aussi d'eau pour faire fonctionner les soufflets qui permettaient d'atteindre la bonne température. Le charbon ne remplaça le bois qu'à la fin du 18e siècle et la minette de Lorraine, un minerai relativement pauvre en fer mais très abondant et peu profond, ne fut utilisée qu'au 19e siècle. Anoblis en 1727, les de Wendel firent fortune en vendant à Louis XV des boulets de canon. Après la Révolution de 1789, ce fut l'exil dont ils rentrèrent en 1802, à la suite de l'amnistie décrétée par Bonaparte. Avec l'aide d'un banquier, Seillière - déjà ! - ils reprirent possession de leurs propriétés. Les guerres napoléoniennes furent une aubaine pour les affaires des de Wendel. Ils fournirent à Napoléon de quoi ensanglanter l'Europe. En 1807, François de Wendel se retrouva maire d'Hayange, puis il entra au Conseil général de la Moselle, début de carrières politiques fructueuses pour les intérêts des de Wendel et de leurs descendants.

Avec la révolution industrielle, la production de fer fit des bonds. Elle passa de 4 200 tonnes en 1828 à 112 500 tonnes en 1869. La construction des chemins de fer arrondit encore la fortune des maîtres des forges. En 1870, l'ensemble des propriétés des de Wendel se retrouvaient dans la partie de la Lorraine annexée par l'Allemagne à la suite de la guerre franco-prussienne. Qu'importe ! Des de Wendel, dont Henri, prirent la nationalité allemande pour continuer à diriger le groupe depuis Hayange annexé. Henri se fit élire au Reichstag tandis qu'un autre de Wendel siégea à l'Assemblée nationale.

En 1880, ils construisirent de nouveaux hauts- fourneaux à Jœuf, côté français, avec la participation de Schneider, Seillière et de Demachy, qui allait devenir la banque du groupe. À Jœuf, des forages mettaient à jour le bassin ferrifère de Briey, le plus important d'Europe, que les de Wendel allaient surexploiter. Trois milliards de tonnes de minerai furent extraites du sous-sol lorrain en un siècle et demi ! Cadeau des de Wendel aux habitants de Jœuf, où les usines ont été fermées, 95 % du territoire de la commune est classé en zone d'effondrement minier à cause de la trop grande voracité des propriétaires des mines de fer qui ont beaucoup trop exploité le sous-sol.

La guerre de 1914-1918 fut une époque bénie pour les maîtres des forges : chaque combattant « consommant » trois tonnes d'acier par an. En 1916, François de Wendel, qui se vantait d'être un grand patriote, demanda dans une lettre à l'état-major français que l'on évite de bombarder la zone de Briey en Lorraine, en territoire occupé par les Allemands, pour épargner les usines sidérurgiques de la famille. De fait, ces usines, où se fabriquaient pourtant des obus pour l'armée allemande, ne furent pas bombardées. Les de Wendel connurent entre les deux guerres un véritable âge d'or. En 1930, ils faisaient produire par leurs ouvriers le quart de l'acier fabriqué en France. La famille menait très grand train : une des filles fit reconstruire en Touraine une réplique du château de Chambord. En 1925, Maurice de Wendel, lui, fit décorer dans son hôtel particulier du Quai des États-Unis à Paris une salle de bal art déco en or blanc (elle est aujourd'hui visible au Musée Carnavalet).

Cet âge d'or ne s'arrêta jamais, malgré deux guerres mondiales, malgré les crises qui firent des dégâts dans la population, mais pas chez les patrons de la sidérurgie organisés au sein du fameux Comité des forges qui s'était encore opposé en 1912 à l'abolition du travail des enfants et à la limitation à 10 heures de la journée de travail.

De 1945 à 1981 : l'aide accrue de l'état

Après la Seconde Guerre mondiale, l'État servit encore davantage de béquille aux sociétés sidérurgiques au travers des plans de modernisation successifs, de prêts à très faibles taux d'intérêt ou en finançant d'importantes infrastructures comme la canalisation de la Moselle, la construction du port de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et de Dunkerque (Nord) ou la mise à grand gabarit du canal Dunkerque-Denain.

Pour les travailleurs, cette époque, appelée bien abusivement les Trente glorieuses, fut celle d'une intense exploitation. En 1950, dans la sidérurgie, la durée du travail était de 62 heures par semaine contre 44 heures en 1938 avant guerre. Pour le seul bassin de Longwy, il y eut 24 accidents mortels du travail en 1949 dans la sidérurgie et, dans les mines du bassin lorrain, 54 morts en 1954. La répression patronale battait également son plein. En 1950, après trois semaines de grève chez de Wendel, 52 militants syndicaux furent licenciés. On licencia encore 41 ouvriers en 1955 lors d'une grève pour les salaires et la sécurité à Homécourt en Meurthe-et-Moselle. En 1963, près de la moitié des ouvriers, 258, de la mine Sancy à Trieux fut licenciée.

