USA : les limites d'une grève... et de l'extrême-gauche01/09/19861986Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1986/09/2_0.jpg.484x700_q85_box-0%2C10%2C2397%2C3477_crop_detail.jpg

USA : les limites d'une grève... et de l'extrême-gauche

Depuis près d'un an, une grève conduite par la section P 9 du syndicat des travailleurs de l'alimentation et du commerce (UFCW) a vu les ouvriers tenir tête à la George A. Hormel, une des plus riches compagnies qui traite et commercialise la viande aux États-Unis, et ce à Austin, une petite ville du Minnesota pratiquement aux mains du patron. A cause de sa durée et des batailles rangées qui ont opposé les grévistes à la police et à la Garde Nationale, cette grève a été largement commentée par les médias ; et ainsi une fraction de la classe ouvrière a pu la suivre à travers tout le pays. Cette grève a soulevé l'intérêt de beaucoup de groupes révolutionnaires qui l'ont plus ou moins présentée dans leur presse comme un mouvement exemplaire. Et la plupart d'entre eux, qui n'avaient personne à Austin quand la grève a commencé, ont consacré une bonne part de dur activité à mettre sur pied un mouvement de solidarité.

Bien sûr, si la grève d'Hormel a attiré l'attention, il y a des raisons. Alors que depuis une décennie, la plus grande partie de la classe ouvrière américaine a accepté de reculer sans se battre, alors que les quelques grèves qui ont eu lieu n'ont été souvent que des manoeuvres des dirigeants syndicaux, la grève de Hormel a été marquée par sa durée et sa combativité, de même que par le fait que les travailleurs y étaient réellement partie prenante et déterminés à ne pas céder ce que les patrons voulaient leur reprendre. Et cependant, après presque une année de grève, en dépit de tout ce qu'ils ont fait, les travailleurs d'Hormel semblent dans une impasse. Cette grève, comme quelques autres récentes - Phelps Dodge, Wheeling-Pitt, Bath Shipyard, ou A.P. Parts - montre les limites d'une politique syndicaliste, aussi combative soit-elle, et elle pose la question de savoir quelle politique est nécessaire aujourd'hui pour gagner contre l'offensive patronale. Mais c'est une question que la majorité des groupes d'extrême-gauche n'ont pas posée, bien trop occupés à apparaître comme les meilleurs soutiens de la combative section syndicale P 9.

Une grève longue et combative

La situation à Hormel était similaire à celle qu'ont connue de nombreux autres travailleurs dans la dernière période, c'est-à-dire que les ouvriers, menacés de licenciement, y furent forcés d'abandonner une partie de leur salaire et divers avantages acquis. En 1978, l'entreprise menaça de fermer l'usine si les travailleurs ne consentaient pas un prêt de 12 000 dollars chacun pour bâtir une nouvelle usine. Les travailleurs acceptèrent, s'engageant dans un accord écrit à ne pas faire grève pendant sept ans. Dans la nouvelle usine, ouverte en 1982, la production fut augmentée de 20 %, en même temps qu'on diminuait le nombre d'ouvriers. Le taux des accidents du travail, toujours élevé dans les boucheries industrielles, était six fois plus élevé à Austin que la moyenne nationale. En 1984, une moyenne de deux cent deux accidents fut enregistrée pour cent travailleurs. Cette même année, alors que l'accord sur les salaires et les conditions de travail signé entre le patron et le syndicat n'en était encore qu'au milieu de sa durée légale, l'entreprise imposa unilatéralement une baisse de salaire de 10,69 à 8,25 dollars l'heure. Et lorsqu'en 1985 les négociations commencèrent pour un nouvel accord salarial, la compagnie proposa une aggravation des conditions de travail, une nouvelle grille de salaires qui prévoyait des salaires plus bas pour les nouveaux embauchés et l'abandon d'autres acquis.

