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- Lutte de Classe n°103
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65 milliards d'euros d'aides aux entreprises officiellement recensés - Pillage massif et gaspillage des fonds publics
En décembre 2006, cinq hauts fonctionnaires, représentant les ministères des Finances, des Affaires sociales et l'Inspection générale de l'Administration, rendaient compte au Premier ministre, Dominique de Villepin, des conclusions de la mission d'audit sur les aides aux entreprises que celui-ci leur avait demandé en février 2006. Ces conclusions ne sont donc en aucune façon celles de dangereux gauchistes ni même de gens classés à gauche. D'ailleurs, c'est le quotidien Le Figaro, porte-parole officieux de la droite et du patronat, qui en a rendu compte le premier.
Voici comment s'ouvre ce rapport : "On peut estimer à près de 65 milliards d'euros l'ensemble des aides publiques aux entreprises, dont 90 % sont financés par l'État, et à au moins 6 000 le nombre cumulé des dispositifs d'aides, dont 22 européennes, 730 aides nationales, et, par exemple, 650 pour l'ensemble des collectivités locales de la seule région Ile-de-France. Ce total de 65 milliards d'euros représente un peu plus que le total du budget de l'Education nationale, près de deux fois le budget de la Défense, le même ordre de grandeur que le total des dépenses hospitalières, plus de trois fois le budget de l'Enseignement supérieur et de la recherche. C'est aussi un chiffre supérieur au déficit public ". Ces 65 milliards d'euros représentent, en termes de valeur 4 % du produit intérieur brut, le PIB, chiffre de référence des statistiques officielles qui permet de comparer, plus ou moins bien, la création de richesses dans un pays. Mais surtout ces 65 milliards d'euros correspondent, selon ce rapport, au produit de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle, c'est-à-dire la totalité des impôts que sont censées payer les entreprises. Ce qui signifie que les entreprises ont reçu au moins autant, au titre des aides, de la part de l'État et des collectivités locales, que ce qu'elles payent sous forme d'impôts.
Mais cela n'a pas gêné le moins du monde la présidente du Medef, Laurence Parisot. Immédiatement après la mise sur la place publique de ce rapport, elle a d'abord tenté de dresser un contre-feu en affirmant avec le plus grand culot que ces aides bénéficiaient d'abord aux entreprises publiques, comme la SNCF, alors que celle-ci n'a reçu, pour compenser le paiement des retraites, que 3,8 % du total de ces aides. Devant ses pairs, les 6 000 patrons rassemblés fin janvier 2007, elle a revendiqué le principe de ces aides, osant affirmer qu'elles n'étaient que "la juste contrepartie" de ce qu'on faisait supporter aux entreprises. Du coup, elle a non seulement demandé la pérennisation, de façon définitive, des allégements consentis en les transformant, a-t-elle dit, en "abattements", mais elle a en plus revendiqué "le transfert progressif, des entreprises vers la solidarité nationale, du financement de la branche famille de la Sécurité sociale". Ce qui ajouterait à l'addition trente nouveaux milliards d'euros prélevés dans la poche de la population pour en faire un cadeau supplémentaire aux patrons.
65 milliards distribués, est-ce vraiment tout ?
En ce qui concerne l'importance des sommes en jeu, le rapport reconnaît lui-même que son chiffrage est sous-évalué. En effet, si l'on peut retrancher de ces 65 milliards d'euros d'aides aux entreprises, les 6,1 milliards d'euros qui représentent le total des aides aux entreprises publiques (dont 2,5 milliards que verse l'État pour abonder le régime de retraite des agents SNCF), il y a bien d'autres sommes qui, elles, n'ont pas été comptabilisées.
Ainsi, les rédacteurs du rapport ont décidé que toutes les aides ou allégements fiscaux qui avaient un caractère général et permanent ne seraient pas comptabilisés. A titre d'exemple, ils annoncent qu'ils ont décidé de ne pas comptabiliser dans le total un très gros morceau : la diminution de dix milliards d'euros annuels de la taxe professionnelle payée par les entreprises. Cet allégement d'impôt décidé par Jospin en 1998, a pris son plein effet en 2003. Jusque-là les entreprises payaient en fonction des salaires versés et en fonction du matériel et des machines qu'elles possédaient. Jospin a fait supprimer la part assise sur les salaires, soit 40 % du total de la taxe professionnelle. Voilà donc dix milliards qu'il faudrait déjà ajouter.
