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La politique du Nouveau Parti Anticapitaliste à la lumière de sa campagne dans les élections européennes
Si le NPA a enregistré un assez bon résultat aux dernières élections européennes, avec 4,98 % des voix à l'échelle nationale, chiffre nettement supérieur aux 2,58 % des listes LO-LCR en 2004 (mais inférieur aux 5,18 % de la liste LO-LCR en 1999), il n'est pas pour autant certain que ce résultat satisfasse pleinement ses dirigeants et ses militants. D'une part, parce que le NPA a mené toute sa campagne sur la perspective d'obtenir des élus : « des élus NPA aux européennes seront un puissant levier » pouvait-on lire dans son matériel électoral, « voter NPA c'est élire des députés européens qui combattront l'Europe capitaliste... ». D'autre part, parce que, contrairement à l'élection présidentielle de 2007 où Olivier Besancenot était parvenu à apparaître comme le candidat de « la gauche de la gauche », son parti a été devancé cette fois-ci par le Front de Gauche de Mélenchon, et qu'en plus le succès des listes Europe-écologie peut attirer à ce courant une fraction non négligeable des sympathisants du NPA.
Mais tout cela fait partie des aléas des campagnes électorales. Ce qui est plus intéressant, en revanche, c'est ce qu'on peut voir de la politique du NPA et des orientations de ses dirigeants à travers le choix et les interventions de ses candidats. Car s'il est vrai que, superficiellement, le discours d'Olivier Besancenot ne différait guère de celui tenu par les porte-parole de Lutte Ouvrière, la lecture de l'ensemble du matériel électoral du NPA, que l'on peut trouver sur son site internet, donne une image toute différente.
Des candidats bien loin de se réclamer du communisme
Le choix des candidats placés en tête, ou en bonne position, sur les sept listes du NPA amène déjà à se poser quelques questions.
Dans le Sud-Est, par exemple, la tête de liste était Raoul Jennar, qui avait été « l'un des porte-parole de José Bové lors de la campagne présidentielle de 2007 », et qui est « adhérent du mouvement occitaniste Gardarem la Tèrra ». Il « se définit comme néo-montagnard, païen, épicurien, rebelle aux convenances et aux conventions et se réclame à la fois de Jaurès et Rosa Luxemburg ». « Épicurien », soit. « Néo-montagnard », il faudrait expliquer ce que cela veut dire. Mais se réclamer à la fois du réformiste (certes généreux) que fut Jaurès, personnellement favorable à la participation des socialistes à des gouvernements bourgeois, et de la révolutionnaire intransigeante que fut Rosa Luxemburg, dénote pour le moins une certaine confusion politique.
Sur la même liste, on trouvait en troisième position Alain Mosconi, le principal dirigeant du Syndicat des travailleurs corses, d'obédience nationaliste, qui se proposait de « faire vivre et faire entendre la voix de la Corse », cela « avec l'engagement ferme de ce parti (le NPA) d'appliquer un système de rotation devant me permettre d'effectuer un tiers du mandat européen ». Mais le piquant de la situation, c'est que le « patriote corse » qu'est Mosconi voit l'origine de l'oppression nationale dont souffrirait son île « dans les relations antagonistes voulues par la France jacobine », sans que cela ait apparemment gêné le « néo-montagnard » qui était tête de liste !
En quatrième position, toujours dans le Sud-Est se trouvait une candidate qui affirmait : « Je participe à la liste européenne du Sud-Est du Nouveau Parti Anticapitaliste, car le NPA porte comme projet que la politique appartient à tout le monde, que les décisions doivent être collectives dans l'intérêt du plus grand nombre. Une voix compte pour une voix, une personne pour une personne ». Et après cette déclaration qui relève d'une conception de la démocratie qui pourrait figurer dans la profession de foi de n'importe quel parti bourgeois, on débouche sur les illusions parlementaristes les plus plates : « S'il est élu, ce camarade (Raoul Jennar) sera avec les autres députés du NPA, au sein du Parlement européen, un des grains de sable indispensables pour enrayer cette effroyable machine ».
