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La situation intérieure
Nous pourrions commencer ce rapport par la même phrase que l'an dernier : « La situation intérieure est dominée par la guerre que le patronat et le gouvernement mènent contre les travailleurs pour maintenir, malgré la crise, les profits du capital ». Mais cette guerre se mène dans un contexte social et politique modifié.
Hold-up sur les retraites
Cette année, l'essentiel des attaques gouvernementales a été centré sur la mal nommée « réforme des retraites », annoncée par Sarkozy dès janvier 2010 dans des termes sans équivoque : « Il faudra que tout soit mis sur la table, l'âge de la retraite, la durée de cotisation, et la pénibilité », répondant ainsi aux vœux du Medef qui réclamait depuis longtemps que l'âge légal du départ en retraite soit repoussé.
Bien évidemment le but de cette réforme n'est pas de maintenir plus longtemps en activité tous les salariés, alors que le taux d'emploi des « seniors » de 55 à 59 ans est inférieur à 60 %. C'est d'ailleurs le patronat qui est responsable de cet état de fait, en ayant largement utilisé le mécanisme des préretraites, ou en jetant à la rue par des licenciements individuels ou collectifs des travailleurs âgés qui n'avaient aucune chance de retrouver un emploi. Maintenir en activité des travailleurs usés par l'exploitation n'intéresse absolument pas les patrons, qui préfèrent les remplacer par des jeunes qu'ils peuvent se permettre, dans un pays qui compte près de quatre millions de chômeurs, d'engager avec des contrats précaires et à moindre coût.
Les prétendues raisons démographiques mises en avant par le gouvernement et le patronat, et complaisamment reprises par la plupart des commentateurs, sont mensongères. L'espérance de vie a certes augmenté au cours des dernières décennies, et on ne peut que s'en réjouir. Mais elle n'est pas la même dans tous les milieux sociaux, pour un travailleur sur chaîne ou pour un cadre supérieur, et l'espérance de vie en bonne santé a bien moins progressé. De toute manière, il n'y a aucune raison pour que cet allongement de l'espérance de vie ne permette pas aux travailleurs de profiter plus longuement de leur retraite. D'autant que la productivité du travail a considérablement augmenté, du fait non seulement de la surexploitation à laquelle est soumise la grande majorité des salariés, mais aussi du progrès technique.
Si la proportion de salariés actifs, cotisant pour les retraites, a diminué dans la population, ce n'est pas seulement dû au vieillissement de celle-ci. C'est aussi le résultat de la politique du grand patronat qui pour maintenir ses profits s'efforce de faire effectuer la même production par toujours moins de travailleurs, ce qui contribue grandement à augmenter le nombre de chômeurs, vite arrivés en fin de droits, ne survivant que grâce au RSA, ou à l'ASS, quand ils n'ont pas comme seul recours que la solidarité familiale.
Tout cela, comme le blocage de fait des salaires, a bien sûr une incidence sur les rentrées de la caisse des retraites. Mais les difficultés financières de celle-ci ne seraient pas aussi grandes si parallèlement l'État n'avait pas multiplié les exonérations de cotisations sociales au profit des employeurs... ce qui n'empêche évidemment pas le Medef de réclamer de nouveaux cadeaux, en prétendant que les entreprises sont écrasées par ce que le patronat qualifie de « charges sociales ».
En fait, la véritable raison qui a amené le patronat et le gouvernement à vouloir imposer le recul de l'âge du départ en retraite, c'est - en transformant la plupart des travailleurs qui auraient pu prendre leur retraite en chômeurs de longue durée - de réduire une fois de plus le montant des pensions de retraites. Cette volonté est dans la continuité des mesures prises par Balladur en 1993. Celles-ci prolongeaient la durée de cotisation nécessaire pour pouvoir partir à soixante ans avec une retraite à taux plein de 37,5 années à 40. Elles remplaçaient le calcul du montant sur les dix meilleures années par un calcul bien moins favorable aux salariés, portant sur les 25 meilleures années, en indexant celles-ci sur le coût de la vie et non plus sur l'évolution des salaires. Toutes mesures que la « gauche plurielle » au gouvernement derrière Jospin de 1997 à 2002 s'est bien gardée de remettre en cause.
Les difficultés financières de la caisse des retraites ne sont pas telles que l'État ne pourrait pas y remédier. Elles ne représentent qu'une goutte d'eau en comparaison des sommes énormes qu'il a débloquées au profit des banques et de l'industrie automobile. Mais sa préoccupation est justement de faire payer les travailleurs pour mettre tout l'argent dont il peut disposer à la disposition du grand patronat.
