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Les relations internationales - La barbarie de l’impérialisme, terreau de toutes les barbaries
La prolongation de la crise de l'économie capitaliste mondiale, qui partout se traduit par une exacerbation de la concurrence entre capitalistes, par une aggravation des inégalités, par un recul des conditions d'existence de larges masses exploitées, rend de plus en plus tendues et chaotiques les relations internationales. L'ordre impérialiste, remis en cause dans la violence en diverses régions du globe, dégage une forte odeur de décomposition.
Dans les grands pays impérialistes, les milieux dirigeants largement relayés par les médias entretiennent un climat guerrier. Il a commencé à se mettre en place après les attentats du World Trade Center en 2001. Dans la phraséologie officielle, le terrorisme, plus particulièrement le terrorisme qui se revendique du fondamentalisme islamique, remplace progressivement l'ex-Union Soviétique comme principale menace contre la paix mondiale.
La multiplication de ces bandes armées, des talibans d'Afghanistan à Al-Qaeda, du nord du continent africain au Nigeria, au Cameroun, à certaines régions du sud-est asiatique, a donné à cette phraséologie des points d'appui.
Le rapide développement de l'« État islamique » (Daesh), en raison de la décomposition de l'État irakien et de l'affaiblissement de l'État syrien, grâce aussi au soutien financier à peine dissimulé de quelques fidèles alliés des États-Unis comme l'Arabie saoudite ou certains émirats du Golfe, et sa conquête d'une base territoriale ont donné aux puissances impérialistes l'occasion de mettre en place une coalition pour le combattre et faire intervenir leur aviation.
S'il est aussi inconsistant qu'intéressé de présenter l'« État islamique » comme une menace mondiale, la guerre régionale qui se déroule à la frontière de la Syrie et de l'Irak est une véritable guerre, avec ses morts et ses blessés, victimes aussi bien des bombardements occidentaux que des agissements des bandes armées de l'« État islamique », avec leurs massacres, leurs destructions et leurs flots de réfugiés.
La coalition des pays impérialistes et l'« État islamique » ont le même mépris des populations. Prétendre que les bombardements des zones conquises par l'« État islamique » sont ciblés est un mensonge aussi cynique que l'ont été les affirmations similaires de l'armée israélienne concernant les bombardements de Gaza.
Les puissances impérialistes ne tolèrent pas la contestation, même si elles savent utiliser, manipuler voire susciter des bandes armées ou des groupes terroristes quand cela leur est utile. Mais ces bandes armées, une fois mises en place, mènent leur propre existence et ont leur propre raison d'être. Comme bien souvent, les chiens dressés peuvent se retourner contre leurs maîtres, entraînant la réaction de ces derniers. Il en fut ainsi des seigneurs de guerre islamistes, que les États-Unis avaient manipulés contre l'armée soviétique qui occupait alors l'Afghanistan. Il en fut ainsi, à une autre échelle, de Saddam Hussein : instrument des États-Unis pour intervenir contre l'Iran de Khomeiny, le dictateur irakien fut transformé en menace pour la paix mondiale et déboulonné par l'intervention des troupes américaines.
La férocité dont fait preuve l'« État islamique », la mise en scène macabre qui accompagne les décapitations et la large publicité donnée à ces actes par Internet sont l'expression du même mépris des peuples que celui dont les puissances impérialistes témoignent dans leur guerre. Mais elles ont aussi un objectif politique.
Cet objectif est, au premier degré, de s'imposer aux groupes rivaux et d'attirer dans sa sphère d'influence des bandes armées sévissant dans différentes régions du monde. S'imposer en quelque sorte comme le successeur de la nébuleuse Al-Qaeda de feu Ben Laden.
Bien au-delà de leur utilisation dans la rivalité pour le pouvoir, les méthodes de l'« État islamique » visent à semer la terreur dans les peuples qu'il entend dominer et à leur imposer alignement et obéissance.
Les méthodes pour conquérir le pouvoir annoncent la nature du pouvoir que l'« État islamique » entend exercer. Un pouvoir dictatorial vis-à-vis de ceux qui ne sont pas d'accord avec lui, vis-à-vis des minorités ethniques ou religieuses, vis-à-vis des femmes et vis-à-vis des exploités. Leurs objectifs réactionnaires comme leurs méthodes font de l'« État islamique » et de ses séides de par le monde des ennemis féroces du prolétariat.
Les moins va-t-en-guerre des hommes politiques des puissances impérialistes dénoncent l'inefficacité des bombardements sur les territoires contrôlés par l'« État islamique », et ils invoquent la nécessité d'une solution politique.