Un programme national qui relègue les problèmes des travailleurs aux dernières places
Le programme du NPA, publié sur son site internet sous le titre : « Partout en Europe, pas question de payer leur crise », et qui ne comporte pas moins de dix-huit chapitres, est caractéristique d'une politique qui vise à essayer de rassembler tous les anti-quelque chose, en mettant sur le même plan tous les problèmes dits « sociétaux ». Même si nous n'avons pas de désaccords avec de nombreuses considérations contenues dans ce programme, ce catalogue digne d'un inventaire à la Prévert aboutit à noyer les problèmes spécifiques du monde du travail, en ne les faisant en outre apparaître qu'en dernier lieu.
Par ailleurs, le contenu de quelques-uns de ces dix-huit points est pour le moins contestable.
Par exemple, le premier, intitulé « Pour une véritable Europe solidaire », consacre sa conclusion au seul problème palestinien. Il ne se contente pas d'affirmer la solidarité du NPA avec la lutte du peuple palestinien (ce qui serait évidemment juste... mis à part le fait d'en faire le premier point de ce programme), mais affirme « Les élu-e-s du NPA (...) impulseront la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) à l'appel de 172 organisations de la société civile palestinienne », c'est-à-dire qu'il s'aligne totalement sur des propositions de courants nationalistes palestiniens qui ne sont que des phrases creuses, car à qui demande-t-on de « désinvestir » ? À qui demande-t-on de prendre des « sanctions » ? Aux puissances impérialistes qui sont les alliées d'Israël ? C'est une blague !
Quant au « boycott », à supposer qu'il soit suivi par une partie de la population des pays occidentaux, qu'il puisse gêner quelque peu l'économie israélienne, on ne voit pas en quoi cela aiderait le peuple palestinien, ni les Israéliens partisans de la création d'un État palestinien.
Les propositions concernant le monde du travail n'apparaissent qu'au point 5, mais encore ne concernent-elles que les jeunes, puisque celui-ci s'intitule « Pour les jeunes, en Europe et dans le monde entier, ce système n'offre aucun avenir ». Mais pourquoi ne pas revendiquer le « CDI pour tous » réclamé pour les jeunes pour l'ensemble des travailleurs ?
Mais bien avant de parler des travailleurs de tous âges, le programme du NPA pour ces européennes revendique dans son sixième point « Une Europe des droits et de l'égalité / Celle de l'égalité des droits, hétéros, homos, trans et bi » et « la mise en oeuvre d'une éducation non homo-lesbo-trans-bi-intersexo-phobe ». C'est là un jargon qui n'est compréhensible que pour les initiés. Quant à « l'arrêt des mutilations des enfants intersexes » (c'est-à-dire, on peut le supposer, dont le sexe est ambigu), on ne peut comprendre cela que comme la revendication - stupide - de l'interdiction de toute tentative chirurgicale de corriger des malformations congénitales.
Trois points défendent ensuite la perspective d'une « Europe écologique ».
Le premier concerne « Les paysans et les pêcheurs » qui ont donc droit à plus de considération que le prolétariat industriel ou les salariés des services, puisque leurs problèmes sont pris en compte dès le neuvième point. Mais ils le sont d'un point de vue qui n'est pas seulement la revendication d'un revenu décent pour ces travailleurs, mais qui est parfois carrément réactionnaire. Que peut bien signifier en effet aujourd'hui, en particulier dans les pays de l'Europe occidentale, « une répartition égale des terres cultivables » ? Les communistes ont toujours eu comme perspective la collectivisation des grands domaines agricoles, même s'ils ont tenu compte dans un pays arriéré comme la Russie de l'aspiration des petits paysans au partage de la terre. Aujourd'hui, même revendiquée par des gens qui se réclament du socialisme du XXIe siècle, la « répartition égale des terres cultivables » est un parfait non-sens.
