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La situation intérieure
La situation intérieure est dominée par la guerre que le patronat et le gouvernement mènent contre les travailleurs pour maintenir, malgré la crise, les profits du capital.
Cette guerre n'est pas nouvelle. Depuis la fin de ce que les économistes bourgeois appellent les Trente glorieuses (en exagérant quelque peu quant à la durée et quant à la gloire !), c'est-à-dire depuis le milieu des années soixante-dix, le chômage, à un niveau ou un autre, a fait partie du paysage social français, en même temps que l'on assistait à une diminution de la part salariale dans le revenu national. Le tout accompagné de cadeaux faits aux entreprises et aux plus riches, d'une dégradation des services publics, de leur mise à la disposition du capital privé. Mais la crise financière qui a débuté à l'été 2007, quand a éclaté aux États-Unis la bulle immobilière liée aux « subprimes », et qui a pris toute son ampleur en septembre 2008 avec la faillite retentissante de la banque Lehman Brothers, a vu ces attaques s'amplifier.
Les destructions d'emplois se sont multipliées. Entre septembre 2008 et septembre 2009, d'après les Assedic, le nombre des demandeurs d'emploi indemnisés est passé de 3,5 millions à 4,1 millions, soit une augmentation de plus de 17 % en un an. Alors même que, d'après la même source, en ce mois de septembre 2009, le nombre de chômeurs indemnisés était pour la première fois en baisse (de 30 000) par rapport au mois précédent, traduisant l'augmentation du nombre de chômeurs en fin de droits. Les premières victimes des licenciements qui ont conduit à ces chiffres ont été les travailleurs en CDD et les intérimaires. Mais les fermetures d'usines, les plans de suppressions d'emplois, hypocritement appelés « sociaux », ont aussi touché de nombreux travailleurs en CDI.
Dans une période de rétrécissement des marchés solvables, les suppressions d'emplois et les licenciements ont joué le rôle de variable d'ajustement pour les capitalistes. Mais la crise a joué aussi un rôle de prétexte pour aggraver la politique de suppressions d'emplois menée depuis des années par des groupes qui continuent d'afficher des bénéfices confortables et de distribuer à leurs actionnaires des dividendes qui ne le sont pas moins. Politique qui consiste à faire tourner les usines, ou fonctionner les services, avec un nombre de plus en plus réduit de travailleurs, en surexploitant ceux qui n'ont pas été jetés à la rue.
Ce qui caractérise le capitalisme de notre époque, c'est la faiblesse des investissements productifs qui, aux yeux des possesseurs de capitaux, ne rapportent pas assez de profits et pas assez vite. Quand les économistes de la bourgeoisie parlent des « investisseurs », ils font en fait le plus souvent référence aux spéculateurs qui achètent ou vendent en Bourse à la recherche d'un profit à court terme.
Une partie des rachats et fusions d'entreprises qui se sont multipliés dans la dernière période correspond à la volonté de mettre la main sur les parts de marché détenues par les entreprises rachetées. Mais bien des rachats aussi sont effectués par des fonds de placement qui visent un profit à plus court terme encore, en revendant à bon prix « à la découpe » les secteurs les plus rentables des groupes rachetés, après avoir fermé - licenciements à la clé - ou fait racheter, par des mercenaires qui se chargeront du sale boulot, ceux qui l'étaient moins.
En outre, l'État met à la disposition des possesseurs de capitaux des entreprises, clefs en mains, qui leur garantissent des profits immédiats.
Passée la vague de nationalisations des premières années de la présidence de Mitterrand, largement indemnisées, qui a permis aux capitalistes de récupérer des capitaux immobilisés dans des entreprises insuffisamment rentables à leurs yeux ; et une fois les restructurations, accompagnées de fermetures d'entreprises et de licenciements, effectuées par l'État, comme par exemple dans la sidérurgie, celui-ci a remis ces entreprises à la disposition du grand capital.
Mais l'intervention de l'État ne s'est pas arrêtée là. Dans tous les domaines, il a facilité la prise en main par des capitaux privés des secteurs rentables de tout ce qui jusque-là relevait des services publics. La transformation de La Poste en société par actions, que le gouvernement a décidée, n'est que la dernière, pour le moment, des opérations de ce genre. Président de la République et ministres ont beau mentir avec un bel ensemble en proclamant que cette opération ne vise pas à la privatisation de La Poste, les précédents d'Air France, de France Télécom, d'EDF et de GDF - entreprise dont Sarkozy, au moment de l'ouverture du capital, avait affirmé que la part de l'Etat n'y serait pas minoritaire - ne laissent aucun doute sur les intentions réelles du gouvernement.
