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La crise dans le secteur automobile : Les patrons sauvent d'abord les profits
Les patrons de l'automobile n'ont pas même attendu l'éclatement de la crise financière, en septembre 2008, pour multiplier les prévisions alarmistes. Alors qu'au début de l'année 2008 ils avaient prédit que celle-ci allait être une année record en matière de production automobile, on les a vus prendre un brusque tournant, décidant de nouveaux plans de réduction d'effectifs destinés selon eux à faire face aux difficultés du marché. Ainsi, c'est en juillet 2008 que le PDG de Renault lançait le plan qui allait porter son nom, le « plan Ghosn », visant à réduire les effectifs de l'entreprise de 6000 personnes grâce à des « départs volontaires » ou du moins ainsi nommés. Le personnel dit « de structure », c'est-à-dire les techniciens, ingénieurs et cadres, était particulièrement incité à être volontaire pour partir.
Mais la crise financière était à peine en cours que déjà les patrons de l'automobile décidaient le renvoi de pratiquement tous les travailleurs intérimaires, ou du moins de ceux qu'ils employaient encore puisque, dans les mois précédents, ils en avaient déjà beaucoup réduit les effectifs. Pour le patronat de l'automobile, il ne s'agissait là que de « fins de mission », mais c'étaient bel et bien des milliers et des milliers de licenciements et autant de chômeurs supplémentaires. Les travailleurs intérimaires, au fil des ans, ont en effet constitué une partie de plus en plus importante de l'effectif des travailleurs de production.
Cela s'est traduit également par l'arrêt, du jour au lendemain, par exemple dans les bureaux d'études, des missions des prestataires de services. Là aussi, il s'agit de travailleurs dont le nombre est allé croissant au cours des années, les constructeurs recourant de plus en plus à des entreprises sous-traitantes, en particulier des sociétés de services informatiques, pour effectuer une recherche ou établir un projet dans un domaine particulier. Il s'agissait donc de travailleurs qui côtoyaient depuis des années leurs collègues embauchés, sans même que ceux-ci aient toujours su que, du moins au sens patronal, ils ne faisaient pas partie de l'effectif de l'entreprise. Là aussi, il s'agissait bien de licenciements, même si le statut particulier de travailleur sous-traitant, tout comme celui de travailleur intérimaire, permet de les camoufler derrière des « fins de mission » ou « fins de contrat ». Et pour beaucoup d'entre eux, ces travailleurs sont allés eux aussi grossir les rangs des chômeurs.
Les baisses de production de voitures ont bien sûr eu également des répercussions immédiates et très visibles sur tous les équipementiers et fournisseurs divers, et cela d'autant plus que depuis des années des constructeurs comme PSA et Renault avaient, selon ce vocabulaire qui leur est propre, « externalisé » de plus en plus la production d'éléments, voire de sous-ensembles entiers des voitures. Cette évolution a été telle que les représentants des équipementiers affirment aujourd'hui réaliser 75 % du prix de revient d'un véhicule, les usines automobiles proprement dites se limitant de plus en plus au montage et à l'assemblage des équipements qui leur sont livrés.
Ainsi, tout en ayant procédé eux-mêmes à peu de licenciements directs de leurs travailleurs en CDI, les constructeurs automobiles en ont certainement provoqué des dizaines de milliers, sans qu'on puisse dire exactement combien. Des intérimaires aux sous-traitants ou aux prestataires, il s'agit d'autant de cas différents aux yeux des statistiques alors que ces travailleurs faisaient bel et bien partie intégrante du personnel des entreprises concernées.
Les patrons de l'automobile face à la crise
En avril et mai 2009, la période traditionnellement consacrée à la publication des bilans d'entreprise de l'année précédente a été une nouvelle occasion pour les constructeurs de se lamenter sur les résultats de l'année 2008 et de prédire une année 2009 bien pire encore. Ils accusent évidemment « la crise », la présentant en quelque sorte comme une catastrophe naturelle à laquelle ils ne peuvent rien.
