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Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - La situation économique internationale
Les chiffres des économistes ne sont guère représentatifs de la situation réelle - par exemple, la notion de PNB mêle la production réelle avec le montant des services, et les salaires avec les produits de la spéculation. Du point de vue de ces statistiques, le rachat d'une entreprise existante est tout autant un « investissement » que la construction d'une nouvelle usine et il faut donc ne pas leur attribuer une valeur trop rigoureuse. Mais ce sont les seuls indices (avec le PIB qui souffre des mêmes défauts) dont nous disposons.
D'après ces indices, l'année 1991 a confirmé et aggravé la récession commencée en 1990. Cette récession frappe surtout la principale économie du monde, celle des États-Unis, où le recul du Produit National Brut (PNB) est estimé à 0,2 % pour 1991 et la Grande-Bretagne, où il est estimé à 1,8 %, mais elle affecte, à des degrés divers, tous les pays.
La production industrielle aurait reculé plus fort encore. Dans le cas de la France, où le PNB est annoncé encore en légère hausse de 1,4 % pour 1991, la production manufacturière aura cependant baissé de 1,5 % (et même de 4 % dans l'industrie privée). Les investissements, qui ont déjà stagné en 1990, sont annoncés en chute de 7 % pour 1991.
Cette récession clôt une période commencée en 1983 que les commentateurs appellent une période de croissance (et qui a été, pour les États-Unis, la plus longue période sans récession depuis l'après-guerre). Au royaume des aveugles les borgnes étant rois, les années 1983-1989, avec des PNB en croissance pour les pays industriels, contrastent en effet avec les périodes de franc recul des années 1974-75, puis 1980-82, auxquelles il faut ajouter maintenant 1989-. Aux États-Unis par exemple, en 1974-75, le PNB a reculé de 3,2 % et la production industrielle de 7 %. En 1982, le PNB a de nouveau reculé de 1,8 % et la production industrielle de plus de 9 %.
Mais les fluctuations entre reprises et récessions se font, depuis 1973, sur la base d'une croissance économique globalement ralentie même dans les grandes puissances impérialistes ; sur la base de la persistance d'un chômage massif, d'investissements productifs négligeables, de soubresauts monétaires et de krachs boursiers répétés, avec pour conséquence une instabilité permanente. Les mêmes statistiques, qui estiment par exemple la croissance moyenne des principales puissances industrielles de l'ordre de 6 % dans les années soixante, l'estiment à 2,5 % dans les années quatre-vingt. Là encore c'est non seulement la valeur absolue de ces indices mais même leur comparaison qui manquent de fiabilité, mais la tendance qu'ils indiquent peut être considérée comme significative dès que les chiffres sont importants.
Cette longue période de crise rampante, ouverte avec la crise du pétrole de 1973 et qui, depuis, a revêtu successivement ou simultanément bien d'autres aspects - monétaires, industriels, boursiers - provient en dernier ressort, comme toutes les crises de l'économie capitaliste, de ce que le développement du capital s'est heurté à partir d'un certain moment au caractère limité du marché des biens et des marchandises, c'est à dire de la consommation solvable. L'expansion du marché n'était plus là pour compenser la baisse du taux de profit.
Toute l'histoire économique des dix-huit dernières années est dominée par la politique du grand capital et des États pour rétablir et accroître le taux du profit et, conjointement, pour trouver des expédients susceptibles de limiter l'essoufflement du marché et d'éviter que le marasme ne se transforme en un effondrement catastrophique comme en 1929. Ils y sont jusqu'à présent parvenus, mais ce furent les expédients des phases dites d'expansion qui ont été en général à l'origine de la phase récessive qui s'ensuivit inévitablement.
