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- Lutte de Classe n°122
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Côte d'Ivoire - Plus que la date de la présidentielle, c'est la réunification de l'armée qui est importante pour les possédants
Après la rébellion militaire de septembre 2002, qui n'avait pas réussi à l'époque à renverser le président de la République Gbagbo et son gouvernement, sans pour autant que ces derniers remportent, de leur côté, une victoire décisive sur la rébellion, la Côte d'Ivoire a été, dans les faits, scindée en deux. Le Nord est contrôlé par les militaires soulevés, le Sud restant sous administration de Gbagbo.
Après des années de marchandages sous la pression aussi bien des grandes puissances impérialistes que de plusieurs États africains, un premier accord avait abouti à une demi-réconciliation qui a pris la forme d'un gouvernement dirigé par Guillaume Soro, dirigeant politique de la rébellion militaire, sous la présidence de Gbagbo. Toute une partie des liens entre le Nord et le Sud a été rétablie et une sorte de paix armée s'est installée entre les deux parties du pays.
L'élection présidentielle dans les deux parties du pays devait parachever la réunification des deux tronçons de l'appareil d'État. Plusieurs fois repoussée, cette élection est enfin annoncée comme sûre pour le 29 novembre 2009. Cette échéance semble cette fois plus sérieuse que les précédentes. Il n'y a cependant aucune garantie qu'elle ne soit pas repoussée, une fois de plus.
C'est à cette question que sont consacrés les deux articles ci-après, extraits du numéro 156 du Pouvoir aux Travailleurs, daté de septembre 2009, mensuel communiste révolutionnaire édité en Côte d'Ivoire.
Le jour même, le 26 août, où était ouverte la période de dépôt des candidatures à l'élection présidentielle, Fraternité Matin titrait à la une par une phrase d'Amani N'Guessan, ministre de la Défense : « Je ne garantis rien et ne promets rien. » Il parlait, bien sûr, de l'élection présidentielle du 29 novembre. Le même N'Guessan avait déclaré pourtant lors de la signature de l'Accord politique de Ouagadougou en mai 2007 qu'une semaine suffirait pour boucler le volet militaire de l'accord. Plus de deux ans après, il a dû déchanter.
Amani N'Guessan venait pourtant d'installer à Bouaké, en grande cérémonie, les premières brigades mixtes de police et de gendarmerie dans le cadre du Centre de commandement intégré censé représenter l'unité retrouvée de l'armée ivoirienne. Mais justement, il a fallu plus de deux ans de tractations pour que soient déployées une brigade mixte de police de 60 éléments, 30 de l'armée dite loyale et 30 des Forces nouvelles, ainsi qu'une brigade mixte de gendarmerie, encore plus rachitique, car composée de 30 gendarmes en tout et pour tout, 15 de chaque côté. Bien peu donc par rapport aux 8 000 hommes qui devraient constituer les troupes du Commandement intégré, chargées d'assurer la sécurité des élections et, surtout, incarner le rétablissement de l'unité de l'armée.
Les chefs politiques des deux factions, Gbagbo et Soro, ont beau être d'accord, mieux, gouverner ensemble, l'armée reste divisée. Ce n'est pas seulement un des éléments du problème, susceptible de retarder, une fois de plus, la date de l'élection présidentielle. C'est le fond même du problème. Pas seulement parce que l'éclatement en deux de l'appareil d'État et du pays lui-même entre le Nord et le Sud avait été provoqué par la coupure en deux de l'armée. Mais aujourd'hui encore, la dislocation de l'armée a bien plus de raisons de préoccuper la classe possédante que le morcellement du pays.
Il s'agit bien d'une dislocation. Non seulement il y a deux armées, entre l'armée officielle et celle des Forces nouvelles, mais les Forces nouvelles elles-mêmes sont une juxtaposition de bandes armées, soumises chacune à son commandant de zone (com'zone) plus ou moins autonome. À ceux-là s'ajoutent les groupes d'autodéfense. Les accords politiques prescrivent bien la réintégration des éléments militaires épars dans une nouvelle armée unifiée sous un commandement unique et le désarmement des milices diverses. Mais comment y parvenir pratiquement ?