Mais ce n'est pas tout. Les allégements de cotisations sociales, ce que le rapport appelle" charges sociales", ont été comptabilisés au total à hauteur de 22 milliards en 2005. Le plan de financement de la Sécurité sociale, voté par le Parlement chaque année, prévoit que ces allégements de cotisation sociales devraient grimper à 25 milliards d'euros en 2007. Ce qui ferait trois milliards supplémentaires à ajouter aujourd'hui sur le montant annoncé.
D'autre part, les chiffres retenus dans le rapport concernent l'année 2005 et les auteurs du rapport notent eux-mêmes que, depuis le début de leurs travaux, toute une série de nouvelles aides ont été décidées et devraient venir s'ajouter.
Enfin, la part des aides accordées par les collectivités territoriales, de la région aux communes en passant par tous les étages intermédiaires, estimée à six milliards d'euros, est très inférieure à la réalité. C'est d'abord un maquis inextricable de plusieurs milliers d'aides. Les auteurs du rapport avouent que le montant qu'ils ont retenu est notoirement sous-évalué. Les six milliards recensés sont les crédits qui figurent dans ces budgets uniquement sous le libellé "interventions économiques".
Or, toute une partie des dépenses d'aménagement sont en réalité des aides aux entreprises. Comme, à titre d'exemple, les bretelles d'accès aux entreprises, pour qui des routes spéciales et très chères sont construites, de même que les aménagements des zones où se trouvent les entreprises, sans parler des parcs industriels et commerciaux ou des zones d'accueil des entreprises de logistique, etc. Il en est de même pour les budgets de formations professionnelles des régions, un de leurs premiers postes. Il ne s'agit bien souvent, en réalité, que d'une ligne de crédit au bénéfice direct des entreprises privées.
Le total cumulé des sommes ainsi accordées par ces collectivités aux entreprises se monte à des dizaines de milliards d'euros, beaucoup plus que les six milliards (4 % du montant des finances locales) retenus dans ce rapport.
Les hauts fonctionnaires signataires de ce rapport, en garants de l'État, reconnaissent qu'ils ont eu à se poser la question de savoir où faire passer la limite des aides aux entreprises. Voici ce qu'ils déclarent : " Le concept d'aides publiques aux entreprises semble difficilement définissable sans contestation, pas plus que ne peut être dressée une frontière incontestable entre ce qui est et ce qui n'est pas une aide aux entreprises. Certes, il est possible de s'en remettre à deux visions extrêmes des aides publiques : l'une les réduit aux seules subventions directes... L'autre considère que, via l'effet multiplicateur keynésien, toute dépense publique, est "in fine" une aide aux entreprises". Les auteurs du rapport ont choisi, quant à eux, une position plus restrictive.
Le rapport indique tout de même que la Commission européenne estime à 256 milliards d'euros le montant des seuls achats publics en France en 2004. En effet, les commandes d'État, comme celles de toutes les collectivités publiques, se font avec des prix majorés au maximum. La procédure d'appel d'offres des marchés publics, bien loin de protéger l'État et les collectivités, les met au contraire à la merci des grands trusts auprès de qui ils passent leurs commandes. D'ailleurs, il est de notoriété publique que l'État et les autres collectivités se laissent, sans rechigner, gentiment dépouiller par ces grands groupes qui, pour cela, s'entendent très bien entre eux. Si l'État ne voulait pas ainsi subventionner ces derniers, il lui suffirait de faire réaliser ces travaux directement, sans marges et sans bénéfices.
Les 65 milliards annoncés ne sont donc qu'une partie émergée de l'énorme iceberg des aides aux entreprises, et pourtant déjà à eux seuls, ces 65 milliards d'euros annuellement distribués correspondent au salaire de 2,6 millions de salariés payés à 1500 euros net, charges comprises.
Qui empoche ces aides ?