Pour ce qui est de l'inefficacité, elle est patente. Les troupes djihadistes continuent à avancer, d'autant plus que ce que les politiciens appellent par euphémisme les dégâts collatéraux de l'intervention militaire occidentale poussent dans les bras des djihadistes de nouveaux contingents de recrues.
Quant à une solution politique, il n'y en a pas. L'impérialisme est totalement incapable d'assurer des relations sans oppression entre les différents peuples, ethnies et religions, et encore moins de mettre fin aux inégalités, à la pauvreté, à la corruption. Il en vit, les aggrave et en suscite sans cesse sous des formes nouvelles.
En faisant intervenir ses Rafale contre l'« État islamique », l'impérialisme français compense le caractère dérisoire de ses moyens par des gesticulations d'autant plus bruyantes que le président de la République et le gouvernement portent l'étiquette socialiste. C'est une longue tradition en France : le Parti socialiste au gouvernement a toujours été un exécutant particulièrement vindicatif de l'impérialisme français. Et il est d'autant plus porté à des déclamations sur l'« unité nationale » ou la « solidarité nationale » que c'est en menant de façon servile la politique extérieure de la bourgeoisie française qu'il peut s'attirer les applaudissements de la droite.
Les travailleurs conscients doivent rejeter avec mépris tout appel à l'union nationale. La bourgeoisie française, leur ennemie directe, ne devient pas leur amie lorsqu'elle mène des guerres de brigandage à l'extérieur des frontières.
Le climat belliqueux pesant à l'intérieur des grandes puissances impérialistes est encore accentué par le raidissement des relations vis-à-vis de la Russie et par le retour à une sorte de guerre froide. Ce raidissement, qui a abouti à toute une batterie de mesures contre la Russie, a cependant ses limites. Les principales bourgeoisies d'Europe, en particulier d'Allemagne et de France, ont trop d'intérêts industriels, bancaires et commerciaux en Russie pour vouloir les compromettre vraiment, même sous la pression des États-Unis.
La multiplication des bandes armées dans la partie de la planète dominée par l'impérialisme - elles ne se revendiquent pas toutes du fondamentalisme islamique - est à la fois la conséquence et un facteur aggravant de la désagrégation d'un nombre croissant d'appareils d'État mis en place et protégés ou, en tout cas, tolérés par l'impérialisme. Cette désagrégation ne date pas d'aujourd'hui. Elle concerne cependant aujourd'hui, avec le Moyen-Orient, une région stratégiquement et économiquement importante pour les puissances impérialistes.
En Afrique, les germes de la décomposition infectaient les appareils d'État dès leur mise en place lors de la décolonisation. Ils résidaient dans la nature même de ces États destinés, d'un côté, à donner une satisfaction symbolique aux masses africaines aspirant à se débarrasser de l'esclavage colonial et, de l'autre, à perpétuer le pillage impérialiste. C'est ce caractère contradictoire qui a fait que les régimes de tous ces États étaient dès l'origine au mieux autoritaires, et en général dictatoriaux.
Tout en exigeant de ces régimes qu'ils tiennent leurs peuples, l'impérialisme ne leur en donne pas vraiment les moyens. Les tenants locaux des appareils d'État ont, pour principale rétribution, le droit illimité de voler leur propre peuple. Les prélèvements de la caste dirigeante et sa corruption s'ajoutent au pillage impérialiste.
Une place à l'ONU, un drapeau national ne pouvaient compenser qu'un certain temps la perpétuation de la misère des masses pauvres. Une succession de coups d'État, de putschs militaires a marqué l'histoire de l'Afrique indépendante. Ils ont pour sous-produit l'émergence de bandes armées. Les unes se contentent de racketter la population pour assurer aux chefs de bande des privilèges plus ou moins grands et assurer à leurs subordonnés le privilège de disposer d'une arme et des moyens que cela donne de survivre. D'autres cherchent à se donner des appuis dans la société sur une base ethnique ou religieuse.
La Somalie n'a jamais retrouvé un appareil d'État centralisé depuis la chute de la dictature de Siyad Barré en 1992.
La Sierra Leone et le Liberia ont connu plusieurs années où l'appareil d'État centralisé a cédé la place à des bandes armées rivales.
La Côte d'Ivoire est restée, pendant plusieurs années, coupée en deux entre le Nord, soumis à des seigneurs de guerre, et le Sud, sous la présidence de Gbagbo, sécession qui n'a été surmontée que par l'intervention des troupes françaises - présentes dans le pays - qui ont imposé Ouattara.
Plus récemment, c'est l'État malien qui a failli disparaître en tant que tel. Là encore, l'armée française a joué son rôle de gendarme dans son ancien empire colonial pour redonner un semblant de solidité à l'appareil d'État malien, qui ne peut cependant toujours pas se passer des troupes françaises.