Mais il faut noter que la gauche parlementaire, qui proteste aujourd'hui contre cette extension des privatisations, a joué quand elle était au gouvernement son rôle dans cette comédie. Le gouvernement du socialiste Jospin, dit de la « gauche plurielle », formé à la suite de la dissolution malheureuse (pour la droite) d'avril 1997, n'a rien fait pour revenir sur le découpage de la SNCF et la création du Réseau ferré de France qui avaient été décidés trois mois auparavant par la droite, alors que cette opération était visiblement la première étape de l'ouverture de ce réseau aux entreprises privées. C'est également à cette époque que commença le processus de privatisation de France Télécom. Plus encore, c'est le ministre communiste des Transports, Gayssot, qui a ouvert le capital d'Air France au privé, mettant en route le processus de privatisation.
Dans le domaine de la santé aussi, le gouvernement fait la part belle au secteur privé. Alors que l'hôpital public, qui joue pourtant un rôle irremplaçable, est pris à la gorge parce qu'on lui impose des critères de rentabilité incompatibles avec ce que devrait être sa fonction, et au nom de « l'équilibre budgétaire » n'embauche pas le personnel nécessaire, ferme des lits et des services, au nom de la « complémentarité » de l'hospitalisation privée et de « l'intérêt des malades », comme ose affirmer Roselyne Bachelot, l'État facilite la prise en main par ce secteur privé de tout ce qui peut se révéler rentable en termes de soins et de moyens de diagnostic.
Bien sûr tout cela se fait au nom du respect des directives européennes concernant la libre concurrence. On entend certes, de temps en temps, les représentants du gouvernement émettre quelques critiques contre ces directives, mais c'est pure hypocrisie, puisque les commissaires français à Bruxelles ont participé à leur élaboration. L'Europe sert seulement de bouc émissaire chargé de faire oublier que toute cette politique a été voulue par la bourgeoisie française et ses gouvernements, et appliquée par ces derniers en plein accord.
Mais l'aide de l'État à la bourgeoisie ne se limite pas à lui permettre de prendre en main des pans entiers des services publics. Ni aux subventions directes ou indirectes (comme la « prime à la casse ») abondamment versées aux entreprises depuis l'éclatement de la crise.
Il y a déjà bien longtemps qu'au nom de la lutte contre le chômage, de la création ou de la sauvegarde des emplois, les gouvernements successifs ont multiplié les cadeaux aux entreprises par de multiples moyens : multiplication des exonérations de cotisations sociales ; réduction de l'impôt sur les bénéfices des sociétés, passé de 50 % sous Giscard, qui n'avait pourtant rien d'un anticapitaliste, à 33 % sous Balladur, mais que Sarkozy trouve encore trop élevé, en arguant du fait que le taux moyen pour l'Union européenne est de l'ordre de 25 % ; crédits d'impôt recherche ; et cette liste n'est pas limitative. L'ensemble de ces dépenses a explosé dans les deux dernières années.
Mais le gouvernement aide encore le patronat par d'autres voies, y compris quand il prétend faire du « social ». Dans la même veine que « l'aide personnalisée au logement », créée par le gouvernement Barre-Giscard en 1977, ou que « l'allocation logement », qui permettent au patronat de payer des salaires ne permettant même pas aux travailleurs de se loger à peu près décemment, la « prime pour l'emploi » comme le RSA visent en fait à donner aux patrons la possibilité d'embaucher des travailleurs à un salaire ridiculement bas.
De même, les mesures prises par Sarkozy concernant l'indemnisation du chômage partiel sont bien moins faites pour aider les travailleurs que pour permettre aux patrons de garder à leur disposition aux moindres frais des effectifs leur permettant de faire face à une reprise temporaire de la production.
À ces cadeaux faits aux entreprises, il faut ajouter ceux qui s'adressent directement aux bourgeois en tant qu'individus, dont le « bouclier fiscal » plafonnant depuis août 2007 à 50 % de ses revenus le montant total des impôts directs payés par un contribuable. Cette mesure, qui intéresse évidemment en premier lieu les plus riches, les met en outre à l'abri de toute augmentation de la fiscalité, alors que la plongée du déficit public ne peut guère aboutir, à un moment ou un autre, et quoi qu'en dise le gouvernement, qu'à une augmentation des impôts.
Mais ce qui est aussi caractéristique de la situation, c'est la démoralisation profonde de la majorité des travailleurs, qui sont parfaitement conscients que le gouvernement ne défend que les seuls intérêts des riches, mais qui ne voient pas comment on pourrait inverser le rapport de forces.
