- Accueil
- Lutte de Classe n°140
- La situation intérieure
La situation intérieure
12 novembre 2011
Situation générale
Ce sont la crise financière et ses conséquences qui ont dominé l'actualité en France tant dans le domaine économique que dans le domaine politique.
Comme partout dans le monde, le grand patronat a mis à profit la crise et le rapport de forces en sa faveur pour intensifier son offensive contre les travailleurs. Cela se traduit par des restructurations dans les entreprises, dont les formes sont multiples mais qui visent toutes à « rationaliser », c'est-à-dire à faire faire plus de travail par moins de travailleurs et plus mal payés. Au nom de la recherche de compétitivité, toutes les entreprises intensifient le rythme de travail, imposent sous des formes diverses la flexibilisation du travail, l'accroissement de la précarité et le blocage des salaires.
Tout cela ne date évidemment pas de cette année mais les craintes, réelles ou anticipées, d'une nouvelle période de récession, et donc d'une aggravation de la concurrence, poussent toujours plus le patronat à récupérer ce qu'il craint de perdre au détriment de ses fournisseurs, sous-traitants, etc. et, plus encore, au détriment des salariés.
L'offensive menée par la classe capitaliste elle-même est complétée par la politique du gouvernement.
La crise de la dette souveraine (cf. texte La crise économique) a fourni au gouvernement le nouveau prétexte censé justifier toutes les mesures d'austérité : il faut rembourser la dette.
Nous ne revenons pas ici sur le caractère de classe de l'argument. Les classes populaires ne sont pour rien dans le creusement de l'endettement du pays et n'en ont en rien profité.
La dette de l'État français était au début du mois d'avril 2011 de 1 646 milliards d'euros (sans compter la dette des collectivités locales). Elle a augmenté de quelque 500 milliards d'euros, rien que sous le gouvernement de Sarkozy. L'accroissement de l'endettement est le résultat des multiples cadeaux faits aux entreprises capitalistes, à commencer par les banques, pour leur permettre de surmonter la crise financière de 2008 et la menace de faillite du système bancaire doublée de celle d'une récession. Comme le remboursement de chaque tranche de la dette implique de nouveaux emprunts sur les marchés financiers moyennant intérêts, la dette s'alimente d'elle-même. C'est un racket permanent par lequel l'État impose aux classes populaires de payer un tribut croissant au capital financier.
Si les partis de la gauche gouvernementale mettent en cause la responsabilité de Sarkozy dans l'accroissement de la dette en invoquant le bouclier fiscal, la multitude de niches fiscales favorisant aussi bien les grandes entreprises que leurs riches propriétaires et actionnaires, la baisse de l'impôt sur la fortune, ils considèrent cependant comme sacro-saintes la dette et l'obligation de la rembourser.
Nous avons à mettre le doigt en toutes circonstances sur cette union sacrée autour de la dette, et à la dénoncer. La dette a été faite au profit de la bourgeoisie, c'est à elle de la rembourser !
Tous les discours tenus par la gauche sur la réforme fiscale future, sur une fiscalité plus « juste », sont nuls et non avenus dès lors qu'ils proclament la nécessite de payer la dette. Car cela signifie qu'ils comptent continuer à payer aux banquiers des sommes considérables prélevées sur les classes populaires. C'est aussi l'annonce claire que le futur gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, reprendra à son compte la politique d'austérité.
Fillon vient d'annoncer un deuxième plan d'austérité. Il avait présenté, il y a trois mois, un premier plan de douze milliards d'économies, prélevés essentiellement sur les couches populaires : taxes supplémentaires sur le tabac, l'alcool, les boissons sucrées. Il élève de 3,5 % à 7 % la taxe sur les mutuelles et les assurances privées, alors que déjà huit millions de personnes ne peuvent plus se payer une complémentaire santé.
Sans compter les mesures précédentes : forfait hospitalier passé de 16 à 18 euros dans les hôpitaux et cliniques, et de 12 à 13,50 euros dans les hôpitaux psychiatriques. En mars 2011, passage de 91 à 120 euros de la franchise hospitalière pour les soins coûteux. Et les déremboursements de médicaments n'ont pas cessé.