Cette fois, avec une direction de la section syndicale nouvellement élue, les travailleurs décidèrent de dire « non » au patron et d'organiser la lutte. Les travailleurs d'Hormel avaient subi les mêmes attaques que les autres travailleurs, et comme les autres, ils avaient cédé à plusieurs reprises. Mais maintenant, ils changeaient d'état d'esprit, tirant un trait et refusant d'abandonner davantage.

Leur lutte montre que même un nombre de travailleurs relativement petit, dans une petite ville, entièrement dominée par le patron, peut entreprendre un combat déterminé, et par là briser avec la manière traditionnelle dont les syndicats ont organisé les grèves dans ce pays depuis près de quarante ans

Les travailleurs d'Hormel participèrent activement aux décisions et à l'organisation de leur grève. Les piquets de grève ne furent pas réduits à la poignée symbolique de porteurs de pancartes comme cela a été le cas habituellement ces dernières décennies. Un grand nombre de travailleurs y participèrent régulièrement, pour tenter de faire barrage aux jaunes. Le local syndical fut un centre d'activité pour les travailleurs qui n'étaient pas au piquet.

Les travailleurs d'Hormel ne s'organisèrent pas seulement eux-mêmes, mai ils utilisèrent les liens qu'ils avaient avec leur communauté. Les femmes des grévistes formèrent un groupe de soutien dès avant le début du conflit et il y eut aussi un groupe de soutien des retraités et des lycéens. Les commerçants et les fermiers de la région donnèrent gratuitement de la nourriture. Une cantine de grève fut mise sur pied et des distributions de vivres et de vêtements furent organisées au local syndical. Toute la ville d'Austin participa activement à la grève et prêta main-forte aux travailleurs d'Hormel pour repousser les attaques.

Les grévistes étaient prêts à défier les décisions de justice, à risquer l'arrestation et même à livrer bataille à la Garde Nationale. Au milieu du mois de janvier, cinq mois après le début de la grève, la compagnie rouvrit l'usine avec des jaunes. Les grévistes affrontèrent la police, celle de la localité et celle de l'État qui, au service de la compagnie, servait d'escorte aux jaunes. Malgré les grenades lacrymogènes, les harcèlements de la police et les arrestations, ils montrèrent qu'ils ne s'inclinaient pas automatiquement devant les ordres des autorités. Tout ceci eut un réel impact sur les travailleurs du reste du pays. Leur combat pour maintenir l'usine fermée fit sensation aux informations télévisées. Même lorsque Austin fut quadrillé par des centaines de gardes nationaux, les grévistes continuèrent leurs piquets de grève, bloquant l'autoroute près de l'usine avec leurs voitures. Et ils livrèrent un véritable combat à la Garde Nationale.

Finalement, la présence des policiers, tant de la localité que de l'État, plus des centaines de gardes nationaux, combinée avec des arrestations en nombre grandissant et les tracasseries légales, ce fut trop pour les grévistes. Mais au lieu d'accepter la défaite, ils commencèrent alors à chercher de l'aide en dehors d'Austin. Ils se tournèrent vers des sections syndicales d'autres usines Hormel, envoyant des piquets volants devant plusieurs usines dans d'autres États. A Ottumwa, une autre usine Hormel, 95 % des ouvriers refusèrent'de franchir le piquet de grève, et en conséquence 507 furent licenciés et une bonne partie de l'usine arrêtée. Dans d'autres usines aussi, quelques travailleurs refusèrent de franchir le piquet et certains furent licenciés. Devant ces nouvelles attaques, les travailleurs d'Hormel demandèrent le soutien des autres syndicats. Ils lancèrent un appel aux consommateurs pour un boycott de tous les produits Hormel. En février, ils invitèrent tous ceux qui les soutenaient à venir à Austin pour une manifestation. Et à nouveau, ils tentèrent de fermer l'usine et la Garde Nationale fut rappelée une seconde fois.

