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« État PS » ? Surtout huissier du grand capital financier
Une fois l'élection de Hollande à la présidence complétée par le succès du PS aux législatives, la gauche s'est donc installée dans les ors de la République. La nouvelle majorité à l'Assemblée nationale a bruyamment fêté son élection, s'est chamaillée plus ou moins discrètement autour des postes à se partager, et les ministres étrennent maintenant leur nouvelle autorité avec l'espoir de la conserver pour les cinq ans qui viennent, du moins si la situation ne devient pas tellement agitée qu'une dissolution s'impose plus tôt.
Un des premiers gestes du gouvernement Ayrault 2 en direction de son électorat, sans doute un des derniers aussi, a été le « coup de pouce » donné au smic, 0,6 % de plus qui s'ajoute à l'évolution normale telle qu'elle est définie par la loi. Quelque six euros de plus par mois ! Au moment même où l'Insee constate une détérioration brutale du pouvoir d'achat et où sont annoncées plusieurs hausses, comme celles du gaz et de l'électricité... Et le ministre du Travail, Sapin, d'affirmer, la mine réjouie, que la hausse est « substantielle ». Les ministres socialistes ont vite fait de mettre leurs pas dans ceux de leurs prédécesseurs sarkozystes, cynisme et morgue compris.
Dans le cadre des institutions de la démocratie bourgeoise, le pouvoir exécutif, et principalement le président de la République, est toujours chargé d'exécuter la politique voulue par la bourgeoisie. Avec les multiples rebondissements de la crise financière, son rôle devient plus précis encore. La crise de l'économie capitaliste, qui exacerbe l'opposition entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, exacerbe aussi les antagonismes à l'intérieur même de la bourgeoisie pour le partage de la plus-value extorquée à la classe ouvrière. Plus la crise s'aggrave, plus la domination de la bourgeoisie signifie surtout celle des grands groupes capitalistes et du capital financier. Par le fait même que la crise, les licenciements et les suppressions d'emplois diminuent le nombre des travailleurs directement exploités dans la production, la cagnotte à partager par la classe des exploiteurs n'augmente pas, voire diminue. Le capital financier aggrave sa pression sur toute la vie économique pour préserver et accroître sa part.
L'État a de plus en plus pour fonction de racketter toute la société au profit du capital financier.
Pour caractériser l'impérialisme, Lénine parlait, il y a presque un siècle déjà, de la mainmise du capital financier sur l'appareil d'État et de leur collaboration fusionnelle :
« Trois à cinq grosses banques de n'importe quel pays capitaliste parmi les plus avancés ont réalisé l'« union personnelle » du capital industriel et bancaire ; et elles disposent de milliards et de milliards représentant la plus grande partie des capitaux et revenus en argent de tout un pays. Oligarchie financière qui enveloppe d'un réseau serré de rapports de dépendance toutes les institutions économiques et politiques sans exception de la société bourgeoise d'aujourd'hui. » (L'impérialisme, stade suprême du capitalisme)
Ces rapports de dépendance sont plus visibles que jamais. Ce n'est même plus seulement l'influence omniprésente mais discrète dans les couloirs de l'Élysée ou de Matignon. C'est la danse de Saint-Guy de tous les chefs d'État, à commencer par ceux de la zone euro, en fonction du dernier en date des emballements spéculatifs du capital financier.
Nous ne reviendrons pas ici sur la chronologie des événements qui, depuis la crise financière dite des subprimes en 2008, ont amené les États à venir au secours du système bancaire en s'endettant de plus en plus (un autre article du présent numéro y est consacré). Disons seulement que s'est mis en place un mécanisme où les banques centrales des principaux États impérialistes prêtent quasi gratuitement aux banques des sommes que celles-ci reprêtent à des taux d'autant plus élevés que l'emprunteur apparaît peu fiable.
Au-delà de son mécanisme concret, cette évolution exprime le parasitisme croissant du grand capital. Celui-ci a un besoin impérieux de compléter sa part de la plus-value tirée de l'exploitation par les prélèvements directs des États sur leurs classes populaires.
Celui qui essaie d'expliquer la politique de Hollande à partir de son étiquette, de son langage ou même de quelques gestes symboliques, est un naïf sans espoir ou un fieffé menteur. La politique de Hollande est et sera entièrement dictée par le capital financier.
Les gouvernements d'aujourd'hui sont tous chargés à la fois du rôle d'huissier et de celui de gendarme au service du capital financier pour lui verser des sommes croissantes. Le paiement de la dette et des intérêts est leur credo universel, quand bien même l'immense parasitisme du capital financier est en train d'aggraver la crise de production.