Certes, le gouvernement vient de décider une taxe occasionnelle sur les très hauts revenus. Elle sera de 3 % sur les revenus entre 250 000 et 500 000 euros par an et de 4 % au-dessus de 500 000. Cela devrait concerner 27 000 foyers et rapporter à l'État 410 millions d'euros, à comparer aux près de 2 milliards d'euros dont le gouvernement leur a fait cadeau cette année en réduisant l'impôt sur la fortune.
Le nouveau plan d'austérité annoncé par Fillon le 7 novembre prétend faire une économie de 65 milliards d'euros supplémentaires sur cinq ans pour l'État. Les principales mesures sont l'augmentation de la TVA de 5,5 à 7 % dans la restauration ainsi que dans les travaux à domicile. Mais cette hausse de la TVA touchera aussi les transports (RATP et SNCF) et aussi les livres, les places de cinéma, les nuits d'hôtel. Le gouvernement nous dit que cela ne touchera pas les produits de première nécessité, mais qui décide ce que sont les produits de première nécessité ?
Rappelons que la TVA est la première recette fiscale de l'État qui touche tout le monde mais pèse proportionnellement davantage sur les revenus des plus modestes. Comme mesure qui devrait rapporter 4,4 milliards d'ici 2016, le gouvernement va accélérer le passage de l'âge de départ à la retraite à 62 ans : ce sera dès 2017 au lieu de 2018. Les prestations sociales comme les allocations familiales ne seront plus indexées sur l'inflation mais sur la croissance, et augmentées seulement de 1 % dès l'année prochaine, et seulement au 1er avril au lieu du 1er janvier.
Le gouvernement veut aussi diminuer les dépenses de santé, ce qui se traduira encore une fois par des difficultés à se soigner pour les plus pauvres. Quant aux nouvelles taxes sur le capital et les entreprises, elles ne devraient rapporter que cinq milliards sur les 65 milliards prévus d'ici 2016.
Le gel du barème de l'impôt sur le revenu en 2012 et 2013 va se traduire automatiquement par une hausse d'impôt pour beaucoup de contribuables. Il pourrait même rendre imposables des contribuables dont les revenus n'atteignaient pas, jusqu'ici, le seuil d'imposition.
Dans la fonction publique, le gouvernement continue à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ce qui entraîne dans l'Éducation nationale une diminution dramatique des postes d'enseignants et de personnel scolaire, avec son lot de classes surchargées, de non-remplacement des professeurs absents, de manque dramatique de surveillants, assistants sociaux, infirmières, dans les établissements scolaires.
Alors que les prix augmentent : loyers, carburants, réparations automobiles, transports, électricité, sans compter l'alimentation, les salaires restent bloqués, quand ils ne reculent pas.
L'objectif d'une augmentation générale et conséquente des salaires et des pensions de retraite pour rattraper le pouvoir d'achat déjà perdu reste un objectif essentiel pour les travailleurs.
Mais, devant l'inflation qui s'accélère, il est indispensable de compléter cette revendication par celle de l'indexation automatique des salaires et des pensions sur les hausses de prix, c'est-à-dire l'échelle mobile des salaires.
Dans les discussions autour de cet objectif, il faut aussi soulever la question du contrôle des travailleurs et de la population sur les hausses de prix, car les chiffres des officines gouvernementales sont largement sous-évalués.
L'indication chiffrée la plus claire de la dégradation de la situation des travailleurs est le nombre de chômeurs. Il augmente. On compte actuellement quatre millions quatre cent mille chômeurs officiellement recensés, y compris ceux des DOM-TOM. Les chômeurs de plus de 55 ans sont de plus en plus nombreux.
Les plans de fermetures d'entreprises se succèdent : par exemple, les hauts fourneaux d'Arcelor-Mittal en Lorraine, dont la fermeture provisoire pourrait bien devenir définitive, après l'annonce de l'arrêt de ceux de Liège.
De grandes entreprises comme Peugeot-PSA ont des plans préparés. Trois usines, celles de PSA à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Sevelnord (Valenciennes) et Madrid, sont menacées de fermeture. D'ores et déjà, PSA annonce une diminution de ses effectifs, à commencer par les intérimaires.
À ces annonces spectaculaires venant de grandes entreprises qui ont pourtant largement les moyens de financer le maintien des emplois, il faut ajouter les conséquences dans les entreprises connexes, sous-traitantes ou fournisseurs.
