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- Lutte de Classe n°48
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France - Les communistes révolutionnaires doivent-ils faire du droit de vote pour les travailleurs immigrés l'axe central de leur activité ?
Lors d'un débat entre les représentants de la Ligue Communiste Révolutionnaire et de Lutte Ouvrière (organisé au cours de la récente fête de LO, au début du mois de juin), consacré à la lutte contre l'extrême droite, les porte-parole de la LCR ont proposé que nos deux organisations fassent d'une campagne pour le droit de vote des travailleurs immigrés l'axe principal de leur intervention, affirmant que ce serait là le meilleur moyen de lutter contre la montée du racisme et du Front national.
Le débat, sur ce thème, ne peut évidemment pas se mener sur la question du droit de vote en lui-même, qui ne peut absolument pas faire problème pour des communistes. Et il n'y a d'ailleurs même pas besoin d'être communiste pour considérer que tous ceux qui vivent et travaillent dans un pays devraient pouvoir y jouir de tous les droits de citoyens, car il s'agit là d'une position qui ne sort pas du cadre du démocratisme bourgeois.
L'histoire, en ce domaine comme en beaucoup d'autres, a certes actuellement tendance à marcher à reculons. A propos du problème de la nationalité, un certain nombre de politiciens français réactionnaires se proclament aujourd'hui en faveur d'un "droit du sang" qui nous ramènerait à une espèce de caricature des conceptions des sociétés gentilices (la solidarité réelle au sein de la gens en moins), qui précédèrent il y a quelques millénaires l'apparition des États territoriaux. En Allemagne, les descendants de colons, ayant émigré il y a trois siècles en Europe orientale, peuvent dès leur retour obtenir les droits de citoyenneté bien plus facilement, non seulement que les travailleurs immigrés, mais aussi que les enfants de ces derniers, nés dans le pays, et imprégnés de sa culture. Mais tout cela ne doit pas faire oublier que la bourgeoisie montante avait une tout autre manière de poser le problème.
La constitution française de l'An II, élaborée par la Convention révolutionnaire (mais qui il est vrai ne fut jamais appliquée) admettait "à l'exercice des droits de citoyen français" "tout étranger [...] qui domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard ; tout étranger, enfin, qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l'humanité".
Et c'est bien parce que les prétendus socialistes que sont les dirigeants du PS sont bien loin, en ce domaine comme en beaucoup d'autres, du niveau des démocrates révolutionnaires de 1793, que le droit de vote pour les travailleurs immigrés, restreint aux seules élections locales, en reste, depuis onze ans que Mitterrand est président, au stade des vagues promesses pour l'avenir. C'est bien parce que le prétendu "internationalisme" des dirigeants du PCF est plus étriqué que le nationalisme des jacobins, qu'ils ne se prononcent pas clairement pour que les travailleurs immigrés puissent exercer tous les droits de citoyen, y compris le droit de vote, à tous les niveaux.
Mais la proposition des camarades de la LCR de faire d'une campagne en faveur du droit de vote des travailleurs immigrés l'axe de l'intervention des révolutionnaires pose une série de problèmes.
D'abord, pourquoi poser le problème en termes de droit de vote, et pas en termes de droit de citoyenneté ? Pourquoi ne pas revendiquer pour les travailleurs immigrés tous les droits de citoyen (et en particulier celui de ne pas être astreints à la possession d'une carte de séjour, d'une carte de travail, et de ne pas être soumis à la menace permanente de l'expulsion) et se limiter au seul aspect électoral ? Parce que les militants des quelques organisations d'immigrés qui sont sensibles à ce problème du droit de vote sont aussi des nationalistes qui n'envisagent pas, justement, de devenir des "citoyens" du pays où ils travaillent et qui tiennent à garder leur "nationalité" d'origine ? Mais n'est-ce pas justement le rôle des communistes révolutionnaires d'expliquer aux prolétaires qu'ils "n'ont pas de patrie", et que chaque ouvrier conscient devrait se considérer comme un citoyen du pays où il vit, travaille et lutte, dût-il changer dix fois de "nationalité" dans sa vie ?
Cela ne signifie évidemment pas que nous, communistes, refusions le droit de vote aux travailleurs immigrés qui ne sont pas débarrassés des préjugés nationalistes. Mais ce n'est certainement pas à nous, dans notre propagande (car, que les camarades de la LCR le veuillent ou pas, c'est bien de cela qu'il s'agit, puisqu'il n'y a pas actuellement, parmi l'immigration, un courant réel de travailleurs qui aspirent à lutter pour le droit de vote), de nous aligner par avance sur les préjugés que nous prêterions aux travailleurs.