Le changement d'attitude des confédérations syndicales
L'année 2010 a été marquée par un changement d'attitude des confédérations syndicales. On se souvient qu'en 2009, le succès des journées d'action des 29 janvier et 19 mars n'avait pas connu de prolongement durant des mois. La direction de la CGT, la confédération qui a la réputation d'être la plus combative, avait mis en avant le concept sans signification de « calendrier ». Elle prétendait mobiliser ses militants pour une « autre politique industrielle », critiquant les travailleurs qui, menacés de licenciement, entraient en lutte pour essayer d'obtenir les conditions de départ les moins défavorables possibles, condamnant en termes méprisants ce qu'elle appelait la politique des « chèques valises », et s'était empressée de répondre « présent » quand Sarkozy avait lancé l'idée « d'États généraux de l'industrie ».
C'est la manière dont le gouvernement a mis en route son projet de réforme des retraites qui a amené l'ensemble des directions confédérales, y compris les plus ouvertement réformistes, les défenseurs les plus acharnés du « syndicalisme de participation », à adopter une tout autre attitude. Si le ministre du travail, Woerth, a affirmé à maintes reprises qu'il était toujours prêt à recevoir les dirigeants syndicaux, il ne les a jamais associés à la moindre négociation. Les quelques modifications - mineures - apportées au projet initial du gouvernement n'ont été discutées qu'avec les parlementaires de la majorité. L'attitude des directions confédérales par rapport à la réforme des retraites doit beaucoup à ce mépris ostentatoire affiché par le pouvoir à leur encontre.
C'est ainsi que le président de la CFTC, Jacques Voisin, se plaignait le 18 juin d'avoir « reçu ce matin à 8 h 30, en même temps que les médias, les éléments de communication du gouvernement concernant le projet de réforme de notre système de retraites » et du fait qu'« aucune information spécifique n'a été adressée aux partenaires sociaux ». Le même se plaignait le 1er octobre du fait que les syndicats avaient été « mis de côté par le président de la République » sur le dossier des retraites et appelait les travailleurs à « descendre dans la rue » le lendemain pour « forcer le gouvernement à reprendre la négociation ».
Tout aussi significative est l'attitude de François Chérèque, le secrétaire général de cette CFDT qui avait pris position en 1995, sous la direction de Nicole Notat, pour le plan Juppé. Chérèque lui-même, en 2003, avait soutenu la réforme Fillon sur les retraites, mais il avait mis en avant pour justifier cet appui un aménagement du projet sur les « carrières longues » dont il s'attribuait la paternité. En revanche, en 2010 il a étalé un véritable radicalisme verbal. En juillet il affirmait « la réforme des retraites n'est pas scellée ». Et déclarait à propos de Sarkozy « d'autres que lui ont changé d'attitude sous la pression de la rue ». Après le vote de la loi par le Parlement, il persévérait : « Le problème des retraites ne s'arrête pas avec le vote de la réforme ». FO et la CGT ne pouvaient pas être en reste, le secrétaire général de FO, Mailly, n'hésitant pas à évoquer le recours possible à la grève générale.
L'ensemble des directions confédérales sont pourtant loin d'être opposées à l'idée d'une réforme du système des retraites dont les travailleurs feraient les frais. En même temps qu'il se scandalisait par la manière dont il était traité par le gouvernement, le président de la CFTC déclarait : « Sauver notre système de retraites est un impératif, voici un objectif que la CFTC partage avec le gouvernement ». Le secrétaire général de FO s'est dit pour sa part « prêt à discuter d'une augmentation de la CSG. Une augmentation d'un point de CSG, c'est 12 milliards d'euros ». Quant à la CGT, ses militants ont pu lire dans des tracts confédéraux, appelant aux manifestations du 12 octobre, après l'énumération de quelques sources de financement possibles pour le paiement des pensions : « Enfin, au besoin, il peut être envisagé une augmentation des cotisations des salariés ».
Ce qui est caractéristique, c'est que toutes les confédérations syndicales (tout comme le Parti socialiste) ont centré leurs discours sur le maintien du droit au départ à la retraite à soixante ans, en laissant de côté tous les autres éléments du problème. C'est vraiment le numéro d'un illusionniste qui effectue sous les projecteurs un geste sans signification pour dissimuler ses manœuvres les plus importantes. En effet, que signifie le droit de partir en retraite à soixante ans, si on ne remet pas en cause le nombre d'annuités déjà exigé, appelé encore à croître dans le futur si le gouvernement arrive à ses fins. Alors que les jeunes travailleurs entrent dans la vie active, du fait du chômage, de plus en plus tard, parfois vers vingt-cinq ans, qui peut obtenir une retraite à taux plein à soixante ans, alors qu'il faut avoir cotisé pendant plus de quarante ans ? Et de fait, aucun des leaders confédéraux, ni des hommes politiques de la gauche parlementaire, ne s'engage sur le fait que tous les travailleurs devraient pouvoir bénéficier d'une pension à taux plein dès qu'ils ont atteint l'âge légal du départ en retraite.