Tout d'abord, le rapport balaye d'un revers de main la justification sans cesse reprise par les responsables politiques qui présentent ces aides comme des aides aux "petites entreprises", les PME-PMI. Ainsi les auteurs notent comme principal enseignement des tableaux qu'ils publient " le caractère marginal des aides ciblées sur les PME, avec seulement 9 % du total. Leur développement est pourtant affiché comme une priorité des gouvernements successifs". Et lorsqu'on sait que près de 60 % des PME sont sous le contrôle direct de groupes plus puissants, on réalise à qui les aides aux entreprises bénéficient d'abord et avant tout : aux grands groupes industriels et commerciaux.
Le rapport de 2006 de la Cour des comptes vient confirmer que les dispositifs d'aides bénéficient essentiellement aux grandes entreprises. Ainsi elle a examiné le dispositif des "crédits d'impôts à la recherche", mis en place en 1983, dont le montant a doublé depuis 2004. Celui-ci devrait atteindre 910 millions d'euros en 2005. Cette aide n'a, soit dit en passant, de "crédit d'impôts" que le nom, car elle est versée même aux entreprises qui ne déclarent pas de bénéfices. Les 140 plus grandes entreprises ramassent déjà, à elles seules, 28 % du total, alors que les 3 402 entreprises de moins de 50 salariés qui ont bénéficié de cette aide se contentent de 20 % du total. Mais ce n'est pas tout. Le rapport de la Cour des comptes révèle que les grands groupes ont mis sur pied un montage comptable et juridique de petites structures fictives, qui leur permettait de toucher pour chacune d'elles le montant maximum de l'aide accordée pour chaque entreprise.
Pour en revenir au rapport d'audit commandé par le Premier ministre sur les aides publiques aux entreprises, celui-ci donne d'autres illustrations de l'importance du pillage des caisses publiques en faveur des grands groupes. Ainsi, le total des aides au seul secteur de l'aéronautique, secteur où les grandes compagnies ont un monopole quasi-absolu, se monte à 1,430 milliard d'euros.
Même dans un secteur comme l'hôtellerie, qu'on aurait pu croire celui des petites entreprises, la Fédération des professionnels du secteur reconnaît que les grands groupes y ont une place prédominante. Les aides se montaient en 2005 à 1,5 milliard d'euros au seul titre de la baisse de la TVA. La Fédération recensait 96 000 salariés dans l'hôtellerie, la seule aide sur la TVA représentant l'équivalent de 15 625 euros par salarié de cette branche. Et cela sans compter la prise en charge d'une bonne partie de leurs cotisations sociales par le biais des allégements accordés sur les salaires ne dépassant pas 1,6 fois le smic, et sans compter non plus les multiples aides spécifiques existantes, qui vont de l'achat des fonds, leur revente, les travaux d'aménagements, leur transmission, etc. Cela n'empêche pas d'ailleurs les patrons de ce secteur de pleurer misère et d'en réclamer encore plus, avec à leur tête les plus riches de la profession qui n'ont ni augmenté massivement les salaires de leurs employés, ni baissé de façon radicale leurs prix.
D'ailleurs, le rapport conclut à propos de ce type d'aides : "Ainsi certains taux de TVA réduits (dans l'hôtellerie et le bâtiment par exemple, pour un coût de 5,7 milliards d'euros) ont pour objectif affiché d'aider au recrutement dans des secteurs qui emploient souvent des personnes peu qualifiées, alors que le recrutement est déjà favorisé par le dispositif général d'allégements de charges sur les bas salaires..." (Tout cela) " conduit à des rentes (pour) les secteurs bénéficiaires".
A quoi servent ces aides, attribuées sans aucun contrôle ?
Mais à quoi servent donc ces six mille aides aux entreprises recensées ? Les hauts fonctionnaires de l'Economie et des Finances, auteurs du rapport, ont quand même leur petite idée sur le sujet : "Le doute s'installe dès lors périodiquement sur l'impact réel de ces mécanismes d'aides publiques aux entreprises, dont le moindre risque n'est pas celui d'un pur effet d'aubaine et d'une dilution de l'intervention publique sans réel effet de retour. Sans oublier les interrogations non vérifiées sur le coût administratif des aides publiques aux entreprises".
