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France Pierre Juquin ou la nouvelle idylle de la Ligue Communiste Révolutionnaire
Et voilà la Ligue Communiste Révolutionnaire lancée dans une nouvelle histoire d'amour. Une de ces passions sans lesquelles l'existence de la section française du Secrétariat Unifié de la IVe Internationale ne serait pas ce qu'elle est.
Que surgisse au coin de la rue un barbon, las de l'appareil stalinien qui l'avait nourri jusque-là et en quête d'une meilleure fortune, et la Ligue, éternelle midinette du trotskysme, est subjuguée. La passion dure ce que dure le météore politique du moment, en attendant le prochain mirage.
Cette fois-ci, l'heureux élu est Pierre Juquin, 56 ans, rénovateur communiste de son état (voir notre article sur « les « rénovateurs » du Parti Communiste Français », dans LUTTE DE CLASSE n° 9 du 2 mai 87). Grandi, mûri, façonné pendant plus de trente ans au sein de l'appareil dirigeant du Parti Communiste Français (PCF), le premier fait d'armes de cet intellectuel agrégé d'allemand sorti de l'Ecole Normale Supérieure, consista en 1964 à participer activement à la lutte contre la dissidence menée alors par Alain Krivine au sein de l'Union des Etudiants Communistes. Juquin continua sa carrière au sein du PCF comme secrétaire particulier de Georges Marchais. En 1977, il participe aux discussions avec le Parti Socialiste (PS) sur « l'actualisation du programme commun », puis, après la rupture avec le PS, on le charge de justifier le virage et on l'envoie faire un tour de France anti-Union de la gauche au nom du parti. Il entre au Bureau politique en 1979. Il y est chargé de la propagande. Après les élections de 1981, qui voient la victoire électorale de la gauche et surtout du Parti Socialiste, le PCF entre par la petite porte dans le gouvernement socialiste, avec 4 strapontins ministériels, et Juquin devient en 1982 le porte-parole officiel du PC jusqu'à sa sortie du gouvernement en 1984.
Jusque-là, pas d'états d'âme. La plume et la parole aussi agiles que dociles de cet ancien normalien ne firent jamais défaut aux instances dirigeantes du PCF, y compris dans les circonstances les plus délicates. La participation gouvernementale communiste en plein programme de « rigueur » socialiste à partir de 1982 trouva en Juquin son propagandiste officiel toujours aussi zélé. Pourtant, s'il avait fallu des rénovateurs faisant écho à la grogne qui commençait à se manifester un peu partout à la base ouvrière du parti, là où les militants avaient de plus en plus de mal à défendre la politique de la direction auprès de leurs camarades de travail, c'était bien à ce moment-là. En bas, à la base, bien des militants contestaient cette participation gouvernementale ou, du moins, trouvaient qu'elle n'avait que trop duré et se sentaient grugés par la politique d'Union de la Gauche. Mais en haut, ceux qui allaient devenir par la suite les rénovateurs, en tenaient imperturbablement pour la participation gouvernementale avec les « alliés » socialistes. La perte de confiance de la base ouvrière en la direction du parti ne les remuait ni ne les troublait, c'est le moins qu'on puisse dire.
Il fallut attendre que la direction du PCF, dans un nouveau virage, en juillet 1984, décide de quitter brusquement le gouvernement socialiste en espérant peut-être ainsi enrayer son déclin électoral tout en se redonnant l'image du « parti des luttes », pour que dans les mois qui suivirent les vocations « rénovatrices » s'éveillent du haut en bas de l'appareil, parmi tous ceux qui se sentaient désormais frustrés des possibilités de la collaboration gouvernementale avec les socialistes.
Juquin lui-même, qui pendant ces trois années, en tant que porte-parole officiel, devint en quelque sorte l'étoile montante d'un Parti Communiste de gouvernement, dut mal se résoudre à voir sa carrière politique reprendre un cours plus obscur, au sein d'un parti en déclin électoral et isolé politiquement. Toujours est-il que c'est dans ces circonstances, après 30 ans de docilité sans faille, que Juquin trouva soudain le chemin de la dissidence et de la rénovation. Voilà pour Juquin.
De son côté, autant la LCR fut tout aussi insensible au trouble de la base ouvière du PC tant qu'il était au gouvernement, autant, avec un certain retard il est vrai, à partir de 1986, elle mit tous ses espoirs dans Juquin et les rénovateurs. Ce retard s'explique.