Le bras de fer engagé par les directions des confédérations syndicales avec le gouvernement vise en fait à lui démontrer qu'il a eu bien tort de ne pas engager de véritables négociations avec elles. Leur motivation est leur aspiration de toujours d'être reconnues comme des interlocutrices valables, indispensables, par le gouvernement et le patronat. Et elles ont été d'autant plus à l'aise pour mener cette politique que si le mécontentement était grand parmi les travailleurs, que si la grande majorité de la population soutenait leur action, la mobilisation des travailleurs restait limitée, et ce que les directions confédérales proposaient correspondait à ce que souhaitait la grande majorité des travailleurs. Même en octobre, quand des mouvements sociaux importants, dans la pétrochimie, à la SNCF, dans les ports, sont venus se rajouter aux journées de grèves et de manifestations, les directions confédérales sont restées entièrement maîtresses de la situation.
Même si Sarkozy, Fillon et Woerth ont réussi - ce qui était gagné d'avance - à faire voter leur projet de loi, les directions confédérales ont remporté une victoire morale face à l'opinion publique. Et le gouvernement, loin de plastronner, a adopté un profil bas. C'est que dans un contexte marqué par tout ce qui est apparu au grand jour avec l'affaire Bettencourt sur les relations étroites existant entre le monde des milliardaires et les politiciens de droite, la majorité de l'opinion publique s'est convaincue à juste titre que ce gouvernement était au service exclusif des plus riches... ce qui n'est évidemment pas une bonne chose pour lui dans la perspective des échéances électorales de 2012 qui sont au cœur des préoccupations de la classe politique.
Un succès pour les appareils syndicaux qui ne s'est pas fait au détriment des travailleurs
Les directions confédérales peuvent être doublement satisfaites. Non seulement elles ont démontré que le gouvernement avait eu tort de les considérer comme quantités négligeables, mais elles ont pu du même coup, en particulier en ce qui concerne les deux plus importantes, la CGT et la CFDT, satisfaire leur opposition interne, simples militants ou membres de l'appareil, qui critiquaient auparavant leur passivité devant les attaques du patronat et du gouvernement.
Lors du congrès de la CGT, tenu à Nantes en décembre 2009, ce mécontentement s'était largement fait entendre, bien que la désignation des délégués (car on ne peut guère parler d'élection) ait été le fait de l'appareil. De nombreuses voix s'y étaient fait entendre pour critiquer le fait que les journées d'action réussies du premier semestre 2009 étaient restées sans suite et la recherche de l'unité avec les autres confédérations syndicales sur la base du moins-disant revendicatif. Au point que la direction du congrès avait annulé l'invitation faite au secrétaire général de la CFDT de venir prendre la parole devant les congressistes, de peur qu'il reçoive un accueil mouvementé.
La CFDT quant à elle avait connu une hémorragie de militants (80 000 départs d'après les chiffres donnés par Le Monde) après son soutien à la réforme Fillon sur les retraites en 2003. Mais lors de son congrès tenu à Tours en juin 2010, Chérèque a adopté un ton combatif, en déclarant qu'il ne fallait pas « laisser croire que la CFDT pourrait négocier des contreparties avec le gouvernement sur son projet de réforme », ajoutant « Nous ne sommes pas dans cette posture de négociation de contreparties à une réforme que nous combattons ».
En laissant en octobre la possibilité aux secteurs où les militants se montraient les plus combatifs de s'engager dans des grèves reconductibles, dans des actions qui sortaient largement du cadre des journées d'action, les dirigeants de la CGT, de FO et de la CFDT ont non seulement choisi de mieux démontrer au gouvernement qu'il devait les considérer comme des interlocuteurs incontournables, mais de montrer aux plus combatifs que l'ensemble des travailleurs, s'il voyait ces actions avec sympathie, n'était pas prêt à s'y joindre.