L'existence de quelques luttes radicales, menées par des travailleurs menacés de licenciements qui, le dos au mur, essaient d'obtenir de partir dans les moins mauvaises conditions possibles, ne doit pas faire illusion. D'autant que bien souvent il s'agit d'une pseudo-radicalité, qui s'exprime par des menaces n'allant pas jusqu'à exécution comme par exemple de faire sauter un engin réalisé avec des bouteilles de gaz... dont on nous dit après qu'il était factice, ou de déverser des produits toxiques dans une rivière.
La multiplication des suicides de travailleurs ne supportant plus les pressions de leur direction, notamment à France Télécom ou à Renault Guyancourt, atteste bien sûr de l'infamie des méthodes patronales. Mais elle témoigne aussi de l'absence de réactions collectives face à ces méthodes, d'une démoralisation qui amène des travailleurs à ne pas voir d'autres moyens de protester et d'échapper à la condition qui leur est faite que le suicide.
La politique des confédérations syndicales n'est certes pas la seule responsable de cette situation. La crise elle-même est un facteur de démoralisation. Et pour se référer à l'exemple de 1929, il faut se souvenir que les premières réactions ouvrières d'importance n'ont eu lieu qu'à partir de 1934. Mais les confédérations syndicales, par leur refus de fait d'œuvrer à une riposte d'ensemble de la classe ouvrière, portent une lourde responsabilité dans la situation présente.
Les grandes confédérations syndicales revendiquent pourtant le monopole de la direction des luttes. Le secrétaire général de la CFDT, Chérèque, a aimablement qualifié de « rapaces » les militants d'extrême gauche qui « font le tour des entreprises en difficulté », expression d'ailleurs reprise à son compte par le porte-parole de l'UMP, Frédéric Lefebvre. Cette dénonciation des interventions des militants politiques est bien dans la ligne d'une confédération qui a toujours soutenu l'idée que tout ce qui concerne les relations employeurs-employés ne relève que des seuls syndicats, et que le seul rôle des « politiques » doit être de participer aux travaux du Parlement.
Mais la direction de la CGT, qui a été si longtemps étroitement tenue en main par l'appareil du PCF, n'a pas une attitude différente. En octobre 2005, une déclaration de la Commission exécutive confédérale de la CGT affirmait : « La CGT établit des rapports avec les partis politiques reposant sur le respect mutuel [...] dans le respect des prérogatives et de l'identité de chacun »... C'est-à-dire à condition qu'ils ne se permettent pas de juger les interventions de la CGT, et surtout qu'ils n'interviennent pas dans les conflits du travail. Et, à l'occasion de la manifestation du Premier mai 2009, Bernard Thibault a affirmé plus clairement encore : « Quand des partis veulent penser à la place de l'intersyndicale et nous dire ce que nous devrions faire, ils se trompent de mission. Qu'ils réfléchissent à l'évolution de la société, aux conditions dans lesquelles ils prétendent un jour parvenir au pouvoir plutôt que de se prendre pour des simili-syndicats. »
Non seulement cette conception qui voudrait bannir les organisations politiques des luttes sociales est fausse, mais elle est misérable, dans une situation où les confédérations syndicales, non seulement n'offrent aux salariés aucune perspective de lutte d'ensemble contre l'offensive menée par le patronat et le gouvernement à son service contre l'ensemble du monde du travail, mais où les dirigeants de la CGT déclarent même, tel Maurad Rhabi, secrétaire confédéral : « Les directions des confédérations n'ont pas à intervenir en première ligne dans les conflits locaux. C'est aux responsables des fédérations professionnelles et des unions départementales de le faire. La CGT, la CFDT et FO ont plus ou moins la même approche. Dans l'entreprise c'est le rôle des délégués de défendre les salariés. »
L'année 2009 a connu deux phases bien distinctes dans la tactique syndicale. La première, placée sous le signe de l'unité syndicale, a été marquée par les journées d'action du 29 janvier et du 19 mars, que les confédérations syndicales se sont bien gardées de présenter comme des étapes dans une mobilisation de plus grande ampleur, mais qui, par le niveau de participation, ont été incontestablement des succès.