Les travailleurs de la section syndicale P 9 n'hésitèrent pas non plus à s'opposer à la direction nationale de I'UFCW, appuyée par toute la direction nationale de l'AFL-CIO, quand ces bureaucrates tentèrent de saboter et de défaire la grève. En janvier, les bureaucrates de l'UFCW qui, ces dernières années, ont fait de nombreuses concessions aux patrons dans les différentes entreprises dont ils contrôlent les sections syndicales, organisèrent un vote par-dessus la tête de la direction de P 9, essayant de faire accepter aux grévistes un accord presque identique à celui que ceux-ci avaient refusé avant la grève. Ils refusèrent d'approuver officiellement les piquets volants, entrant au contraire en conflit ouvert avec P 9 lorsque les travailleurs d'Austin décidèrent l'envoi de ces piquets. Finalement, en mars, ils retirèrent leur caution officielle à la grève et cessèrent de verser l'allocation de quarante dollars par semaine aux grévistes. Et ils menacèrent en plus de dissoudre la section. Face à tout cela, les grévistes montrèrent aux bureaucrates qu'ils entendaient bien être les seuls à décider du sort de leur grève. Dans une assemblée générale, 900 d'entre eux votèrent à une énorme majorité de passer par-dessus les bureaucrates de l'UFCW et de continuer la lutte. Ils continuèrent alors à chercher encore davantage de soutien dans le pays. Ils s'adressèrent de plus en plus aux autres syndicats pour populariser leur grève et recueillir des fonds dont ils avaient un besoin pressant. En avril, ils tinrent un rassemblement à Austin où vinrent plus de cinq mille personnes.

Cependant en dépit de leur combativité et de leur détermination à continuer le combat et à contrôler leur grève, les travailleurs d'Hormel semblent être engagés dans une impasse. Accusés de toutes parts de se mettre dans l'illégalité, ils ont mis fin aux piquets de grève devant l'usine qui tourne maintenant avec des jaunes. Les batailles devant les tribunaux et le boycottage par les consommateurs ne dépendent guère de l'activité des travailleurs. A la fin du mois de juin, leur activité était réduite à dresser un petit camping à Austin (pour accueillir ceux qui venaient les soutenir), à signer une pétition pour la reconnaissance officielle de la section syndicale adressée au département des relations du travail, le NLRB, et à attendre l'expiration des accords salariaux dans les autres usines d'Hormel avec l'espoir qu'alors de nouvelles pressions pourraient être exercées sur la compagnie et sur l'UFCW. Mais le nombre de grévistes qui était de mille cinq cents au début s'était réduit à neuf cents.

Les grévistes d'Hormel n'ont pas mis officiellement fin à leur grève, mais les attaques qu'ils ont subies semblent finalement peser lourd. En mai, la section a été dissoute par l'UFCW qui l'a dépouillée de ses bureaux et de son local. L'UFCW a aussi bloqué les fonds de la caisse de secours et a commencé des négociations avec la compagnie pour un règlement derrière le dos des grévistes, considérant que les jaunes sont maintenant des membres du syndicat à part entière. Un certain nombre de grévistes doivent faire face à des procès qui pourraient leur valoir des années de prison et des milliers de dollars d'amende.

Après près d'un an d'un combat courageux, les travailleurs d'Hormel semblent bloqués sans porte de sortie. Et pourtant, dans ce cas, le problème n'est certainement pas le manque de détermination de la part des travailleurs, ni l'absence d'une direction syndicale locale dévouée et apparemment honnête.

Les limites du syndicalisme

Le principal problème pour la grève d'Hormel est que le combat est resté isolé à une seule usine dans une petite ville. A première vue, de cela ne sont responsables ni la direction de P 9, ni l'extrême gauche qui a fait un grand effort de solidarité afin d'impliquer d'autres gens et d'éviter ce résultat. Mais en fait, en quoi a consisté cet effort et vers qui a-t-il été dirigé ?