Or les patrons de l'automobile portent évidemment eux-mêmes leur part de responsabilité dans cette crise, d'autant plus grande que l'automobile est un secteur industriel déterminant. Les patrons capitalistes de l'automobile, en France comme dans les autres pays, ont participé à cette évolution du capitalisme qui a donné un poids de plus en plus grand au secteur financier. Le secteur financier des entreprises automobiles lui-même a grossi, au point que, certaines années, Renault a pu faire plus de profit dans la spéculation que dans la fabrication de véhicules. Et ce poids du secteur financier, l'impératif de la rentabilité immédiate du capital pour satisfaire la Bourse et les actionnaires, ont joué leur rôle dans une évolution où un des premiers objectifs pour les constructeurs était de diminuer le nombre d'ouvriers et leur salaire, comprimant le plus possible la masse salariale pour pouvoir annoncer des résultats financiers avantageux.
Au fond, c'est cette contradiction entre la recherche de profits de plus en plus élevés et la restriction concomitante du marché solvable qui a éclaté dans la crise financière et dans la récession générale de l'économie. Bien sûr, on ne peut évidemment imputer aux seuls capitalistes de l'automobile la responsabilité de cette crise. Ils auraient peut-être même souhaité que, pendant qu'ils réduisaient les salaires et les effectifs, les autres capitalistes les augmentent afin d'alimenter le pouvoir d'achat des acheteurs potentiels de voitures. Mais les capitalistes se sont évidemment tous conduits de la même façon : le résultat est là avec la crise et les capitalistes de l'automobile y ont eu leur part.
On peut ajouter que, en anticipant largement les conséquences de la crise, les capitalistes ont aussi délibérément participé à son aggravation lorsqu'ils ont décidé immédiatement des baisses brutales de production. Dès le début de l'automne 2008, les annonces de journées - ou de semaines - de chômage partiel se sont succédé dans les usines du groupe PSA comme dans celles du groupe Renault et de la plupart des constructeurs européens.
Les raisons avancées pour justifier ces mesures de chômage partiel ont été variées. À l'usine Renault de Sandouville, il s'agissait de l'échec d'un nouveau modèle Laguna. À l'usine Renault de Douai, 80 jours d'arrêt de production ont eu lieu en 2008 à cause, selon la direction, de la baisse des ventes de l'ancien modèle Scenic. Mais pour 2009, année de lancement d'un nouveau véhicule Scenic, 50 jours de chômage ont été annoncés avant même que l'on sache si le modèle aurait du succès.
Les patrons de l'automobile ont invoqué, en général, la nécessité de faire baisser leurs stocks, considérant que ceux-ci représentent des sommes immobilisées inutilement. Or cela fait vingt ans que les travailleurs de toutes les usines automobiles ont entendu les constructeurs déclarer qu'il fallait réduire les stocks de véhicules produits. Ainsi s'instaurait la production « juste à temps » avec « zéro stock », les voitures devant sortir des chaînes en suivant rigoureusement l'évolution du carnet de commandes.
Une gestion orientée sur le profit immédiat
Il s'agissait à l'époque de faire accepter aux travailleurs la mise en place de la variabilité et de la flexibilité des horaires de travail. Pour justifier la prétendue nécessité de travailler après l'heure, de venir le samedi, voire le dimanche, les directions des différents établissements invoquaient la nécessité de contenter le « client roi ». Il s'agissait selon elles de faire face à la concurrence en fournissant au client la voiture qu'il voulait, au moment où il le voulait. Mais en fait le principal objectif était d'augmenter la rentabilité du capital investi en réduisant au maximum les sommes immobilisées dans les stocks, qu'il s'agisse des stocks de véhicules produits et en attente d'être vendus ou bien des stocks de pièces ou de matières premières livrées en amont de la production. Plus que de « client roi », il aurait fallu parler d'» actionnaires rois » et imposant la loi du profit maximum aux dépens des horaires de travail et finalement de l'ensemble des conditions de vie des travailleurs de l'automobile.