L'unité syndicale a bien sûr joué un rôle positif dans ce succès, parce que pour la grande majorité des travailleurs cette unité est en elle-même une bonne chose. Mais il s'agissait d'une unité décidée au sommet, à travers des négociations entre les différents appareils, sans que la CGT par exemple, puisque c'est elle qui est la plus influente et qui a la réputation d'être la plus combative, ait jamais fait de proposition publique sur la suite qu'il convenait de donner à ces journées, ce qu'aurait fait une organisation ouvrière désireuse d'entraîner derrière elle, avec ou sans les autres directions syndicales, l'ensemble des travailleurs.
La rupture de fait de ce front syndical commun, après le Premier mai, n'a pas plus donné lieu à des explications publiques. Alors que ses partenaires de la veille, sous un prétexte ou sous un autre, se sont limités à vouloir négocier avec le patronat et le gouvernement autour du tapis vert, la CGT, tout aussi désireuse d'être reconnue comme un interlocuteur valable, a mis en avant le concept de « calendrier » qui consiste à orchestrer des journées d'action limitées à une branche, voire une entreprise, à des dates voisines mais différentes. Avec cette politique, ce ne sont pas les problèmes communs à l'ensemble du monde du travail, la lutte contre les licenciements et les suppressions d'emplois, la dégradation des conditions de travail, la baisse du niveau de vie, qui sont mis en avant, mais bien sûr leur traduction en termes catégoriels.
Une véritable lutte contre les fermetures d'entreprises demanderait un haut niveau de conscience et de combativité, car comment empêcher des patrons qui veulent vraiment fermer leurs entreprises de le faire... autrement qu'en se battant pour l'expropriation de ces entreprises et leur gestion sous contrôle ouvrier ? Mais qui oserait prétendre que, dans les circonstances actuelles, c'est à l'ordre du jour ?
La lutte contre les licenciements ne peut avoir des chances d'aboutir que dans le cadre d'une mobilisation de l'ensemble de la classe ouvrière. Il n'est évidemment pas au pouvoir de la direction de la CGT de déclencher celle-ci en appuyant sur un bouton. Mais il serait du devoir d'une organisation dont l'objectif serait vraiment la défense des intérêts matériels et moraux de la classe ouvrière, de tout faire pour la préparer, à commencer par défendre clairement et avec ténacité des objectifs justes auprès des travailleurs eux-mêmes. Ce qui signifie déjà ne pas proposer de fausses perspectives, comme notamment, s'agissant d'une « autre politique industrielle », celle de s'aligner derrière le patronat.
Au lieu de cela, face aux luttes menées, dans certaines entreprises menacées de fermeture, par des travailleurs s'efforçant d'obtenir au moins des indemnités de licenciement supérieures aux indemnités légales, certains responsables confédéraux se sont permis de condamner en termes méprisants ce qu'ils ont appelé la politique des « chèques valises », en lui opposant la lutte pour cette « autre politique industrielle ». Ce thème est devenu l'axe de la propagande de la CGT, comme l'a montré la journée du 22 octobre. Mais vouloir convaincre un patronat dont la principale préoccupation est de faire le plus possible de profits qu'il pourrait faire aussi bien, voire mieux, en suivant les conseils des dirigeants de la CGT, relèverait de la débilité profonde... si ce n'était pas une manière délibérée d'entraîner les militants syndicaux sur une voie sans issue, et de camoufler le fait que la direction confédérale ne fait rien pour répondre vraiment aux problèmes de l'heure.
Dans le cadre de la préparation de cette journée du 22 octobre, la direction confédérale avait diffusé le 16 un texte concernant l'annonce, par le gouvernement, des futurs « États généraux de l'industrie ». Après s'être félicité que le ministre Estrosi avait utilisé « les mots clés d'un discours qui pourrait rassurer les salariés » et avoir déploré (mais comment s'en étonner) que « la première mesure concrète s'inscrit dans la vieille logique des cadeaux au patronat », la conclusion était que « dans ce contexte, la CGT prendra toute sa place dans les différentes initiatives ». Au lendemain de la manifestation du 22 octobre, une déclaration de la CGT mettait les points sur les i : « Forte du succès de cette mobilisation, la CGT entend participer aux États généraux de l'industrie que le président de la République vient de lancer. »
C'est qu'être admis à discuter avec les représentants du gouvernement et du patronat, être considéré par eux comme des interlocuteurs valables, bénéficier de ce fait de retombées qui permettent à l'appareil de vivre, est la seule ambition de dirigeants qui ne contestent plus depuis longtemps le capitalisme autrement que verbalement, tout en étant des soutiens déclarés de l'économie de marché... et donc du système capitaliste !