Les premiers auxquels ils firent appel ne furent pas les autres travailleurs, mais l'opinion publique ou les consommateurs. L'année précédant la grève, P 9 a loué les services d'une firme de conseils new-yorkaise, Corporate Campaign Inc., dirigée par Ray Rogers, pour l'aider à élaborer une stratégie contre Hormel. Rogers a proposé d'établir des piquets devant les succursales de la First Bank, un des principaux actionnaires d'Hormel, de manière à faire pression sur la compagnie et gagner la sympathie du public en dénonçant les conditions dans l'usine et les exigences patronales comparées aux profits... en gros une campagne contre la « rapacité des patrons ». Ultérieurement, durant la grève, il proposa un boycottage par les consommateurs comme le moyen de gagner un soutien populaire à la grève et faire pression sur la compagnie.

Plus tard, ils firent appel à des politiciens bourgeois comme Jesse Jackson et d'autres démocrates noirs ou libéraux, assimilant leur combat au mouvement pour les droits civiques, à une croisade morale pour la justice. Mais en faisant cela, P 9, applaudi par certains de ses soutiens d'extrême-gauche, liait les travailleurs à des ennemis de la classe ouvrière comme Jesse Jackson. Le rôle de Jackson a été rendu bien clair quand, juste au moment où les travailleurs étaient attaqués, juste après que les flics furent utilisés pour briser le piquet de grève afin que les jaunes puissent continuer à travailler, il a appelé les grévistes à éviter la violence, comme si c'étaient les grévistes qui étaient la cause de la violence.

P 9 n'a guère fait appel aux autres travailleurs avant janvier, quand ils durent faire face à la réouverture de l'usine et aux attaques de la Garde Nationale. Et même alors, l'appel fut presque entièrement limité aux autres sections syndicales pour leur demander de recueillir des fonds et exprimer leur solidarité. Des milliers de sections syndicales versèrent de l'argent, la plupart du temps pris sur leur trésorerie, mais à l'occasion collecté dans les entreprises ou aux portes de celles-ci ce qui était l'indication d'une réelle sympathie de la part de beaucoup de travailleurs. Les comités de soutien locaux qui furent formés, la plupart du temps avec l'aide des militants d'extrême-gauche, avaient pour but d'obtenir l'approbation de dirigeants syndicalistes plutôt que de s'adresser aux travailleurs du rang. Par exemple, dans la section 600 du syndicat de l'auto dans la région de Detroit, un rassemblement fut organisé par un tel comité de soutien. Le président de la section y prit la parole mais il n'y eut aucun tract ni des dirigeants syndicaux ni du comité de soutien pour informer les travailleurs de Ford.

De toute manière, même quand les travailleurs furent plus directement impliqués, cela resta limité à des gestes de solidarité. Par exemple quand les grévistes d'Austin invitèrent les représentants d'autres entreprises en grève à assister aux rassemblements de la section P 9 et à y prendre la parole, ce fut essentiellement un geste symbolique qui ne changeait rien au véritable rapport de forces, ni à Hormel ni dans les autres entreprises. Ce fut la même chose quand les grévistes d'Austin se joignirent aux piquets de grève d'autres usines : c'était seulement un geste symbolique. Quand P 9 envoya vraiment des forces pour installer un piquet à d'autres usines, ce fut seulement à des usines Hormel, une indication des limites corporatistes acceptées par P 9. Et même là ces piquets ne furent pas envoyés dans le but d'étendre la grève, mais comme une sorte de geste : on demandait seulement aux autres travailleurs de montrer leur solidarité en respectant les piquets.

P 9 n'a jamais essayé de prendre la tête d'une grève plus large, pas même de toute la compagnie Hormel. P 9 acceptait d'avance les règles établies par les patrons - et les syndicats - comme quoi il y a une date particulière pour faire grève pour chaque industrie, pour chaque compagnie et même pour chaque usine. C'est-à-dire l'idée que même si les revendications sont les mêmes, une lutte d'ensemble est impossible. Le fait que des centaines de travailleurs furent licenciés aux autres usines d'Hormel pour avoir respecté les piquets montre que le patron avait peur que la grève s'étende. Mais les piquets disposés à Ottumwa et à d'autres places n'ont pas conduit les travailleurs de ces différentes usines à considérer que leur propre action pourrait être plus qu'un soutien moral pour le combat séparé d'autres travailleurs, comme faisant partie d'une lutte commune.