A l'instar des trusts du pétrole qui, anticipant la fin de l'expansion du marché, s'y sont adaptés dès 1972-73 par une politique malthusienne, consistant à limiter la production et à augmenter les prix afin de maintenir et accroître leurs profits même avec des ventes en diminution, tout le grand capital s'est mis au goût du jour, à partir de la première récession de 1974-75. C'est l'accroissement de cette fraction du capital que leurs possesseurs refusaient d'investir dans l'activité productive - que l'on a appelée « pétrodollars », lorsque leurs possesseurs étaient les magnats, orientaux ou occidentaux, du pétrole - qui a donné le premier élan au développement vertigineux du marché monétaire et financier international.
Les capitaux « recyclés » par le système bancaire en opérations de crédit ont alimenté les emprunts des États des pays riches - les seuls pendant longtemps à procéder à des investissements productifs, directement ou par l'intermédiaire de sociétés nationalisées - ainsi que ceux des pays pauvres et de plus en plus, ceux des pays de l'Est.
L'élargissement artificiel du marché, conséquence de cette politique de crédits faciles, a permis à l'économie de surmonter la première récession de 1974-75. Mais cette période de relance relative - car les investissements productifs n'ont pas repris et le chômage était en croissance - a eu pour contrepartie un endettement généralisé des États et l'accumulation d'une quantité considérable de crédits et de monnaies, dont une partie croissante, les « eurodollars », n'était plus contrôlée par aucun État. Leurs déplacements erratiques, d'une monnaie à l'autre, spéculant sur les taux de change, furent des facteurs majeurs de l'instabilité monétaire.
A la fin des dernières années soixante-dix, le gonflement des crédits et la fébrilité des banques ne suffisaient plus pour assurer même un semblant de croissance (le ralentissement se transforma en nouvelle récession à partir de 1980). Ils menacèrent en revanche le système bancaire d'un krach généralisé en cas d'incapacité de payement des débiteurs. Les banquiers prirent les devants en 1982, pour éviter que la banqueroute qui menaçait le Mexique puisse entraîner tout le système bancaire américain (les neuf principales banques des États-Unis étant engagées à raison de 44 % de leur capital dans les prêts au Mexique). Ce furent les États des puissances impérialistes, par l'intermédiaire de leur syndic, le FMI, qui prirent le relais des créanciers du système bancaire, non pas pour sauver les pays pauvres de l'écrasement sous le poids de la dette et des intérêts à payer, mais pour sauver les banques et leurs profits en rachetant leurs créances douteuses et en se portant désormais garants de l'encaissement.
Le système financier mondial continue à être alimenté, et de plus en plus, par les intérêts usuraires arrachés aux pays pauvres ou, plus précisément, à leurs masses exploitées. Cela ne se fait cependant plus, depuis 1982, en fonction des seules initiatives désordonnées des consortiums bancaires, mais avec l'appui et l'assurance du FMI qui se charge de la solvabilité des États débiteurs en leur imposant des plans d'austérité catastrophiques pour leurs populations. Signe d'efficacité dans la rapine de la coalition impérialiste représentée par le FMI : de 1984 à 1989, les pays pauvres ont versé tous les ans plus de capitaux aux pays riches qu'ils n'en ont reçus sous forme de prêts, d'investissements (et ne parlons pas « d'aide » ).
La menace d'un krach financier à partir de l'endettement des États des pays pauvres était à peine surmontée que l'économie capitaliste s'est relancée dans une course à l'endettement, plus déchaînée encore qu'à la période précédente. Mais, désormais, l'endettement du Tiers Monde s'accroît « tout seul », par les simples mécanismes de rééchelonnement des intérêts cumulés, ou de nouveaux prêts consentis uniquement pour payer l'intérêt des prêts antérieurs. Ce sont de plus en plus les emprunts des États des grands pays impérialistes, et avant tout des États-Unis, qui alimentent le système financier, ainsi que les emprunts des grands trusts eux-mêmes. Mais, dans les pays riches, le système bancaire a poussé également les consommateurs individuels des pays riches, essentiellement dans la bourgeoisie petite, moyenne et grande, à emprunter pour consommer n'importe quoi, des produits matériels aussi bien que des « produits financiers ». La relance à partir de 1983 a pour contre-partie un endettement colossal dans les pays riches, surtout aux États-Unis. L'État fédéral a emprunté pour financer des dépenses militaires extravagantes, pour boucher les trous d'un déficit budgétaire croissant. Il a été imité par les collectivités territoriales (États, municipalités, etc.). Et il a trouvé d'autant plus facilement de l'argent sur le marché des capitaux que, dans la situation d'instabilité générale et de surabondance de capitaux rétifs à s'investir dans des entreprises productives à risque, il bénéficiait de la confiance accordée à la puissance la plus riche de la planète, la plus stable aussi.