L'exemple de la Grèce est éclairant : le capital financier a non seulement démoli les conditions d'existence de la classe ouvrière, et plus généralement des classes populaires, mais il est en train de transformer tout le pays en champ de ruines avec la chute brutale de la production et les fermetures d'entreprises.
Hollande a beau vouloir se singulariser en criant « il faut une politique de croissance », comme tous les dirigeants du monde capitaliste, il en est réduit à des incantations. Il a le droit d'en faire tant qu'il veut, à condition de faire ce que le capital financier exige : payer rubis sur l'ongle les dettes et les intérêts venant à échéance. Les problèmes budgétaires se réduisent à cela, pour l'essentiel.
Comment associer les centrales syndicales ?
Faire face aux exigences du capital financier en essayant de maintenir le calme social, voilà le rôle du gouvernement Hollande-Ayrault. Il sait qu'en remplissant ses obligations envers le capital financier, il donnera des armes à ses concurrents politiques de droite et d'extrême droite. Les deux camps servent les mêmes maîtres mais pas exactement de la même manière, et les socialistes n'ont aucun cadeau à attendre de la part de la droite.
Le principal argument du PS à l'égard de la classe capitaliste est d'être plus capable que la droite et l'extrême droite de faire avaler aux classes exploitées les sacrifices croissants que la bourgeoisie leur imposera.
Dans cette tâche, Hollande a besoin de la collaboration des appareils syndicaux. Il sait qu'il peut compter sur eux. Il a un problème immédiat sur ce terrain avec l'espèce de crise de direction que traverse la CGT avec la succession de Thibault. Il fera avec.
Un des premiers gestes de Hollande, à peine élu, a été de convoquer pour les 9 et 10 juillet une « grande conférence sociale » desdits partenaires sociaux. La nouvelle équipe au pouvoir sait qu'elle ne pourra rien lâcher aux travailleurs. Aussi s'évertuera-t-elle à donner quelque chose aux directions syndicales, ne serait-ce qu'une politique de consultations systématiques. Les confédérations syndicales sont tout à fait disposées à accepter ce donnant-donnant : des négociations, voire quelques fromages dans les institutions, en contrepartie de la paix sociale.
Cette politique de négociations, qui ne coûtera rien à la bourgeoisie, servira cependant à la droite pour présenter les gestes du gouvernement comme des concessions aux salariés. La droite et à plus forte raison l'extrême droite s'en serviront d'autant plus volontiers que leur démagogie antiouvrière leur permettra de se faire applaudir par leur clientèle électorale, la bourgeoisie petite et moyenne, qui pense que ses difficultés viennent des cadeaux faits aux salariés par un gouvernement socialiste trop mou ou irresponsable.
Même le dérisoire « coup de pouce » au smic a été précédé d'un charivari tragi-comique mobilisant les principaux responsables du patronat, de la présidente du Medef Laurence Parisot au président de la CGPME, pour crier au risque que représenterait pour l'emploi une hausse du smic même modeste. Une protestation préventive largement reprise par les ténors de la droite, histoire de souligner que l'aggravation du chômage, c'est la faute aux exigences ouvrières.
Il ne faut pas sous-estimer les conséquences de cette façon dont la droite se saisit de ce que fait la gauche au gouvernement pour la rendre responsable et, derrière le gouvernement, pour rendre responsables les salariés eux-mêmes des maux engendrés par l'économie capitaliste en crise. Tout cela favorisera les idées réactionnaires et antiouvrières, qu'il s'agisse des salariés dans leur ensemble ou de telle ou telle catégorie (d'un côté, les travailleurs immigrés, et de l'autre les catégories « privilégiées » ou présentées comme telles : cheminots, personnels des compagnies aériennes, fonctionnaires, etc., et pourquoi pas simplement des travailleurs qui ont un travail stable, contre les précaires ou les chômeurs).
L'effet délétère de ce climat pèsera sur l'opinion publique ouvrière en la divisant, en favorisant les repliements en tout genre, catégoriels, voire en fonction des origines et de la nationalité. Tout cela prépare aussi le terrain pour des politiques visant à opposer les unes aux autres les différentes catégories sociales victimes de la crise et surtout du grand capital.
Hollande et le Parti communiste
Bien au-delà de l'arithmétique parlementaire, Hollande avait un intérêt réel à associer le PC à son gouvernement. La direction du PC a rejeté l'offre, soutenue par l'écrasante majorité de ses militants, invités à participer à un vote interne pour entériner sa proposition.
Dans toutes leurs déclarations, les dirigeants ont cependant insisté sur le fait que le PC fait partie de la majorité présidentielle et que, s'il rejette la participation gouvernementale, ce n'est pas par principe mais parce que « les conditions ne sont pas réunies ». Quelles sont donc ces conditions ?