Du côté de l'emploi, l'effectif ouvrier dans les usines sidérurgiques atteignit 131 000 en 1960 pour toute la Lorraine. Dans les mines de fer, toujours en 1960, 23 594 mineurs étaient employés, avec une productivité multipliée par deux... en moins de six ans. À partir des années 1960, les plans de licenciements se succédèrent. Dans les mines de fer, les effectifs passèrent de 23 594 en 1960 à 13 058 en 1967. En 1967, ce fut le plan Ferry dans la sidérurgie. Il prévoyait 24 000 suppressions d'emplois dont 16 000 en Lorraine. À Thionville, 3 000 emplois étaient liquidés sur les 4 150 de l'usine, à peine un an après que la direction eut juré, la main sur le cœur, que l'usine ne serait jamais fermée. Puis vint le plan de conversion de Wendel-Sidelor en 1971. Il prévoyait 16 000 nouvelles suppressions d'emplois et la construction de l'usine de Fos. Une usine offerte aux maîtres de forges : selon la CFDT, ils n'ont payé que 8 % des 14 milliards de francs qu'a coûtés sa construction.

En 1977, le plan acier de Barre prévoyait encore 16 000 suppressions d'emplois pour les deux années suivantes. Des prêts participatifs à des taux défiant toute concurrence de 0,1 % furent accordés à la sidérurgie... à une époque où l'inflation était à plus de 9 % ! Mais à peine était-il mis en route, que fut lancé un nouveau plan de « sauvetage » d'une sidérurgie qui serait en faillite. Comme l'écrivait Le Monde le 20 septembre 1978, « les sociétés sidérurgiques françaises passent sous le contrôle de l'État et des grandes banques ». Il s'agissait d'une quasi-nationalisation, les dettes des patrons de la sidérurgie étant transformées en prise de participation.

Tous ces plans de suppressions d'emplois provoquèrent chez les travailleurs bien des réactions qui permirent d'en atténuer les effets. À la suite des plus célèbres des révoltes ouvrières de la sidérurgie, celles de Denain et de Longwy en 1979, les travailleurs obtinrent des primes de départ plus importantes, des dispenses d'activité à partir de 50 ans ou encore des congés de formation de deux ans. Toutes choses qui furent reprises petit à petit une fois la colère ouvrière passée.

L'État s'était substitué aux patrons privés en prenant à sa charge la fermeture des usines et la modernisation de celles qui restaient. C'est la collectivité qui a tout payé, laissant intacte la fortune personnelle des patrons de la sidérurgie.

1981-1995 : de la nationalisation des pertes à la privatisation des profits

En 1981, la gauche arrive au pouvoir. Le nouveau gouvernement comporte quatre ministres communistes. Mitterrand fait une tournée en Lorraine où il affirme que désormais plus un seul emploi ne sera supprimé sans qu'un autre n'ait été créé auparavant. L'année suivante, la sidérurgie est nationalisée entérinant le plan Barre de 1978.

Mais dès l'été 1982, un nouveau plan acier concernant les aciers spéciaux est annoncé. Il prévoit 12 000 suppressions d'emplois et l'État apporte 21 milliards de francs pour moderniser les usines. C'est le début de la fin de l'usine de Pompey avec ses 4 000 emplois dans le bassin de Nancy. Début mars 1984, le Conseil des ministres, ministres PCF compris, entérine une révision du plan acier avec 21 000 nouvelles suppressions d'emplois et 30 milliards de dotations supplémentaires à la sidérurgie regroupée dans un seul ensemble Usinor-Sacilor. Il signe la fin de la sidérurgie à Longwy.

Mitterrand, lors d'une conférence de presse début avril, explique que « devant cette masse de milliards dépensés depuis 1966 il fallait s'arrêter à un moment donné ». Pas question pour le « socialiste » Mitterrand de demander aux patrons de la sidérurgie d'hier de rendre un centime des 110 milliards que l'État a engloutis dans les différents plans de sauvetage. Dans tous les bassins touchés, c'est l'indignation, la colère et le désespoir : ce n'est plus la droite qui licencie, mais la gauche. Et le PS a le soutien de la direction du Parti communiste dont les députés, en mai 1984, votent à l'Assemblée la confiance au gouvernement. Un mois plus tard, après des résultats catastrophiques aux élections européennes de juin, le PCF quitte le gouvernement à l'occasion du remplacement de Mauroy par Fabius à Matignon. Mais il a cautionné le plan acier de 1984 que sa présence au gouvernement a contribué à faire accepter.

Un sentiment de trahison domine et les militants sont désorientés à l'annonce du plan de 1984. La mobilisation est importante en Lorraine et dans le Nord, où les organisations syndicales encadrent le mouvement mais ne cherchent pas à en faire un mouvement général des travailleurs contre le chômage alors que les licenciements touchent les secteurs industriels.

Dix ans plus tard, en 1994, la sidérurgie renoue avec les bénéfices, et l'année suivante, la droite revenue au pouvoir engage la reprivatisation d'Usinor-Sacilor. Elle rapportera un peu plus de dix milliards à l'État, alors que le groupe est évalué à vingt milliards de francs. Nouveau cadeau aux actionnaires ! La privatisation est totale en 1997 où c'est un gouvernement socialiste, dirigé par Jospin, qui boucle la boucle et vend les 7,7 % du capital d'Usinor-Sacilor que l'État détient encore.