Si les directions des grandes confédérations syndicales ont tout lieu de se réjouir du succès de leur opération, celui-ci ne s'est pas fait, pour autant, aux dépens des travailleurs. Les sept journées de grèves et de manifestations qui se sont déroulées en septembre et octobre ont été des succès incontestables malgré tous les efforts du gouvernement et de la grande majorité des médias pour en diminuer la portée. Les participants n'avaient guère d'illusions sur la possibilité d'amener le gouvernement à renoncer à son projet. Mais ils tenaient à affirmer qu'ils n'étaient pas dupes des discours officiels, qu'ils étaient conscients que cette réforme des retraites constituait une injustice sociale, et cela était déjà positif.
La rencontre en octobre de luttes aussi diverses que celle des travailleurs de nombreux ports (Marseille et Fos n'ayant été que les cas les plus spectaculaires, par leurs retombées sur l'approvisionnement en hydrocarbures), de ceux de la pétrochimie, des éboueurs de Marseille, de Nantes et de bien d'autres villes, des cheminots, des travailleurs des transports urbains, etc. ont fait une démonstration inégalée depuis longtemps de l'importance du rôle de la classe ouvrière dans la vie économique, de la force que ce rôle lui confère.
Dans la réussite des manifestations, les militants de nombre d'unions locales ont joué un rôle important, en allant s'adresser aux travailleurs des petites et très petites entreprises, où n'existe souvent aucune structure syndicale, et qui ont été de plus en plus nombreux dans les cortèges.
Mais le plus important dans le déroulement de ces luttes, c'est le fait que les travailleurs de tel ou tel secteur ne les ont pas menées de manière isolée, chacune dans son coin. Cheminots, pétroliers, éboueurs, enseignants, étudiants aussi, dépassant les corporatismes, se sont rendu visite, se sont retrouvés dans des réunions communes, se sont épaulés dans l'action. C'est un acquis qui peut avoir une portée considérable pour l'avenir.
Évidemment, le fait que les directions confédérales aient laissé dans le flou les initiatives qui pourraient être prises fin novembre, leur date et le caractère qu'elles devraient revêtir, les déclarations de Chérèque - pour ne parler que de la deuxième confédération du pays - prêt à abandonner l'objectif de la lutte contre la réforme des retraites, non pas pour la généraliser, mais au contraire pour ne mettre en avant que des problèmes ponctuels, risquent d'avoir un effet démobilisateur pour la suite du mouvement. Mais tout dépendra de la manière dont réagira l'ensemble des militants ouvriers combatifs qui ont permis au mouvement de se développer. Et le fait que des centaines de milliers de travailleurs se sont encore retrouvés dans la rue le 6 novembre, malgré tout le battage médiatique essayant de les convaincre que cela ne servait plus à rien, prouve que le mouvement n'est pas mort.
Il ne faut évidemment pas se faire d'illusions sur la profondeur de ce mouvement, qui ne marque un progrès important que par rapport à la situation antérieure où la démoralisation et l'apathie l'emportaient. Les militants révolutionnaires, même là où ils étaient présents (et ils sont loin de l'être partout) n'ont eu aucune prise sur son déroulement. Ils ne pouvaient qu'essayer d'être les meilleurs militants d'un mouvement déclenché et dirigé par les appareils bureaucratiques, dans la mesure où ce que ceux-ci proposaient n'était pas en deçà de ce que souhaitaient les travailleurs. Les appels à la grève générale lancés par quelques gauchistes n'étaient que des paroles creuses. Mais par rapport au fatalisme qui prévalait il y a quelques mois, la situation a quand même sensiblement changé.
Le Parti socialiste et la réforme des retraites
Martine Aubry avait déclaré en janvier 2010 au Grand Jury RTL - Le Figaro - LCI : « Je pense qu'on doit aller, qu'on va aller très certainement vers 61 ou 62 ans. » Mais, depuis, le Parti socialiste a choisi d'accrocher son wagon au train des luttes sociales et épouse entièrement la revendication du maintien de l'âge de la retraite à 60 ans. Il se garde bien de proposer quoi que ce soit en ce qui concerne les luttes sociales, mais soutient toutes les initiatives des confédérations en affirmant que « Le PS, dans le respect des décisions des syndicats, appelle les Français à peser massivement sur une question majeure », et était présent en tant que parti dans tous les défilés syndicaux.
Les confédérations syndicales, loin de frapper d'ostracisme cette présence politique dans leurs cortèges, l'ont acceptée d'autant plus volontiers qu'elles peuvent espérer que si la gauche revient au pouvoir en 2012, elles seront traitées avec plus de considération que par le gouvernement actuel. François Chérèque qui fait pourtant volontiers profession d'apolitisme a déclaré au micro de France-Inter le 10 octobre : « Notre boulot c'est pas de faire des élections notre enjeu de revanche politique », mais « inévitablement, nous remettrons ce sujet des retraites dans le débat des élections de 2012 » et « on proposera une réforme alternative .»