Les licenciements, les fermetures d'usines, les hausses de prix, les salaires bloqués contribuent à faire en sorte qu'il y a huit millions deux cent mille personnes dans ce pays qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, qui est fixé à 954 euros, dont la moitié vit avec moins de 773 euros par mois.
On estime que trois millions de personnes sont mal logées ou pas logées du tout. La loi SRU, qui fixe un objectif de 20 % de logements sociaux dans les communes urbaines de plus de 3 500 habitants, n'est pas respectée. Il manque un million de logements sur tout le territoire. Il faudrait que l'État, plutôt que de se décharger sur les communes, prenne en charge la construction à prix coûtant de ces logements, en embauchant directement les salariés nécessaires à cette tâche, de l'architecte au maçon.
Mouvements sociaux
Après le mouvement sur les retraites et après le vote de la loi entérinant la réforme gouvernementale, la manifestation du 6 novembre 2010 a été la dernière protestation.
Au congrès de l'année dernière, tout en évoquant les limites du mouvement sur les retraites qui n'a pas abouti à faire reculer le gouvernement, nous avions fait le constat que le mouvement « n'a pas été ressenti comme un échec par la majorité ou, en tout cas, une grande partie des quelque trois millions de femmes et d'hommes qui y ont participé ».
Le constat n'est évidemment pas le même un an après.
Mais le sentiment d'échec que l'on entend s'exprimer aujourd'hui est souvent le fait de militants ouvriers, syndicaux ou politiques, qui, démoralisés, semblent plutôt attendre l'élection présidentielle qu'une lutte pour la défense des intérêts des travailleurs.
Il faut dire que les confédérations syndicales n'ont rien fait pour changer le climat. Il a fallu attendre le 11 octobre 2011 pour qu'elles lancent (sans FO) un appel timoré à une journée d'action sans lendemain. Mais le problème n'est même pas ce qu'elles font car, en effet, on ne déclenche pas la grève générale en appuyant sur un bouton. Le problème est ce qu'elles disent ou, plutôt, ce qu'elles ne disent pas, pour préparer les luttes futures nécessaires au moins dans les têtes et pour montrer, face au patronat et au gouvernement, que la classe ouvrière n'abdique pas.
Dans les luttes qui ont marqué l'actualité, une bonne part sont des luttes menées par des travailleurs qui se défendent le dos au mur contre des fermetures d'usines ou des licenciements massifs. C'est le cas de Fralib, à Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône. Cette usine fait pourtant partie du trust multinational Unilever qui, là encore, n'aurait aucune difficulté à maintenir les emplois en répartissant le travail entre tous ses travailleurs.
Plus récemment, c'est l'empire de presse de la famille Hersant qui abandonne un de ses titres, le journal d'annonces Paru-Vendu, menaçant de licenciement 1 650 travailleurs.
Les travailleurs de la fonderie Alu-Montupet de Châtellerault se sont battus durant huit semaines pour empêcher la baisse de leurs salaires de 25 % incluse dans un plan de compétitivité dont ils ont obtenu le retrait. Mais la contrepartie est la mise en redressement judiciaire de l'usine, qui pourrait aboutir à une liquidation pure et simple si aucun repreneur ne se manifeste. Malgré tout, les ouvriers ont le sentiment d'avoir remporté une manche en ayant imposé de ne pas reprendre le travail avec un salaire baissé de 25 %.
La droite de Sarkozy
Sarkozy n'a pas encore annoncé sa candidature pour 2012 mais il est évident qu'il est déjà en campagne.
Bien que l'UMP soit autant et plus encore que le PS un panier de crabes, déchiré par des rivalités entre clans regroupés autour de présidentiables d'aujourd'hui et de demain, sans parler de la multitude de cliques locales, Sarkozy n'est pas concurrencé dans son propre camp (mis à part, peut-être, par Villepin dont on ne sait pas encore à quel prix il oubliera sa haine personnelle et ses affaires juridico-politiciennes).
Sarkozy bénéficie évidemment de la position de celui qui est déjà dans la place. Il apparaît à ce titre comme le seul à pouvoir unifier derrière lui toutes les tendances de l'UMP, qui vont des gaullistes à des suppôts de la droite extrême, en passant par quelques centristes dont la fidélité au président de la République est liée à leur espoir de préserver ou de décrocher un maroquin.