Leur constat est qu'on entre, dans ce domaine, dans celui de l'omertà, du secret : "Les entreprises ne souhaitent pas un affichage détaillé des aides reçues", et surtout pas qu'on puisse identifier les patrons bénéficiaires. Ils veulent pouvoir faire tranquillement leur marché, dans la pêche aux aides, et mener à bien leurs petits arrangements sans que personne ne vienne y mettre son nez. Ils peuvent ainsi recevoir plusieurs fois une aide pour un même motif : "La sédimentation des aides publiques aux entreprises atteint un niveau tel que, pour une décision donnée, des dizaines de dispositifs se trouvent en concurrence pour le même objet (au moins 42 dispositifs à ce jour d'allégements spécifiques de charges sociales pour les aides au recrutement)".
Quel est donc le contrôle effectué par les gouvernements, l'État et les dirigeants des collectivités territoriales ? Aucun ! "Aucune évaluation n'est aujourd'hui conduite à son terme ou suivie d'effet... le contrôle reste limité et lacunaire".
Tous ces gens, politiciens de droite comme de gauche, représentants de l'État, notables, se contentent de confier les clés du coffre des finances publiques au patronat, à celui-ci de se servir librement, à son gré : "Au total une absence quasi complète de régulation, si ce n'est de facto par les entreprises elles-mêmes". C'est donc bien le constat fait par les auteurs du rapport eux-mêmes.
Quant à constater la moindre efficacité sur le terrain économique à cet amoncellement d'aides aux entreprises, ces hauts responsables déclarent forfait : "Le soutien de l'État aux entreprises, qui depuis vingt ans figure parmi les plus élevés au niveau international, non seulement n'a pas augmenté la Recherche et Développement du secteur privé, mais n'a pas empêché non plus son décrochage par rapport à plusieurs de nos principaux partenaires".
"L'Union nationale" pour perpétuer le pillage
Soit dit en passant, la situation n'est pas près de changer à l'avenir, quelle ou quel que soit la ou le titulaire du poste présidentiel, et quelle que soit la majorité parlementaire qui sortira des urnes dans les prochaines semaines. Car gauche et droite ne font que rivaliser dans l'organisation du pillage systématique des finances publiques au profit des entreprises, et cela à tous les niveaux, national, régional, départemental ou local.
Cela a pris une ampleur inégalée depuis plus de vingt ans. Ainsi l'évolution des seuls allégements de cotisations sociales, qui ne représentent que le tiers du total des aides aux entreprises faites par ailleurs sous forme d'abattements d'impôts et d'aides directes en tout genre, est révélatrice. Ces allégements de cotisations ont démarré réellement en 1993, mais ont suivi depuis une courbe régulièrement ascendante, quel que soit le gouvernement en place, pour passer de 1 à 25 milliards d'euros aujourd'hui. Parallèlement les exécutifs régionaux, départementaux, intercommunaux ou de grandes communes ont tous augmenté leurs aides aux entreprises, et le passage à gauche de toutes les régions métropolitaines, à l'exception de l'Alsace, n'y a strictement rien changé.
Quant aux "engagements", ou prétendues contreparties, demandés par l'État ou les collectivités locales aux entreprises en échange de l'allocation des aides, le rapport ne les évoque même pas tant cela est dépourvu de réalité. D'ailleurs, à titre d'exemple, la "Charte" mise au point par Ségolène Royal en Poitou-Charentes, depuis qu'elle en est la présidente et qu'elle demande aux entreprises de signer quand elles reçoivent une aide, a dû faire sourire les patrons petits et grands à qui elle a été présentée. Il s'agit d'une sorte de serment à la manière des scouts, sur le respect de l'économie, de l'environnement, de la formation, de l'emploi, qui présente toutes les contraintes des engagements moraux, c'est-à-dire évidemment aucune. Pour tous ces entrepreneurs, dont chacun, y compris les plus petits, sait ce qu'est un contrat commercial et industriel avec les pénalités qui peuvent l'accompagner, ce bout de papier qu'on leur a demandé de parapher a la valeur de l'encre qui y a été apposée.