Contrairement à ce que pensent nombre de commentateurs politiques qui voient dans ce mouvement un échec pour le Parti socialiste, parce qu'il n'avait aucune proposition à avancer, celui-ci tire un net bénéfice de son attitude. Les illusions électoralistes ont la vie dure, et même si beaucoup de travailleurs ne se font guère d'illusions sur la politique que la gauche au gouvernement pourrait mener, l'idée, la haine contre Sarkozy aidant, qu'il faudra « bien voter » en 2012, c'est-à-dire pour la gauche gouvernementale, est de plus en plus largement exprimée parmi tous les opposants à la réforme des retraites. Si la gauche l'emporte en 2012, Sarkozy aura été son meilleur agent électoral.
Les exemples montrant que les travailleurs n'ont rien à attendre d'un éventuel gouvernement de gauche sont pourtant démonstratifs. Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du FMI, propulsé d'ailleurs à ce poste grâce à la bienveillance de Sarkozy, et considéré par beaucoup comme le meilleur candidat possible du PS pour 2012, est intervenu pour imposer à la Grèce et au Portugal des plans d'austérité destinés à faire supporter à la population pauvre les conséquences de la crise du système capitaliste. C'est un programme qui vaut aussi pour la France. Ses supporters au sein du Parti socialiste français : le maire de Lyon Gérard Collomb, le conseiller régional de Bourgogne François Patriat, le député du Doubs Pierre Moscovici, le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis, sont sur la même longueur d'onde. De même que quelques autres leaders du PS qui ont des ambitions personnelles, comme le député d'Évry Manuel Valls.
Mais tous les autres dirigeants socialistes, à commencer par la première secrétaire, Martine Aubry, sont bien d'accord sur le fait qu'il faudra, d'après eux, allonger la durée de cotisations pour partir avec une retraite à taux plein, ce qui rend dérisoire la possibilité de partir à soixante ans. Le PS accepte l'augmentation de la durée de cotisation prévue dans la réforme Fillon de 2003, c'est-à-dire 41,5 années en 2020, en prévoyant même un « rendez-vous en 2025, où il pourrait être décidé que la moitié de chaque gain, en espérance de vie, pourrait être rajoutée à la durée de cotisation nécessaire », de même qu'il envisage une « augmentation modérée » des cotisations patronales... et salariales. Bref, rien qui puisse affoler le patronat.
De toute manière, quelles que soient les intentions des dirigeants du Parti socialiste, s'ils reviennent au gouvernement, ils n'auront pas d'autres possibilités que de mener la politique exigée par le grand patronat qui détient à travers le pouvoir économique la réalité du pouvoir politique. Ils seront exactement dans la même situation que Sarkozy. Ils pourront y mettre les formes, ne pas afficher un mépris ouvert pour le monde du travail. Mais la différence s'arrêtera là.
Les discours des dirigeants socialistes sur la meilleure manière de sauver « notre » régime par répartition ne sont que le pendant de ceux de la droite sur le même thème. La retraite par répartition est certes une moins mauvaise solution que la retraite par capitalisation, parce qu'elle met au moins les salariés à l'abri des banqueroutes possibles des fonds de pension. Mais elle n'a jamais été l'objectif des partis socialiste et communiste quand ceux-ci défendaient encore des positions de classe. Comme nous l'écrivions dans la Lutte de Classe de mai 2010 : « Au début du vingtième siècle, en 1910, quand fut adoptée la première loi instaurant un régime public de retraite obligatoire pour l'ensemble des travailleurs - la Retraite ouvrière et paysanne - les ouvriers conscients, les militants syndicaux, soutenus par les meilleurs militants socialistes de l'époque, s'y sont opposés. Pas seulement parce que ce régime de retraite serait géré en capitalisation, mais d'abord parce qu'il serait financé par des cotisations, c'est-à-dire par un prélèvement sur les salaires. Pour les militants de cette époque, c'était aux patrons et à tous ceux qui s'étaient enrichis pendant des années grâce à leur travail, de financer sur leurs fortunes accumulées les années de retraite des ouvriers. Pour eux, ces cotisations, c'était du vol : un vol de plus. Il fallait faire payer les riches. De ce point de vue, un régime de retraite par répartition n'aurait pas non plus trouvé grâce aux yeux des opposants ouvriers à la loi : parce que c'est un régime qui fonctionne en circuit fermé, les retraites des travailleurs étant financées par les travailleurs, et que cela revient à faire payer les pauvres. » C'est une position qu'il ne faut pas oublier dans le contexte actuel, comme le font tant de militants d'extrême gauche par opportunisme.