Même à l'époque où Sarkozy avait le vent en poupe, les Copé, Fillon et quelques autres se positionnaient non pas pour les élections de 2012 mais pour l'échéance suivante de 2017. Mais les sondages donnent Sarkozy battu par Hollande au deuxième tour. Les sondages ne sont que des sondages mais, devant la haine suscitée par la politique de Sarkozy, tout ce beau monde peut assez facilement se convaincre que leurs prévisions sont en tout cas vraisemblables. Raison de plus pour les Copé, Fillon et, d'ici là, quelques autres encore, de ne pas se lancer dans une bataille perdue d'avance et attendre en effet 2017, en escomptant qu'en cinq ans les socialistes auront suscité assez de déception pour leur laisser la place.
En réalité - et sans préjuger du résultat de Bayrou -, c'est surtout la candidature de Le Pen qui est la plus à même de gêner Sarkozy. Celui-ci avait réussi en 2007 à capter à son profit une fraction de l'électorat des Le Pen, qui en 2012 retournera probablement à son bercail.
C'est pour ralentir ce mouvement de retour que Sarkozy et Guéant, son ministre de l'Intérieur, mettent de nouveau en avant des thèmes sécuritaires, s'en prennent aux immigrés et multiplient les colloques sur « l'identité nationale » et poussent en avant la frange de l'UMP que rien ne distingue du personnel politique du Front national, si ce n'est que, pour le moment, la droite parlementaire est plus riche en postes et en positions à offrir.
Le Front national
Le Front national, écarté pendant longtemps de la vie parlementaire, retente sa chance. Il vise d'une part cette fraction de l'électorat de droite qui, tout en se retrouvant dans les idées réactionnaires de la dynastie Le Pen, n'approuve pas ses saillies les plus provocantes. C'est vis-à-vis de cet électorat que, pour reprendre une expression journalistique, le Front national et sa candidate cherchent à se « dédiaboliser ». Le battage autour de la rencontre à New York entre Marine Le Pen et l'ambassadeur d'Israël, pour faire oublier la question du « détail » du père, est aussi cocasse qu'éclairant.
Mais Marine Le Pen s'essaie aussi à une certaine démagogie sociale pour capter à son profit le mécontentement et le dégoût d'une fraction des classes populaires envers les grands partis. Son calcul est basé sur le fait qu'il n'existe pas à gauche un parti qui attire, comme le faisait le PCF dans un passé pas très lointain, les votes de mécontentement et de colère des couches populaires. Bien des thèmes brandis par Marine Le Pen en direction des chômeurs, des travailleurs les plus désespérés par leur situation et qui rejettent les « partis du système » ont été récupérés dans le vocabulaire du PC, en particulier toute une rhétorique protectionniste, souverainiste.
Mais les efforts de Marine Le Pen pour élargir son électorat en direction de cette fraction de l'électorat ont pour limite le fait que le noyau de son électorat est un noyau réactionnaire, calotin pour les uns, anti-chômeurs et anti-fonctionnaires pour d'autres, et foncièrement hostile à la classe ouvrière pour tous.
L'objectif de Marine Le Pen est de se placer au plus haut à la présidentielle afin de permettre à son courant d'occuper un certain nombre de positions locales ou régionales et de pouvoir peser sur la politique de la droite pour marchander des combinaisons permettant de décrocher des places de députés, voire une éventuelle modification de la loi électorale.
Si le Front national n'est pas un parti fasciste et si ses militants ne s'attaquent pas aux organisations ouvrières, ils véhiculent un galimatias réactionnaire et surtout toute une rhétorique xénophobe et anti-immigrés qui préparent le terrain pour une évolution vers l'émergence de groupes fascisants actifs.
L'évolution future du Front national dépend cependant bien moins de l'habileté tactique de Marine Le Pen pour s'insérer dans une droite parlementaire qui, de son côté, est de plus en plus marquée par les mêmes préjugés réactionnaires, que de l'évolution de la crise elle-même.
Nul ne peut prédire si le Front national, à la faveur de la crise et de la radicalisation de certaines catégories de petits bourgeois, sera tenté de prolonger ses idées réactionnaires et anti-immigrés par des actes. Il peut cependant servir de vivier pour faire surgir des militants d'extrême droite qui ne se contentent pas de faire des discours mais qui agissent par la violence contre les immigrés, contre les militants ouvriers, contre les grévistes.