Comment, pour commencer, déployer les 8 000 hommes d'une armée mixte, lorsqu'il n'y a ni casernes, ni même des lits en nombre suffisant ? Amani N'Guessan peut bien s'époumoner en phrases grandiloquentes devant les militaires, comme à Bouaké (« Soldats, considérez-vous donc, à partir de cet instant précis, comme des soldats ivoiriens prêts à défendre la patrie... et les intérêts nationaux sans distinction »), il est obligé d'ajouter, dans le même discours, cet appel pitoyable à la patience : « Nous sommes en brousse en train de chercher des véhicules et de l'argent pour vous, donc soyez patients. Car il nous faut déployer 8 000 éléments et encaserner 5 000, ça demande des milliards. »
Des milliards dont une grande partie manque. Et si les puissances impérialistes font pression sur le gouvernement ivoirien pour qu'il les sorte de quelque part - forcément en pressurant la population et en sacrifiant plus encore ce qui reste du service public - elles n'ont pas l'intention de payer plus qu'un minimum. Quant aux soldats, ils peuvent toujours racketter la population pour compléter leurs soldes dans le Sud ou, dans le Nord, mendier piteusement auprès de l'automobiliste interpellé de quoi se payer un paquet de cigarettes.
Mais les milliards manquent plus encore pour dédommager la hiérarchie militaire. À la faveur de la mutinerie de 2002, non seulement un certain nombre d'officiers subalternes et de sous-officiers se sont transformés, grâce aux « grades Soro », en commandants, mais se sont taillé de véritables fiefs qui les ont enrichis. Ils n'ont pas l'intention de lâcher ces fiefs sans être dédommagés. Et les hauts gradés de l'armée légale, de leur côté, n'ont pas l'intention d'accepter que l'armée nouvelle consacre la promotion fulgurante de ceux qui sont passés du grade de caporal à celui de commandant, alors qu'eux-mêmes n'ont pu grimper sur l'échelle des ânes qu'au rythme des promotions officielles. La question des grades reste un des principaux points d'achoppement de l'avenant militaire à l'accord politique.
À ce qu'il paraît, une solution a été trouvée pour quelques-uns des « com'zone » de cette catégorie, comme Wattao, devenu chef d'état-major adjoint des Fafn (forces armées du Nord) et commandant de Séguéla-Vavoua, connu pour ses frasques dans la capitale et pour sa Ferrari, ou encore Ouattara Morou, commandant de Bouna, et Chérif Ousmane, commandant de Bouaké. Ils accepteraient, moyennant une prime de départ, de prendre leur retraite. La prime de départ, même si elle est conséquente, ne compenserait pas vraiment les possibilités de racket et de prévarication qu'ils avaient en tant que « com'zone », mais cette solution aurait pour eux l'avantage d'entériner et de légaliser leurs vols du passé.
Restent encore les officiers de grades inférieurs. Ceux de la Fafn sont aussi intraitables pour garder leurs grades dans l'armée réunifiée que ceux de Fds (forces armées du Sud), à refuser que d'anciens subordonnés puissent dans l'avenir les commander.
Tous ces marchandages pour arriver à un consensus sont aussi écoeurants qu'ils peuvent sembler dérisoires. Mais ce qui n'est pas dérisoire, c'est la nécessité, du point de vue des intérêts de la bourgeoisie, de rétablir l'unité de l'armée, c'est-à-dire de disposer d'une force de répression fiable face à d'éventuels soubresauts sociaux. Les militaires de l'armée actuelle - il serait plus exact de parler d'armées au pluriel - sont tout juste capables de racketter une population désarmée. L'armée a été affaiblie par son éclatement et désorganisée. Si Gbagbo essaie de choyer les militaires restés de son côté par des soldes conséquentes et plus ou moins régulièrement payées, ce n'est pas le cas de ceux du Nord. En cas de conflits sociaux sérieux, l'armée pourrait se révéler incapable de contenir les masses révoltées. Mal équipés, mal considérés et, pour certains, mal payés, les militaires risquent d'être peu enclins à se battre pour la propriété des capitalistes et, à plus forte raison, à mourir pour elle, si les masses s'armaient à leur tour.