En réalité, les stocks doivent être maintenus malgré tout à un certain niveau, un niveau en deçà duquel il est en fait bien difficile d'approvisionner normalement les concessionnaires. Et la décision de les réduire encore, en invoquant la crise, est une décision de gestion, prise par les directions d'entreprise en anticipant une évolution du marché avant même de l'avoir constatée. Le motif de cette décision est assez clair : là aussi, il s'agissait de diminuer immédiatement les sommes immobilisées et de permettre que le résultat des entreprises apparaisse coûte que coûte comme positif, permettant de passer le jugement de la Bourse et rendant possible le versement de dividendes aux actionnaires.
La crise est bien sûr une réalité. La mévente dans l'automobile résulte évidemment beaucoup, dans des pays comme la France et les pays développés en général où celle-ci est devenue un bien de consommation courant, de l'évolution du pouvoir d'achat de la population.
Ne discutons pas ici de la rationalité ou non de l'utilisation de la voiture individuelle, thème de débat que la mode écologiste rend récurrent et qui permet à bon nombre de politiciens et de journalistes d'accuser la population et son goût pour la voiture d'être responsables de la pollution et du réchauffement de la planète. Le fait est que la société actuelle a été façonnée en grande partie, justement, par les choix du patronat de l'automobile et des sociétés pétrolières, et que si les conséquences de ces choix peuvent être dramatiques pour la planète, la responsabilité en revient à cette organisation capitaliste de la société dans laquelle les impératifs de profit passent avant toute autre considération.
C'est dans le cadre de cette société, par exemple, que l'on a construit bien plus facilement des autoroutes que des lignes de chemin de fer et que la voiture individuelle est devenue un bien indispensable pour une grande partie de la population. Poussée à aller habiter des logements de plus en plus éloignés de son lieu de travail, et bien souvent sans autre moyen de transport permettant de s'y rendre commodément, elle est devenue un client captif de la production automobile non par goût de la pollution mais parce qu'elle n'a guère d'autre choix dans une société ainsi organisée... pour le plus grand profit des patrons.
Cependant, même si l'organisation de la société rend souvent la possession d'un véhicule indispensable, particulièrement dans les couches populaires, l'achat d'une nouvelle voiture est aussi une des premières décisions que l'on peut reporter à plus tard en cas d'incertitude économique. La baisse du pouvoir d'achat des couches populaires, la crainte du chômage et donc de l'aggravation de cette baisse, ne peuvent donc qu'avoir des conséquences sur l'évolution du marché des voitures particulières. Reste que pour maintenir leurs ventes, les constructeurs auraient, après tout, pu faire le choix de baisser les prix en diminuant leurs marges. Mais ils ne l'ont pas fait car ils préfèrent vendre moins, mais avec une marge identique voire plus importante.
Mais, d'autre part, le marché des voitures particulières n'est pas pour autant toujours celui des voitures achetées par des particuliers. Loin s'en faut puisque, en France, sur cent immatriculations de véhicules neufs, 58 sont à destination des particuliers proprement dits et 42 sont des voitures d'administration, de démonstration, de service, ou destinées à des entreprises de location ou autres. Cette part en fait ne cesse d'augmenter, masquant le fait que les particuliers, bien souvent, ont de moins en moins les moyens de s'équiper.
De ce point de vue, bien avant la crise actuelle, certaines baisses des ventes étaient le résultat d'une politique délibérée des constructeurs français, ceux-ci parlant de « politique sélective des ventes ». En effet, depuis quelques années, ils considéraient que les ventes de voitures aux grandes flottes telles que les entreprises de location, les administrations, les grandes entreprises, ne leur assuraient pas assez de profits du fait des remises qu'ils devaient consentir à ces gros acheteurs qui se considèrent en position de force pour négocier les prix. Et, bien souvent, ils avaient préféré ne pas accorder ces remises, quitte à voir diminuer leurs parts de marché, ce dont ils ne cessent pourtant de se lamenter.
Évidemment, ce n'est pas seulement en France que la production du secteur recule, puisque la production automobile mondiale a reculé en 2008 par rapport à 2007. Mais si l'on examine l'évolution sur une période un peu plus longue, on constate que cette baisse reste très relative.