Si, dans certains milieux petits-bourgeois ou même dans les couches populaires, ces préjugés sont repris, il faut dire que le Front national ne fait que surfer sur des idées nationalistes répandues déjà par la gauche. Aujourd'hui même, des Mélenchon, des Montebourg vont dans le sens de ces préjugés avec leurs discours anti-Europe ou sur la démondialisation, ou nationalistes comme Chevènement.
Mais celui qui en porte la plus lourde responsabilité dans la classe ouvrière est sans doute le Parti communiste qui, pendant des années, a défendu le « produire français », y compris dans des usines où travaillaient des ouvriers de vingt nationalités différentes, comme sur les chaînes dans l'automobile.
Face à toutes ces dérives nationalistes qui contribuent à diviser les travailleurs, à les pousser vers des repliements communautaires et, par là même à enchaîner ceux d'origine française derrière la bourgeoisie, ceux d'autres origines derrière des forces réactionnaires, nationales ou religieuses, nous avons à déterminer nos positions politiques en fonction des intérêts de classe de la classe ouvrière exploitée contre la classe capitaliste exploiteuse. À toutes les formes de protectionnisme, nous avons à opposer la conviction que seul le prolétariat international a la capacité, une fois la bourgeoisie capitaliste expropriée, de créer un nouvel ordre social débarrassé de l'exploitation.
Au niveau électoral, il est probable que le PS (et peut-être même la droite) se servira du « danger Le Pen » pour obtenir ce qu'il appelle « le vote utile » (utile à quoi et à qui, on ne le sait pas) en sa faveur, et cela dès le 1er tour, et que les électeurs de gauche exerceront une pression sur nous dans ce sens.
Il faut refuser avec mépris ce genre de chantage. La montée de Marine Le Pen résulte du dégoût inspiré par les partis gouvernementaux, par leur servilité à l'égard du grand patronat et des marchés financiers (les deux désignant la même classe capitaliste).
Le Parti socialiste
Le PS s'est finalement bien sorti des primaires qui ont désigné Hollande comme candidat. Actuellement, même si les divergences demeurent, ainsi que les appétits individuels, formellement la candidature Hollande est acceptée par les autres courants.
Aussi vives que soient les rivalités entre dignitaires socialistes, dont les primaires n'ont donné qu'un petit goût extrêmement policé, ils ont tout intérêt à ce que l'un d'entre eux s'empare de la présidence de la République, pour pouvoir se disputer les futures places de ministres. À ce qu'il paraît d'ailleurs, la chose a déjà commencé et, derrière le ralliement à Hollande, il n'y a pas que l'amour immodéré pour le côté étincelant de sa personnalité et pour la profondeur de son programme !
Si aucune des vedettes du PS en rivalité ne peut se permettre de passer pour celle ou celui qui aurait fait échouer l'alternance à gauche, dans une période où la droite est particulièrement déconsidérée, elles cherchent toutes à se singulariser en vue de l'après-mai 2012 et, pour certains, en vue de l'échéance de 2017. Que leur positionnement soit franchement vers la droite sécuritaire, façon Valls, ou vers l'électorat que cherche à capter de son côté Mélenchon, façon Montebourg, ce n'est qu'un petit jeu politicien où les intérêts des classes exploitées n'entrent nullement en ligne de compte. Mais cela permet au PS de ratisser large, sans que Hollande ait à s'engager sur quoi que ce soit.
L'argument principal de la campagne du PS est que leur candidat est le seul à pouvoir l'emporter contre Sarkozy. Mais le PS ne fait aucune promesse sur des mesures susceptibles de défendre les travailleurs contre la rapacité patronale. Rien contre les licenciements, rien contre le chômage, rien sur l'augmentation des salaires et des retraites, rien sur les allocations sociales. Et la seule mesure chiffrée des fameux 60 000 emplois à créer en cinq ans dans l'Éducation nationale serait assortie de suppressions d'emplois dans d'autres secteurs de la fonction publique, comme l'a déclaré Michel Sapin, de l'équipe de campagne de Hollande.
Quant au prétendu retour à la retraite à 60 ans c'est une fausse barbe, puisqu'il faudra de toute façon avoir cotisé 41 ans et demi pour la prendre, sous peine d'une décote importante de sa pension.