En Centrafrique, l'intervention française n'a fait qu'ajouter une bande armée de plus à celles qui se combattent sur le terrain et sans que cette intervention mette fin au chaos sanglant.
Quant à la Libye, elle continue à se décomposer depuis la chute de Kadhafi. Cette décomposition continue à jouer un rôle majeur dans la déstabilisation de toute cette partie de l'Afrique.
Au Congo ex-Zaïre, pays le plus étendu du continent, depuis plusieurs années le pouvoir central ne domine plus l'ensemble du territoire. Les bandes armées concurrentes, financées par des officines représentant les intérêts de grandes entreprises en rivalité pour faire main basse sur les immenses richesses en matières premières de ce pays, ont fait plus de trois millions de victimes, en ajoutant aux victimes directes celles qui sont mortes de maladies et de malnutrition liées à la guerre.
La désorganisation des armées nationales d'un certain nombre de pays d'Afrique incite les puissances impérialistes à renforcer leur présence sur le continent. Les soldats étrangers n'ont sans doute jamais été aussi nombreux en Afrique depuis les indépendances. Ils sont souvent présents au nom de l'ONU, mais l'impérialisme français est celui dont les bases sont les plus présentes sur le continent et les soldats ou les formateurs en tout genre les plus nombreux.
L'ébranlement de l'État en Syrie et sa décomposition en Irak ont des conséquences à une toute autre échelle qu'en Afrique en raison de l'intérêt stratégique de la région dû à sa richesse en pétrole comme à sa position géographique.
Ces conséquences menacent les frontières établies au lendemain de la Première Guerre mondiale et préservées depuis avec plus ou moins de modifications. La configuration de la région, établie sur les ruines de l'empire Ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale, son morcellement entre un grand nombre d'États étaient le reflet d'un certain rapport de force entre puissances impérialistes victorieuses d'Europe, plus particulièrement entre la France et la Grande-Bretagne. Malgré sa durée, cet ordre était éminemment fragile dès qu'il fut établi, d'autant qu'à la rivalité entre ces deux impérialismes sur le déclin allait s'ajouter l'influence montante des États-Unis.
La rivalité entre puissances impérialistes a été plus ou moins dissimulée au temps de l'URSS, proche géographiquement et présente diplomatiquement. Derrière la complicité face à un ennemi commun, les grands trusts du pétrole ou de l'armement étaient cependant en compétition permanente entre eux avec le soutien de leurs États. Compétition dont l'enjeu est la mainmise sur les richesses pétrolières, des contrats d'armement et, plus généralement, des positions d'influence auprès des potentats de la région.
Par-delà les éléments d'instabilité découlant de la rivalité entre puissances impérialistes et les rapports de force changeants entre elles, il y avait la volonté délibérée de l'impérialisme de jouer en permanence sur la rivalité entre les États d'une région volontairement morcelée.
Les relations entre les États de la région peuplés pourtant d'une population parlant la même langue - Syrie, Irak, Jordanie, Liban, Arabie saoudite, Yémen, les confettis des Émirats pétroliers, Égypte - ont toujours été tumultueuses, marquées par des alliances fugaces et surtout par des antagonismes susceptibles de se transformer en conflits armés.
Dans ce jeu de division, l'État d'Israël joue un rôle particulier. Malgré les réticences de l'impérialisme anglais, qui dominait la Palestine et toute la région et voulait ménager certains des dirigeants arabes qu'il avait mis en place, le gouvernement américain a poussé à sa création, avec le soutien du gouvernement français, dans la perspective de prendre la place de la Grande-Bretagne dans la région et surtout de faire de cet État un allié indéfectible de l'impérialisme. Contrairement aux États arabes, aux régimes plus ou moins coupés de leurs peuples, corrompus, contestés et susceptibles d'être renversés, l'État d'Israël concrétisait, au moment de sa création en 1948, les aspirations, la volonté de se donner un pays, de centaines de milliers de Juifs, rescapés de la barbarie du nazisme et que ni l'Amérique ni les puissances européennes ne voulaient accueillir.
La possibilité historique existait que ce peuple ne soit pas considéré par les masses arabes comme un conquérant mais comme un ami et, du fait même des différences entre ces populations, comme un apport pour toute la région. Cette possibilité n'aurait pu se concrétiser que par une politique hardie, visant à gagner le cœur des exploités et des masses pauvres arabes par une commune opposition aux exploiteurs et oppresseurs traditionnels, propriétaires terriens ou capitalistes locaux, et par-dessus tout, par une commune opposition aux puissances impérialistes. En bref, par une politique de classe révolutionnaire.