Au total, de 1980 à 1999, les effectifs de la sidérurgie ont été divisés par 3,4 mais la production d'acier brut, elle, n'a diminué que de 13 %. Les gouvernements, de gauche et de droite, ont remplacé les patrons défaillants. Ils ont investi l'argent public pour moderniser les installations, continuant de supprimer massivement des emplois afin de redonner à des actionnaires privés des usines rentables d'un point de vue capitaliste.

De l'acier à la finance... toujours de l'or

Mais depuis la prise de participation de Barre suivie de la nationalisation en 1982, que sont donc devenus les de Wendel ? Ils vont bien, très bien même. En fait, cela faisait des années qu'ils comptaient se retirer de la production d'acier. À la fin des années 1960, c'était l'euphorie chez les patrons. Le résultat brut d'exploitation de la sidérurgie passa de 11,73 % du chiffre d'affaires en 1968 à 24,13 % en 1970.

Une partie des entreprises de la famille de Wendel étant lourdement endettée, elle les avait mises à part. Elle avait ainsi refusé au gouvernement Barre, en 1977, d'intégrer les Forges et Aciéries de Dilling en Sarre, très bénéficiaires, dans l'ensemble Sacilor. Le gouvernement a eu beau insister, rien n'y avait fait. C'est ainsi qu'ont été regroupés d'un côté Sacilor et les activités sidérurgiques à l'avenir incertain, et de l'autre un certain nombre de sociétés fort rentables des de Wendel comme Creusot-Loire, Carmaud SA, les forges de Gueugnon, les Forges d'Allevard, des sociétés fabriquant des ressorts, des cimenteries, la banque Demachy, le holding hollandais ORNAS etc. Pour chapeauter le tout, ils créèrent un holding financier, la CGIP (Compagnie Générale d'Industrie et de Participation). Plus tard, en 2003, la CGIP se transformera en Wendel Investissement et, après la fusion avec un autre holding de la famille, Marine-Wendel, elle devint en 2007 Wendel tout court.

Wendel est une « société d'investissement ». Loin d'investir en créant des usines, elle achète ou vend des entreprises existantes selon les bonnes affaires qu'elle espère y faire. Bref, elle spécule. Wendel est contrôlé à 35 % par un autre holding Wendel Participations, l'ex-Société lorraine de participations sidérurgiques SLPS, qui regroupe les 900 héritiers de la famille. Une famille qui aime beaucoup ces montages tortueux de holdings qui permettent de dissiper un épais brouillard sur la réalité de leur fortune.

Deux héritiers directs de Wendel, François et Hubert, sont membres du conseil de surveillance. Cela n'occupe pas Hubert à temps plein puisqu'il est aussi directeur financement-trésorerie et trésorier du groupe Total. Le conseil est présidé par Ernest-Antoine Seillière de Laborde. C'est le fils du banquier Jean Seillière de Laborde, fondé de pouvoir des Charbonnages de la Maison de Wendel avant la Seconde Guerre mondiale, et de Renée de Wendel, fille de Maurice. Les ancêtres Seillière de Laborde ont été impliqués dans le détournement d'une partie du trésor de la Régence d'Alger lors de la colonisation en 1830. Un cinquième seulement de ce trésor évalué à 250 millions aurait atterri dans les caisses de l'État, le reste remplissant discrètement les caisses privées du roi Louis-Philippe, de la duchesse de Berry, de hauts gradés de l'armée ainsi que des banquiers et des industriels comme les Seillière et les Schneider.

Aujourd'hui en retraite, Seillière gagne 763 407 euros de pension (chiffre de 2010 selon Les Échos), à quoi s'ajoutent 229 457 euros de jetons de présence dans les conseils d'administration et autres rémunérations. Car Seillière est aussi administrateur de Bureau Veritas, de Wendel-Participations dont il est président d'honneur et membre du conseil de surveillance de Peugeot SA et d'Hermès International. En septembre dernier, après vingt ans de présence, il vient de quitter le conseil d'administration de Sofisamc SA, inscrite au registre du commerce de Bâle. Encore une société d'investissement qui goûte au charme discret de la Suisse !

Le baron Seillière a présidé le Medef de 1997 à 2005. Et il faut toute la morgue de ce grand bourgeois pour oser dire après les manifestations ouvrières de mars 2005 : « Les salariés de France dépensent trop. Est-il nécessaire qu'aujourd'hui les salariés achètent un téléphone portable à leur femme ou à leurs enfants ? »

Mais il ne craint pas la gauche. Il connaît bien Lionel Jospin avec qui il partagea comme haut fonctionnaire un bureau au ministère des Affaires étrangères et qu'il tutoyait. Interrogé avant la dernière présidentielle par Les Échos : « Craignez-vous François Hollande ? », le baron répond tranquillement « Non ! Parce que la feuille de route du prochain quinquennat s'imposera : le désendettement et la compétitivité. »

Droite ou gauche, le groupe Wendel continue à produire de l'or pour ses actionnaires. Il a un portefeuille d'actions dans les sociétés Bureau Veritas, Stahl, Parcours, Saint-Gobain, Legrand, Materis... Ses résultats à fin août sont éloquents : un résultat net en hausse de 60 %, à 725 millions d'euros, une trésorerie solide de 874 millions.