Nous ne savons pas si le « tout sauf Sarkozy » suffira à Hollande pour gagner, mais ce qui est sûr c'est que, même si les travailleurs ne veulent plus de Sarkozy, ils ne trouveront pas en Hollande un défenseur de leurs intérêts, d'autant qu'il annonce dès maintenant que l'état des finances publiques obligera à la rigueur.
Le PCF et les élections
Le PCF n'aura pas de candidat à l'élection présidentielle de 2012 puisque sa direction a décidé de soutenir la candidature de Mélenchon, qui n'est ni communiste ni même adhérent du PCF.
Ceci n'est pas une première puisqu'en 1974 le PCF avait soutenu dès le premier tour François Mitterrand, sans présenter de candidat - comme il l'avait fait en 1965, alors que Mitterrand n'était même pas encore membre du Parti socialiste.
Et, faut-il le rappeler, la politique du PCF n'était pas plus communiste avec Marie-George Buffet, Robert Hue ou Maurice Thorez, même si le vocable communiste figure toujours dans le nom de ce parti. En devenant un parti stalinien, il y a bien longtemps de cela, le PCF a cessé de défendre la perspective communiste. Et c'était autrement plus grave à la Libération, où le PCF avait une réelle influence dans la classe ouvrière, qu'il avait mise à la disposition de De Gaulle pour l'aider à remettre la bourgeoisie en selle.
Nous ne savons pas ce que représente en nombre de militants la minorité qui, dans le parti, a refusé de soutenir la candidature Mélenchon. Leurs motivations relèvent sans doute plus d'un patriotisme de parti que d'une réelle politique communiste opposée à celle de leur direction.
Cela dit, ici ou là, des militants ou sympathisants du PC nous disent se sentir plus proches des idées communistes défendues par Nathalie Arthaud que de Mélenchon. Iront-ils jusqu'à voter pour nous, ceci est une autre affaire.
Pour notre part en tout cas, nous chercherons à nous adresser à eux dans la mesure de nos possibilités, ne serait-ce que pour souligner que notre candidate est désormais la seule à se présenter en se revendiquant du communisme.
Dans notre politique quotidienne, dans les entreprises ou dans les quartiers populaires où nous rencontrons des militants du PCF dégoûtés par l'évolution générale de leur parti et par l'abdication de leur direction devant Mélenchon, il faut, bien sûr, discuter avec eux. Mais il faut discuter sur le fond. Il faut leur faire comprendre que ce n'est pas pour rien si ce n'est pas le PCF, pourtant un grand parti, avec une audience considérable dans la classe ouvrière dans le passé, qui continue à lever le drapeau du communisme, mais un petit courant qui se revendique de Trotsky et qui a été pendant des décennies interdit de parole par la direction de leur parti.
Il faut rediscuter avec eux de la signification qu'ils donnent à leur communisme. Même si le PCF d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir, pour ce qui est du nombre de militants, de leur influence dans les entreprises, de leur audience dans l'électorat, avec ce qu'il était il y a trente ans, au moment de l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, nous sommes encore trop petits pour que ces femmes et ces hommes trouvent chez nous le terrain militant auquel ils étaient habitués dans leur parti. Mais on peut, peut-être, les convaincre sur un certain nombre d'idées politiques, et peut-être les retrouver avec nous en cas d'une nouvelle montée dans la classe ouvrière.
Le Parti de gauche et Mélenchon
Mélenchon a réussi un coup politique en devenant pour l'élection présidentielle à venir le candidat non seulement de son parti, le Parti de gauche, mais aussi du PCF. Pour des raisons électorales d'abord : l'influence électorale du PCF a beau s'être réduite comme peau de chagrin, elle n'est pas négligeable. Elle ne se manifeste pratiquement pas à l'élection présidentielle - depuis le score de Marchais en 1981, Robert Hue comme Marie-George Buffet n'ont eu que des résultats comparables, voire inférieurs, à ceux de l'extrême gauche. En revanche, aux législatives et plus encore aux différents niveaux d'élections locales, l'apport du PCF peut être décisif pour une place de député ou de conseiller général ou pour une municipalité.
Pour des raisons militantes ensuite : même en ayant perdu nombre de ses militants, découragés, le PCF en dispose de bien plus que le PG de Mélenchon et, mentionnons-le quand même pour mémoire, que la Gauche unitaire de Picquet. C'est grâce au PCF que Mélenchon a une force de frappe militante.