Mais la seule politique proposée fut celle du sionisme, qui visait à imposer l'État d'Israël au peuple palestinien par la violence, par l'expropriation. Cette politique n'offrait dès le départ d'autre perspective au peuple juif israélien que de resserrer les liens avec les puissances impérialistes, d'en devenir le mercenaire contre les masses arabes et de se transformer en geôlier des Palestiniens.
Établi sur l'oppression du peuple palestinien, Israël est l'allié et le bras armé le plus fiable de l'impérialisme contre tous les peuples arabes voisins. Il permet par ailleurs aux régimes arabes, même les plus dévoués à l'impérialisme comme l'Arabie saoudite ou les émirats du pétrole, de dissimuler leur politique réactionnaire derrière des déclamations contre Israël. Rouage essentiel de la machine de domination de l'impérialisme dans la région, en contrepartie du soutien sans faille de ce dernier à l'oppression du peuple palestinien, l'État d'Israël est condamné à une politique catastrophique pour les deux peuples entremêlés dont l'écrasante majorité aurait tout intérêt à une cohabitation fraternelle.
Tout en morcelant le Moyen-Orient, l'impérialisme n'a jamais reconnu le droit de certains peuples, comme les Kurdes, à l'existence nationale qu'ils revendiquent pourtant depuis des décennies.
L'attitude des puissances coalisées contre l'« État islamique » témoigne du cynisme avec lequel elles jouent avec les aspirations et la vie des peuples. Elles utilisent les peshmergas kurdes, car ils constituent la seule force armée qui s'oppose aux djihadistes après la débâcle de l'armée irakienne. Mais, en même temps, elles se refusent à leur livrer les armes qui leur seraient nécessaires pour repousser les djihadistes bien armés, de peur que cela donne aux Kurdes les moyens de poser des problèmes aux États entre lesquels ils sont dispersés, en premier lieu la Turquie, autre alliée militaire majeure des États-Unis dans la région.
Les bombardements aériens, la seule forme de soutien aux peshmergas, ont certainement fait plus de victimes dans la population que parmi les djihadistes. Et l'image des chars de l'armée turque, attendant l'arme au pied la prise de Kobané par les djihadistes mais empêchant les Kurdes de Turquie de rejoindre ceux de Syrie pour combattre à leurs côtés, a résumé toute l'infamie de la politique des puissances impérialistes dans la région.
Ce morcellement entre États souvent rivaux a eu nécessairement pour conséquence un nationalisme virulent et l'oppression des peuples, des ethnies ou des religions minoritaires ou simplement opposées à l'équipe au pouvoir.
Le Moyen-Orient a toujours été une poudrière. En renversant Saddam Hussein, c'est la principale puissance impérialiste, les États-Unis, qui a allumé la mèche.
La multiplication récente des bandes armées se revendiquant de l'islam se situe dans une longue succession de contestations, de révoltes que l'impérialisme a provoquées tout au long de son histoire.
Expression de la domination d'une toute petite minorité de privilégiés qui pillent toute la planète, l'impérialisme ne peut se perpétuer qu'en jouant les États les uns contre les autres, les peuples les uns contre les autres, en suscitant au besoin des bandes armées dont il se sert tant qu'elles sont utiles et qu'il déclare « ennemis publics » lorsqu'elles ne lui servent plus dans l'immédiat.
Les soixante-neuf ans qui nous séparent de la fin de la Deuxième Guerre mondiale ont connu une multitude de guerres locales, régionales, des affrontements plus ou moins violents.
Avant la disparition de l'Union soviétique et la fin de la division du monde en deux blocs, un grand nombre de ces conflits s'intégraient dans la guerre dite froide, qui n'était froide qu'entre les deux grands camps. Elle ne l'était pas en Corée ou au Vietnam et, plus généralement à la limite des deux sphères d'influence. Bien au-delà des zones limites des deux blocs, la plupart des nombreux conflits locaux qui déchiraient l'Afrique ou l'Asie donnaient lieu à une lutte d'influence entre les États-Unis et l'Union soviétique, en sourdine ou de façon violente. L'opposition entre les deux blocs donnait leur coloration à la plupart des conflits, mais sans en être la raison fondamentale.
La bureaucratie essayait souvent de tirer parti, ne serait-ce que sur le plan diplomatique, des conflits locaux. Mais c'est la mainmise de l'impérialisme, ses pillages économiques et son soutien à des dictatures qui suscitaient en permanence des révoltes et des conflits.