Mais cette offre croissante de bons de Trésor, de titres de crédit, et plus généralement de toutes sortes de « produits financiers » garantis par les États ou non, mais distribués par l'intermédiaire du système financier, maintenait en permanence un taux d'intérêt élevé. Ainsi, paradoxalement, malgré la quantité colossale d'argent en circulation, l'argent a fini par « coûter cher ». Aujourd'hui, les capitalistes s'en plaignent eux-mêmes et rendent ce taux d'intérêt responsable de la nouvelle récession.
C'est dégager leur propre responsabilité car c'est la propension inhérente à chaque capitaliste individuel, à chaque entreprise capitaliste, à privilégier ce qui rapporte le plus par rapport à ce qui serait l'intérêt général de la classe capitaliste elle-même, qui conduit au développement de l'activité financière au détriment de l'activité industrielle.
Et c'est surtout cynique car l'endettement, s'il coûte aux débiteurs - et pour ce qui est des États, aux contribuables - rapporte aux créanciers, parmi lesquels il n'y a pas que les grandes banques, il y a la plupart des grands trusts qui ont consacré une partie plus ou moins importante de leurs profits à des activités financières directes ou indirectes.
L'appel de capitaux de l'État et du système financier américain s'exerce d'autant plus puissamment, y compris auprès des détenteurs de capitaux d'autres puissances capitalistes - et, bien entendu, auprès de la bourgeoisie des pays pauvres eux-mêmes ! - que les années quatre-vingt ont été des années de déréglementation complète pour ce qui concerne les capitaux qui peuvent se déplacer sans pratiquement aucun obstacle, d'un instant à l'autre, d'une place financière à l'autre. L'endettement total américain (gouvernement fédéral, gouvernements locaux, entreprises et particuliers) est passé de 4.000 milliards de dollars en 1980 à presque 11.000 milliards en 1991, pratiquement le double du Produit National Brut !
Le gouvernement fédéral prélève de quoi payer l'intérêt de sa dette - qui, pour cette année, se monte à 196 milliards de dollars (somme supérieure au PIB de l'ensemble de l'Afrique Noire) - au détriment du service public qui s'effondre dans l'État le plus riche du monde, mais aussi, au détriment des quelques protections sociales dont bénéficiaient les travailleurs américains.
La dette publique n'est pas seulement un moyen de procurer des revenus réguliers confortables aux capitalistes rétifs à se soumettre aux aléas de la production pour le marché ; c'est aussi un des moyens pour la classe capitaliste, parmi bien d'autres, d'accroître sa part dans le revenu national au détriment d'autres classes, la classe ouvrière en premier lieu.
Depuis le tournant de 1973, les activités financières l'ont, sous des formes diverses, généralement emporté par rapport aux activités industrielles comme moyen, pour chaque entreprise capitaliste, de prélever une part plus grande dans la cagnotte commune du profit capitaliste global. Mais la cagnotte elle-même ne peut être alimentée que par la plus-value tirée des travailleurs productifs. Par delà des hauts et des bas conjoncturels, il y a, à l'échelle du monde, une aggravation de la lutte de classe menée par la classe capitaliste, ses États et les divers organismes internationaux chargés de défendre ses intérêts (FMI, Banque mondiale, etc.) pour accroître la plus-value tirée de la classe ouvrière par aggravation du taux d'exploitation, alors même que la production est en croissance faible ou est stagnante (voire, par périodes, en recul).