Les attaques contre les retraites ne constituent qu'une partie des problèmes
Pour justifiée que soit la lutte contre les attaques du patronat et du gouvernement au nom de la réforme des retraites, nous ne devons pas perdre de vue qu'elles ne constituent qu'un aspect de l'offensive plus générale menée contre le monde du travail pour lui imposer une diminution de son niveau de vie au profit des privilégiés. Or, en l'occurrence, la contestation organisée à ce sujet par les confédérations syndicales, pour des raisons d'appareils, mais contestation dont les travailleurs se sont à juste titre emparé, est en même temps un rideau de fumée destiné à masquer les autres problèmes.
La prochaine étape déjà annoncée porte sur les dépenses de santé. C'est un sujet sur lequel la gauche parlementaire se montre plus discrète. N'est-ce pas sous la présidence du socialiste Mitterrand, avec un gouvernement dirigé par le socialiste Mauroy, et dont le ministre de la Santé était le communiste Ralite, qu'a été inventé en 1983 le forfait hospitalier ? C'est aussi à une ministre socialiste, Martine Aubry, que l'on doit le déremboursement de plusieurs milliers de spécialités pharmaceutiques pour cause prétendue de « service médical rendu » insuffisant, mais qui continuent à contribuer aux bénéfices de l'industrie pharmaceutique, du fait que leur prix a été libéré du même coup. En réalité, en dépit des alternances politiques, il y a eu une remarquable continuité dans la politique de tous les ministres de la Santé qui se sont succédé.
Mais en fait les attaques menées depuis des années par le patronat et les gouvernants à son service portent sur tous les aspects de la vie sociale, car il s'agit pour eux de dégager le maximum d'argent pour multiplier les cadeaux à la grande bourgeoisie et lui permettre de maintenir ses profits malgré la crise. Et c'est sur un programme concernant tous ces points que les travailleurs devront se battre quand ils entreront en lutte. Il est aberrant que quatre millions de travailleurs soient réduits au chômage alors que la charge de travail a augmenté considérablement pour tous ceux qui ont gardé un emploi, non seulement dans l'industrie, mais aussi dans les services. Il est scandaleux que dans un des pays les plus riches de la planète, des milliers de personnes (100 000 d'après la plupart des estimations) n'aient aucun domicile, que des millions de personnes soient mal logées. Il est inadmissible que l'État laisse se dégrader tous les services publics indispensables à la population (santé, transports, enseignement) en offrant qui plus est tout ce qui est rentable au privé.
Mais il ne faut évidemment pas compter sur les élections pour changer cet état de choses. Seule une lutte d'ensemble des travailleurs pourra l'imposer. Et pour que ces reculs imposés à la bourgeoisie ne soient pas très vite annulés d'une manière ou d'une autre, il faudra imposer le contrôle des travailleurs sur toute la vie économique, en commençant par l'expropriation sans indemnité des principaux responsables de la crise financière : les banques et les sociétés d'assurances (qui ne se distinguent plus guère les unes des autres).
C'est cette perspective que nous devons défendre, même si elle n'est pas aujourd'hui à l'ordre du jour. C'est en outre une perspective que nous sommes les seuls à défendre, et c'est pourquoi il est capital que nous nous donnions les moyens de profiter des prochaines échéances électorales pour la populariser.
La droite : un monolithe fissuré
Par rapport à ce que nous avons écrit en 2008, après la réussite de « l'ouverture » à gauche voulue par Sarkozy, c'est-à-dire le débauchage d'un certain nombre de personnalités socialistes, qui ne voyaient pas de perspective d'un retour du Parti socialiste au gouvernement dans un avenir proche, la situation est maintenant inversée. C'est, aujourd'hui - même si les choses peuvent évidemment encore changer d'ici 2012 - le Parti socialiste qui semble le mieux placé dans la perspective des prochaines échéances électorales. L'UMP qui avait réussi à fédérer presque toute la droite après les élections de 2007 n'a certes pas explosé, mais derrière l'unanimité de façade qui a présidé à l'adoption de la loi sur la réforme des retraites, le doute s'est installé quant à la capacité de Sarkozy de pouvoir gagner la prochaine élection présidentielle.