Sur le plan politique, la tentative de Mélenchon est dans la continuité de quelques autres qui visaient, dans le passé, lorsque le PS apparaissait déconsidéré, à faire apparaître une alternative réformiste de langage plus radical. Aucune de ces tentatives, à commencer par feu le PSU, n'a abouti à prendre la place du PS.
Mélenchon réussira-t-il plus que ses prédécesseurs ? Il est vain de se perdre en conjectures. Les sondages le situent autour de 7 %, ce qui par rapport à ses ambitions n'est pas bien convaincant. De plus, l'élection n'est pas encore faite. Par ailleurs, on ne verra qu'après la présidentielle la solidité de son alliance avec le PCF.
En attendant, Mélenchon peut d'autant plus facilement employer un langage plus radical, voire faire des promesses chiffrées par rapport aux travailleurs, comme « le smic à 1 700 euros brut par mois pour 35 heures » ou encore « une réévaluation globale des salaires et des retraites » ou même « les indexations sur l'évolution du coût de la vie », que ces promesses n'engagent que lui-même, ou plutôt ceux qui le croiront, mais certainement pas un éventuel futur gouvernement de gauche.
En fera-t-il lui-même partie ? Cela dépendra de son score à la présidentielle et de l'utilité pour le gouvernement socialiste de ne pas laisser d'adversaires sur sa gauche. Mais sa perspective politique est quand même d'appeler à la victoire de la gauche, même si c'est avec la prétention affirmée de peser sur sa politique.
Nous serons dans cette élection, bien sûr, en concurrence. Mais c'est bien moins le fait d'un homme que d'un courant d'idées réformiste qui, malgré sa phraséologie plus radicale que celle du PS, apparaîtra plus réaliste et donc plus crédible que le langage communiste révolutionnaire que nous voulons faire entendre dans cette élection. Mais l'idée que les élections sont un thermomètre s'applique autant à la comparaison des scores respectifs de Hollande et de Mélenchon qu'à celle des scores de Mélenchon et de Nathalie Arthaud. C'est pourquoi, contrairement à ce que suggèrent les questions de certains journalistes, mais questions qui nous sont aussi adressées bien souvent dans nos activités, nous ne regrettons pas que Mélenchon se présente et attire certains de notre électorat, pas plus que nous n'acceptons les pressions « unitaires » visant à nous faire taire au profit de Mélenchon. Le Front de gauche et Lutte ouvrière représentent deux orientations très différentes et il est utile que la gauche de l'électorat populaire puisse exprimer sa propre orientation en choisissant entre une orientation réformiste et un courant communiste révolutionnaire.
Ecologie
Le parti Europe écologie-les Verts (EE-LV) a tranché pour présenter la candidature d'Eva Joly, bien que des écologistes comme Daniel Cohn-Bendit aient plutôt souhaité un ralliement au PS dès le 1er tour. Mais les négociations ont déjà commencé avec le Parti socialiste pour un programme gouvernemental et pour une répartition des postes aux élections législatives.
Au moment où nous écrivons ce texte, EE-LV, en ayant dans un premier temps fait de la sortie du nucléaire la condition à une entente avec le PS, semble prêt à diminuer ses prétentions. Un accord semblerait se dessiner sur la proposition de Hollande de fermer certaines centrales et de réduire la part du nucléaire dans l'électricité à 50 % d'ici 2025.
Le PS s'engagerait paraît-il à une introduction d'une dose de proportionnelle aux élections (dans quelles limites et pour quelle élection, on ne le sait pas) et surtout à ce que EE-LV puisse avoir un groupe à l'Assemblée nationale avec quinze députés (ils en ont quatre aujourd'hui), ce qui veut dire que certaines circonscriptions vont être réservées à EE-LV par le PS. Mais cela semble ne pas convenir puisque EE-LV souhaiterait, en fait, beaucoup plus d'élus.
Quoi qu'il sorte de ces tractations, on voit bien que toute la démagogie de EE-LV sur la sortie immédiate du nucléaire ne résistera pas longtemps à quelques postes de députés de plus. D'autant moins que les Verts représentent les préoccupations écologistes à peu près autant que Hollande représente le socialisme !