C'est qu'entre temps, il avait fallu à la Ligue le temps de vivre d'autres amours malheureuses avec les forces de « l'alternative » : la LCR en effet, arguant du déclin du PCF, était allée chercher les forces vives de ce qu'elle appelle la « recomposition du mouvement ouvrier » du côté de ce qui restait des milieux gauchistes non trotskystes d'après 68, un peu fatigués il est vrai, mais plus proches en tout cas de la social-démocratie, du PSU ou du mouvement écologiste, que du PC et des trotskystes eux-mêmes. Mais c'est un critère suffisant pour que la Ligue y voie, à son habitude, une possibilité de « dynamique unitaire ».
Malheureusement, non seulement les forces alternatives en question se révélèrent fantômatiques, mais, même soutenues à bout de bras par les militants de la Ligue, elles ne prisaient pas plus que cela la compagnie de la LCR, sans doute encore trop attachée à leur goût aux « archaïsmes sectaires » du marxisme révolutionnaire (pour reprendre un langage qu'ils affectionnent et partagent d'ailleurs avec les rénovateurs)... Bref, le projet « alternatif » mis sur pied avec tant d'acharnement par la LCR tomba à l'eau, sans même pouvoir présenter de liste nationale aux législatives de 1986.
A peine remise de ses déceptions sentimentales, la LCR s'aperçut de l'existence providentielle du courant rénovateur au sein du PC, et ce furent désormais Juquin et ses amis qui prirent dans son coeur la place de l'Alternative, et furent investis du rôle historique devant lequel celle-ci avait déclaré forfait : être la « force de rassemblement » susceptible de créer une dynamique unitaire « à la gauche de la gauche » ...
Dès lors, la LCR se mit à suivre et à encourager fiévreusement les moindres pas du courant rénovateur. Et c'est avec l'excitation de l'impatience enfin récompensée qu'elle vit dans leur première apparition publique, en février 1987 (lors de la parution d'un manifeste intitulé « la révolution, camarades » ), un « défi historique à tous les communistes, à tous les révolutionnaires » ( ROUGE du 26 février 1987).
C'est avec les mêmes yeux de l'amour qu'elle vit en Juquin, ce vieux routier du stalinisme, nostalgique de la participation gouvernementale par surcroît, l'inspirateur d'un courant « à la gauche de la gauche » qui ouvrait des perspectives inespérées aux trotskystes : « C'est tout un paysage qui se trouve ébranlé. C'est la possibilité de construire un parti révolutionnaire en France qui se pose en termes nouveaux » ! ( ROUGE, même numéro).
Le coup de coeur fut tel, qu'en juin, à l'occasion de son propre congrès, avant même que Juquin lui-même l'ait évoquée, la LCR appela de tous ses voeux une candidature des rénovateurs pour les présidentielles de 1988. Et si, en même temps, Krivine s'empressait de faire officiellement lui-même acte de candidature, ce n'était que pour avoir l'honneur d'autant plus méritoire de se désister en faveur de Juquin quand celui-ci s'y déciderait quelques mois plus tard. Bref, on était en plein amour courtois, et les choses se déroulèrent, du moins du côté de la LCR, telles qu'elle s'y était engagée.
Car bien entendu, comme à chaque fois que la LCR se commet avec un politicien en mal de reconversion, c'est d'amour platonique qu'il s'agit, où la LCR ne demande pas à être payée de retour. Et en la circonstance, comme de juste, tout le romantisme, le dévouement et l'abnégation sont du côté de la Ligue. Juquin, bon prince, se contente quant à lui de se laisser aimer, flatter, désirer (ô combien), brosser et reluire, sans jamais condescendre à discuter programme, plate-forme, accord... ou quoi que ce soit avec la LCR, quand celle-ci, dans une ultime vélléité de montrer à ses propres militants qu'il ne s'agit pour elle que d'influencer Juquin et de l'entraîner dans la bonne voie, en émet timidement le souhait. Tout au plus Juquin laisse-t-il à la Ligue le privilège de servir de base militante à sa campagne électorale, sans rien retouver à redire, accessoirement, à ce qu'elle publie in extenso dans sa presse, les déclarations, textes et interviews multiples du candidat et de ses amis, et à ce qu'elle diffuse activement le tout...