Or l'adoption du quinquennat, la quasi-simultanéité des élections présidentielle et législatives entrée en vigueur en 2007, font du président de la République, bien plus encore que par le passé, l'unique distributeur de portefeuilles ministériels, de postes et de prébendes en tout genre. Apparaissant comme le mieux placé des candidats possibles de la droite pour l'emporter, Sarkozy avait alors bénéficié du soutien unanime de toute sa famille politique, et obtenu après son élection le ralliement de la plupart des centristes qui avaient soutenu Bayrou. Le fait qu'il batte aujourd'hui dans les sondages des records d'impopularité change évidemment la donne.
Sarkozy avait dû en partie son succès au fait qu'il avait réussi à siphonner une grande partie des voix qui se portaient traditionnellement sur le Front national, en lui empruntant largement son langage, sa démagogie et en apparaissant aux yeux des électeurs de Le Pen plus crédible que celui-ci pour porter leurs aspirations. Mais Sarkozy élu a fait la politique du grand patronat, pas celle de l'extrême droite, et ce n'est pas la même chose. Il a fait de la chasse aux immigrés sans papiers un spectacle, mais s'est bien gardé de fermer totalement les frontières à une immigration dont le patronat a besoin. Il a fait à l'occasion de la démagogie antieuropéenne, mais tout en se présentant en constructeur de l'Europe. Et pour couronner le tout il a heurté par son style les sentiments de la vieille droite « catholique et français d'abord » en prenant deux ministres d'origine maghrébine dans son gouvernement (dont l'ex-présidente de Ni putes ni soumises !), en emmenant chez le pape Jean-Marie Bigard, l'auteur du « lâcher de salopes », en faisant de ses aventures matrimoniales un spectacle public, devant des gens pour qui le mot « divorce » est resté un gros mot.
Ses tentatives pour reprendre en mains cet électorat d'extrême droite, en particulier le « grand débat sur l'identité nationale » ouvert par Éric Besson en novembre 2009 et qui devait s'étaler sur des mois, ont fait long feu. S'il a obtenu un résultat, c'est au contraire d'avoir légitimé ce qui sert d'idées au Front national, pour le plus grand bénéfice de celui-ci. Par ailleurs la campagne contre les « gens du voyage », la chasse aux Roms, destinées à plaire à la fraction la plus réactionnaire de l'électorat, ont peut-être atteint leur but, mais elles ont heurté la droite catholique, au point d'avoir amené les évêques et le pape à condamner, avec la cautèle ecclésiastique de rigueur, la politique du gouvernement français.
Du coup, Sarkozy n'apparaît plus aux yeux de toute la droite comme son meilleur candidat possible pour 2012. Et à ses rivaux déjà affirmés, comme Bayrou et Villepin, sont venus s'ajouter plus ou moins ouvertement d'autres prétendants, à commencer - mais la liste n'est pas limitative - par Hervé Morin, Juppé ou Fillon.
Toutes ces rivalités ne concernent en rien les travailleurs. En revanche l'attitude adoptée vis-à-vis de Sarkozy par toute la gauche parlementaire et par la « gauche de la gauche » les concerne, en ce sens qu'elle est semeuse d'illusions. Nous ne pouvons à ce propos que répéter ce que nous écrivions dans le rapport sur la situation intérieure de 2009 à propos de ceux qui font du « tout sauf Sarkozy » l'alpha et l'oméga de leur politique : « Que Sarkozy suscite la haine dans une large fraction des classes populaires est non seulement compréhensible, mais parfaitement justifié. Cependant, le rôle des militants révolutionnaires n'est pas de s'aligner purement et simplement sur les réactions des classes populaires, mais de leur montrer la réalité des rapports de classe qui se cachent derrière les péripéties de la vie politicienne ». Et cela est d'autant plus valable que la cote de popularité du président de la République a encore diminué.
Vers une nouvelle mouture de la gauche plurielle ?
Le « tout sauf Sarkozy » est cependant le dénominateur commun de tout ce qui se réclame peu ou prou de la gauche et de la « gauche de la gauche ». Il est évident que le seul candidat qui ait une chance de l'emporter au deuxième tour contre le candidat de la droite, quel qu'il soit, ne pourra sortir que des rangs du Parti socialiste. Mais dans la foulée de l'élection présidentielle auront lieu les élections législatives où, compte tenu du mode de scrutin, les ambitions des unes et des autres formations se réclamant de la gauche ne pourront être satisfaites qu'à travers des accords avec ce parti, le nombre de députés que pourront espérer les compagnons de route du PS dépendant du nombre de circonscriptions gagnables que celui-ci leur abandonnera.