On pouvait d'ailleurs lire le constat suivant dans le rapport annuel de l'année 2007 du Comité des constructeurs automobiles français, une émanation directe, pour l'essentiel, des groupes Renault et PSA : « En 2007, la production mondiale était de 73 millions de véhicules (plus 6 % par rapport à 2006). Entre 2000 et 2007, la production mondiale de véhicules s'est accrue de 15 millions d'unités, ce qui constitue un rythme exceptionnel. » Et le rédacteur du rapport ajoutait plus précisément à propos des constructeurs français : « Après le fléchissement de 2006 qui était consécutif à neuf années de croissance, la production des constructeurs français a de nouveau augmenté en 2007 de 4,6 %. En dix ans, la hausse de cette production s'élève à 53 %. »
Si baisse il y a eu en 2008, et même en admettant qu'elle n'ait pas été augmentée par les décisions mêmes des patrons, elle reste donc bien relative, venant après des années de forte augmentation de la production. Dans l'optique d'une gestion à long ou à moyen terme, cela pourrait tout simplement faire partie des à-coups d'une industrie dans son adaptation aux besoins de la société. Mais l'optique des constructeurs automobiles n'est justement pas d'amortir le moins du monde de tels à-coups, et en tout cas pas si cela doit leur coûter quelques euros et entamer un tant soit peu le stock de profits accumulés au cours des années précédentes. Il s'agit d'abord d'assurer la rentabilité du capital, même pas sur quelques années mais à très court terme, l'oeil sur les cours de la Bourse et devant les sourcils froncés des actionnaires.
Faire baisser la masse salariale
Il n'est pas question, justement, de demander à ces actionnaires de mettre la main à la poche, ni même d'accepter une baisse substantielle de leurs dividendes. Les patrons de l'automobile ont donc une obsession : récupérer des liquidités. Et si l'un des moyens est de diminuer les stocks à tous les niveaux, un autre est de faire baisser la masse salariale au plus vite, autrement dit de faire payer aux travailleurs de l'automobile les frais de la situation.
Les économies ont été immédiates avec le renvoi des intérimaires et des prestataires de services, mais cela ne suffit pas aux constructeurs. L'objectif que s'est donné le PDG de Renault est tout simplement, selon ses termes, « une diminution de 20 % de la masse salariale de 2009 par rapport à celle de 2007 ».
Les années précédentes et encore en 2008, la direction programmait des journées de chômage en prenant sur les congés du personnel, le « capital temps collectif » selon le jargon en cours par exemple chez Renault. Mais le procédé a des limites et en 2009, ce constructeur recourt désormais au chômage partiel. Ainsi la direction a prévu durant le second semestre 2009, cinquante jours de chômage partiel pour les sites de production, ainsi que vingt jours pour les sites de recherches, études et gestion.
L'intérêt du recours au chômage partiel est qu'il apporte un financement de l'État. Pour mettre des travailleurs en inactivité en prenant sur leurs congés, les patrons doivent débourser beaucoup plus que lorsqu'ils indemnisent le chômage. En effet dans ce dernier cas, non seulement l'État apporte une participation, mais de plus les employeurs ne versent pratiquement aucune cotisation sociale, à part une CSG/CRDS réduite.
Et ce qui est une première, pour 2009, les ingénieurs de Renault seront également au chômage, la firme au losange ayant obtenu de l'État la même indemnisation que pour les autres salariés, mais surtout une exonération de toute cotisation sociale pour l'intégralité de leur salaire. Or pour mettre en congé un ingénieur qui gagne 185 euros nets par jour, il faut que l'employeur paye au total 360 euros, compte tenu des diverses cotisations. En revanche, pour que ce même ingénieur touche également 185 euros nets pour une journée de chômage partiel, il n'en coûte à Renault que 142 euros avec le dernier dispositif d'indemnisation.
Une convention ayant été conclue avec l'État pour l'indemnisation du chômage partiel en 2009, il faut vite en profiter avant que l'année se termine. Dans les centres d'études et recherche, la direction a donc déjà programmé comme indemnisées en chômage partiel, des périodes traditionnellement couvertes par des congés payés comme celles de la Toussaint ou de la fin de l'année.