Briser l'isolement

Pour que P 9 puisse briser son isolement, la solidarité n'était pas suffisante. Pour vaincre, les travailleurs ont besoin de rassembler le plus de forces possibles de leur côté, ils ont besoin d'étendre la lutte. Les travailleurs d'Ottumwa n'auraient pas payé plus cher en se joignant à la lutte contre Hormel qu'ils ont payé pour leur simple geste de solidarité. Cela n'aurait pas demandé davantage aux grévistes d'Austin qui allèrent dans les autres villes, d'aller directement aux usines, aux chantiers et aux bureaux pour appeler les autres travailleurs à les rejoindre dans un combat généralisé contre les attaques subies par toute la classe ouvrière que d'aller simplement parler dans les réunions des syndicats, des étudiants et de l'extrême gauche.

Peut-être que les autres travailleurs les auraient ignorés, peut-être que personne n'aurait été prêt à se joindre à la lutte ; mais nous ne savons pas de toute manière, ce que le résultat aurait été, pour la simple raison que P 9 n'a jamais essayé de s'adresser ainsi aux autres. Et en tout cas dans une période comme aujourd'hui, une telle politique qui permet aux travailleurs d'utiliser leur pleine et réelle puissance est la seule voie pour ouvrir des perspectives à la classe ouvrière.

Dans une période comme aujourd'hui, une compagnie comme Hormel s'inquiète peu d'une grève qui arrête une usine, même pour longtemps. Elle a bien d'autres ressources pour compenser. Ce que la bourgeoisie craint réellement, ce sont des troubles sociaux. Dans cette période de crise économique, de chômage et d'offensive patronale, toute la classe ouvrière affronte les mêmes problèmes et est dans la même situation. C'est pourquoi la bourgeoisie craint l'éventualité que la lutte d'un groupe de travailleurs puisse s'étendre à d'autres, qu'elle puisse se transformer en un incendie dévorant tout sur son chemin, d'une simple grève se transformant en un mouvement social. Un mouvement comme cela, ne tenant aucun compte des limites patronales, syndicales ou géographiques, serait à la recherche de tous ceux qui veulent s'y joindre. Un combat comme cela, qui fait que la colère des travailleurs se répand dans les rues et trouble l'ordre des patrons, donnerait aux travailleurs le maximum de possibilités de faire sentir cette colère.

Bien sûr, un tel combat serait difficile aujourd'hui. Cela veut dire aller à l'encontre de quarante ans de traditions dans lesquelles la classe ouvrière américaine est embourbée. Cela veut dire refuser de respecter les lois et les règles imposées à la classe ouvrière par la bourgeoisie. Mais c'est la seule manière d'effrayer suffisamment la bourgeoisie et la contraindre elle-même à reculer à son tour.

C'est de cette manière que la classe ouvrière américaine a forcé la bourgeoisie à reculer dans les années trente. En 1934, les grèves de Toledo, Minneapolis et San Francisco, qui donnèrent le signal de départ du mouvement, s'étendirent, menaçant d'arrêter toute la ville ou, même l'arrêtant effectivement. Dans les combats qui suivirent, les travailleurs occupèrent les usines, mais les travailleurs d'autres usines accoururent en masse, arrêtant leurs propres usines, bloquant les rues autour de l'usine qui était elle-même occupée par l'ensemble des travailleurs. Ce fut cette'sorte de mouvement généralisé qui contraignit finalement la bourgeoisie à faire de larges concessions aux travailleurs dans les années trente. Et ce fut l'énorme vague de grèves de 1946 qui permit aux travailleurs de défendre leurs acquis après la guerre.

