Le Parti Communiste Guadeloupéen (PCG) : un électoralisme s'adressant aux classes pauvres01/02/19881988Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1988/02/15_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le Parti Communiste Guadeloupéen (PCG) : un électoralisme s'adressant aux classes pauvres

Le Parti Communiste de la Guadeloupe est aujourd'hui le premier parti ouvrier de cette île de la Caraïbe sous domination française.

Il dirige les deux plus importantes villes du pays, Pointe-à-Pitre et Basse-Terre, ainsi que plusieurs des grandes communes à travers les municipalités qu'il contrôle. Et il contrôle le plus important syndicat du pays : la CGTG (Confédération Générale des Travailleurs Guadeloupéens).

Contrairement à son aîné, le Parti Communiste Français, qui a vu ses scores électoraux chuter considérablement, ceux du PCG se maintiennent autour de 28 à 30 % dans le pays. Sur le plan électoral, il se porte plutôt bien.

Pourtant, au cours des trente années écoulées, le PCG a été enterré à plusieurs reprises par d'autres organisations qui ont tenté de le concurrencer. En particulier les organisations nationalistes.

Celles-ci ne voyaient en lui qu'un simple parti de notables, de maires, dont la base populaire n'aurait été constituée que d'employés de mairie ou « d'alimentaires ».

Elles en faisaient un parti à l'agonie n'ayant plus de poids réel dans la classe ouvrière, ne vivant que par les élections et voué à une mort certaine et sans gloire.

Ce ne fut pas le cas.

Cependant, les apprentis fossoyeurs du PCG ne fondaient pas leur analyse de ce parti sur rien. Et il est vrai que ce dernier leur a souvent fourni l'occasion de l'enterrer.

Car il est vrai que le Parti Communiste Guadeloupéen est un parti qui fait preuve depuis bien des années d'une grande passivité dans les luttes ouvrières et populaires. Presque toutes les grandes grèves qui ont marqué ces quinze dernières années se sont déroulées en l'absence, sur le terrain, des militants communistes du PCG.

Les luttes contre l'oppression coloniale se déroulèrent dans la majeure partie des cas en l'absence des militants communistes et parfois même contre la volonté de leurs dirigeants.

En 1967, par exemple, lorsque plusieurs centaines de jeunes voulurent s'armer et se battre contre les militaires français qui venaient de massacrer plusieurs dizaines de personnes, c'est contre ces jeunes que les dirigeants du PCG dirigèrent leurs critiques. Il ne s'agissait pour eux que de « gauchistes » et « d'aventuristes ».

Plus récemment, pendant l'été 1985, lorsqu'une véritable explosion de mécontentement entraînant surtout les très jeunes, notamment ceux des quartiers pauvres, a conduit à d'importantes manifestations de rue, avec barricades et bagarres violentes contre les militaires français, la direction du PCG est restée dans une prudente expectative.

Et quand un des dirigeants s'est exprimé, ce fut pour réclamer aux autorités françaises un renforcement des forces de police.

La fraction de la population qui était mobilisée - la jeunesse mais aussi un certain nombre de travailleurs - a évidemment fort mal vu cette attitude du Parti Communiste.

Mais, en dépit de cela, le fait est que le PCG est loin d'être défait, et même d'avoir perdu son influence dans la population. Il est vrai que, dans la mémoire de toute une génération, il apparaît comme le parti né dans les luttes ouvrières et représentant encore, d'une certaine façon, les pauvres.

Un parti ne dans les luttes ouvrieres

C'est en 1944 que fut fondée la fédération guadeloupéenne du Parti Communiste Français par un groupe d'intellectuels et de travailleurs dirigé par le docteur Rosan Girard et l'avocat Ibéné. En tant que fédération - entité organisationnelle du PCF au niveau départemental - , l'organisation créée faisait donc partie intégrante du PCF.

On peut dire que trois causes étaient à l'origine de la création de la fédération communiste.

D'une part, l'existence de traditions ouvrières bien réelles héritées de la Deuxième Internationale socialiste. Dès le début du siècle, en effet, les travailleurs, en particulier le prolétariat agricole de la canne à sucre, menèrent des luttes nombreuses, parfois extrêmement dures.

Ce furent les militants socialistes de l'époque qui les dirigèrent avec, à leur tête, Hégésippe Légitimus, figure longtemps légendaire du mouvement ouvrier.

Ensuite, pendant la guerre, les futurs fondateurs du PCG, embastillés, en raison de leurs activités, par l'administration du gouverneur Sorin, représentant le gouvernement de Vichy, apparurent comme des hommes d'une opposition radicale et gagnèrent un certain crédit.