Les Verts, mis en appétit par leurs succès lors des élections européennes et régionales, n'ont pas l'intention de se contenter des trois sièges qu'ils avaient obtenus en 2007. Cohn-Bendit en revendique 50. Yves Cochet, le député Vert de Paris, 80. Mais à supposer que la direction du PS accepte, il n'est pas sûr que plusieurs dizaines de députés socialistes soient prêts à se faire hara-kiri pour satisfaire les ambitions des écologistes.
Du côté du Parti communiste, la situation est encore plus complexe du fait de son partenariat avec le Parti de gauche de Mélenchon au sein du Front de gauche. Le PCF a certes déjà annoncé lors de la fête de l'Humanité la candidature d'un député du Puy-de-Dôme inconnu du grand public, mais c'est seulement une manière de dire qu'il pourrait présenter un candidat au cas où... et ni son nouveau secrétaire national, Pierre Laurent, ni Marie-George Buffet n'ont fait acte de candidature. En fait la direction du PCF, douchée par le résultat de Marie-George Buffet en 2007 (moins de 2 % des voix), n'a aucune envie de récidiver. Mais elle ne veut pas disparaître - du moins jusqu'à l'approche des élections - derrière Mélenchon, d'autant que la base militante du parti est loin d'être unanime sur la politique consistant à se fondre dans le Front de gauche.
Mélenchon, sénateur de l'Essonne (depuis 1986) et ancien ministre de Jospin (de 2000 à 2002) a certes le vent en poupe. Il peut espérer rassembler sur son nom au premier tour les voix de tous ceux qui, dans l'électorat social-démocrate ou à « la gauche de la gauche », reprochent au PS d'être trop peu radical. Mais il l'a dit, il est toujours prêt à participer à un gouvernement « de gauche », comme il l'a fait dans le passé... pourvu que le PS fasse appel à lui.
Quant au NPA qui est déchiré par des querelles internes, non seulement à cause de l'affaire du voile, mais aussi entre ceux qui pensent qu'aucun accord avec le Parti socialiste n'est possible, et ceux qui sont partisans d'une collaboration avec tous les courants de gauche, il n'a dans cette affaire qu'une importance marginale.
D'une manière ou d'une autre, sans que l'on puisse aujourd'hui en préciser les modalités et les limites, c'est une nouvelle mouture de l'union de la gauche ou de la gauche plurielle que ces gens-là nous préparent aujourd'hui, même s'ils ont assez d'imagination pour trouver une nouvelle appellation pour cet alignement derrière la social-démocratie.
Nos tâches pour l'année qui vient
Nous aurons bien évidemment à continuer en 2011 l'effort entrepris pour accroître notre rayonnement à travers nos caravanes, pour créer de nouveaux bulletins d'entreprises et pour former de nouveaux militants se réclamant du communisme révolutionnaire. Mais notre activité, nous allons la mener dans un contexte modifié par le mouvement social qui a secoué le pays en septembre-octobre 2010 et par ses prolongements.
Personne ne peut dire aujourd'hui quels seront les acquis de ce mouvement, ni ce qu'il en restera à plus ou moins long terme dans la conscience des travailleurs et des jeunes qui y ont participé. Et de toute manière cela ne dépend absolument pas de nos efforts. Mais pour le moment, au-delà du problème des retraites, le mouvement a entraîné un certain intérêt pour la politique que nous devons mettre à profit pour mieux défendre nos idées.
Il est évident, en ce qui concerne la jeunesse lycéenne ou étudiante, que le Parti socialiste, et dans une moindre mesure le Parti communiste, ont été à l'origine de cette mobilisation, et que ce sont eux qui en termes de recrutement en tireront le maximum de bénéfices. Il y a d'ailleurs bien longtemps que les mobilisations lycéennes ou étudiantes constituent l'un des principaux viviers où la social-démocratie recrute ses futurs cadres, en leur offrant des perspectives de carrière politicienne.
Mais parmi ces milliers de jeunes mobilisés et intéressés aujourd'hui par les idées politiques il n'y a évidemment pas que des futurs notables sociaux-démocrates. Il y a aussi ceux qui ont pris conscience de l'injustice de cette société, de la catastrophe que représente la survie du système capitaliste et qui rêvent d'un monde débarrassé de l'exploitation et de toute forme d'oppression. Ceux-là, il nous faut nous efforcer d'en gagner le plus grand nombre possible, avant qu'ils ne retournent à leurs préoccupations habituelles. Nous avons toujours consacré beaucoup d'efforts au recrutement et à la formation de futurs militants. Mais militer, c'est faire ce que la situation permet et exige. Et elle permet et exige sans doute aujourd'hui plus que par le passé.
7 novembre 2010