La bourgeoisie a accentué la guerre de classe depuis 1978. C'est seulement avec la perspective d'engager de plus larges couches de la classe ouvrière dans la lutte et en menant cette lutte aussi loin qu'ils sont prêts à aller que les travailleurs peuvent renverser la situation actuellement favorable aux patrons. C'est cette perspective qui donnerait le maximum de possibilités aux travailleurs et limiterait celles de la bourgeoisie. Mais ce n'est pas la politique des dirigeants syndicaux, aussi honnêtes, sincères et dévoués soient-ils. Et malheureusement, en ce qui concerne la grève d'Hormel, cela n'a pas été non plus la politique de la majorité du mouvement révolutionnaire.

L'extrême-gauche

Mis à part le Parti Communiste qui s'est opposé à la grève, prenant le parti de l'UFCW, peut-être à cause de ses liens avec la bureaucratie syndicale, la plus grande partie de l'extrême-gauche a fait un effort pour populariser la grève. Mais cet effort avait pour seul but de gagner un soutien à la grève, de défendre la direction de P 9 et de soutenir la politique de celle-ci dans la grève.

Ainsi par exemple le Socialist Workers Party, dans son hebdomadaire The Militant a couvert régulièrement et largement la grève. Mais cette couverture consista en de simples reportages directs citant abondamment Jim Guyette, le président de la section syndicale, comme s'il n'était pas seulement le porte-parole du P 9 mais du SWP lui-même.

Le SWP, le plus important groupe trotskyste, et le Communist Labor Party, un groupe stalinien, de même qu'un bon nombre de groupes plus petits ont aidé à organiser des comités de soutien, ont ramassé de l'argent et ont prêté main-forte pour mettre sur pied les manifestations et les rassemblements à Austin et à Ottumwa. Ces activités n'étaient peut-être pas inutiles et ont aidé les travailleurs Mais en aucune manière le soutien ne peut remplacer la politique nécessaire pour conduire les travailleurs au succès.

La plupart des groupes révolutionnaires agirent comme un office de relations publiques pour la direction de P 9 et ont vu là leur tâche principale. Mais en faisant cela, ils ont contribué à renforcer la confusion des travailleurs. Ils ont renforcé l'idée que la politique suivie parle syndicat était correcte et même la seule possible.

Probablement au début ils ont aidé à renforcer le moral des grévistes qui devaient être contents de voir que le soutien semblait venir de différentes parties du pays.

Disons d'ailleurs en passant que c'était déjà là une tromperie. Les travailleurs d'Austin n'avaient aucun moyen d'estimer l'importance exacte de ce soutien ; ils n'avaient aucun moyen de savoir que les militants d'extrême gauche qui venaient à un rassemblement à Austin ou qui parlaient au nom de tel ou tel comité de soutien, en fait ne représentaient guère qu'eux-mêmes, même quand ils pouvaient se présenter aussi comme les représentants de tel ou tel syndicat. La tromperie fut même pire quand ces militants d'extrême gauche furent ici ou là capables de convaincre de vrais bureaucrates syndicaux d'adhérer au comité de soutien ou de signer des déclarations. Là aussi les travailleurs d'Austin n'avaient aucun moyen de savoir que ces bureaucrates qui faisaient une déclaration de soutien à FI 9 pour se donner une image combative, étaient les mêmes qui contribuaient à imposer des concessions à leurs propres syndiqués et s'opposaient à ce qu'ils engagent une lutte semblable à celle d'Hormel. Mais si les travailleurs d'Austin n'avaient aucun moyen de connaître la politique de ces bureaucrates, les militants d'extrême-gauche, eux, l'avaient. Pourtant, ils ne les ont jamais dénoncés, peut-être par peur d'affaiblir le comité de soutien, peut-être simplement parce qu'ils étaient satisfaits d'avoir un bureaucrate de haut rang pour signer un bout de papier.

Le plus grave dans la politique de l'extrême gauche, c'est que non seulement les travailleurs, quand ils réalisent que la solidarité n'a rien changé dans leur lutte contre le patron, ne se sentent pas renforcés, mais pire, que le soutien apporté par cette extrême gauche aide à renforcer la démoralisation, la désillusion et le découragement en imposant l'idée qu'il n'y a pas moyen de s'opposer au patron puisque même avec une large solidarité à travers le pays, la grève a été perdue.