Un récent reportage dans Complément d'enquête sur France 2, intitulé « une famille en acier », montrait la vie de quelques héritiers, pas les plus connus ni les plus riches. Ainsi le baron Jean-Baptiste de Montrémy vit dans un confortable 250 m2 d'une valeur de 2 millions d'euros, dans le 16e arrondissement de Paris. Questionné sur les revenus que lui procurent ses parts dans Wendel, il prétend un peu gêné que cela lui rapporte environ 5 000 euros par mois, net d'impôts, sans lever le petit doigt. Et ils sont plus de 900 héritiers de Wendel !

Wendel... ton univers impitoyable

Tout irait bien pour cette grande famille, sauf qu'une cousine, Sophie Boegner, n'est pas contente du tout de la façon dont Seillière gère l'affaire, estimant qu'il croque une part trop grosse du gros gâteau. En 2007, au moyen d'un montage financier tarabiscoté et pour le moins opaque, 14 dirigeants de Wendel ont gagné 324 millions d'euros. Cela n'a pas plu à la cousine qui a porté l'affaire en justice, rejointe par l'ancien directeur juridique licencié. Le parquet de Paris conclut à un non-lieu dans cette affaire en août 2011. Dans son ordonnance, le juge Van Ruymbeke affirme que si les dirigeants de Wendel ont réalisé « des gains très importants » lors de la réorganisation du capital du groupe, « ce seul fait ne peut permettre de caractériser des abus de biens sociaux ».

Après cette affaire, le directeur de Wendel et protégé de Seillière, Lafonta, a été licencié avec une prime de 955 000 euros. Cela lui laisse de quoi voir venir d'autant que son passage chez Wendel lui aura permis, en huit ans, de s'enrichir de cent millions d'euros selon Médiapart. Qu'est-ce que cela doit-être pour les actionnaires ! Mais, pour Seillière, il y a pire que la cousine : il y a le fisc ! De nouvelles poursuites sont en cours, l'administration fiscale jugeant que les 14 dirigeants se seraient « volontairement soustraits au paiement de l'impôt ». L'administration fiscale relève « des infractions fiscales graves et intentionnelles consistant en la minoration de la déclaration d'ensemble des revenus de l'année 2007 ».

En effet, Wendel aurait proposé d'indemniser discrètement ses anciens collaborateurs et même de financer le montant d'un éventuel redressement fiscal, si le pot aux roses était découvert. C'est le directeur juridique licencié qui a dévoilé cela au tribunal lors du procès Boegner. Cette indemnisation se serait faite, par le truchement de Trief Corporation SA, une des nombreuses filiales de Wendel situées au paradis fiscal du Luxembourg. Voilà qui fait désordre. Les quatorze ont été perquisitionnés fin septembre. Ils risquent cinq ans de prison et 500 000 euros d'amendes, sans compter un redressement fiscal de 200 millions d'euros. L'avenir dira si ces plaintes aboutissent ou si Seillière et ses complices passeront au travers des mailles du filet. Car ce sont des gens qui ont le bras long. La famille compte ainsi dans ses rangs Françoise de Panafieu, ex-ministre de Chirac, fille d'un ex-ministre de De Gaulle, François Missoffe, Yves Guéna, ancien président du Conseil constitutionnel, ou Jean François-Poncet, ancien ministre de Giscard, etc.

Et dire que Seillière s'est toujours vanté de payer des impôts en France ! Sans doute voulait-il parler des seuls revenus qu'il déclare...

Mittal : la constitution d'un empire grâce aux privatisations

Si la famille Mittal n'a pas le même parcours que les de Wendel, son histoire, celle d'une grande famille s'enrichissant dans l'industrie de l'acier, avec l'aide de l'État et sur le dos de la collectivité, est finalement ressemblante.

L'origine indienne de Mittal est souvent mise en avant, avec une teinte de xénophobie, quand ses méfaits sont dénoncés. Mais Lakshmi Mittal est avant tout un grand bourgeois habitant une somptueuse demeure à Kensington au cœur de Londres. Une résidence de 12 chambres avec un garage de 20 places, acquise pour 128 millions de dollars ! La plus grosse transaction immobilière jamais enregistrée dans la capitale britannique selon Les Échos. Mittal a aussi le sens de la famille, n'hésitant pas à dépenser 55 millions d'euros pour le mariage de sa fille Vanisha en 2004, le mariage le plus coûteux de tous les temps. Fils d'un industriel de l'acier, il a commencé sa carrière en dirigeant la branche indonésienne des affaires de son père, en 1976. Dirigeant Ispat Industries, Mittal a fait fortune en rachetant à bas prix des usines sidérurgiques au bord de la faillite ou lors des nombreuses privatisations des années 1980-1990.