Mais c'est surtout dans les années qui suivirent la guerre que la fédération communiste de la Guadeloupe conquit une large audience.

Dans une certaine mesure, elle bénéficia de la présence du Parti Communiste Français, dont elle faisait alors partie, au gouvernement de la « Libération ». Car, à une époque où les militants communistes faisaient de « l'égalité des droits » un des thèmes centraux de leur propagande, la Guadeloupe passait (en 1946) du statut officiel de colonie à celui de « département français ». Cela apparut à l'époque comme un progrès et il fut inscrit dans une certaine mesure à l'actif du Parti Communiste.

Comme furent inscrits à l'actif du Parti Communiste la reconnaissance de quelques droits sociaux supplémentaires et, par la suite, l'introduction - bien que très partielle par rapport à la France métropolitaine - de la Sécurité Sociale.

Mais, plus important encore sans doute que cela, il y avait le fait que, dans les luttes nombreuses qui suivirent la guerre, essentiellement dans la canne et dans les usines sucrières, les militants du Parti Communiste jouèrent un rôle déterminant.

Oh ! Le Parti Communiste ne cherchait nullement à donner à ces luttes des perspectives révolutionnaires, ni même la perspective de remettre en cause la domination coloniale. Mais la fédération guadeloupéenne du PC se sentait dans une certaine mesure moins liée à la participation gouvernementale en France.

Ou, plus exactement, opposée à une administration locale particulièrement conservatrice, opposée aussi aux partis de droite traditionnels particulièrement serviles vis-à-vis de l'ordre colonial, la fédération guadeloupéenne du PC pouvait plus facilement présenter son rôle dirigeant dans les luttes comme une opposition radicale à l'administration locale mais pas nécessairement au gouvernement à participation communiste.

En tous les cas, ce courage, cette ténacité des militants communistes face à la répression, face aux tracasseries administratives et judiciaires dont ils furent l'objet au cours des luttes, leur ont permis de gagner la confiance du prolétariat guadeloupéen.

C'est aussi, forts de cela, que les dirigeants du PCG gagnèrent peu à peu une large audience électorale. En 1946, ils obtinrent l'élection de deux députés sur trois. Ils parvinrent peu à peu à faire élire des équipes municipales composées de dirigeants et militants communistes dans de nombreuses villes et communes. Ils firent aussi élire plusieurs conseillers généraux.

Cette assise électorale devint au fil des années très importante et finit par constituer une grande partie de la force du PCG. A tel point que la lutte électorale prit peu à peu le pas sur la participation aux luttes ouvrières.

Il faut dire aussi qu'une partie des jeunes intellectuels et notables du PCG constituait une nouvelle petite élite noire composée de médecins, avocats, pharmaciens, enseignants, nouvellement apparus en Guadeloupe sur un terrain qui était jusque-là exclusivement celui des Blancs. Ces jeunes notables noirs issus des couches pauvres de la population bénéficiaient de la relative fierté qu'ils suscitaient parmi le peuple noir pauvre, voyant ceux de sa race accéder aux postes et à la notabilité. Le fait que les deux figures marquantes, les deux premiers députés du PCG furent l'un médecin, l'autre avocate, est à cet égard significatif.

Et aujourd'hui encore, un tel sentiment, bien qu'émoussé, n'a pas entièrement disparu.

Cela dit, le PCG fut aussi l'un des premiers partis à faire élire des candidats ouvriers au Conseil Général ; de même que des femmes, élues à cette assemblée, ainsi qu'à l'Assemblée Nationale française.

Le pcg et le probleme colonial

En 1958, en pleine période de décolonisation et avec l'émergence des mouvements nationalistes du Tiers Monde dans les colonies françaises, avec la guerre d'indépendance algérienne, la victoire de la révolution cubaine, une certaine effervescence gagna une fraction de la jeunesse, surtout étudiante.

La fédération communiste adopta le mot d'ordre « d'autonomie ». De plus, de fédération du PCF, elle devint Parti Communiste autonome, tout en maintenant des liens étroits avec le PCF et son allégeance à la politique de l'Union Soviétique.

Ces décisions lui firent acquérir la sympathie d'une partie de la jeunesse.

Mais, d'autre part, une grande partie de celle-ci, et surtout les étudiants guadeloupéens en France jugeait le PCG trop timoré. On vit apparaître en 1963 une organisation plus radicale : le GONG (Groupe d'Organisation Nationale de la Guadeloupe) qui prônait l'indépendance et la lutte armée. Cette organisation parvint à capter une partie des aspirations et des espoirs de la jeunesse ouvrière et étudiante.