Cette politique de la confédération désoriente beaucoup de militants, et en pousse à se retirer de l'activité, ou à ne s'intéresser qu'à ce qui se passe dans leur entreprise. Mais le mécontentement qu'elle suscite chez ceux qui en contestent la passivité n'a pas que des aspects négatifs. Ces militants ne sont pas venus pour autant aux mêmes conceptions de l'activité syndicale que les militants révolutionnaires. Ils restent dans leur immense majorité profondément réformistes, marqués par des comportements bureaucratiques. Mais le fait qu'ils critiquent l'attitude de leur direction confédérale, qu'ils ne lui fassent plus confiance, peut nous permettre de trouver leur oreille.
Contrairement aux autres courants du mouvement trotskyste, nous avons toujours refusé de nous adresser seulement aux militants politiques ou syndicaux de la classe ouvrière. Nous adresser, dans nos interventions, à tous les travailleurs, ce qui est notre pratique, est d'ailleurs nécessaire pour avoir une chance d'influencer la minorité de ceux qui sont organisés au PCF ou à la CGT.
À partir du moment où on n'a pas avec ses interlocuteurs une même conception des buts à atteindre, des moyens d'y parvenir - et nous ne l'avons pas avec les militants du PCF ou de la CGT, même avec les plus combatifs - aucun raisonnement ne peut convaincre. La seule manière que nous avons de les ébranler, c'est de faire la démonstration que les idées défendues par les communistes révolutionnaires, ces « vieilles » idées que leurs dirigeants ont depuis longtemps abandonnées, peuvent rencontrer l'oreille des travailleurs.
Dans la situation actuelle où, au sein de la CGT comme du milieu lié au PCF, une fraction non négligeable de militants est critique sur l'attitude de la confédération et des fédérations syndicales, ou sur le retour à une nouvelle version de l'Union de la gauche, nous devons nous efforcer, au niveau de l'organisation comme à celui de chacun de ses membres, de nous adresser à ces militants.
Cela implique bien sûr de ne pas bouder systématiquement les initiatives prises par les directions syndicales, aussi dérisoires ou faux que soient les mots d'ordre mis en avant, mais d'y être présents en y défendant nos propres perspectives. Cependant la profusion des simili-actions entrant dans le calendrier de la CGT ne va pas sans poser de problèmes. Par exemple, les travailleurs de La Poste étaient appelés à organiser le 3 octobre la « votation citoyenne » sur la privatisation. La CGT avait décidé de faire du 7 octobre un « temps fort de mobilisation » des postiers. En tant que travailleurs de la fonction publique, ils étaient appelés à participer à la manifestation du 22 octobre... indépendamment du « rassemblement contre la privatisation » prévu pour le samedi 24 octobre. Sans compter les mouvements destinés à telle ou telle catégorie de postiers. Dans un tel contexte, nos camarades exerçant des responsabilités syndicales pourront avoir des choix à faire, pour déterminer quel appel sera le plus susceptible de mobiliser un nombre significatif de travailleurs.
L'omniprésence de Sarkozy qui, contrairement à la tradition de la Cinquième République, sert plutôt de fusible à son Premier ministre que le contraire, sa manière d'étaler son train de vie, d'afficher son amitié avec tous les milliardaires que compte le pays, tout cela incite ses adversaires de la gauche parlementaire, et aussi de la « gauche de la gauche » à en faire le pendant en France de ce que Bush a été pour l'intelligentsia américaine avant l'élection d'Obama, et de faire du « tout sauf Sarkozy » l'alpha et l'oméga de leur politique.
Mais Sarkozy ne tranche que par le style avec ses prédécesseurs de droite comme de gauche. Car, sur le fond, de Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac étaient tout autant que Sarkozy des fidèles serviteurs de la bourgeoisie, des défenseurs de ses intérêts. Et les députés UNR élus sur le nom de De Gaulle en 1962, qui méritèrent par leur soutien inconditionnel au général-président le surnom de « godillots », n'avaient pas plus voix au chapitre que leurs successeurs de l'UMP. Sauf qu'on ne leur demandait pas de prendre la défense des vacances de milliardaires ou du népotisme, du côté « bling-bling », de leur président.
Que Sarkozy suscite la haine dans une large fraction des classes populaires est non seulement compréhensible, mais parfaitement justifié. Cependant, le rôle des militants révolutionnaires n'est pas de s'aligner purement et simplement sur les réactions des classes populaires, mais de leur montrer la réalité des rapports de classes qui se cachent derrière les péripéties de la vie politicienne.