Le second chapitre concernant « l'Europe écologique » concerne les transports. Le NPA, qui n'a tout de même pas oublié complètement les travailleurs, s'y prononce certes pour « garantir l'emploi, les contrats et les salaires des travailleurs de l'industrie automobile » dans la perspective d'une reconversion qui, entre autres choses bien « utiles socialement et écologiquement », pourraient être des « rotors d'éoliennes ». Il n'est pas sûr que cela suffise à rassurer sur leur avenir les travailleurs de PSA ou de Renault !
Le troisième chapitre concernant « l'Europe écologique » est intitulé « Sauver le climat, pas les pollueurs ». Et bien évidemment, en plus d'objectifs ambitieux : « Nous exigeons un véritable plan international des émissions [de gaz à effets de serre] (- 40 % en 2020, et - 90 % au moins en 2050) », il nous ressert le langage destiné à culpabiliser le bon peuple réputé inconscient, en prônant « la sobriété énergétique par la réduction des consommations, la chasse au gaspillage et l'éducation à la maîtrise de l'énergie ».
Il faut donc arriver au seizième point de ce programme pour voir traiter « La question de l'emploi » qui est pourtant, aujourd'hui, la première préoccupation des salariés.
Il est suivi d'un bref développement pour « une Europe réellement démocratique », dans lequel les rédacteurs du NPA nous expliquent que : « La démocratie est niée : l'intérêt commun ne peut être incarné par des institutions non élues, des exécutifs non mandatés et des experts non contrôlés ». Mais depuis quand existe-t-il un « intérêt commun » politique, dans des sociétés divisées en classes sociales antagonistes ? L'Union européenne n'est certes pas démocratique, mais elle ne le serait pas plus avec des institutions élues, des exécutifs mandatés, des experts prétendument contrôlés, tant que s'exercera la dictature du capital financier. Elle ne le serait pas plus que ne le sont les différents États qui la composent, à commencer par la République française.
La suite du texte expose la manière dont ses rédacteurs envisagent de parvenir à leur but : « Le NPA veut construire une Europe réellement démocratique, dans le cadre d'un processus constituant décidé et contrôlé par les peuples. Nous y défendrons pour notre part un projet de société anticapitaliste et socialiste ». Soit, mais si ce « processus constituant » n'approuvait pas (ce qui est quand même l'hypothèse la plus vraisemblable dans la situation actuelle) le « projet de société » du NPA, à quoi aurait-il servi, si ce n'est à légitimer d'une façon « démocratique » l'Europe capitaliste.
Une Europe réellement démocratique, au service des classes populaires, ne pourra naître que de la lutte des masses exploitées et opprimées, de la lutte des classes pour utiliser une expression qui déplaît à une grande partie de ceux que le NPA veut séduire. C'est plus ou moins dit dans le dernier point « Contre l'Europe capitaliste », sous la forme « Une véritable Europe sociale ne pourra voir le jour que par une contre-offensive des travailleuses et des travailleurs pour annuler toutes les lois et mesures de régression sociale imposées par le patronat et ses gouvernements dans tous les pays d'Europe ». Mais alors, pourquoi tout ce discours qui a précédé cette conclusion sur le « processus constituant », qui ne peut que semer des illusions ?
Des prises de position régionales encore plus opportunistes
La « répartition égale des terres cultivables », qui figure dans le programme national du NPA, a donné lieu dans la région Est à des développements qui mettent encore mieux en lumière son caractère réactionnaire. Cela commence pourtant par la juste constatation que « Un milliard d'êtres humains vivent avec moins de 1 euro par jour et souffrent de malnutrition ». Mais le titre qui surmonte ce constat : « Pour une politique agricole de la souveraineté alimentaire », gâche tout. Que signifie-t-il en effet, quand on voit qu'il n'est suivi que de considérations purement européennes, qui ne se préoccupent absolument pas de ce « milliard d'êtres humains » (et c'est un chiffre sous-estimé) qui souffrent de malnutrition.