En 1967, la direction du PCG exclut de nombreux militants : des responsables de la jeunesse et certains cadres d'origine ouvrière qui reprochaient au PCG une trop grande passivité face au problème colonial. Parmi les exclus ou ceux qui quittèrent le PCG, il y avait aussi plusieurs responsables syndicaux, du bâtiment, du commerce, de la canne à sucre.

Pendant plusieurs années, cette scission affaiblit considérablement le PCG.

Dans la classe ouvrière, un certain nombre de travailleurs liés au PCG et à la CGTG rejoignirent le point de vue des militants nationalistes exclus du PCG.

En 1971, ce furent les militants nationalistes qui occupèrent le terrain et déclenchèrent les grèves dans les champs de canne et les usines à sucre, avec d'anciens militants de la CGTG, liés au PCG. Et ce fut peu à peu tout un secteur qui échappa à l'influence du PCG. De même dans le bâtiment ou le commerce.

La CGTg (confederation generale des travailleurs guadeloupeens)

La CGTG, créée par des militants du PCG, est traditionnellement contrôlée par ce parti.

Après les scissions, elle était au plus bas. Ses vieux dirigeants, ex-lutteurs des années d'après-guerre, n'avaient plus la confiance des travailleurs car ils étaient trop passifs et timorés. De nombreuses sections syndicales disparurent ou tombèrent dans une sorte de longue hibernation. On ne notait, à cette époque, aucune vie syndicale et peu de réunions.

Mais, aiguillonné par la concurrence des syndicats nationalistes qui se créaient, le PCG réagit en faisant venir un cadre de la CGT de France, membre du Parti Communiste Français, pour redresser le syndicat. En même temps, certains jeunes travailleurs reçurent une formation syndicale et politique. Certains furent envoyés à Moscou pour suivre des stages.

L'envoyé de la CGT de France redressa la situation, notamment en assurant la présence des militants de la CGTG dans plusieurs secteurs autrefois délaissés.

La vie syndicale repartit, les réunions reprirent peu à peu, les cotisations entrèrent à nouveau. De nouvelles sections syndicales CGTG se créèrent dans de nombreuses entreprises.

Après plusieurs années, ayant assuré la formation de quelques jeunes syndicalistes, notamment celle du secrétaire général actuel, le délégué de la CGT de France repartit.

Aujourd'hui, la CGTG reste le syndicat le plus important de l'île, malgré la concurrence des syndicats nationalistes.

Sans être le plus dynamique, talonné en cela par ces derniers, il bénéficie d'un certain acquis moral auprès des travailleurs.

Comment le pcg maintient-il ses liens et son implantation dans la classe ouvriere ?

Si le rayonnement et l'influence que le PCG a hérités de ses années de parti de lutte se maintiennent, c'est évidemment parce qu'il garde des militants et des adhérents présents parmi les travailleurs. Le PCG a cependant de moins en moins de militants dans les entreprises elles-mêmes ou sur les plantations. Il n'y a pratiquement plus de cellules d'entreprise. Mais le PCG est en revanche présent dans les quartiers. Les cellules du PCG sont des cellules de quartier.

Les militants du PCG sont formés à être à l'écoute des préoccupations de la population, dans les quartiers, à la ville comme à la campagne. Ils sont présents dans les quartiers populaires, soit individuellement, soit par le biais de comités de quartier créés par la municipalité, en liaison avec les cellules de quartier du PCG.

L'appareil du PCG, pas bien important, est relayé dans les quartiers par quelque 1 500 militants - ce qui, dans un pays de 300 000 habitants, est assez important - plus ou moins actifs mais présents.

Le contrôle des municipalités prolonge et consolide évidemment la présence des militants du PCG dans les quartiers.

Sur 34 communes que compte le pays, le PCG en dirige 6, dont la capitale administrative et la ville la plus importante. Il talonne de très près les municipalités en place dans deux autres communes importantes.

La plupart des villes et communes dirigées par le PCG aujourd'hui encore sont des villes où existaient des usines à sucre ou des communes agricoles de champs de canne à sucre. C'est au travers de sa participation passée aux luttes des travailleurs de la canne ou du sucre que le PCG a conquis des municipalités, qu'il conserve même maintenant, même lorsque l'usine a fermé depuis longtemps, et même s'il n'a plus de militants dans la canne.