Or, la Côte d'Ivoire n'a pas seulement une certaine importance économique et stratégique pour la bourgeoisie impérialiste. Abidjan n'est pas seulement une capitale économique pour toute la sous-région. Elle compte de grandes entreprises qui concentrent un grand nombre de travailleurs. Rien que le Port autonome regroupe 9 000 travailleurs. Avec les entreprises qui entourent le port, cinquante mille travailleurs se côtoient sur la zone industrielle de Vridi, mobilisés qu'ils sont chaque jour pour faire tourner le port et les usines et pour suer du profit pour leurs patrons respectifs, parmi lesquels quelques gros requins du grand capital, genre Bolloré et Unilever.
Cette concentration d'ouvriers, dans un endroit stratégique par où transitent les marchandises et les produits qui alimentent les circuits économiques bien au-delà des frontières de la Côte d'Ivoire, représente une force potentielle considérable. La récente grève des dockers n'a pu en donner qu'une idée limitée, tant les syndicats de la zone portuaire sont pleutres quand ils ne sont pas franchement vendus. Mais ces choses-là peuvent changer très vite et la détermination des travailleurs peut suppléer à la défaillance des syndicats.
Une grande partie de la bourgeoisie ivoirienne est tellement préoccupée par ses combines et ses magouilles pour faire de l'argent à court terme, tellement irresponsable, qu'elle ne réalise sans doute pas la menace et, donc, elle ne la craint pas. Mais il y en aura forcément qui y penseront pour elle, ne serait-ce que parmi les serviteurs politiques ou militaires de la grande bourgeoisie impérialiste. Un mouvement de grève puissant dans le prolétariat des grandes entreprises d'Abidjan, entraînant les pauvres des quartiers populaires, représenterait une menace autrement plus puissante pour la bourgeoisie qu'une guérilla aux confins du Tchad ou les affrontements entre seigneurs de guerre dans certaines régions du Congo-Kinshasa.
Voilà contre quoi, contre quelle menace, la bourgeoisie a besoin d'une armée ivoirienne fiable. Voilà pourquoi cette question dépasse en importance celle de savoir si l'élection présidentielle pourra avoir lieu le 29 novembre ou sera repoussée une fois de plus. Voilà pourquoi elle est plus importante aussi que celle de savoir qui sera élu. Les prétendants à la présidence sont d'ailleurs tous d'accord sur la nécessité de disposer d'une force de répression unifiée et fiable.
Les choses commenceront à changer pour la classe ouvrière lorsqu'elle-même commencera à se rendre compte de la force qu'elle représente. C'est la conscience et la détermination qui peuvent transformer le nombre et la concentration en force agissante. Lorsque cela arrivera, les travailleurs seront en situation de peser sur la vie politique et sociale de la Côte d'Ivoire dans l'intérêt, non pas d'une poignée de capitalistes, de magouilleurs et de parasites qui dominent le pays, mais dans l'intérêt de la majorité exploitée, opprimée, de la population.
Portée et limites d'une élection hypothétique
Les spéculations sur le respect ou non de la date prévue du 29 novembre pour la prochaine élection présidentielle tiennent des jeux de hasard. L'écrasante majorité de la population la souhaite, avec ou sans illusions, ne serait-ce que parce que cela apparaîtra comme un terme définitif à la période ouverte par la rébellion militaire de septembre 2002 et à la paix armée qui a succédé aux affrontements ouverts entre les deux tronçons de l'appareil d'État et qui se prolonge jusqu'à nos jours. Et puis, toutes choses restant égales par ailleurs, la majorité préfère très certainement que le président soit élu plutôt qu'il soit imposé par un coup d'État, ouvert ou larvé.
Oui, la majorité de la population préfère indubitablement que soit mise une fin aux incertitudes de la situation actuelle. Mais ce n'est pas la population qui décide. Elle n'est conviée que pour payer le prix de cette situation par une misère aggravée.