« Une ferme disparaît toutes les deux minutes en Europe », nous dit-on. « La moitié des producteurs français ont un revenu inférieur au smic. Destruction des sols, pollution de l'eau, contribution au réchauffement climatique, production d'aliments nocifs pour la santé. Voilà le véritable « bilan de la politique agricole commune », il est urgent de changer de CAP ! » Mais ce n'est là qu'un des aspects de la politique agricole menée par les pays européens. L'autre, c'est la mise en jachère des terres cultivables, le stockage, la dénaturation ou la destruction de produits alimentaires qui ne trouvent pas preneurs sur le marché solvable, alors que non seulement il y a nombre de mal-nourris dans la population européenne, mais que la famine sévit dans nombre de pays, et que des millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont condamnés à la misère physiologique par la sous-alimentation. Au lieu de piller les pays du tiers-monde, en volant des terres fertiles, en y développant des cultures qui ne sont destinées qu'aux marchés solvables des pays riches, une Europe des travailleurs aurait à coeur non pas une vague « souveraineté alimentaire » qui ne signifie rien, mais d'aider les peuples du monde entier à échapper à la damnation de la faim.
Les écologistes qui se piquent de philanthropie (ou les philanthropes qui se piquent d'écologie) expliquent volontiers qu'il vaut mieux apprendre aux pauvres à produire ce dont ils ont besoin que de leur donner à manger. Mais à quoi peut bien servir de mieux cultiver son lopin de terre (à supposer qu'on en ait un et que cela soit possible) si on est mort de faim avant la récolte !
C'est le pillage de la plus grande partie de la planète qui a permis aux pays de l'Europe occidentale d'atteindre une productivité agricole extraordinaire. Le problème n'est pas de dénoncer le « productivisme », l'urgence - et la justice - serait de mettre cette productivité au service des peuples sur le dos desquels elle a été rendue possible, ce qui n'empêcherait évidemment pas de s'en prendre aux trusts qui poussent à la surconsommation d'engrais ou de pesticides pour faire du profit.
Quant à « garantir un revenu décent aux producteurs en orientant les aides vers les fermes à taille humaine » et à la « redistribution des terres des gros propriétaires cumulards qui se gavent de subventions et spéculent sur les denrées alimentaires », c'est carrément vouloir faire tourner la roue de l'histoire à l'envers.
C'est la grande propriété, en permettant l'utilisation de machines performantes, qui a permis l'augmentation de la productivité agricole. Cela s'est fait de manière sauvage, comme tout le développement du capitalisme. Mais l'avenir n'est certainement pas au retour aux petites propriétés « à taille humaine », dont propriétaires et tenanciers consommaient une grande partie de la production. L'avenir est aux grandes exploitations, socialisées, produisant pour nourrir une population mondiale qui a triplé en un siècle. Cela ne nous empêche évidemment pas d'être solidaires des petits paysans qui luttent pour survivre. La classe ouvrière au pouvoir leur donnerait les moyens d'échapper à l'exploitation des banques. Mais elle les inciterait à se regrouper en coopératives ou en exploitations collectives, sans prétendre se limiter à des exploitations de « taille humaine ».
Décidément, le programme des « éco-socialistes » que prétendent être les militants du NPA, et celui des socialistes, n'est vraiment pas le même.
Le programme agricole du NPA s'enrichit d'ailleurs, selon les régions, de considérations adaptées à l'électorat local, et qui n'auraient pas déparé un discours radical-socialiste de la Belle Époque. C'est ainsi que, dans la brochure éditée par la liste de la circonscription Sud-Ouest, on peut lire dans un développement intitulé « Une résistance paysanne : la vigne » que le « vin du Midi tente de résister » et que « la vigne est le poumon économique du Midi, des hommes et des femmes qui aménagent ses territoires et dessinent ses paysages ».
Le NPA n'a certes pas inventé de toutes pièces l'opportunisme et la complaisance par rapport à toutes les idées à la mode dans la petite bourgeoisie intellectuelle. Cela faisait partie de l'héritage de la LCR. Mais le projet même de ce « nouveau parti » prétendant rassembler des courants contestataires sans aucune tradition communiste, où chacun viendrait, comme dans les auberges espagnoles du passé, en apportant ce qu'il voulait faire figurer à son propre menu, ne pouvait que donner une nouvelle dimension à cet opportunisme.
16 juin 2009