Mais le PCG est un parti électoraliste. Une grande partie de son énergie militante est captée au profit de l'action électorale. D'ailleurs, les périodes où le PCG connaît le plus d'effervescence, d'énergie militante, de mobilisation de tous ses sympathisants sont des périodes électorales. Pas les luttes, pas les grèves. Et, en dehors des périodes électorales, une grande partie de ses efforts est dirigée vers l'action municipale, parlementaire ou dans les assemblées locales. Les rares manifestations de rue auxquelles le PCG a appelé dans le passé, et encore actuellement, étaient destinées à protester contre la fraude électorale ou à soutenir l'action de ses élus au Conseil général.

Ses militants passent une grande partie de leur temps à gérer les maisons de retraite, les complexes sportifs, les bibliothèques de quartier, les centres culturels.

Tout cela lui permet d'avoir dans la population une image de bon gestionnaire, avec des maires « compétents » et « responsables ».

De plus, la position d'employeur du PCG dans les municipalités, dans un pays où le chômage est important, lui donne évidemment une force d'attraction et des moyens de pression à l'égard des travailleurs en quête d'emploi.

Ou va le pcg ?

A aucun moment de son histoire de quelque 43 ans, le Parti Communiste Guadeloupéen n'a été un parti révolutionnaire. Né comme parti stalinien, il a su être cependant combatif pendant quelques années de son existence. Mais, aujourd'hui, il a bien des traits d'un parti social-démocrate modéré, se bornant à revendiquer un certain nombre de libertés démocratiques.

Mais il demeure un parti ouvrier, à la fois parce qu'il demeure le parti qui compte le plus de militants ouvriers dans ses rangs, mais aussi parce qu'il est vu ainsi par une bonne partie de la population ouvrière et des pauvres, même ceux qui critiquent sa politique et sa direction.

Bien que ses préoccupations soient essentiellement axées sur la conservation des municipalités qu'il contrôle, le PCG a montré dans le passé qu'il n'entendait pas limiter complètement ses liens particuliers avec la classe ouvrière aux liens électoraux.

Tout en étant des notables, tout à fait intégrés au jeu politique des notables guadeloupéens de toutes tendances, les dirigeants du PCG semblent encore suffisamment conscients qu'ils doivent ces positions de notables à l'image particulière qu'ils ont dans la classe ouvrière pour tenter de préserver cette image de façon militante.

Mais le PCG puise son audience aussi à une autre source. Malgré sa modération, malgré ses nombreux changements, passant des positions « départementalistes » à des positions hostiles, qui mélangent dans des proportions variables suivant le moment « l'autonomisme » et « l'indépendantisme », le PCG apparaît malgré tout comme un grand parti anti-colonialiste modéré.

Sur ce plan, sur la question du statut de la Guadeloupe, le PCG a su faire preuve dans le passé d'une assez grande ouverture et d'une dose respectable d'opportunisme. Pendant toute une période, sa direction s'est opposée aux positions indépendantistes au nom de l'autonomie, mais il a gardé dans ses rangs ceux qui se revendiquaient de positions indépendantistes, contrairement au Parti Communiste de la Martinique qui les a exclus.

Dans les années 60, il a été capable de flirter avec les organisations nationalistes au point de constituer avec elles un « front guadeloupéen pour l'autonomie » qui n'a eu qu'une existence éphémère mais qui regroupait, outre le PCG, des organisations nationalistes, dont le GONG.

Et il paraîtrait aujourd'hui que le PCG s'apprêterait, à quelques mois de son 9e congrès, à adopter le mot d'ordre « d'autonomie à orientation socialiste ».

Il se peut que le PCG radicalise, dans la période à venir, son langage sur le terrain de l'anti-colonialisme : cela lui vaudra peut-être, s'il y a à nouveau des remontées des sentiments anti-coloniaux, de consolider son audience, en particulier à l'égard des organisations nationalistes.

Mais cela ne le rendra pas meilleur défenseur des intérêts de la classe ouvrière, pas plus que les organisations nationalistes, même celles qui ont une présence parmi les travailleurs, ne sont les défenseurs des intérêts de la classe ouvrière.

Mais si l'impérialisme français juge utile de se débarrasser de ses dernières positions coloniales et de céder, sous une forme ou sous une autre, la responsabilité de la gestion politique du pays aux notables guadeloupéens, le Parti Communiste Guadeloupéen veut se réserver la possibilité de participer aux tractations. Il a à négocier sa qualité de plus important parti de la Guadeloupe mais aussi du plus influent dans la classe ouvrière.

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