Et puis, si nous sommes sans réserve pour que les travailleurs immigrés puissent voter dans toutes les consultations électorales, nous ne devons pas oublier, justement, qu'il ne s'agit là que d'une revendication démocratique, d'un droit purement formel, et qu'en tant que communistes nous avons bien autre chose à dire à ces travailleurs.
La possibilité de peser sur les destinées politiques du pays ne se limite pas pour nous à la possession d'un bulletin de vote, dont nous savons, bien au contraire, qu'il ne peut rien changer de fondamental. Les travailleurs de nationalité française en ont fait une nouvelle fois l'expérience en 1981 et en 1988, en contribuant à faire élire Mitterrand, dans l'espoir qu'il allait "changer la vie", ou à tout le moins mener une politique moins défavorable à la classe ouvrière que la droite, alors que jamais depuis vingt ans l'offensive de la bourgeoisie contre le niveau de vie de la classe ouvrière n'a été aussi efficace que sous les gouvernements socialistes. Alors, devrions-nous, en même temps, expliquer à l'ensemble de la classe ouvrière qu'elle n'a rien à attendre du bulletin de vote, que ce n'est que par la lutte qu'elle pourra améliorer son sort, et à sa fraction immigrée que c'est capital pour elle d'obtenir le droit de vote ?
Le droit de vote, le suffrage universel, ne sont certes pas tombés du ciel. Dans la plupart des pays, ils ont été le fruit d'âpres luttes de la classe ouvrière. En France, après l'expérience douloureuse pour elle de 1792-94, à une époque où les assemblées élues exercèrent effectivement le pouvoir, et qui plus est, bien souvent, sous le contrôle direct du peuple en armes, la bourgeoisie a tenté pendant des décennies d'en garder le monopole, à travers différents systèmes de suffrage censitaire. Et il a fallu attendre près d'un siècle, et la Troisième République, pour que le suffrage universel (si l'on peut dire, car limité aux hommes) soit définitivement institutionnalisé. Mais pendant tout le XIXe siècle, la bourgeoisie a justement appris à s'accommoder du droit de vote, à l'utiliser même, dans une situation où le parlement jouait d'ailleurs de moins en moins un rôle politique réel.
Ce n'est pas en utilisant leur droit de vote personnel que les bourgeois pèsent sur la politique du gouvernement. C'est par leurs relations avec le personnel politique, avec les hauts fonctionnaires, par les possibilités de "faire" l'opinion publique que leur donnent la possession et le contrôle des grands moyens de communication. Et de ce point de vue-là, les capitalistes "étrangers" ayant investi dans ce pays pèsent d'un poids bien plus lourd sur les décisions politiques des gouvernants et sur les destinées du pays que les millions de travailleurs "français" qui ont le droit de déposer périodiquement un bulletin dans l'urne.
Quand les exploités aspirent à la satisfaction de revendications purement démocratiques, voire purement formelles, les militants révolutionnaires ne peuvent évidemment être qu'à leurs côtés, avec pour objectif qu'ils sortent de cette lutte plus forts et plus conscients. Mais cela leur impose de parler le langage de la vérité, à la fois sur les limites des objectifs envisagés, et sur les éventuelles alliances susceptibles d'être conclues avec les "démocrates" se posant en champions de ces revendications démocratiques. Or, sur aucun de ces deux points la démarche des camarades de la LCR ne nous semble satisfaisante.
Les camarades de la LCR affirment que l'obtention du droit de vote par les travailleurs immigrés changerait complètement la situation politique, et le sort de la fraction immigrée de la classe ouvrière. En réalité, ce n'est pas tant ce droit en lui-même, que la lutte menée pour l'arracher, qui pourrait changer les choses, car un droit octroyé pourrait rester sans aucun effet. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les politiciens de la bourgeoisie française ont accordé le droit de vote aux femmes. Mais cela n'a pas empêché ces dernières de rester juridiquement des mineures, dépendantes de leurs maris, jusqu'aux années 1970. Et les luttes menées dans ces années-là pour le droit à la contraception et à l'interruption de grossesse ont sans doute fait beaucoup plus pour changer la condition des femmes que le bulletin de vote octroyé en 1945.