La bureaucratie stalinienne menait, de son côté, des guerres d'oppression dans sa zone d'influence (directement en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968, indirectement par l'intermédiaire du régime militaire de Jaruzelski en Pologne en 1981), sans oublier ses provocations comme l'installation de fusées soviétiques à Cuba ou ses aventures guerrières aux confins de sa zone comme en Afghanistan.
Ce qui se produit depuis la dislocation du bloc soviétique montre que la remise en cause permanente de l'ordre impérialiste ne venait pas de l'Union soviétique, mais avait des raisons inhérentes à la domination impérialiste elle-même.
Seuls des plumes stipendiées ou des imbéciles pouvaient entrevoir dans la disparition de la division du monde en deux blocs la promesse d'une ère de paix universelle ! Les tensions souterraines qui taraudent en permanence l'ordre impérialiste n'ont été que dissimulées pendant quelque temps par l'euphorie que distillaient les dirigeants du monde impérialiste, claironnant la victoire remportée sur le camp soviétique. Mais ces tensions continuaient leur œuvre, s'amplifiaient et s'élargissaient vers la zone naguère contrôlée par l'URSS.
Même les plus naïfs dans les classes populaires des ex-Démocraties populaires, qui attendaient de la réintégration dans le camp occidental les magasins pleins, n'ont pas tardé à découvrir le chômage, qui ne permettait pas d'y accéder ; et ceux qui se réjouissaient de la fin de la mainmise de la bureaucratie soviétique sur la caste politique locale découvraient une autre forme de mainmise, celle des grandes entreprises occidentales qui s'appropriaient tout ce qui dans les industries locales était profitable et démolissaient le reste.
Non seulement depuis vingt-cinq ans le monde n'a pas connu une ère de paix, mais il y a eu autant sinon plus de conflits et de moins en moins contrôlables. En effet, si la bureaucratie soviétique savait se servir de ces conflits pour avancer ses pions diplomatiques, elle avait aussi la capacité de les freiner, voire de les étouffer.
Tout en apparaissant comme le pôle dominant de l'opposition à l'impérialisme, la bureaucratie soviétique jouait en même temps le rôle de gendarme à l'intérieur de sa zone d'influence. Dès que la bureaucratie soviétique n'a plus eu la volonté, ni sans doute la capacité de jouer ce rôle envers les pays du glacis des Démocraties populaires, ces derniers ont aussitôt rejoint le camp dominé par l'impérialisme.
À son tour, l'éclatement de l'URSS a ouvert un nouveau champ au jeu d'influences des puissances impérialistes, rivales entre elles mais complices pour prendre la place laissée plus ou moins vacante par la Russie dans les États qui avaient fait partie de l'Union.
Avant que les sommets de la bureaucratie en la personne d'Eltsine et de ses compères ukrainien et biélorusse prennent la décision de dissoudre l'Union soviétique, la bureaucratie stalinienne avait, en transformant l'Union en une vaste prison pour les peuples, non seulement étouffé l'immense espoir ouvert par la révolution d'Octobre pour les peuples opprimés par le tsarisme, mais elle avait suscité puis exacerbé les tendances centrifuges.
En parlant de la « question ukrainienne », à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, Trotsky affirmait : « ... en dépit du pas en avant gigantesque réalisé par la Révolution d'Octobre dans le domaine des rapports nationaux, la révolution prolétarienne, isolée dans un pays arriéré, s'est avérée incapable de résoudre la question nationale, particulièrement la question ukrainienne, qui a par essence un caractère international. La réaction thermidorienne couronnée par la bureaucratie bonapartiste a rejeté les masses laborieuses très en arrière dans le domaine national également », pour conclure : « C'est ce fait que le révolutionnaire de la politique, à la différence du bureaucrate et du sectaire, doit prendre comme point de départ ».
Si le développement économique dans un cadre planifié a contribué à renforcer l'Union, l'oppression du Kremlin ne pouvait que renforcer les tendances centrifuges. La bureaucratie n'a pas réglé la question nationale en URSS. Elle n'a fait que l'étouffer et la dissimuler tout en laissant derrière elle des bombes à retardement.
Le terrain était préparé pour les manœuvres impérialistes.
L'éclatement de la Yougoslavie et la longue période d'affrontements armés entre les États issus de cet éclatement ont préfiguré ce qui est en train de se passer en Ukraine. Si les clans politiques nationalistes slovènes, serbes, croates, kosovars, etc., ont eu un rôle majeur dans cette énième guerre des Balkans, plus meurtrière encore que celles qui ont précédé la Première Guerre mondiale, les impérialismes européens, français, allemand ou anglais, ont joué les pompiers pyromanes.