Si les patrons s'attaquent à des catégories comme les ingénieurs, jusqu'à présent un peu plus ménagées que les autres, c'est encore tout simplement pour une raison d'argent. Aujourd'hui dans le groupe Renault, avec le recours généralisé à l'intérim dans les secteurs de production, les ouvriers ne représentent plus que 35 % de l'effectif, et surtout seulement 22 % de la masse salariale du groupe. Les ingénieurs, à eux seuls, en représentent 44 %, soit le double !
C'est déjà pourquoi le plan Ghosn dit de « départs volontaires » ciblait avant tout ce que la direction appelle le personnel de structures : ingénieurs, cadres techniciens, maîtrise. Et c'est pourquoi, aujourd'hui, elle veut mettre ces catégories au chômage partiel même si en faisant cela, elle va peut-être à l'encontre de son propre intérêt pour l'avenir. Mieux vaut des gains immédiats que de parier sur des gains hypothétiques dans le futur !
Ainsi, après avoir pendant des années exercé une forte pression sur tout ce personnel pour lui faire mettre au point en un temps record toute une série de nouveaux véhicules censés permettre de faire face à la concurrence mondiale, la direction de Renault a changé son fusil d'épaule. La précipitation a été telle qu'elle a mis dehors du jour au lendemain tous les prestataires de service chargés de précieuses études, peu lui important apparemment que, du coup, les projets restent en plan. D'autant plus que certains prestataires ainsi cavalièrement remerciés, ont du coup « oublié » de rendre leurs dossiers, et donc l'état des études en cours pour Renault !
L'État mis à contribution
L'industrie automobile bénéficie des attentions de l'État, pas seulement parce qu'il s'agit d'un secteur important de l'économie, mais aussi parce que les patrons ne manquent jamais d'exercer des pressions directes sur des autorités politiques avec lesquelles ils ont des relations étroites et qui n'ont rien à leur refuser. Ils n'ont évidemment pas manqué de brandir le spectre de la crise pour exercer à nouveau leur chantage et obtenir de nouvelles aides puisées au budget de l'État.
Les aides de l'État à l'industrie automobile sont multiples et permanentes, indépendamment même des périodes dites de crise. Cette industrie bénéficie, comme d'autres, des aides à la recherche, dans son cas notamment des aides pour la mise au point de véhicules plus « écologiques ». Les entreprises automobiles bénéficient aussi comme les autres des aides financières mises en place sous prétexte d'aider le patronat à supporter le coût supplémentaire occasionné par le passage aux 35 heures, et cela même si ce passage, en particulier dans le cas de l'automobile, a été l'occasion d'institutionnaliser la flexibilité et la variabilité des horaires de travail et en fait d'augmenter la productivité aux dépens des travailleurs... et au profit des constructeurs.
D'autre part, ceux-ci ont obtenu à plusieurs reprises le financement, par l'État et les caisses de chômage, des plans de mise à la retraite de nombreux travailleurs, estimés désormais trop âgés pour être suffisamment productifs. Et cela même si ces mises à la retraite n'étaient nullement compensées par les nouvelles embauches. Si les constructeurs en ont profité pour renouveler leur personnel et notamment le rajeunir, c'est en grande partie par le biais du recours au travail intérimaire et donc à un personnel moins payé et soumis à la menace permanente du renvoi.
Mais l'éclatement de la crise financière et les mesures de chômage décidées immédiatement par les constructeurs à l'automne 2008 ont été l'occasion d'un véritable chantage pour l'obtention de nouvelles aides financières. L'une d'elles, obtenue rapidement, a été la mise en place d'une « prime à la casse », mesure déjà prise à plusieurs reprises. Sous prétexte de lutte contre la pollution, il s'agit d'inciter les usagers à changer de véhicule et à acheter les nouveaux modèles, censés être plus conformes aux canons de l'écologie.
Par ailleurs, dès la fin de l'année 2008, le gouvernement Sarkozy a décidé que les journées de chômage partiel seraient indemnisées à 60 % du salaire brut à partir du 1er janvier 2009 au lieu de 50 % auparavant, portant l'indemnisation horaire minimale de 4,42 à 6,84 euros, correspondant au smic net. À partir du 1er mai 2009, ce taux a été porté à 75 % pour les entreprises ayant conclu une convention dite d'activité partielle.