Alors, c'est vrai que si des centaines de milliers de travailleurs se mobilisaient, luttaient ensemble pour obtenir le droit de vote pour l'ensemble des travailleurs immigrés, cela pourrait changer bien des choses. Mais pour que le bénéfice qu'en tireraient les travailleurs immigrés, et plus généralement toute la classe ouvrière, soit réel et durable, il serait nécessaire que ces travailleurs, ou du moins leur avant-garde, ne considèrent pas le droit de vote comme un objectif en soi, et donc nécessaire que les militants révolutionnaires les éclairent par avance sur ce point. Car l'histoire est pleine d'exemples de grandes luttes pour des objectifs démocratiques qui, bien que victorieuses, n'ont rien apporté de tangible aux exploités.
Les luttes des Noirs américains pour l'égalité civique, dans les années soixante, ont - du point de vue des objectifs démocratiques - été couronnées de succès. Elles ont permis à une petite et moins petite bourgeoisie noire de se former et de s'intégrer plus ou moins complètement dans la bourgeoisie américaine. Les hommes politiques de celle-ci ont dû se pousser un peu pour faire de la place à quelques notables noirs. Mais la bourgeoisie américaine n'y a rien perdu. Et pour l'immense majorité du peuple noir américain, la ségrégation sociale, comme viennent de le rappeler les émeutes de Los Angeles, n'a pas diminué pour autant.
La bourgeoise française serait tout aussi capable d'intégrer le droit de vote, à tous les échelons, des travailleurs immigrés. Sans doute cela obligerait-il les Chirac et les Giscard à choisir différemment leurs mots, à tenir compte dans leurs discours de la présence, aux côtés de leur clientèle électorale réactionnaire habituelle, d'un électorat immigré. Cela favoriserait peut-être à leurs dépens d'autres hommes politiques bourgeois, se disant plus "à gauche" (encore que ce ne soit même pas sûr). Mais pour l'essentiel, si la classe ouvrière devait imposer le droit de vote pour les travailleurs immigrés, et se reposer ensuite sur ses lauriers, cela ne changerait pas grand chose à son sort.
Encore une fois, si une fraction importante des travailleurs immigrés, sensibles à l'injustice manifeste que constitue le fait d'être privé du droit de vote, aspirait à celui-ci, et était susceptible de s'engager dans la lutte pour le conquérir, toutes ces réserves ne changeraient rien au devoir des révolutionnaires : être à leurs côtés, voire à leur tête, dans cette lutte ; tout faire pour qu'ils rencontrent le soutien de l'ensemble de la classe ouvrière (ce qui ne serait pas forcément si simple, car il n'y a que les camarades de la LCR, pour qui les mots n'ont manifestement pas leur sens commun, pour qualifier "d'unifiante" une revendication qui ne concerne directement qu'une fraction de la classe ouvrière), tout en les préparant à ne pas se contenter d'un succès formel.
Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui. Ce n'est pas en fonction d'indices qui montreraient une volonté de lutte d'une fraction tangible des travailleurs immigrés que le problème est posé par la LCR, mais en fonction de sa traditionnelle politique de recherches d'alliances, d'un "front", avec les courants et les personnalités susceptibles de se manifester sur le terrain du droit de vote pour les immigrés. La nouvelle campagne que nous propose la LCR s'inscrit dans la suite de ses tentatives avortées des années précédentes pour "construire une alternative" avec les Verts et les restes du PSU, ou pour essayer de faire de l'ex-dirigeant du PCF, Pierre Juquin, l'axe d'une nouvelle "recomposition" de la gauche.
Cette fois-ci, c'est sur la base de l'opposition à Le Pen, de l'antiracisme, que la LCR cherche des alliés. Et comme, dans une situation où, de Chirac au PCF, tout le monde se dit contre Le Pen et contre le racisme, il faut bien essayer de donner un contenu politique un peu différent à cet antiracisme, cette campagne pour le droit de vote des immigrés, tirée du néant, fera l'affaire.