Deux décennies après, la population ex-yougoslave n'a pas encore surmonté les conséquences économiques et, surtout, humaines de cette guerre. Les États issus du morcellement de l'ancienne Yougoslavie, économiquement et démographiquement faibles, sont des jouets faciles à manipuler par les puissances impérialistes, et, de plus, ils sont incapables de régler démocratiquement le sort des minorités nationales sur leur sol. La construction surréaliste qu'est la Bosnie est l'illustration la plus visible de la fragilité de ces États, mais elle n'est pas la seule.
Si, pour des raisons à la fois historiques, de proximité géographique et de taille, les trois États baltes ont rapidement rejoint le camp occidental d'abord et l'Union européenne ensuite, le jeu économique, politique et diplomatique des puissances impérialistes a suivi des cours diversifiés vis-à-vis des autres États nés de la dislocation de l'URSS.
La fin de la dictature stalinienne a porté à la surface une multitude d'antagonismes auparavant étouffés (Arménie contre Azerbaïdjan, Abkhazie et Ossétie de Sud qui ont fait sécession en Géorgie, minorité russe (déjà !) et ukrainienne contre l'État de la Moldavie, etc.). Les puissances impérialistes, en particulier européennes, sont devenues actrices, ouvertement ou de façon discrète, dans les conflits que ces antagonismes engendrent, et par là-même elles les amplifient.
Le conflit en Ukraine a cependant pris une importance sans commune mesure avec ce qui s'est passé en Géorgie. L'Ukraine est un grand pays avec une population de plus de 40 millions d'habitants. Étant donné ses liens multiséculaires avec la Russie et l'interdépendance économique et démographique des deux pays, la bureaucratie russe, dont le pouvoir a été reconsolidé après le remplacement d'Eltsine par Poutine, ne pouvait pas accepter que l'Ukraine bascule complètement dans la zone d'influence de l'Union européenne et encore moins qu'elle intègre l'Otan.
L'Union européenne, en proposant à l'Ukraine une forme de coopération économique, sans d'ailleurs rien donner en échange, et surtout les États-Unis en envisageant l'adhésion de l'Ukraine à l'Alliance atlantique, ont joué avec le feu. Mais c'est Poutine qu'ils accusent de pyromanie.
Les deux camps - l'impérialisme et le Kremlin - partagent la responsabilité de la situation en Ukraine, dont les conséquences sont déjà lourdes pour la population de ce pays. Les morts se comptent maintenant par milliers et les destructions se sont ajoutées à l'appauvrissement d'une région déjà appauvrie par la rupture de nombre de liens économiques due à la dislocation de l'URSS.
Fait plus grave encore, ce conflit risque de dresser l'un contre l'autre les peuples de Russie et d'Ukraine, et à l'intérieur de l'Ukraine, l'une contre l'autre des composantes ukrainophone et russophone de la population (sans parler des autres minorités nationales - ruthène, slovaque, roumaine, hongroise, tchèque - qui subissent également les contrecoups de ce conflit).
Après la Yougoslavie, c'est une autre partie importante de l'Europe qui voit la guerre s'abattre sur elle.
La démocratie bourgeoise, qui a été pendant longtemps le régime politique des puissances impérialistes, était basée sur l'esclavage des peuples coloniaux.
Le nazisme en Allemagne avait déjà montré à quel point cette forme de régime était instable, même dans les pays matériellement et culturellement développés. Pendant la guerre mondiale, toutes ces « démocraties impérialistes » se sont transformées en régimes militaires.
La crise actuelle n'en est encore qu'à accentuer le discrédit de la démocratie bourgeoisie dont témoigne, entre autres, la montée électorale des formations dites populistes.
Les réformistes en tout genre en accusent la « mondialisation » qui, en établissant la toute-puissance des marchés financiers mondiaux, enlèverait à l'État les moyens d'intervenir. C'est une vieille habitude du réformisme de dissimuler la lutte des classes concrète derrière des abstractions.
Derrière « les marchés financiers », il y a la même grande bourgeoisie impérialiste que derrière les États impérialistes. Les parlements nationaux, même dans les pays les plus démocratiques, n'ont jamais été autre chose que des chambres d'enregistrement, et les gouvernements nationaux, les comités exécutifs de la grande bourgeoisie. L'évolution actuelle met en lumière ce fait incontestable : c'est le grand capital et la classe bourgeoise qui dominent le monde et qui le conduisent à la catastrophe.
Une des expressions de cette crise de la démocratie impérialiste est d'activer aussi les ferments de dissolution entre des composantes nationales de pays où la question a pu pourtant apparaître comme résolue dans le passé.