Après l'élection présidentielle de 2007, la quasi-totalité de la droite s'est ralliée à Sarkozy, parce qu'il était l'unique dispensateur des maroquins ministériels et des prébendes qui leur sont attachées. Mais l'approche des élections régionales a ressuscité une certaine diversité au sein de cette même droite, car bien des aspects de la politique de Sarkozy - comme les mesures fiscales qui risquent d'obérer fortement les budgets municipaux - ou de ses attitudes - comme le soutien sans faille accordé à Frédéric Mitterrand - risquent de mécontenter une partie de l'électorat de droite.
Cela peut aussi faire le jeu de l'extrême droite. Le Front national a régressé électoralement ces dernières années. Mais le courant réactionnaire sur lequel il s'appuyait n'a pas disparu pour autant. Sarkozy avait certes réussi, au cours de la campagne électorale de 2007, à capter la plus grande partie de cet électorat du Front national, mais c'est en apparaissant comme le défenseur des mêmes valeurs - si on peut employer ce mot à propos de la xénophobie et d'un racisme qui ne dit pas ouvertement son nom - et en défenseur plus efficace, puisqu'il avait une chance réelle d'être élu. Depuis, Hortefeux et le transfuge du PS Besson se sont employés à continuer à séduire la fraction la plus réactionnaire de l'électorat. Mais les ouvertures répétées de Sarkozy vers la gauche, son soutien sans réserve à un Mitterrand qui ne cache pas son homosexualité, son côté nouveau riche, tout cela risque de troubler bien de ses anciens supporters de la droite « catholique et français d'abord ». Le débat lancé sur « l'identité nationale » est manifestement destiné à regagner quelques points aux yeux de cet électorat.
La question de savoir si l'UMP sortira intacte de cette vague de mécontentement interne et si le Modem a quelques chances de séduire de nouveau une partie de l'électorat de droite ne présente certes aucun intérêt du point de vue des travailleurs. Mais elle en a pour le Parti socialiste qui louche dans sa direction.
La rivalité entre Ségolène Royal et Martine Aubry, la multiplicité des candidats à la candidature en vue de l'élection présidentielle de 2012, amènent la plupart des commentateurs à ne voir dans la crise que traverse le Parti socialiste que la conséquence de cette querelle des chefs. C'est largement prendre l'effet pour la cause.
Mitterrand avait réussi à faire l'unité autour de lui, au congrès d'Épinay de 1971, parce qu'il était le seul qui apparaissait susceptible d'obtenir le soutien du PCF, de se faire élire grâce à cela, et donc d'ouvrir à ses lieutenants l'accès aux ors de la République, ce qui fut fait en 1981. Jospin, en 1997, a bénéficié d'une victoire surprise dans des législatives anticipées, qui l'a amené à la tête du gouvernement, pour apparaître lui aussi, jusqu'à sa défaite à l'élection présidentielle de 2002, comme le dispensateur des sinécures gouvernementales. Mais aujourd'hui aucun prétendant à la direction du PS n'est en mesure d'offrir des perspectives de ce genre.
Le Parti socialiste dirige actuellement vingt régions sur vingt et une en France continentale. À moins d'un éclatement total de la droite dans les mois qui viennent, bien peu probable, il a peu de chances de maintenir ses positions. D'où l'âpreté de la compétition pour savoir qui sera tête de liste dans les régions qui paraissent les moins menacées, d'où aussi la diversité des positions sur les alliances possibles avec le Modem. Tout cela venant compliquer la préparation de l'élection présidentielle de 2012.
Dans la situation présente, la possibilité pour le PS de gagner la présidentielle et / ou les législatives de 2012, de renouer avec les responsabilités gouvernementales est extrêmement réduite.
D'une part, parce que le PS est en quelque sorte victime de ses succès passés. Mitterrand s'était employé à réduire l'influence électorale du PCF au profit du PS, non seulement parce que c'est sur ce parti qu'il avait mis la main pour en faire l'instrument de son accession au pouvoir, mais aussi pour pouvoir offrir à la bourgeoisie française une option de gauche dans laquelle ce ne serait pas un parti lié à l'URSS (c'était encore le cas en 1981) et soucieux de ne pas perdre son influence sur la classe ouvrière qui y serait majoritaire. Il y a largement réussi. Mais le fait que le Parti communiste ait perdu les trois quarts de son électorat se traduit aussi, surtout dans une période où les vents dominants soufflent vers la droite, par la disparition d'une bonne partie de l'appoint électoral sur lequel le PS pouvait compter.