Même dans les pays impérialistes riches, cela prend des aspects graves pour la classe ouvrière. Pour les États-Unis, on estime que le salaire moyen, même nominal, n'a pratiquement pas augmenté depuis 1973 (avec une inflation qui, à certains moments, dépassait les 10 %). Tous les pays impérialistes ont connu ou connaissent des plans d'austérité, des blocages de salaires. Mais même les périodes de déblocage et d'augmentation de salaires nominaux cachaient d'autres formes de diminution des salaires, du fait notamment du remplacement d'une fraction de la classe ouvrière poussée au chômage par des travailleurs plus mal et, généralement, plus sporadiquement payés.
Même dans les pays les plus riches, la classe capitaliste augmente généralement l'intensité du travail et réduit le prix de la force de travail.
Même pendant les période dites de « reprise », comme celle commencée en 1983 et qui vient de s'achever, la situation de la classe ouvrière ne s'est pas améliorée mais aggravée, y compris dans les pays dits riches. Dans la plus riche des puissances impérialistes, vingt millions de personnes sans la moindre ressource ne survivent que grâce à la soupe populaire.
C'est cependant dans les pays sous-développés que la guerre de la classe capitaliste a été la plus catastrophique pour les masses pauvres.
Dans les années soixante-dix, la politique de crédit facile des banques occidentales s'est conjuguée avec la volonté d'un certain nombre de multinationales de « délocaliser » leurs productions dans des pays à main-d'oeuvre bon marché. Même la conjugaison des deux n'a pas conduit à une industrialisation nouvelle significative, sauf dans certaines régions ou villes-État de l'Asie de l'Est (et bien entendu, même là-bas, en fonction des besoins des métropoles impérialistes). Néanmoins, cette tendance, qui a eu localement des retombées surtout pour la classe privilégiée autochtone, a créé des emplois. Elle a transformé en prolétaires des millions de pauvres et contribué à attirer bien plus de millions encore vers les villes, en les transformant en sous-prolétaires en attente d'embauche, en « armée industrielle de réserve ».
Mal payée depuis toujours - les coûts salariaux des multinationales opérant à la fois aux USA et en Corée étaient par exemple dans la proportion de 15 à 1 (et le cas de la Corée n'est pas le pire) - la classe ouvrière, comme tout le sous-prolétariat qui l'entoure, a subi à partir de 1982 la pression impérialiste accrue transmise par le FMI et les dirigeants de leurs États. Pressions qui pesaient dans le sens de la réduction des salaires, de la diminution drastique des dépenses dans le service public et dans les entreprises étatiques ; dans le sens des « assainissements budgétaires » au détriment de toutes formes de subventions aux produits alimentaires.
La pression accrue du FMI, du système bancaire, etc., s'est conjuguée durant les années quatre-vingt, avec le retournement de la tendance à la « délocalisation » de la décennie précédente. Les multinationales ont été trop occupées à se « restructurer », c'est-à-dire à se disputer, à coups de rachats-fusions, les entreprises existantes avec leurs marchés existants, pour créer de nouvelles entreprises dans les pays sous-développés (pas plus d'ailleurs que dans les pays de l'Est). Si certains pays du Sud-Est asiatique, offrant un minimum de marché eux-mêmes, continuent à intéresser les investisseurs japonais ; si les capitalistes américains continuent à investir dans les zones latino-américaines proches des frontières US ou pour garder la haute main sur quelques marchés intéressants, les capitaux autres qu'usuriers ont tendance à se détourner de l'Amérique Latine et bien plus encore de l'Afrique.
Depuis 1987 - au plus fort de l'expansion dans les pays impérialistes - le PNB global de l'ensemble de l'Amérique latine est en régression.
Quant à l'Afrique, étranglée par la dette, par la chute du cours des matières premières, par la désindustrialisation, elle voit sa production reculer, sa participation au commerce mondial divisée par deux en dix ans, son Produit Intérieur Brut s'établir au niveau de celui de la petite Belgique, et 35 % de sa population réduits à la famine permanente.