Un indice plus convaincant que la date du 29 novembre sera peut-être la bonne, c'est l'aspiration de la classe possédante elle-même. Oh, il en est qui ont fait d'excellentes affaires malgré le partage du pays entre deux bandes armées rivales, voire précisément grâce à cela. Derrière quelques crapules en uniforme qui ont pu se tailler des fiefs à la faveur de la rébellion militaire, avec des mangeoires abondamment remplies, il y a des hommes d'affaires. Même s'ils n'affichent pas leurs voitures de luxe avec l'ostentation de nouveaux riches, ils ont ramassé beaucoup d'argent. Pour la majorité des possédants cependant, les incertitudes politiques comme la coupure du pays en deux constituent plutôt une gêne qu'un avantage. Tout cela n'est pas très bon pour les affaires, pour le transport des marchandises, pour les placements et les déplacements. Et les prélèvements des parasites galonnés représentent des frais inutiles. Il est préférable que l'on en finisse.
Les grands bourgeois des puissances impérialistes qui ont des intérêts ici, les Bolloré et Cie, pourraient regarder les choses avec un certain détachement. Ils n'ont certes rien à craindre pour leurs intérêts fondamentaux ni d'un camp ni de l'autre. Ils ont les moyens de se les subordonner et ils ne s'en privent pas, qu'il s'agisse du président légal ou d'un vulgaire com'zone. Mais la phase initiale aiguë de la crise politico-militaire, en détériorant la situation économique, a tout de même affecté les profits de Bolloré, en faisant reculer l'activité du Port autonome. Ces préoccupations bien matérielles ont tout naturellement rejoint les préoccupations politiques des dirigeants de l'impérialisme français quant à la décomposition de l'appareil d'État ivoirien et la tension que cela provoquait, et pas seulement pour le pays mais pour la sous-région. Tout cela pousse Paris à tenter de rabibocher les factions opposées, comme en ont témoigné les accords de Marcoussis. Mais à condition que cela ne leur coûte rien.
Vouloir, dans ces conditions, n'est pas nécessairement pouvoir. Et tous les rebondissements depuis les accords de Marcoussis, tous les retards ont montré que la caste politique et surtout la caste militaire ne poussent pas le sens des responsabilités jusqu'à abandonner les privilèges petits ou grands qu'elles se sont arrogés afin que l'appareil d'État retrouve son unité, quand bien même cela correspond aux intérêts de la classe possédante. En tout cas, pas gratuitement. La bourgeoisie a les serviteurs qu'elle mérite : aussi avides, aussi irresponsables qu'elle-même.
C'est dire que bien d'autres rebondissements sont possibles malgré le ton euphorique des représentants politiques des deux factions depuis la signature des accords de Ouagadougou. Eux, ils y croient ou ils font semblant. Tous les crocodiles du marigot politique sont déjà engagés dans la campagne électorale.
Mais qu'est-ce qu'il peut sortir de bon pour les classes populaires de cette élection présidentielle, à supposer qu'elle ait lieu, à part la satisfaction, pour ceux qui s'en contentent, qu'elle ait enfin lieu ?
Des trois principaux candidats, l'un, Gbagbo, est le président de la République en titre et un autre, Bédié, l'a été avant d'en être chassé. Le troisième, Ouattara, n'a certes jamais été président de la République, mais en tant que Premier ministre, il a pu faire la démonstration qu'il ne gouvernait pas plus en faveur des classes populaires que les autres. Sur le terrain social, leurs programmes respectifs sont identiques. Ils gouverneront au service des plus riches, en se servant au passage. Et ceux qui, dans les classes populaires, ont été contaminés dans le passé par la démagogie ethniste des uns et des autres, et qui espèrent de l'élection d'un candidat de leur ethnie une certaine protection, se trompent lourdement. Spéculer sur les sentiments ethniques, ouvertement ou de façon sous-entendue, n'est de la part des candidats que démagogie pour arriver au pouvoir ou pour s'y maintenir. À leurs yeux, un exploité, ouvrier, paysan, quelle que soit son ethnie, n'est qu'un pauvre sur lequel on peut marcher. Pour les exploités en revanche, l'ethnisme est un poison qui les divise, qui les abrutit et qui les rend incapables de se défendre collectivement contre leurs oppresseurs.