D'autre part, parce que le PS est aussi victime des changements institutionnels auxquels il a présidé : la mise en place du quinquennat et le calendrier électoral où les élections législatives suivent immédiatement l'élection présidentielle. Que ces mesures aient été inspirées par le souci d'éviter de nouvelles cohabitations, nées d'élections législatives intermédiaires, ou par l'idée que l'élection de Jospin à la présidentielle de 2002 assurerait pour longtemps la présence du PS au gouvernement, peu importe. C'est au contraire la droite qui risque de bénéficier longtemps de la défaite de Jospin à la présidentielle de 2002. Et la politique de la main tendue à l'homme de droite qu'est Bayrou, qui tente bon nombre de dirigeants socialistes, a bien peu de chances de modifier cet état de fait.
Que les dirigeants du PS en soient conscients, c'est ce que prouve le nombre de ceux qui l'ont abandonné et qui ont cédé aux charmes de l'ouverture sarkozienne, soit en acceptant des ministères, comme Kouchner, Bockel et Besson, soit en acceptant des postes ou des missions, comme Strauss-Kahn, Lang ou Rocard.
Ces nombreuses désertions sont par ailleurs significatives du peu de différence qui existe entre les leaders du Parti socialiste et les hommes de la droite, qui n'ont pas forcément la même clientèle électorale, mais dont le but commun est d'être admis à gérer les affaires de la bourgeoisie.
Les élections européennes de 2009 ont été marquées par le succès des listes d'Europe Écologie. Celui-ci entre dans le cadre de l'évolution vers la droite de la vie politique française, car si, en 1995 et en 2002, une fraction non négligeable de l'électorat, sans être pour autant gagnée aux idées révolutionnaires, avait émis un vote protestataire en votant pour l'extrême gauche, en 2009 c'est un courant politique qui ne remet absolument pas en cause les fondements du système capitaliste qui a le plus profité de la perte de crédit des partis traditionnels.
Ce résultat annonce-t-il un changement durable du paysage politique français ? Rien n'est moins sûr, car les élections européennes apparaissent si dénuées d'enjeu aux yeux de l'électorat qu'elles sont propices à des mouvements d'humeur sans lendemain. Qu'est-il resté des 12 % de voix obtenues par la liste Énergie radicale conduite par Bernard Tapie en 1994 ? Des 13 % de la liste Pasqua-de Villiers, qui avait devancé la liste RPR conduite par Sarkozy, en 1999 ?
Mais même si les Verts confirmaient dans l'avenir leur montée électorale, cela ne constituerait pas automatiquement un renfort pour le Parti socialiste (d'autant plus qu'elle se fait dans une large mesure à son détriment). Pour le Parti socialiste, le Parti communiste était un allié assuré, au moment des élections, car même s'il s'efforce entre deux scrutins de faire entendre sa différence, le PC n'a pas d'autre choix au moment décisif que de se rallier au PS. Les Verts ne sont pas dans ce cas-là. Ils l'ont déjà dit ouvertement, ils ne sont pas mariés avec le PS et n'ont aucune raison de ne pas céder, si on leur fait des avances, aux chants des sirènes sarkoziennes. D'autant qu'en ce moment les discours sur la taxe carbone ou l'aide aux industriels de l'automobile sous prétexte de produire des véhicules moins polluants peuvent les séduire.
La préparation des élections régionales de 2010 a été depuis des mois pour les formations de gauche l'occasion d'une vaste partie de poker menteur, dans laquelle tout le monde a proclamé la nécessité de l'unité, mais où personne ne mettait le même contenu dans ce mot.
Le NPA qui louchait sur un accord avec le Parti de gauche et le PCF se prononçait pour l'unité, mais pas avec le Parti socialiste, avec lequel il ne serait prêt, au deuxième tour, qu'à des accords techniques excluant tout soutien au futur exécutif en cas de victoire de la gauche ; comme si le Parti socialiste pouvait sérieusement concéder des sièges à une formation qui ne le soutiendrait pas.
Le Parti de gauche, avec des circonlocutions, et le Parti communiste, plus ouvertement, étaient prêts à des accords avec le Parti socialiste, car sans de tels accords le PCF est quasiment assuré de perdre tous les sièges de conseillers régionaux qu'il occupe actuellement, et auxquels il tient.
Quant au Parti socialiste, assuré du soutien du PCF, c'est le Modem que beaucoup de ses dirigeants courtisent plus ou moins discrètement.