En janvier 1992, le groupe Ispat remporte officiellement les enchères lors de la privatisation d'une grosse usine sidérurgique au Mexique. En 1996, il met la main pour 300 millions de dollars (plus un dessous-de-table de 100 millions) sur le combinat de Termirtau au Kazakhstan ex-soviétique qui emploie 55 000 travailleurs. Ce combinat représente 10 % du PNB du pays avec des mines où 112 mineurs sont morts dans des accidents du travail entre 2004 et 2008. Un ancien mineur devenu syndicaliste, Pavel Shumkin, explique : « Les mineurs sont tous d'accord : si l'on compare avec la vie aujourd'hui avec Mittal, ils pensent que tout était mieux au temps des Soviets », tandis qu'un employé déclarait au Times : « Les pressions auxquelles nous soumettent les dirigeants locaux pour atteindre leurs objectifs et toucher leurs bonus sont de plus en plus stressantes. Nous sommes exploités comme des animaux. »

Mittal a fait main basse également sur le complexe d'Annaba en Algérie et d'autres en Irlande, en Afrique du Sud, aux États-Unis, en Pologne ou en Roumanie, là avec le soutien de Tony Blair en échange d'un petit cadeau de 125 000 livres pour la campagne du Parti travailliste, ce qui fit scandale en 2002. Fin 2004, Mittal acquiert le groupe américain International Steel Group et fusionne Ispat avec LNM Holding, société néerlandaise, dont il détient 77 % du capital, pour créer Mittal Steel Company, le premier producteur mondial d'acier.

Arcelormittal, numéro un mondial de l'acier

Deux ans plus tard, il lance une OPA contre le groupe Arcelor, issu de la fusion de trois groupes sidérurgistes européens, l'Arbed luxembourgeois, l'espagnol Aceralia et le français Usinor-Sacilor. Le siège du nouveau groupe ArcelorMittal est situé au Luxembourg, dans le château qui servit de siège social à l'Arbed puis à Arcelor.

ArcelorMittal emploie 257 767 travailleurs, dont 96 638 dans l'Union européenne. Selon Les Échos, Lakshmi Mittal a vu sa rémunération doubler cette année, lui qui siège également au conseil d'administration de la banque d'affaires Goldman Sachs, ou encore de l'entreprise de défense EADS. Malgré la crise, le groupe se porte pas mal du tout. Au 31 décembre 2011, ArcelorMittal disposait d'une trésorerie de 9,5 milliards d'euros. Il a fait l'an dernier 1,7 milliard d'euros de bénéfices. Certes, c'est loin des 7,9 milliards de 2007, mais en cinq ans, il a accumulé 19 milliards d'euros de bénéfices nets.

ArcelorMittal possède principalement trois gros centres de production en France : le plus gros Dunkerque, qui peut fabriquer 7 millions de tonnes d'acier par an, suivi par Fos avec 4,5 millions de tonnes et Florange, 2 millions de tonnes. Dès novembre 2008, face à la crise économique et à la baisse de la demande venant de l'industrie automobile, ArcelorMittal annonce la fermeture « provisoire » de 13 des 25 hauts-fourneaux qu'il possède en Europe. Certains seront rallumés, d'autres définitivement éteints comme ceux de Liège et de Florange.

Ce sont les plus petits hauts-fourneaux que Mittal choisit de fermer ainsi que ceux situés loin des côtes où arrivent par bateau minéralier - le plus gros peut transporter 400 000 tonnes de minerai - le fer et le charbon nécessaires à la production d'acier. Inutile de dire que les hauts- fourneaux restant en activité fonctionnent à plein régime, à la limite de leurs capacités, les travaux de maintenance y étant réduits a minima.

La baisse des effectifs est continue depuis la création du groupe ArcelorMittal. De 334 000 salariés en 2005, il n'en reste plus aujourd'hui qu'un peu moins de 260 000 ! Soit 76 000 emplois liquidés en sept ans dans le monde, plus de 10 000 par an.

2008 : la fermeture de Gandrange

Bien avant la constitution d'ArcelorMittal, Ispat avait mis la main en 1999 sur les installations de Gandrange-Rombas. En 2008, Mittal annonce la fermeture de l'aciérie avec près de 600 suppressions d'emplois directs ; il faut compter au moins autant d'emplois de sous-traitants. Énorme complexe intégré de 14 000 travailleurs dans les années 1970, l'usine de Gandrange a été transformée en aciérie électrique sous la houlette de l'État pendant la nationalisation avec des milliers de suppressions d'emplois. Aujourd'hui, il ne reste plus que 300 travailleurs sur les laminoirs.

Le 4 février 2008, Sarkozy vient à l'intérieur de l'usine, qui compte encore un millier de travailleurs, affirmer qu'« avec ou sans Mittal, l'État investira dans Gandrange ». La mise en scène de sa venue avait été bien huilée, des sidérurgistes étaient présents sur scène, derrière lui pour la télé. On allait voir ce qu'on allait voir ! Mais Mittal n'a eu que faire des rodomontades de Sarkozy et l'aciérie a été fermée un an plus tard. À Gandrange aussi, a été jouée la comédie d'un possible repreneur. Mais Mittal n'en voulait pas : pas question de laisser la place à un concurrent. Quant aux travailleurs de Gandrange, la plupart ont pu se reclasser dans les autres usines, au Luxembourg et surtout à Florange. Les intérimaires et les sous-traitants, eux, se sont retrouvés à Pôle emploi.