Deux continents entiers sombrent dans la misère et le chaos. Et plus généralement, pour la grande majorité des pays pauvres, la décennie fut, pour reprendre une expression en vogue, la « décennie perdue ».
La majeure partie des pays pauvres de la planète est ainsi pillée et appauvrie encore pour maintenir le profit de grands groupes capitalistes des pays riches. Le décalage entre pays impérialistes et pays pauvres s'accentue du fait de ce pillage qui a pris des proportions jamais atteintes auparavant. Mais il ne s'agit pas d'un simple antagonisme nord/sud. Il s'agit de l'antagonisme, à l'échelle du monde, de la bourgeoisie capitaliste et de la classe ouvrière et des masses pauvres plus ou moins prolétarisées. Les minces couches riches des pays pauvres participent au pactole malgré l'appauvrissement de leurs pays. Elles ne contribuent pas plus que le grand capital des pays riches à développer leurs propres pays : leurs capitaux prennent, au contraire, systématiquement le chemin des métropoles impérialistes, aggravant encore l'endettement.
C'est le prolétariat et les masses prolétarisées qui supportent tout le poids d'un appauvrissement qui, pour ce qui est de leurs revenus, prend des proportions catastrophiques. Les statistiques les plus honnêtes font état d'un abaissement de 90 % du salaire minimum au Pérou entre 1975 et 1990 ; d'un abaissement de 85 % au Nigéria et d'un abaissement moyen estimé à 60 % pour les ouvriers des secteurs industriels des pays les plus endettés du Tiers Monde. Il est vrai qu'à partir d'un certain niveau, les statistiques de ce type perdent toute signification.
De moins en moins capable d'industrialiser ceux des pays qui ne l'étaient pas ou peu, comme en Afrique, le capitalisme a tendance à « désindustrialiser » ceux qui l'étaient dans une certaine mesure. La procédure inventée par le plan dit de Brady, consistant à autoriser certains pays des plus endettés à rembourser leurs dettes en privatisant leurs entreprises publiques et en échangeant les actions de ces dernières contre des parts de créance, est souvent un premier pas vers le démantèlement de ces entreprises et vers la désindustrialisation. L'Argentine et le Chili pratiquent à grande échelle la procédure.
Les pays de l'Est sont en train de s'engager sur le même chemin.
C'est seulement en sollicitant les mots que l'on peut parler de croissance, même en parlant de la période, présentée par les commentateurs comme faste, de 1983-1989. La seule chose qui était incontestablement en croissance était le profit - et ceci explique certainement l'usage du mot.
Ce que les statisticiens appellent « excédent brut d'exploitation » et qui reflète le taux de profit, est passé en France de 25,6 % en 1982 à 32,4 % en 1988, en suivant une courbe en permanence ascendante.
Le profit accumulé durant la période 1983-89, d'une part du fait de l'aggravation de l'exploitation des prolétaires des pays riches comme des pays pauvres, d'autre part du fait du pillage de ces derniers, n'a même pas vraiment conduit à un accroissement des forces productives dans les pays riches. Economistes et statisticiens ont certes annoncé, dans la phase ultime de la période de croissance, à partir de 1987, une croissance soutenue des investissements, mais cette période de croissance des investissements n'aura duré qu'à peine plus de deux ans, sans avoir d'ailleurs rattrapé le retard accumulé depuis 1974. Le courant d'investissements s'est porté vers quelques secteurs porteurs, parmi lesquels l'informatique, mais a laissé le gros des secteurs industriels face à une « insuffisance devenue chronique d'investissements » , pour reprendre l'expression du journal Le Monde.
Les capitaux qui se sont portés vers l'industrie ne s'y sont pas portés pour créer des entreprises mais pour acquérir des entreprises déjà existantes et leurs parts de marché avec. Abandonnant, comme on l'a vu, les pays pauvres, dédaignant les possibilités offertes à l'est de l'Europe par l'écroulement des systèmes staliniens, les capitaux décidés à s'investir dans l'industrie se sont limités à la « triade » constituée par le Japon, qui cependant n'encourage guère la pénétration de capitaux étrangers, par les pays les plus riches d'Europe et surtout par les États-Unis.