Des aides à de "malheureuses" entreprises qui affichent des profits records
Et ce ne sont pas les profits engrangés par les entreprises qui pourraient justifier leur statut d'assistées. En 2005, le total des bénéfices net, après impôts, des entreprises qui font leurs déclarations fiscales en France se montait à au moins 150 milliards d'euros, en prenant pour base le montant de l'impôt sur les sociétés versé en 2005, soit 53 milliards d'euros. Sur la même année 2005, le montant des bénéfices des 40 premières entreprises du pays, qui constituent le CAC 40, atteignait à lui seul à 88 milliards d'euros. C'est-à-dire 88 milliards d'argent frais disponible sur-le-champ, après avoir déduit leurs investissements éventuels, après avoir payé leurs emprunts, tous leurs impôts et taxes, après avoir mis dans leur bilan des milliards de côté au titre des "provisions" pour toutes les éventualités imaginables ou totalement imaginaires.
Ce ne sont là que les bénéfices officiellement déclarés et non les profits réels de ces entreprises, que toutes les lois en vigueur leur permettent de mettre à l'abri des regards indiscrets.
Ce qui est tout aussi remarquable, c'est que ces profits ne sont pas réinvestis dans la modernisation de l'outil de production, et encore moins dans l'augmentation du pouvoir d'achat des millions de salariés, ce qui ferait retourner ces sommes dans le circuit de la consommation et donc de la production. En réalité, une part toujours croissante de ces bénéfices se retrouve dans la poche des actionnaires. En 2005, 31 milliards ont été redistribués aux actionnaires des entreprises du CAC 40, 41 % de plus rapport à 2004. Cela correspond à 37 % de leurs bénéfices et devrait atteindre 40 % de ceux-ci en 2006. Comme le notait le journal économique Enjeux-Les Echos d'octobre 2006,il s'agit d'un mouvement général, et certains groupes (Vivendi, Accor, le groupe Pinault) en seraient, eux, déjà à redistribuer plus de 55 ou 60 % de leurs bénéfices annuels à leurs actionnaires sous forme de dividendes.
Pour 2006, les bénéfices déclarés des entreprises du CAC 40 connaîtraient une nouvelle hausse estimée à 7,1 %,qui porteraient ceux-ci à 95 milliards d'euros. La première entreprise du pays, la plus riche, Total, déclare 12,6 milliards d'euros de bénéfices net pour 2006, dont 37 % seraient reversés aux actionnaires. Il y a un autre moyen d'augmenter encore la part des bénéfices distribués aux actionnaires : celui de consacrer une part des bénéfices au rachat par l'entreprise de ses propres actions pour... les détruire. Ainsi le nombre d'actions étant plus faible, automatiquement chaque actionnaire reçoit une part de dividende plus importante ; cela fait aussi monter le prix desdites actions en Bourse. Et si toutes les grandes entreprises consacrent des sommes toujours plus grandes à ce jeu de massacre profitable, Total en est, sans conteste, un des champions. Le journal les Enjeux-Les Echos, révélait que sur cinq ans, de 2001 à 2005, Total avait consacré la somme astronomique de 35 milliards d'euros à la distribution de dividendes à ses actionnaires et au rachat de ses propres actions. Total a versé le plus fort dividende par action jamais versé par une entreprise française. A
Toutes ces sommes distribuées aux actionnaires sont gaspillées pour la collectivité et ne font qu'alimenter le circuit de la spéculation financière internationale. Non seulement parce que les actionnaires eux-mêmes placent une bonne partie de leurs revenus, bien trop importants pour être simplement utilisés pour leur consommation personnelle, mais aussi parce que la partie des bénéfices qui n'est pas distribuée sous forme de dividendes suit le même chemin, s'accumulant sans être investie dans la production, en attente d'une éventuelle OPA ou de quelque autre opération financière.