Ce n'est évidemment pas le fait que la LCR envisage de mener une action avec des gens qui ne se situent ni sur le terrain de la classe ouvrière, ni sur celui du communisme, que nous contestons. Les révolutionnaires communistes ne sont pas des sectaires qui refusent toute action avec des gens qui ne partagent pas leur programme ou leurs convictions. Nous sommes prêts à nous battre pour l'égalité des droits entre travailleurs immigrés et travailleurs français avec tous ceux qui se proclament partisans de cette égalité. La seule chose que les communistes puissent demander à ceux qui se présentent simplement comme des "démocrates", c'est de faire la preuve qu'ils sont des démocrates conséquents. Mais le devoir des communistes, c'est aussi d'expliquer aux travailleurs que s'ils entrent en lutte, ils doivent se garder de faire aveuglément confiance à ces "démocrates", susceptibles à chaque moment de tourner casaque.
D'autant que les alliés que la LCR essaye de séduire à travers cette campagne ne sont pas des nouveau-nés politiques. Les dirigeants de SOS-racisme, quelles que soient les péripéties de leurs rapports avec le parti socialiste, sont trop liés à la social-démocratie pour qu'on puisse leur accorder la moindre confiance. Julien Dray, par exemple, n'est pas seulement l'un des fondateurs de SOS-racisme, c'est aussi un député du PS, solidaire au parlement de la politique "sociale", c'est-à-dire anti-ouvrière, du gouvernement Bérégovoy, après l'avoir été de celle des gouvernements socialistes précédents. Peut-on penser qu'il serait un allié sûr, pour la classe ouvrière, si celle-ci s'engageait dans une lutte d'envergure ? Bien sûr que non !
S'il existait réellement une mobilisation des travailleurs, sur le terrain du droit de vote pour les immigrés ou sur un autre, il y aurait effectivement de fortes chances de voir ces gens-là se précipiter... pour essayer, selon toute vraisemblance, de la récupérer. Et s'ils avaient une influence sur une fraction notable de la classe ouvrière, le problème pour les révolutionnaires serait effectivement de ne pas refuser de manière sectaire de lutter à leurs côtés, afin de ne pas se couper des travailleurs qu'ils influencent, et en même temps de préparer l'ensemble de la classe ouvrière aux retournements et aux lâchages possibles de ses "amis" douteux.
Mais ce n'est pas cela la situation actuelle. Aujourd'hui la politique de la LCR consiste, en l'absence de toute mobilisation, et même de tout espoir de mobilisation réelle à court terme, à essayer de convaincre, à propos du racisme pour les uns, de Maastricht pour les autres, des deux pour certains, les dirigeants de SOS-racisme, le courant Chevènement au sein du PS, les "rénovateurs" ou autres "reconstructeurs communistes", et les écologistes, qu'il serait bon de faire un front uni avec elle. Et dans cette démarche-là, les camarades de la LCR sont évidemment bien incapables de situer leurs propositions dans le cadre d'une politique révolutionnaire et de tenir le langage qui conviendrait sur ce que la classe ouvrière peut attendre des gens dont ils recherchent l'alliance.
Ce n'est pas un problème nouveau. Dray et Chevènement ne font que succéder aux Marty, Tillon, Garaudy et autres Juquin, sur la liste déjà longue des personnalités ex-staliniennes ou social-démocrates dont la LCR a dressé un jour un portrait quelque peu enjolivé dans l'espoir qu'en s'accrochant à leurs basques cela la mènerait quelque part.
Nous sommes pour notre part convaincus que sur le chemin de la construction du parti révolutionnaire, il n'y a pas de raccourci de ce genre, et que ce n'est pas à travers une campagne artificielle, quel qu'en soit le thème, que les révolutionnaires pourront modifier le rapport des forces en leur faveur. Depuis des années qu'elle est le fondement de leur politique, le moins que l'on puisse dire est que la démarche des camarades de la LCR n'a même pas fait la preuve de son efficacité en termes de construction d'une organisation numériquement plus importante.
Alors, si la période ne permet guère pour le moment aux groupes révolutionnaires de changer d'échelle, au moins doivent-ils s'efforcer de recruter et de former des militants ouvriers qui sachent clairement que leur drapeau est celui du trotskisme, celui du communisme révolutionnaire, de la lutte des classes, éduqués dans cet esprit de l'Internationale communiste pour qui le Front unique c'était frapper ensemble, mais en marchant séparément, sans parer ses alliés du moment de qualités qui ne sont pas les leurs.
Parce qu'éduquer de cette manière tous ceux qui viennent aujourd'hui à l'activité révolutionnaire, c'est le seul moyen de préserver l'avenir, de militer pour que dans les luttes de demain la classe ouvrière ne soit pas une fois de plus flouée par des beaux-parleurs et des bureaucrates.