Il n'est que de peu d'intérêt de se perdre en conjectures, parce que la formulation est volontairement vague pour laisser à la direction la possibilité, lorsqu'elle le jugera bon, de déclarer que les conditions sont atteintes.
Nous discutons par ailleurs dans ce numéro de ce que signifie ce ministérialisme sans ministre que le PC a choisi. La raison en est que, manifestement, l'appareil n'a pas envie, en tout cas pas dans l'immédiat, de lier son sort à Hollande.
La victoire électorale du PS s'est traduite pour le PC par un recul important de sa représentation parlementaire (le nombre de députés du PC et apparentés est passé de 19, en 2007, à 10 pour l'ensemble du Front de gauche).
Malgré son recul électoral continu depuis des années, le PC détient encore au sein des institutions locales ou régionales un certain nombre de positions, mairies, conseils généraux, conseils régionaux, qu'il n'a pas envie de perdre. Sa direction et son appareil ont quelque raison d'estimer que, pour deux ou trois places de ministres, le jeu ne vaut pas la chandelle de perdre cette implantation locale qui n'est pas négligeable.
Mais, au fond, cette position de soutien à Hollande de l'extérieur arrange aussi les affaires de ce dernier. Vers la fin de la campagne présidentielle et pendant celle des législatives, la droite parlementaire justifiait son alignement derrière le FN en établissant un parallèle avec les liens entre le PS et ces « extrémistes » du Front de gauche et du PC. S'il y avait des ministres du PC, cela serait pire. Eh bien, la non-participation au gouvernement ôte à Hollande même cette légère gêne !
Ce soutien de l'extérieur au gouvernement donne un peu plus de latitude au PC pour afficher son appartenance à la majorité présidentielle tout en se permettant des critiques. Mais, fait significatif, ces critiques sont très orientées et ne portent pas sur le refus du gouvernement de satisfaire les revendications essentielles des travailleurs. Non, même la politique d'austérité préparée par Hollande est présentée par le PC comme résultant de la pression des institutions européennes ou, mieux ou pire, de l'Allemagne.
Cette façon de présenter les choses a en outre l'avantage de laisser aux dirigeants du PC le choix du moment où ils pourront dire : Hollande est devenu plus ferme à l'égard des exigences de Merkel, il faut le soutenir, y compris en faisant partie du gouvernement.
Avec cet axe de critique, c'est surtout à la bourgeoisie que le PC rend service en trompant une fois de plus les travailleurs, en brouillant les responsabilités. Le discours contre Merkel ou contre les institutions européennes complète, avec le discours protectionniste, la vaste panoplie des mensonges que les hommes politiques de la bourgeoisie servent aux travailleurs pour leur dissimuler le fait que, derrière tous ces chiffons rouges qu'on agite, il y a le grand patronat, les banquiers, la grande bourgeoisie de ce pays, qui est d'ailleurs de toute origine et de toute nationalité.
Les travailleurs ne parviendront à se battre avec efficacité que s'ils ont une conscience claire de qui sont leurs ennemis et quels sont leurs intérêts de classe. Tout autre discours est une façon de retarder la prise de conscience de la classe ouvrière, une façon de rendre service à la bourgeoisie. Que le PC, sous déguisement Front de gauche ou pas, soit peu récompensé pour les services rendus ne change rien à l'affaire.
Faire face à la bourgeoisie
Si, comme c'est vraisemblable, la situation économique ne s'améliore pas, la classe ouvrière sera confrontée à un patronat de plus en plus agressif. Dans ce contexte de lutte de classe intense du côté de la bourgeoisie, la classe ouvrière ne peut espérer se défendre que par la mobilisation ample, contagieuse, explosive, menée avec ses propres armes, les grèves, les occupations d'usines, les manifestations. Un mouvement suffisamment menaçant, suffisamment radical pour que la bourgeoisie craigne que les directions syndicales, même bien disposées à l'égard du gouvernement de gauche, ne parviennent pas à le contrôler, à le canaliser.
Pour le moment, l'état d'esprit des travailleurs semble loin de cela. L'ampleur du chômage pèse sur la combativité, comme pèsent les déceptions du passé. Les luttes qui se déroulent sont des luttes ponctuelles, défensives, menées en général par des travailleurs le dos au mur pour empêcher une fermeture d'usine, pour défendre leur emploi.
Mais nous pouvons, nous devons faire confiance à la classe ouvrière. Elle retrouvera sa combativité. Le grand patronat ne lui laissera pas d'autre choix que de réagir. Les explosions ouvrières ne s'annoncent pas toujours à l'avance. Elles sont peut-être plus proches que ce qu'on peut déduire de l'état d'esprit actuel du monde du travail.
Le véritable problème n'est pas la combativité.