Après Gandrange, a débuté le mauvais feuilleton de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange. En mai 2012, Hollande a remplacé Sarkozy, mais sans que rien ne change dans le scénario.

Florange : une mort programmée

Du temps d'Arcelor, la direction avait programmé la fin des hauts-fourneaux de Florange pour 2010. Le boom de l'acier a permis à Mittal d'y gagner pas mal d'argent, sans investir un centime, la dernière rénovation remontant à 1996 pour l'un et 1998 pour l'autre. Car même s'ils sont relativement petits par rapport à ceux de Fos et Dunkerque, les hauts-fourneaux de Florange sont très rentables. Selon le rapport Faure, rédigé cet été à la demande du gouvernement Hollande sur la situation du site, « Florange se situait en 2008, lorsque les hauts-fourneaux fonctionnaient à pleine capacité, parmi les trois sites du groupe ArcelorMittal les plus performants en termes de coûts de production » et de conclure que Florange est « fiable, viable et rentable » en tant que site intégré. Comme le faisait remarquer un syndicaliste CGT, c'était le troisième rapport qui dénonçait « la stratégie financière de court terme du groupe mise en œuvre pour tenter de maintenir le cours de l'action ».

De novembre 2008 jusqu'en 2011, les hauts-fourneaux de Florange seront éteints et rallumés selon la demande du marché, ce qui a eu pour conséquence de délabrer les installations : on n'allume pas un haut-fourneau comme une gazinière, les chauds (la température y monte jusqu'à 1 600 degrés) et froids successifs faisant des dégâts dans des installations conçues pour une marche continue. Mais là n'était pas le problème de Mittal qui ne cherche pas à produire de l'acier... mais de l'argent, quitte à produire moins d'acier mais à le vendre plus cher.

Gagner de l'argent... à ne pas produire !

En mettant ses installations à l'arrêt, Mittal gagne de l'argent. D'une part, le chômage partiel, grâce aux accords dits d'APLD (Activité partielle de longue durée), lui a rapporté 4,2 millions depuis 2009 en faisant prendre en charge les salaires par la collectivité. D'autre part, les industriels disposent de quotas d'émission de CO2. En 2007, ArcelorMittal a obtenu une rallonge de ses quotas de 4 millions de tonnes, menaçant - déjà ! - de fermer Florange s'ils ne lui étaient pas accordés. Quand les usines ne fonctionnent pas, elles n'émettent pas de CO2. Mais les entreprises bénéficient toujours de leurs quotas qu'elles peuvent revendre sur le marché. Sur les deux années 2010-2011, ArcelorMittal a ainsi touché 233 millions de dollars grâce à la revente des droits à polluer. « C'est un vrai scandale que nous dénonçons depuis plusieurs années », s'indigne Édouard Martin de la CFDT cité par Le Monde. « Cela veut dire qu'ArcelorMittal gagne autant voire plus d'argent en arrêtant ses hauts-fourneaux qu'en les faisant fonctionner. On marche sur la tête ! »

Mais cela montre aussi que les pouvoirs publics qui financent le chômage partiel, qui permettent à Mittal de bénéficier de l'argent des quotas de CO2, auraient bien des moyens de pression contre Arcelor. À condition de le vouloir, ce qui n'est pas plus le cas de Hollande que de Sarkozy.

Depuis des années, tous les hommes politiques de Lorraine font grand tapage en faveur de la réalisation du projet ULCOS (Ultra Low CO2 Steelmaking), rassemblant l'ensemble des patrons de la sidérurgie ainsi que des organismes de recherche, en expliquant que la réalisation du projet obligerait Mittal à maintenir Florange. Le projet ULCOS consiste à capturer le CO2 qui sort des hauts-fourneaux - 1,85 tonne de CO2 dégagée par tonne d'acier produite - puis à le stocker dans des couches géologiques profondes. Le réchauffement climatique étant d'actualité, ce projet permettait de faire passer dans l'opinion ce qui n'était en fait que de nouvelles aides publiques à ArcelorMittal.

Car la réalisation de ce projet coûte fort cher, plus de 600 millions d'euros. Comme toujours, les industriels n'auraient pas à payer grand-chose, même si ce sont eux qui en tireraient principalement avantage car une partie des gaz captés à la sortie du haut-fourneau seraient réutilisés, permettant de réduire la consommation d'énergie de 10 % et celle de coke de 25 %. Plus des trois quarts (77,3 %) du coût du projet ULCOS devaient être pris en charge par les pouvoirs publics, moins d'un quart (22,7 %) par les industriels. Mais tout le monde se fait tirer l'oreille pour mettre au pot. Et surtout, le projet tombe à l'eau si Arcelor éteint ses hauts-fourneaux.