Les grévistes à Hormel n'avaient pas besoin des révolutionnaires pour leur passer la main dans le dos ou leur donner de l'argent et ainsi créer quelques faux espoirs pendant un moment. Ce dont les grévistes avaient besoin, dès le commencement de cette grève, bien sûr, ou en tout cas à partir de janvier quand l'extrême gauche s'y impliqua largement, c'était d'une claire compréhension de la situation, des énormes obstacles qu'ils avaient en face d'eux et de la politique qui avait une chance - ne serait-ce qu'une chance de triompher de ces obstacles.

Les travailleurs d'Hormel avaient besoin de voir que le seul moyen d'aller au-delà de ce qu'ils avaient déjà fait était d'entraîner d'autres travailleurs dans une lutte d'ensemble. Ils avaient besoin de voir qu'ils devaient briser les limites mises par leur propre direction syndicale, qui accepte les limites mies par la bourgeoisie.

Bien sûr, s'ils avaient essayé d'étendre leur lutte, peut-être auraient-ils échoué. Mais s'il y avait une possibilité pour eux, c'était seulement dans cette direction.

La compréhension d'une telle perspective aurait pu changer leur tactique. Elle aurait pu leur donner la préoccupation, dès le début de leur grève, de s'adresser aux autres travailleurs et non pas d'attendre pour cela d'être dans une position de faiblesse. A Austin, où ils avaient leur soutien essentiel, elle aurait pu leur donner les moyens de juger s'il était judicieux d'occuper l'usine en janvier afin d'empêcher l'utilisation des jaunes et d'appeler ceux qui les soutenaient à entourer l'usine pour défendre la grève. Elle aurait pu les conduire quand ils allèrent à Ottumwa et aux autres usines Hormel, à demander à ces travailleurs de se joindre à eux, au lieu de simplement leur apporter leur soutien.

Ce qui est certain, c'est que les grévistes d'Hormel avaient besoin d'entendre la vérité, de regarder en face les véritables problèmes qu'ils affrontaient, de voir les véritables rapports de forces en leur faveur ou contre eux, de voir les véritables perspectives et de voir comment les réaliser.

Seuls les militants révolutionnaires peuvent proposer une telle politique aux travailleurs. Et c'est la tâche des révolutionnaires de la proposer aux travailleurs engagés dans la lutte. Évidemment, cela ne sera pas fait par de soi-disant militants d'extrême gauche qui se donnent pour principale tâche de construire des comités de soutien ou d'être la claque pour les syndicalistes, même les syndicalistes radicaux. Ce sera fait par les révolutionnaires qui se battent pour être la direction des travailleurs quand ceux-ci entrent en lutte.

Certainement quand on n'est pas implanté - ce qui est le cas de tous les groupes révolutionnaires aux États-Unis aujourd'hui - il est très difficile de gagner l'attention des travailleurs. Mais, sous le prétexte que nous ne sommes pas implantés et qu'il est difficile de mettre en avant notre propre politique aujourd'hui, soutenir celle des syndicats, que nous savons fausse d'avance, non seulement ne résout pas notre problème aujourd'hui, mais est un obstacle supplémentaire pour pouvoir le résoudre à l'avenir. Le seul résultat d'une telle politique ne peut être que de gagner l'oreille de quelques bureaucrates syndicaux ici et là, et de les influencer pour un instant.

Si le mouvement révolutionnaire ne rompt pas avec cette sorte d'attitude, s'il ne réalise pas qu'il a besoin d'avoir sa propre politique et de combattre pour elle devant les travailleurs chaque fois et partout où il en a la possibilité, il ne sera jamais capable de lutter pour la direction de la classe ouvrière. Il ne s'implantera jamais dans le prolétariat. Il ne réalisera jamais son véritable objectif : la construction d'un parti révolutionnaire ouvrier, capable de conduire la révolution.

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