Les dizaines de milliards d'euros d'aides aux entreprises distribués par l'État et les collectivités n'ont aucune utilité pour la société ; aucune utilité et aucun effet sur l'emploi ; elles ne servent pas à augmenter les salaires et proviennent bien plus de la baisse de ceux-ci ; quant aux investissements pour moderniser l'appareil de production, ils sont eux aussi en baisse. La seule et unique utilité de ce pillage en règle des finances publiques est d'accroître les profits des grands groupes industriels et financiers, de remplir les comptes en banque d'une petite minorité d'actionnaires.
Quant au monde du travail, il se retrouve doublement victime.
Tout d'abord, ces 65 milliards, voire 100 ou plus de cadeaux aux entreprises ne viennent pas de nulle part. Ils sont pris dans la poche des salariés, retraités et chômeurs, par le biais des impôts. Car il ne faut pas oublier que ce sont eux qui en payent la plus grosse part avec les 180 milliards d'euros récoltés, y compris sur le dos des plus pauvres, au titre de la TVA et de la taxe sur les carburants. Ainsi, non seulement les groupes capitalistes réalisent leurs profits en réduisant toujours plus la part versée à la classe ouvrière, à l'aide des licenciements et de la peur du chômage, mais voilà qu'en plus ils récupèrent, par le bais de l'État et des collectivités territoriales, une part notable de ces maigres salaires et pensions pour venir encore arrondir leurs profits.
Et puis, toute cette masse d'argent prise dans les caisses de l'État, et accessoirement dans celles des collectivités, est détournée des budgets qui auraient dû servir à financer tous les services offerts à la population, et tous ceux qui devraient l'être. C'est bien pourtant ce que serait censée être la mission de l'impôt collecté par l'État : écrêter les inégalités en offrant à la population le maximum de services, gratuits ou à tout le moins très bon marché, éducation, santé, logement, transport.
Mettre fin au pillage pour, avec le contrôle de la population, utiliser à bon escient tout cet argent
Il est remarquable que, face à ce constat qui sur le fond n'a rien d'une révélation, pas plus la gauche officielle que les syndicats ne remettent en cause ce système de transfert général des fonds publics vers les entreprises. Rappelons que le candidat Chirac, en 1995, s'était appuyé sur le chiffrage du montant des aides aux entreprises de l'époque, 45 milliards d'euros, pour alimenter sa campagne sur la "fracture sociale" et pour préconiser "une meilleure utilisation" de ces sommes en "faveur du travail".
Evidemment Sarkozy, dans sa frénésie de reprendre à son compte les intérêts de ses supporters les mieux placés et les plus puissants, ne proposent pas de diminuer cette manne dont bénéficient d'abord les plus grands groupes. Bien au contraire, il parle de leur accorder une multitude d'aides et de passe-droits supplémentaires, d'alléger, comme il dit, "le poids des charges" en voulant garantir le gain de toute la richesse accumulée par ces parasites "par le fruit de leur labeur", faisant de "leur labeur" un raccourci qui passe à la trappe l'exploitation forcenée de millions de travailleurs. Il est finalement bien dans son rôle de porte-parole de ces gens-là.
Mais de son côté, aujourd'hui, le PS fait profil bas sur le sujet. Il faut dire qu'il a autant oeuvré que la droite à l'amoncellement de ces milliers d'aides. Le credo de la candidate Ségolène Royal et de ses porte-parole est que ces aides aux entreprises devraient être éventuellement remboursées en cas de délocalisation, et modulées en fonction du comportement des entreprises. Mais Ségolène Royal sait bien qu'il n'existe aucun contrôle sur les entreprises, ni sur l'argent qu'elles encaissent, ni sur ce qu'elles en font, ni sur leurs comptabilités ou leurs stratégies réelles. Ce contrôle, les entreprises le refusent absolument et, ni Ségolène Royal, ni le PS ne le proposent pour l'avenir. Ces prétendues contreparties annoncées sont avant tout de la poudre aux yeux pour justifier le maintien en volume de ces aides, voire leur augmentation, et c'est bien là le noeud du problème. Ségolène Royal a annoncé quelle voulait tripler les aides aux entreprises sur le chapitre de la recherche, et on a vu à qui ces aides allaient aujourd'hui. Interrogé directement sur les 65 milliards d'aides annoncés par le rapport, le porte-parole de la candidate socialiste, Arnaud Montebourg, a fini par annoncer des économies possibles de... 4 milliards d'euros.