Pour s'assurer une bonne position sur le marché américain, les multinationales se disputent les entreprises les plus rentables en acceptant de payer des surplus de l'ordre de 20 à 25 %. Comme l'assure une étude de la Documentation française, « ce mode de croissance externe assure une rentabilité immédiate, économise les risques et les délais coûteux de l'implantation, permet éventuellement de s'assurer le contrôle de techniques nouvelles et facilite au besoin une revente avantageuse » .
Mais la course à cette forme d'investissement-là, généralement confondue dans les statistiques officielles avec la création de forces productives nouvelles, a donné naissance à de nouvelles formes de spéculation financière, dont les objets étaient les entreprises industrielles elles-mêmes.
La vague d'acquisitions d'entreprises par le moyen d'offres publiques d'achat (OPA), aux financements souvent douteux, au lieu de renforcer la production, a introduit un nouvel élément de déstabilisation.
Ce qu'on a appelé la « restructuration industrielle » - qui a été surtout une restructuration financière - , de fusions-acquisitions en concentrations, a conduit au renforcement d'un nombre limité de multinationales spécialisées dans des créneaux précis de la production mais à l'échelle du monde.
Les 500 premières entreprises, appartenant presque toutes à des pays de l'OCDE, ont réalisé en 1988 un chiffre d'affaires représentant 30 % du Produit Intérieur Brut de l'OCDE et près de la moitié de sa valeur ajoutée.
A la division du travail entre pays se substitue de plus en plus une division du travail entre grands trusts multinationaux. Une part croissante du commerce international est constituée par les mouvements internes aux multinationales elles-mêmes.
Malgré le caractère « multinational » de leurs activités, tout autant que de leurs capitaux, ces trusts s'appuient sur l'État de leurs pays d'origine qu'ils dominent, non plus seulement pour s'assurer des avantages et des protections sur leurs marchés nationaux, mais aussi pour qu'il assure, en collaboration avec les autres États impérialistes, le maintien de l'ordre économique mondial contre les soubresauts excessifs dans le domaine des monnaies ou des protectionnismes. Rarement dans le passé, un nombre restreint de brigands impérialistes a autant collaboré dans le cadre de toutes ces réunions du G5, du G7, etc., pour tenter de fixer d'impossibles et néanmoins indispensables règles de bonne conduite. Mais cette coopération est l'association conflictuelle de rivalités : plus que jamais, s'applique l'expression de Trotsky parlant de « brigands rivaux enchaînés à la même chaîne... » .
Le directeur général du FMI vient d'annoncer une reprise pour 1992, tout en ajoutant qu'elle ne sera ni franche, ni joyeuse. Mais quelle injection pourrait relancer, au moins dans les métropoles impérialistes, une consommation stagnante alors que le chômage et les baisses de salaires diminuent le pouvoir d'achat de la classe ouvrière et que la petite bourgeoisie s'est endettée jusqu'au cou pendant la période précédente ? D'autant que, pour reprendre l'expression de ce représentant qualifié du capitalisme, « les grands pays industriels, en particulier les États-Unis, ont perdu toute marge de manoeuvre budgétaire » . D'autant aussi que le système bancaire est de plus en plus rétif à ajouter de nouvelles créances à celles qui circulent déjà en surabondance, échaudé qu'il vient d'être par l'effondrement de la dernière en date des vagues spéculatives, celle portant sur l'immobilier.
L'avenir dira si le système capitaliste trouvera un nouvel expédient. Mais que ces expédients marchent ou échouent, ce qui en résulte pour la planète depuis près de vingt ans, c'est l'aggravation des inégalités, la paupérisation absolue de la majeure partie des habitants de la planète et une stagnation des forces productives. Le système capitaliste est incapable de faire progresser l'humanité. Il a fait son temps et son remplacement est une nécessité pour la survie de la société.
11/11/1991