Ces mesures, apparemment décidées en faveur des travailleurs, sont surtout une aide de l'État - ou en l'occurrence des caisses de chômage de l'Unedic - à la trésorerie des entreprises. En effet si l'on totalise l'allocation spécifique de chômage partiel versée aux employeurs et l'allocation complémentaire de 1,90 euros de l'heure versée à ceux signataires d'une convention, les entreprises de plus de 250 salariés percevront maintenant une allocation de 5,23 euros de l'heure pour les cinquante premières heures de chômage partiel, et de 7,23 euros de l'heure au-delà, ces montants étant respectivement de 5,74 euros et de 7,74 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, comme bien souvent celles des équipementiers. Autant dire que le patronat de l'automobile trouve dans ces mesures une puissante incitation à mettre son personnel au chômage partiel... quitte à lui faire rattraper le reste du temps la production manquante. On a déjà vu plus haut comment Renault, par exemple, envisage de recourir à plein à ce procédé.
Mais la crise et les difficultés du secteur bancaire ont aussi permis aux constructeurs, prétextant un risque d'asphyxie financière du secteur, d'obtenir un prêt exceptionnel de l'État, pour un montant de huit milliards d'euros, dont six pour les constructeurs et deux pour les équipementiers automobiles. En échange de ce prêt de l'État, les constructeurs se sont engagés à maintenir les emplois jusqu'à fin 2009. Mais le remboursement du prêt, en admettant qu'il intervienne un jour, ne sera évidemment pas effectif au 31 décembre 2009. En revanche on peut s'attendre à ce que les suppressions d'emplois, elles, n'attendent pas. Et de toute façon les patrons de l'automobile ont déjà pris une longueur d'avance avec leurs plans de départs « volontaires » qui, d'après eux, ne sont pas des licenciements puisqu'il s'agit de départs avec l'accord des « intéressés »... souvent soumis à de fortes pressions pour les accepter.
Renault par exemple, qui avait annoncé dès juillet 2008 le plan Ghosn de départs volontaires pour 6 000 travailleurs, a pu percevoir ce prêt, tout comme PSA qui avait déjà commencé plus discrètement le sien. Ces mesures, ayant été annoncées avant la négociation du prêt, ne constituaient donc pas une entorse formelle à l'engagement de maintien des emplois.
Une aggravation de l'exploitation
Même si chaque jour de prétendus experts en économie annoncent que le pire est désormais passé, l'avenir de la crise capitaliste actuelle n'est pas écrit et elle peut déboucher sur une nouvelle aggravation. En tout cas les constructeurs automobiles, eux, ne font visiblement aucune confiance à ces augures et ils réagissent à la crise en fonction, non pas de prévisions à plus ou moins long terme, mais de calculs à très court terme. Et dans ces calculs, l'impératif est de sauver avant tout les profits, en utilisant au jour le jour toutes les opportunités.
La crise est survenue alors que, depuis des années déjà, les constructeurs avaient mis au point et imposé une méthode de gestion faisant reposer sur le personnel toutes les conséquences des aléas du marché. Flexibilité et variabilité des horaires, travail intérimaire et sous-traitance généralisés, externalisation et production « juste à temps », investissements réduits au minimum nécessaire, chômage partiel financé par l'État : tout cela leur a donné les moyens d'augmenter la rentabilité du capital et de se décharger de tous les risques sur les autres, c'est-à-dire sur leur personnel et sur la collectivité en général.
Dans la crise, tous ces moyens ont été utilisés à plein et jusqu'à l'absurde. Les exemples du cynisme que ce mode de gestion implique vis-à-vis du personnel sont quotidiens. On a pu voir la direction de Renault se permettre de programmer un samedi de travail obligatoire, ou encore de faire travailler une heure de plus le soir sous prétexte d'une panne lui ayant fait perdre une cinquantaine de voitures, alors que la production venait juste de redémarrer à l'issue d'une quarantaine de jours de chômage partiel. On voit des établissements comme l'usine Citroën de Rennes au chômage alors que dans le même temps les ouvriers de l'usine Citroën d'Aulnay sont contraints de faire des samedis de travail supplémentaires !