Encore une fois, les hauts fonctionnaires auteurs du rapport ont dû faire le constat qu'il n'y avait aucun contrôle sur l'utilisation des fonds attribués aux entreprises. Depuis des années qu'on en parle, pas une seule entreprise n'a été contrainte de rembourser les aides et dégrèvements qui lui avaient été attribués, malgré tous les discours tenus par les politiciens de gauche, mais aussi ceux de droite, au niveau national comme au niveau régional. Ceux qui attribuent ces aides ne sont pas des grands naïfs, ils savent très bien à quoi elles vont servir, et les discours sur les obligations supposées des entreprises ne sont là que pour cacher leur rôle pas très glorieux d'hommes de main du capital, chargés de remplir les caisses de celui-ci.
Puisque depuis des années toutes les études officielles, cette dernière comme les précédentes, malgré toutes les recommandations faites auparavant, montrent que les sommes distribuées le sont à fonds perdus, et sans aucune utilité économique de quelque nature que ce soit, la seule conclusion serait qu'il faudrait y mettre fin une bonne fois pour toutes. Eh bien, non ! Ni la droite ni la gauche, ni aucune confédération syndicale, ne proposent de mettre fin au pillage et de faire que l'État réaffecte ces sommes de façon utile.
Même la représentante du PCF reprend à son compte la formule du PS, de "mieux aider les petites entreprises qui en ont vraiment besoin". Marie-George Buffet ne se permet pas la moindre surenchère sur ce terrain, elle se contente de revendiquer "une société adossée à l'idée de solidarité, de justice, d'égalité". Renvoyant à la fiscalité, elle met les point sur les i, en rappelant qu'elle ne défend pas, (comme le note L'Humanité), "un concept selon lequel "il suffit de taxer pour répondre aux problèmes". Non, elle se contente de demander : "L'impôt sur les sociétés devra être modulé... la taxe professionnelle elle-même devra être un impôt favorisant l'efficacité du capital en introduisant dans son calcul les capitaux financiers des entreprises". Du simple remboursement et de l'arrêt des aides aux entreprises, il n'en est pas question pour la candidate du PCF. Et pour cause, car aux côtés du PS, ses représentants passés au gouvernement, présents dans les collectivités, et demain encore s'ils se retrouvaient dans un éventuel gouvernement de gauche, tous ont mené ou continueront à mener cette même politique désastreuse.
Il n'y a qu'un moyen d'empêcher l'immense gaspillage social et économique de ces dizaines de milliards d'aides aux entreprises, c'est de ne pas les leur donner.
Faire que l'État joue son rôle, en vue de modérer les inégalités sociales, en utilisant l'argent public pour mettre à la portée des milieux populaires les principaux services publics, n'a en soi rien de révolutionnaire. Ce n'est pas la fin de l'exploitation, c'était le programme des grands partis réformistes. Et d'ailleurs c'est en partie ce qu'a fait l'État au temps de la bourgeoise triomphante, pour tenter d'acheter la paix sociale. L' impôt progressif sur le revenu fut, par exemple, mis sur pied avant 1914, par un radical, Caillaux, pour faire payer au moins en partie à la bourgeoisie les besoins de l'État. Mais aujourd'hui, à l'image de l'évolution de la société, les courants réformistes, n'ont plus de réformiste que le nom et se contentent de vendre à la population, à leur façon, les revendications du grand patronat.
En tout cas, personne ne peut dire que l'État n'a pas les ressources financières, immédiatement disponibles, pour offrir à tous des logements de qualité et bon marché, pour assurer la quasi-gratuité des transports publics, pour mettre les moyens suffisants pour la santé et l'éducation, et faire qu'ainsi ces services vitaux soient fournis de façon correcte à tous, ce qui serait déjà une façon de garantir à chacun les moyens d'une vie digne. Quant au constat fait dans ce rapport officiel, il montre l'impérieuse nécessité d'imposer que les travailleurs et toute la population exercent directement un réel contrôle sur tous les comptes des entreprises et sur tous les rouages de l'État, de l'administration publique et territoriale.
27 février 2007