De vieux antagonismes resurgissent ou apparaissent : entre Flamands et Wallons en Belgique ; Écossais et Anglais en Grande-Bretagne ; ou nationalistes catalans face à l'État espagnol.
Tout cela reste encore, pour l'essentiel, dans le cadre du fonctionnement de la démocratie impérialiste.
Ces phénomènes sont l'expression d'une régression à l'échelle de l'histoire. L'impérialisme, « stade sénile du capitalisme », corrode même les « unités nationales » que le développement capitaliste initié par la bourgeoisie montante avait mises en place.
Quant aux États des pays d'Europe centrale et balkanique, ils sont taraudés par les mêmes forces qui ont conduit à l'éclatement de la Yougoslavie. La montée des nationalismes opposés, de l'irrédentisme, des revendications territoriales ouvertes ou déguisées, est visible depuis plusieurs années mais elle est d'une virulence croissante.
Dans ces pays aux populations entremêlées, les charcutages territoriaux, qui ont eu lieu pendant et après la Première puis la Deuxième Guerre mondiale, offrent un terreau d'autant plus propice aux agissements des groupes d'extrême droite qu'aucun des régimes prétendument démocratiques mis en place après la fin de la mainmise soviétique n'a pu et n'a voulu assurer à ses minorités leurs droits nationaux.
Cette régression apparaît dans une multitude de domaines de la vie sociale. Elle se manifeste par le renforcement des idées réactionnaires, par le poids croissant de la religion et des églises dans la société.
Le capitalisme décadent n'ouvre aucune perspective, n'offre aucun espoir à la société. Rien peut-être n'indique plus le désespoir suscité par une société sans perspective que l'attraction qu'exerce sur une fraction même minuscule de la jeunesse le combat des bandes armées qui se battent au nom d'idées moyenâgeuses.
Si les bandes armées fondamentalistes expriment, même de façon très indirecte, une contestation de l'ordre impérialiste mondial, elles n'ouvrent, évidemment, aucune perspective devant la société, et elles complètent l'action de l'impérialisme pour faire revenir la société en arrière. L'ordre impérialiste des choses, c'est-à-dire la loi des grandes multinationales capitalistes, s'accommode du désordre politique.
Avec les conflits locaux qui se multiplient, l'impérialisme récolte l'orage qu'il a semé. Personne ne peut prédire sur quoi peut déboucher cette évolution.
Dans le jeu de divisions et d'antagonismes qu'il a suscités entre peuples, l'impérialisme a laissé une multitude de bombes à retardement dont nul ne peut jurer que l'aggravation de la crise ou tout simplement sa durée ne provoqueront pas l'explosion.
Que l'on songe seulement aux relations entre l'Inde et le Pakistan, toutes deux puissances nucléaires ! Ou encore à celles entre l'Inde et le Bengladesh, dont la frontière commune est matérialisée par un mur de 3 000 kilomètres de long qui coupe en grande partie une même population bengalie. L'existence de ce mur, comme de ses semblables qui se dressent entre Israël et la Palestine, entre le Mexique et les États-Unis, autour de Ceuta et Melilla, ou entourent l'Europe de Schengen, est une des expressions les plus abjectes d'un ordre impérialiste pourrissant. Alors que la mondialisation capitaliste amène sur le plan économique et financier une interdépendance sans précédent, que les moyens de communication et de transport modernes font des frontières nationales un anachronisme douloureux, le règne de l'impérialisme pousse la société à la décomposition et au chaos.
Si le titre à la une du magazine Courrier International : « Demain, la troisième guerre mondiale ? » relève du sensationnalisme journalistique, on assiste peut-être à la mondialisation de guerres locales. Après les deux guerres mondiales qui avaient opposé deux camps impérialistes rivaux, l'impérialisme est, peut-être, en train de tracer un autre chemin vers la barbarie.
Seule la renaissance du mouvement ouvrier révolutionnaire peut ouvrir une perspective devant l'humanité.
Pendant plus d'un siècle, le mouvement ouvrier politique a pesé, directement ou indirectement, non seulement sur les rapports sociaux à l'intérieur de plusieurs pays, mais aussi sur les relations internationales.
Lorsqu'en 1848, dans le Manifeste communiste, Marx affirmait : « Un spectre hante l'Europe », il s'agissait d'une anticipation. Avec la Commune de Paris, cette anticipation prit pour la première fois une expression concrète.
Moins d'un demi-siècle après cette première tentative du prolétariat d'arracher le pouvoir à la bourgeoisie et douze ans après la Révolution de 1905 en Russie, le prolétariat prit le pouvoir en Russie. Il menaçait l'ordre capitaliste à l'échelle de l'ensemble de l'Europe.