À propos du nucléaire : beaucoup s'agitent à l'extrême gauche, après la catastrophe de Fukushima, sur la sortie « tout de suite » du nucléaire, présenté comme la source d'énergie la plus dangereuse pour les populations.
Il faut, bien sûr, dénoncer toutes les atteintes à la sécurité dans le nucléaire, mais aussi dans l'extraction du charbon, dans les complexes chimiques, dans l'exploitation du pétrole et, plus généralement, dans tous les domaines de la production industrielle, dans les usines ou dans les trusts pharmaceutiques, et il faut exiger une transparence totale et le contrôle par la population de toutes les activités polluantes et dangereuses. À travers le monde, des milliers de gens meurent dans les mines de charbon, dans l'exploitation des minerais, dans des explosions chimiques, dans des catastrophes nucléaires, dans des inondations liées à l'énergie hydraulique, dans l'utilisation de l'amiante.
L'humanité d'un bout à l'autre de la planète aura à décider, en connaissance de cause, de ses sources d'énergie et de sa production industrielle et agricole, mais elle ne pourra le faire que débarrassée de la dictature des groupes capitalistes et de leur soif du profit.
À la question « sortir du nucléaire ou sortir du capitalisme ? », notre choix est fait depuis toujours, bien avant que la crainte du nucléaire et de ses conséquences dans la petite bourgeoisie de pays comme l'Allemagne ou la France ait poussé un courant à en faire son capital politique pour se faire élire.
En conclusion
Jusqu'à présent, toutes les alternances issues d'élections nationales, présidentielles ou législatives, se limitaient au remplacement de l'équipe politique au pouvoir par une autre, avec un langage légèrement différent en fonction de son électorat, chacune avec ses mesures spécifiques, mais les deux poursuivant fondamentalement la même politique.
La réponse à la question de savoir s'il en ira de même aux prochaines échéances présidentielles et législatives de 2012, ou non, dépend infiniment plus de l'évolution de la crise que des discours, des engagements des équipes politiques. Regardons avec quelle rapidité les contrecoups de la crise financière ont bouleversé le train-train politique d'abord en Grèce et, dans une certaine mesure, en Espagne, et aujourd'hui en Italie.
Cela dit, que ce soit Sarkozy qui l'emporte, à l'encontre des sondages actuels, ou que ce soit Hollande, tous les deux mèneront la politique d'austérité exigée par l'évolution de la crise financière. Et les coups qui seront portés aux classes populaires ne seront même pas tempérés ou freinés par la proximité d'élections.
Mais les conséquences de la politique d'austérité ne seront pas les mêmes que ce soit un gouvernement de droite qui la mène ou un gouvernement de gauche. Autant le PS dans l'opposition est modéré et responsable à l'égard des mesures impopulaires prises par un gouvernement de droite, autant la droite et l'extrême droite n'auront aucun complexe à reprocher aux partis de gauche et, au-delà, aux organisations ouvrières et surtout aux exigences « immodérées » des travailleurs la politique menée par le gouvernement de gauche.
Libre cours sera donné à la démagogie contre les fonctionnaires qui sont « trop nombreux pour ce qu'ils ont à faire » ; contre les immigrés « responsables du chômage » ; contre les aides sociales qui « plombent le budget » ; contre les cotisations sociales « trop élevées », etc.
Il serait vain de prévoir si une crise sociale précédera une crise politique, ou l'inverse, mais les deux risquent d'être liées.
Le tranquille train-train des alternances du régime parlementaire bourgeois risque d'être perturbé. L'avenir dépend de la question de savoir si le nouvel équilibre politique dépend exclusivement de la bourgeoisie et de ses forces politiques qui se situent sur le terrain du capitalisme. Ou si la classe ouvrière est capable d'intervenir politiquement avec ses propres perspectives opposées à celles de la bourgeoisie.
C'est pourquoi, avant, pendant et après les élections, nos tâches fondamentales restent les mêmes que depuis toujours : militer pour que renaisse dans ce pays comme à l'échelle internationale un parti qui représente les intérêts politiques du prolétariat, un parti communiste révolutionnaire. Nul ne peut prédire si la période sera plus favorable pour cela ou, au contraire, plus difficile. Nous savons seulement que nous sommes à peu près les seuls à nous placer clairement dans cette perspective et que nous devons faire ce que nous avons à faire.
12 novembre 2011