Un arrêt temporaire... qui devient définitif

Mi-2011, un nouvel arrêt « provisoire » des deux hauts-fourneaux est à nouveau annoncé. Au même moment, la direction programmait des travaux importants dans la gare interne qui permet d'acheminer davantage d'acier produit ailleurs. Autrement dit, ArcelorMittal avait en réalité déjà fait le choix d'arrêter définitivement les hauts-fourneaux et l'aciérie de Florange, tout en mentant quand il prétendait le contraire.

L'intersyndicale de Florange n'a pas ménagé ses efforts pour dénoncer la fermeture programmée du site, promettant pendant la campagne d'être « le cauchemar de Sarkozy » sous l'œil bienveillant du PS et des mairies socialistes environnantes qui ont apporté leur soutien logistique. Mais la mobilisation n'a jamais réussi à entraîner une proportion importante des travailleurs du site, une partie d'entre eux étant au chômage partiel, une autre espérant les départs en retraite, d'autres encore comptant sur une mutation dans les usines luxembourgeoises du groupe, voire à Fos ou à Dunkerque. Et, surtout, la grande majorité des travailleurs ont l'impression d'être impuissants face aux fermetures d'usines, ce qui est particulièrement ressenti en Lorraine où, en 40 ans, toutes les mines de fer, puis de charbon, ainsi que l'essentiel des usines sidérurgiques ont été fermées. Une minorité de travailleurs du site s'est mobilisée contre la fermeture et a multiplié les actions, de la marche sur Paris d'une vingtaine de sidérurgistes aux innombrables opérations coup de poing.

Pendant la campagne présidentielle, Sarkozy a prétendu que la remise à feu des hauts-fourneaux se ferait au deuxième semestre 2012, après le deuxième tour. Hollande, de son côté, est venu, le 24 février, s'adresser aux sidérurgistes de Florange. « Je sais qu'ici se fabrique le meilleur acier d'Europe », s'est-il écrié juché sur un camion, ajoutant : « Si Mittal ne veut plus de vous, ce qui serait un grand tort de sa part, je suis prêt à déposer une proposition de loi [...]. Quand une grande firme ne veut plus d'une unité de production et ne veut pas non plus la céder », il faut qu'elle en ait « l'obligation pour que les repreneurs viennent et puissent donner de l'activité supplémentaire ».

La perspective d'une telle loi, qui n'est même pas encore à l'ordre du jour du Parlement, ne résout rien de toute façon : et s'il n'y a pas de repreneur, comme tout le monde le pense, que fait-on ? D'autant que produire de l'acier à Florange, loin des ports où arrivent minerai de fer et charbon, n'a de sens que dans une usine intégrée qui transforme sur place l'acier.

Hollande et Montebourg : gagner du temps pour Mittal

Dès son arrivée au pouvoir, Hollande a reçu l'intersyndicale, le 4 juin, et demandé un rapport sur la situation de Florange qui a été rendu fin juillet. Pas question pour autant pour Montebourg de s'appuyer sur ce rapport Faure, positif pour l'avenir du site, pour imposer à ArcelorMittal de rallumer les hauts-fourneaux. L'annonce de leur arrêt définitif a été faite le 1er octobre. Elle entraîne 629 suppressions d'emplois directs, mais au moins deux fois plus si l'on compte les intérimaires et les sous-traitants. Mittal a donné deux mois à l'État pour chercher à sa place un repreneur, repoussant au 1er décembre l'application de sa décision. Montrant le peu de sérieux de cette proposition, ArcelorMittal avait programmé la première réunion de négociations sur le « plan social » pour le 16 octobre ! Boycottée par l'intersyndicale, celle-ci a finalement été repoussée à début décembre.

Personne ne croit sérieusement à la mascarade de la reprise dans laquelle le gouvernement joue les utilités, se félicitant presque des huit semaines accordées par Mittal pour dénicher un improbable repreneur. ArcelorMittal a de toute façon prévenu qu'il n'achèterait jamais l'acier produit sur place, si repreneur il y avait, et qu'il lui vendrait à bon prix des installations, sur lesquelles des travaux importants sont à prévoir. De quoi faire fuir le client !

Les conséquences de la crise financière...

La crise actuelle de la sidérurgie n'a rien à voir avec le « coût du travail » ou les problèmes de « compétitivité » dont on nous rebat les oreilles. L'augmentation de la productivité y a fait des bonds de géant : s'il fallait 9,5 heures de travail en 1970 pour produire une tonne d'acier, il en faut aujourd'hui tout juste une heure. La productivité du travail a été multipliée par 9,5 en quarante ans !

À l'échelle de la planète, la production mondiale d'acier continue d'augmenter. Elle a plus que doublé en 16 ans : on produisait 1,53 milliard de tonnes en 2011 contre 736 millions en 1995. Mais en Europe, elle n'a pas retrouvé son niveau d'avant la crise. Pour la France, elle est en baisse de 18 % par rapport à 2007, à 15,8 millions de tonnes. La crise financière a eu sur la plupart des branches d'industrie des conséquences qui se font donc toujours sentir. Comme le dit le bulletin patronal de la Fédération française de l'acier de janvier dernier : « Les difficultés que connaissent nos entreprises relèvent essentiellement de l'incertitude : problèmes de financement, difficultés d'accès au crédit, volatilité des devises et des matières premières. » C'est donc bien le système financier en crise qui pose problème à l'industrie sidérurgique... comme à toute la société.