Lutter efficacement contre la bourgeoisie ne demande pas seulement une mobilisation, mais aussi la conscience. Celle avant tout que les travailleurs ont les mêmes intérêts fondamentaux, intérêts diamétralement opposés à ceux du grand patronat. Cette conscience peut venir pendant la lutte elle-même. C'est en tout cas dans le déroulement même de la lutte que cette prise de conscience peut se généraliser et toucher une majorité de la classe ouvrière. Mais cela se fait d'autant plus facilement qu'il y a des forces politiques qui propagent cette conscience au fur et à mesure de la radicalisation des travailleurs. Pour le moment, c'est ce qui manque le plus.
Aussi déformant et peu fiable que soit le thermomètre électoral, les élections récentes témoignent de l'extrême faiblesse des forces politiques se plaçant résolument dans le camp des travailleurs.
Bien que, pour la première fois depuis trente ans, la gauche ait remporté une victoire électorale, amplifiée encore par le mode de scrutin, qui fait que la gauche parlementaire est majoritaire dans toutes les institutions nationales, sans parler des autorités régionales et locales, ces élections ne témoignent nullement d'une poussée à gauche. Elles témoignent, au contraire, de la perte de bien des références du mouvement ouvrier, y compris de celles qui avaient été maintenues, fût-ce de façon déformée, par le PC.
Celui-ci ne représente plus depuis très longtemps les intérêts politiques du prolétariat. Le stalinisme avait profondément infecté la politique du PC dans un sens réactionnaire. Malgré tout, le PC véhiculait encore l'idée que le changement social était possible, fût-ce par la voie réformiste.
Bien que l'image de l'évolution de l'opinion ouvrière donnée par les résultats électoraux soit très déformée, les élections de cette année ont montré une classe ouvrière désorientée, démoralisée, où la conscience d'appartenir à une même classe sociale a largement disparu, conséquence ou cause de la disparition des partis ouvriers, même réformistes.
La classe ouvrière, dégoûtée au fil du temps par ces partis, ne croit plus en rien, ou en pas grand-chose, et est disposée à suivre n'importe qui ou n'importe quoi.
La dispersion des votes ouvriers n'est certainement pas une nouveauté. Même à l'époque du mouvement ouvrier politique florissant, incarné surtout par le PC et jusqu'à une certaine période même par le PS, une fraction de l'électorat ouvrier votait pour les partis bourgeois classiques.
Mais aujourd'hui, le PC a perdu son pouvoir de structurer dans une large mesure l'opinion ouvrière, en particulier à l'occasion des élections. L'électorat ouvrier s'est dispersé non seulement entre Hollande, Mélenchon et les candidats d'extrême gauche, mais aussi Le Pen et l'abstention.
Or, les luttes qui attendent la classe ouvrière exigeront d'autant plus une conscience politique qu'elles ne se dérouleront pas seulement sur le terrain des revendications matérielles. Si l'aggravation de la crise entraîne la montée d'une extrême droite radicale décidée à se livrer à des provocations violentes contre telle ou telle fraction de la classe ouvrière (les travailleurs immigrés notamment, mais cela peut être aussi contre les militants ouvriers), la classe ouvrière devra pouvoir donner une réponse aussi sur le terrain politique.
Et donner une réponse sur le terrain politique, cela ne signifie pas inventer une « issue politique » pour la classe ouvrière en échafaudant de nouvelles combinaisons à partir des hommes politiques de la bourgeoisie et dans le cadre des institutions de la bourgeoisie. Cela ne signifie pas fabriquer un nouveau prophète, comme il y en a eu dans le passé, en général lorsque les chefs des grands partis réformistes étaient complètement déconsidérés. Mélenchon est le dernier en date de ces faux prophètes.
La seule issue politique pour la classe ouvrière est d'intervenir dans la vie politique par ses méthodes de classe, par ses armes de classe, en pesant sur les décisions du gouvernement de la bourgeoisie, avant d'être en situation de contester, non pas seulement l'équipe politique en place de la bourgeoisie, mais le règne de la bourgeoisie lui-même. Seul un véritable parti communiste peut défendre cette perspective. Et, surtout, seul il peut proposer une politique concrète répondant à chaque situation du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, sans craindre que la mobilisation aille trop loin, sans craindre de perdre des places, des positions dans les institutions de la bourgeoisie, ou de compromettre des alliances susceptibles d'y mener.
La crise s'aggravant, la course de vitesse est déjà engagée entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.
Voilà pourquoi il n'y a pas de tâche plus urgente que de gagner aux idées communistes révolutionnaires, à une politique correspondant aux intérêts du prolétariat, des travailleurs, des jeunes, que l'évolution actuelle de la société inquiète et qui ne voient d'issue que du côté de la seule classe révolutionnaire de la société, la classe ouvrière.