Malgré l'échec de la révolution prolétarienne ailleurs qu'en Russie, malgré la dégénérescence bureaucratique de l'Union soviétique restée isolée, Octobre 1917 a continué à peser sur les relations internationales tout au long du XXe siècle. D'abord, par le poids dans les relations internationales de l'URSS bureaucratisée qui, tout en étant devenue un facteur de stabilisation de l'ordre impérialiste mondial, était restée en même temps un pôle d'opposition. Sa simple existence était un encouragement pour les masses des pays pauvres et une sorte de référence.
Dans une certaine mesure, le tiers-mondisme avec ses variantes maoïste ou castriste, lointains rejetons et échos très déformés de la Révolution d'Octobre, pesait encore sur les relations internationales.
Cependant, en trahissant l'héritage d'Octobre 1917, le stalinisme a détruit la filiation avec le mouvement ouvrier révolutionnaire. Plusieurs générations ont été ainsi trahies et démoralisées.
Lorsque la bureaucratie a tiré l'échelle en dissolvant l'Union soviétique, la rupture avec le passé a été consommée et a dégagé une place pour une multitude de forces plus réactionnaires les unes que les autres, des courants ethnistes aux courants nationalistes en passant par l'islamisme, pour postuler à la direction des mouvements de contestation que l'impérialisme n'a jamais cessé de susciter.
Le Programme de Transition commence par l'affirmation : « La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat. » Pour continuer par : « La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. (...) Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes. La croissance du chômage approfondit, à son tour, la crise financière de l'État et sape les systèmes monétaires ébranlés. Les gouvernements, tant démocratiques que fascistes, vont d'une banqueroute à l'autre. La bourgeoisie elle-même ne voit pas d'issue. »
Que ces lignes écrites par Trotsky à la veille de la Deuxième Guerre mondiale semblent décrire la situation qui se dessine aujourd'hui !
Depuis, avec la complicité de la bureaucratie stalinienne, la bourgeoisie a évité une nouvelle vague de révolutions prolétariennes. Son règne a été prolongé de plusieurs décennies. La crise actuelle montre cependant qu'elle n'a pas surmonté ses contradictions fondamentales.
Pendant ces décennies, les partis dits communistes ont suivi le chemin des partis dits socialistes pour s'intégrer complètement dans le monde capitaliste et en devenir un des rouages avant de disparaître en tant que directions des luttes de la classe ouvrière.
La crise de direction du prolétariat n'a pas été surmontée. Les anciennes directions sont mortes en tant que telles sans qu'une nouvelle direction ait pris leur place.
Tout en insistant sur l'importance fondamentale « de la crise de la direction révolutionnaire » pour l'humanité, Trotsky ajoutait cependant ce constat : « L'orientation des masses est déterminée, d'une part, par les conditions objectives du capitalisme pourrissant ; d'autre part, par la politique de trahison des vieilles organisations ouvrières. De ces deux facteurs, le facteur décisif est, bien entendu, le premier : les lois de l'histoire sont plus puissantes que les appareils bureaucratiques. »
L'affirmation garde toute son actualité. Les lois de l'histoire continuent à agir, même si bien des facteurs, et notamment les trahisons successives de la social-démocratie puis du stalinisme, expliquent qu'elles agissent plus lentement que les révolutionnaires peuvent l'espérer.
Le capitalisme impérialiste est dans l'impasse et la classe ouvrière en tant que force sociale n'a pas disparu. Elle est présente dans une multitude de pays où, au temps de Lénine et à plus forte raison de Marx, elle n'existait que sous forme d'embryon, voire n'existait même pas.
Elle témoigne de sa combativité dans une multitude de pays, de la Chine à l'Afrique du Sud en passant par le Bengladesh. Il y a une multitude de forces politiques qui ont pour ambition de canaliser ce combat, mais elles restent toutes sur le terrain de la bourgeoisie, des réformistes en tout genre aux plus réactionnaires.
Il appartient aux générations à venir de renouer avec les traditions du communisme révolutionnaire, avec ses combats du passé, avec ses expériences. Partout, se pose le problème de reconstruire des partis communistes révolutionnaires, et c'est en cela que cette question se confond avec celle de la renaissance d'une Internationale communiste révolutionnaire.
Personne ne peut prédire comment, à travers quelle voie, les idées communistes révolutionnaires pourront retrouver le chemin de la classe ouvrière, classe sociale à laquelle elles étaient destinées au temps de Marx puis de Lénine et Trotsky. Mais cette classe aujourd'hui encore est la seule qui peut, en s'emparant de ces idées, les transformer en une explosion sociale capable d'emporter le capitalisme.
13 octobre 2014