Et ce n'est pas nouveau. Un petit livre de la CFDT publié en 1977 intitulé Où va la sidérurgie ?, posait l'alternative : pourquoi ne pas licencier les dettes plutôt que les travailleurs ? Il citait à l'appui l'exemple de l'usine de Fos où les frais financiers liés aux dettes représentaient à l'époque 21 % du prix de revient de l'acier tandis que les salaires n'en représentaient que 17 %.

... et de la lutte pour le partage des profits

Aujourd'hui Mittal s'est lourdement endetté pour racheter des mines. Mais plus que de la dette, le site lefigaro.fr, dans un article du 21 octobre, explique que « l'inquiétude provient de l'évolution de l'excédent brut d'exploitation (Ebitda), qui donne une idée du cash généré par son activité. Au premier semestre 2012, il s'établissait à 4,4 milliards de dollars, contre 19,7 milliards sur l'ensemble de l'exercice 2007 ». Et d'ajouter : « Cet effondrement fragilise la stratégie de Lakshmi Mittal qui consistait à investir massivement dans le secteur minier grâce aux liquidités générées par la fabrication d'acier. Ce qui a permis à ArcelorMittal de devenir le quatrième producteur mondial de minerai de fer, derrière les géants miniers Vale, Rio Tinto et BHP Billiton. Le groupe a cependant été contraint de changer son fusil d'épaule, sous la pression du ralentissement économique en Europe. Depuis septembre 2011, il a cédé pour 2,7 milliards de dollars d'actifs jugés non stratégiques. Un important programme de réduction des coûts a également été lancé. Il doit permettre d'économiser un milliard de dollars par an d'ici à 2013. La fermeture définitive des hauts-fourneaux de Florange et de Liège en fait partie intégrante. »

En clair, les travailleurs payent pour les nombreuses acquisitions de mines de Mittal qui était attiré par les prix élevés du minerai. D'après l'Insee, le prix du minerai de fer brésilien importé dans l'UE est resté stable de 1990 à 2004, autour de 14 dollars la tonne. Il a doublé en 2005 et n'a pas cessé d'augmenter pour atteindre 125 dollars en 2010. Depuis quelques mois, il y a une tendance à la baisse puisqu'il vient de repasser juste en dessous de 100 dollars.

La production de minerai de fer est particulièrement concentrée puisque les trois plus grosses entreprises contrôlent les trois quarts de la production, autant dire le marché mondial, dans un contexte où la demande d'acier a considérablement augmenté. Comme l'explique le rapport Faure, « à partir d'une situation en 1998 où plus de 90 % de la marge par tonne d'acier était captée par le secteur sidérurgique, les proportions se sont totalement inversées et les producteurs de minerai capteraient en 2011 plus de 80 % de la marge. »

L'écrasante majorité de la richesse issue de la production d'acier se retrouve donc aujourd'hui dans les poches des compagnies minières. ArcelorMittal a acheté tout ce qu'il pouvait comme mines de fer ou de charbon, afin de bénéficier du boom et d'engranger les profits de ces deux activités, minières et sidérurgiques. Mais avec la crise, l'inquiétude de voir baisser les bénéfices a provoqué la chute du cours de l'action ArcelorMittal : il s'est effondré autour de 12 euros après avoir dépassé les 60 euros à l'été 2008.

Le cours est si bas que le total des actions du groupe est tout juste égal au montant de sa dette (22 milliards de dollars), dette qui s'est « alourdie depuis le début de l'année en raison de la réduction des cash-flows, des pertes de changes et du versement de dividendes d'un montant total de 1,2 milliard de dollars », souligne tout de même le rapport Faure.

Car même pendant la crise, pendant que les usines ferment et que les travailleurs sont mis au chômage, les actionnaires veulent continuer à toucher des dividendes.

Prendre sur les richesses accumulées

Dans la sidérurgie comme dans tous les secteurs, les crises successives sont totalement inséparables du fonctionnement de l'économie capitaliste. Mais au travers de toutes ces crises, les maîtres de l'économie, ces grands patrons, les Mittal, les de Wendel, se sont toujours enrichis, ils en ont reporté tout le poids sur les travailleurs et les populations des régions industrielles.

Alors les travailleurs sont dans leur bon droit d'exiger, face à ce qui est un drame pour eux et pour toute la société, l'interdiction de tout nouveau plan de suppression d'emplois et de toute nouvelle fermeture d'usine.

Il faut imposer à la bourgeoisie de répartir le travail entre tous sans baisse de salaires en prenant sur les fortunes accumulées par les entreprises, et, si cela ne suffit pas, sur les fortunes personnelles de ces grandes familles bourgeoises, qui ont largement de quoi maintenir tous les emplois.

24 octobre 2012

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