De même le lancement d'un nouveau modèle à Peugeot Sochaux a amené la direction à programmer de nombreux samedis travaillés, mais travaillés gratuitement car il s'agit de récupération de jours de chômage imposés précédemment. À Sochaux toujours, depuis le 25 mai, il faut travailler une heure de plus par jour pendant quatre jours par semaine, mais là payés en heures supplémentaires. Mais par ailleurs, la direction a supprimé en février l'équipe de nuit...
On voit également dans la même usine des baisses de cadence, avec bien sûr une baisse des effectifs en proportion, suivies de périodes de chômage partiel alternées avec des périodes de travail avec une cadence réaugmentée. Mais dans ce cas, si le nombre de voitures produites à l'heure est réellement plus grand, le nombre de travailleurs n'est jamais remis à proportion de l'augmentation de cadence.
Ainsi à l'atelier de Montage de la 206, à Peugeot Mulhouse, pour une production toujours identique de 303 véhicules par équipe, le nombre de postes de travail est passé de 215 à 188 en un an, soit pour la même production 13 % de postes en moins. Ensuite, à l'occasion d'une augmentation de cadence permettant la production de 91 voitures supplémentaires par équipe, la direction n'a recréé que dix postes de travail supplémentaires. Au bilan, en quinze mois, c'est 30 % de production en plus pour 8 % de postes en moins. Et il ne serait pas étonnant que cela se termine sur de nouvelles journées de chômage partiel indemnisé par l'État, déchargeant en fait le patron du paiement d'une partie des salaires alors que la production aura augmenté ou en tout cas n'aura pas diminué dans la même proportion.
Mais il faut aussi parler des profits. Les patrons de l'automobile ont tendance à être très discrets sur les années de bénéfices records, alors qu'ils s'étendent complaisamment sur la baisse de ceux de 2008, comme par exemple Renault se plaignant de ne faire « que » 600 millions d'euros en 2008 et oubliant les 17 milliards accumulés ne serait-ce que sur les sept années précédentes.
Dans toute cette période, les patrons de l'automobile sont parvenus à un éclatement de la production de façon à diviser la main-d'oeuvre pour l'avoir un peu plus à leur merci. Cela leur a permis de dégager le maximum de profits, tout en affaiblissant la force collective que les travailleurs de l'automobile peuvent avoir, vu leur nombre et l'importance de cette industrie. La crise survient dans ce contexte, et cela ne fait qu'accentuer encore cette politique de patrons qui ne sont nullement aux abois. Même s'ils ont de confortables réserves, ils profitent de la situation pour réclamer à nouveau des moyens aux pouvoirs publics et pour tenter de faire avaler aux travailleurs une nouvelle aggravation de leurs conditions de vie, que ce soit par l'augmentation des cadences ou par la baisse des salaires, quand ils ne les jettent pas à la rue.
Les travailleurs auraient bien tort de se laisser gagner par la campagne patronale qui voudrait leur faire tout accepter au nom du sauvetage de l'industrie automobile. La crise a bon dos, et les travailleurs l'ont déjà payée d'avance par l'aggravation de leurs conditions de vie au fil des années. Il ne peut être question pour eux de le faire une deuxième fois.
Intérimaires ou embauchés, salariés des constructeurs ou des sous-traitants, prestataires de services sont confrontés à la même offensive patronale. Face à celle-ci, les réactions n'ont pas manqué d'ailleurs, aussi bien dans les usines des constructeurs que chez les sous-traitants et les équipementiers, contre des licenciements, contre le chômage partiel ou la baisse des salaires. Mais face à cette offensive générale, une même réaction ouvrière est indispensable. Et elle devra réunifier dans la lutte tous les travailleurs concernés, pour faire payer aux grands trusts de l'automobile les frais de la crise qu'ils ont contribué à provoquer.
25 juin 2009