Même dans les pays riches qui se disent démocratiques, aux États-Unis, en France et dans un certain nombre de pays d'Europe, les classes exploitées n'ont jamais changé leur sort d'un iota grâce aux élections. Comme le disait un grand révolutionnaire des temps passés, la démocratie bourgeoise, même dans les pays les plus démocratiques, consiste seulement à accorder aux classes exploitées le droit de choisir elles-mêmes l'homme ou le gouvernement qui les opprimera. Mais le gouvernement, quel qu'il soit, est toujours le conseil d'administration chargé de gérer les affaires des possédants. La bourgeoisie, surtout la très grande, celle des riches pays impérialistes, a trop de puissance dans l'économie et la société grâce à son argent, grâce à son emprise sur l'économie, pour la jouer aux dés d'un scrutin électoral. Les dirigeants politiques ne sont pas les maîtres, mais les serviteurs de la grande bourgeoisie.
Est-ce à dire que les élections ne peuvent servir à rien ? Pas tout à fait. Car si elles ne peuvent pas changer la nature du pouvoir politique et, à infiniment plus forte raison, ne peuvent pas mettre fin à l'exploitation des classes laborieuses par les capitalistes, cause fondamentale des inégalités et de la misère pour la majorité, elles pourraient au moins exprimer l'opinion des classes populaires. Mais à condition que celles-ci aient les moyens et la volonté de s'exprimer. Le drame dans la situation actuelle, c'est qu'elles n'ont ni les uns ni l'autre.
Malgré la multiplicité des candidats, aucun d'entre eux ne représente les intérêts des classes populaires, pas même partiellement, pas même de manière déformée. Aucune des candidatures ne permet à l'électorat populaire d'exprimer son aspiration à des conditions de vie meilleures, à un emploi, à un salaire correct, à des services publics dignes de ce nom. Même convié aux urnes, l'électorat populaire est condamné au silence.
C'est une des conséquences - certes, pas la plus importante, mais réelle - de l'inexistence dans ce pays d'un parti qui représente les intérêts des classes exploitées. Contrairement au temps de la dictature de Houphouët, les idées politiques semblent pouvoir s'affronter au grand jour, il y a une multitude de journaux dont chacun peut attaquer, voire injurier les vedettes du camp adverse. Mais dans la cacophonie généralisée, on n'entend pas la voix des exploités, la voix de ceux qui n'ont rien que leur travail pour vivre. Ils constituent pourtant la majorité.
Ce multipartisme-là ne gêne pas les possédants car, parmi les coteries politiques qui s'affrontent, aucune ne menace leurs intérêts ni à court ni à long terme. Aucune ne défend l'idée que pour sauver les classes populaires de la misère, pour résoudre les problèmes les plus aigus de la société, il faut empêcher les possédants de nuire, empêcher qu'ils exploitent les travailleurs, qu'ils volent les petits paysans, qu'ils pillent les caisses publiques et le pays. Empêcher qu'ils dirigent l'économie en dépit du bon sens, car ils ne sont préoccupés que de leur propre enrichissement, quitte à fouler aux pieds les intérêts de la collectivité.
En conclusion, si les élections avaient lieu à la date prévue, ce serait tant mieux car la dictature, qu'elle soit ouvertement proclamée ou existant de fait, est toujours un obstacle devant la prise de conscience des classes exploitées. (Même si la réciproque n'est pas vraie et si la bourgeoisie a bien d'autres moyens que la dictature ouverte pour duper les masses exploitées, pour les amener à accepter passivement leur sort, pour les empêcher de s'organiser afin de se défendre.)
Montrer que l'on refuse l'exploitation, qu'on n'est pas dupe des discours des partis politiques au service des riches, est tout ce que les scrutins électoraux permettent. Ce serait cependant déjà beaucoup pour la prise de conscience de la masse des exploités.
Mais dans le contexte d'aujourd'hui, en l'absence d'un parti représentant les intérêts politiques des exploités et capable de les défendre à l'occasion de l'élection présidentielle, les électeurs des classes populaires n'ont même pas la possibilité de dire, avec leur bulletin de vote, leur adhésion à cette politique. Les travailleurs qui se rendront aux urnes doivent donc savoir que, quel que soit le candidat pour lequel ils votent, ils n'auront fait que contribuer à porter au pouvoir un homme qui sera toujours du côté des exploiteurs contre les exploités, du côté des riches contre les pauvres, un homme qui contribuera à les opprimer.