Le conseil national du PCF s'est finalement prononcé le 25 octobre pour des listes Front de gauche autonomes, en rejetant la participation du NPA qui « persiste à refuser la nécessité de travailler à des majorités ». Mais comme cette orientation doit encore être votée région par région, il est impossible de dire aujourd'hui comment la gauche apparaîtra dans ces futures élections, car il y aura peut-être au premier tour de listes où cohabiteront PS, PCF et Parti de gauche, à côté de listes du Front de gauche se préparant pour une fusion avec le PS au second tour, car les solutions « à la carte » suivant les régions ne sont pas exclues. Mais en tout état de cause, cela n'a guère d'importance.
Pour les militants révolutionnaires que nous sommes, le seul intérêt de participer à ces élections (mais il n'est pas mince, et c'est pourquoi nous devrons y être présents), c'est de profiter de la petite tribune qui nous sera ainsi ouverte pour défendre devant tous les travailleurs notre programme, la nécessité pour la classe ouvrière, si elle veut cesser de supporter tout le poids de la crise, d'imposer son contrôle sur l'économie.
Nous sommes aujourd'hui dans ce pays la seule organisation qui se réclame du trotskysme, c'est-à-dire du communisme révolutionnaire - les deux organisations issues de la Quatrième internationale d'après-guerre, l'une venant du courant lambertiste et l'autre du Secrétariat unifié ayant, l'une comme l'autre, décidé de se fondre dans des rassemblements, le POI (succédant au MPPT et au PT) pour la première, le NPA pour l'autre, qui gomment les différences entre communistes, socialistes, anarchistes ou écologistes, et qui sont incapables de ce fait de défendre la perspective politique de la prise en main des destinées de la société, à l'échelle mondiale, par le prolétariat.
Depuis plus d'un demi-siècle, l'extrême gauche petite-bourgeoise a essayé de se raccrocher à d'autres forces sociales qu'elle dépeignait comme l'avant-garde de la révolution socialiste. Ce furent d'abord les révolutions coloniales, les guerres de libération nationale des pays du tiers-monde qui, à défaut de combattre l'impérialisme, infligèrent au moins des revers à des puissances impérialistes. Mais l'évolution de toute la société vers la droite s'est traduite par des soutiens « de gauche » à des courants encore plus réactionnaires ; à la tolérance, quand ce n'est pas à la complicité, avec des islamistes ; à l'adaptation aux idées de la « décroissance ».
Pour toute la mouvance qui s'agite autour de ces idées, la classe ouvrière a disparu, ou est en train de le faire. Mais s'il est vrai que la classe des ouvriers d'industrie s'est réduite dans un pays comme la France, ce n'est absolument pas vrai à l'échelle mondiale. Et surtout, la classe de ceux qui n'ont d'autre possibilité pour vivre que de vendre leur force de travail, celle des prolétaires (mot encore plus horriblement démodé aux yeux des petits bourgeois que celui d'ouvrier), n'a cessé de se développer.
Ce n'est pas parce que des décennies de stalinisme n'ont laissé que des décombres idéologiques qui rendent difficile la défense du programme communiste qu'il faut renoncer à ce combat, bien au contraire. Le mouvement ouvrier doit renouer avec le programme de transformation sociale radical qui était celui des partis socialistes au début du vingtième siècle, celui de l'Internationale communiste dans les années qui suivirent la révolution d'Octobre. Défendre ce programme contre toutes les modes intellectuelles plus ou moins réactionnaires fait partie de nos tâches.
Nous ne savons pas dans quels délais éclateront les luttes ouvrières que la crise ne peut pas ne pas entraîner, à un moment ou à un autre. Mais ce que toute l'histoire nous enseigne, c'est que ce jour-là, la classe ouvrière aura besoin d'une direction capable de lui montrer la voie à suivre, capable de lui éviter de tomber dans les pièges que ne manqueront pas de lui tendre, non seulement ses ennemis ouverts (ce sont les plus faciles à éviter), mais surtout ses faux amis.
Il nous faut donc, en même temps que nous poursuivons notre travail de renforcement de notre implantation dans les entreprises, recruter et former des militants. Et le mot former est aussi important que le mot recruter. Il nous faut former des militants décidés à lier leur sort à celui de la classe ouvrière, quelles que soient les circonstances, convaincus que la classe des travailleurs reste la seule qui puisse ouvrir un autre avenir à l'humanité. Des militants cultivés, ayant assimilé toutes les leçons que l'on peut tirer de près de deux siècles d'histoire du mouvement ouvrier.
Nous ne construirons certainement pas le parti révolutionnaire par la méthode du un, plus un, plus un. Mais, dans des circonstances favorables, le parti peut se construire très vite, « à la vitesse de l'éclair », disait Trotsky, pour peu qu'existe un noyau cohérent de militants compétents. C'est ce noyau qu'il nous faut construire.