Fort de tant d'assiduités et de preuves de dévouement, et du public limité mais fervent qui va avec, presque doté ainsi d'une nouvelle jeunesse politique, Juquin peut continuer de supputer et calculer ses chances vers d'autres horizons...
Juquin est ce qu'il est : un politicien ayant fait carrière aux sommets du PCF, y ayant appris l'art de justifier tous les retournements. Il lui appartient désormais de tenter un parcours politique pour son propre compte, avec l'art de l'esquive qui semble lui appartenir en propre, en cherchant un point de chute qui se révèlera plus ou moins heureux selon les circonstances, sur le territoire, étroit s'il en est, qui relie la droite du PC à la gauche du PS. Mais ce n'est certainement pas aux révolutionnaires trotskystes de tenter de gauchir un tel parcours, c'est-à-dire, en fait, de nourrir des illusions et de vains espoirs à l'égard des rénovateurs et d'en propager, dans la mesure de leur faible influence, dans les milieux prolétariens qui leur font confiance.
Bien sûr, les camarades de la LCR aiment à répéter en substance « qu'ils ont toujours cherché et dit qu'il fallait trouver des leviers permettant de renforcer la crédibilité d'un pôle révolutionnaire, et que le parti révolutionnaire, ce ne sera pas le produit d'une évolution linéaire de la LCR » , ni bien sûr de LO ou de toute autre tendance du mouvement trotskyste, pourrions-nous ajouter. Seulement, il faut s'entendre sur le choix des « leviers », comme de ses points d'appuis. Et c'est là où nous divergeons, dans nos objectifs fondamentaux comme dans nos appréciations politiques et nos choix tactiques, avec les camarades de la LCR. C'est ce qu'illustrent assez bien d'ailleurs, l'engouement actuel de la LCR pour Juquin d'une part, comme notre propre attitude vis-à-vis des militants du PCF.
Le point d'appui de Juquin, comme tant d'autres de ses prédécesseurs, c'est peut-être bien des choses ou pas grand'chose au sein de l'appareil du PC, parmi ses élus municipaux et régionaux, parmi les intellectuels qui ont prêté un temps ou prêtent encore leur plume au PCF, c'est peut-être un peu de tout au sein comme en dehors du PC lui-même (et on verra si se constitue autour de Juquin un véritable milieu suffisamment nombreux pour être un tant soit peu significatif sur le plan électoral). C'est peut-être un peu de tout, sauf précisément la base ouvrière du Parti Communiste, à laquelle d'ailleurs Juquin et les rénovateurs n'ont jamais cherché à s'adresser.
Et c'est là que la LCR fait une erreur d'estimation politique à l'égard du courant rénovateur (à supposer qu'elle ait pris la peine d'en faire l'analyse) comme dans les possibilités tactiques qu'elle prétend y voir pour les révolutionnaires.
Evidemment, si Juquin, tout politicien et carriériste qu'il est, disposait réellement d'une base ouvrière susceptible de se mobiliser derrière lui, il y aurait incontestablement une opportunité à saisir pour des révolutionnaires et une possibilité de mener une politique de front unique avec Juquin.
Il appartiendrait alors aux révolutionnaires qui font alliance avec Juquin de formuler de façon concrète les aspirations réelles des militants ouvriers qu'il aurait entraînés, tout ce qu'à dessein, en politicien chevronné, Juquin ignore délibérément, laisse dans le vague ou recouvre d'ambiguité. Et ce serait les aspirations mêmes de cette base ouvrière de Juquin qui donneraient la possibilité aux révolutionnaires qui sauraient les exprimer clairement et fermement, soit d'exercer une pression réelle sur Juquin, soit de permettre aux travailleurs communistes de se mobiliser sur les quelques espoirs que Juquin aurait suscités, pour aller d'eux-mêmes plus loin, ou même ailleurs que Juquin ne le veut.
Encore une fois Juquin ne dispose pas de cette base prolétarienne qui seule justifierait une telle tactique. Mais à supposer qu'il l'ait, même dans ce cas, le soutien à la candidature Juquin ne se justifierait pas. Car non seulement il faudrait que Juquin ait une base prolétarienne, mais que les révolutionnaires aient la possibilité et se donnent les moyens de dénoncer clairement auprès de cette base ce qu'est Juquin lui-même. Ce qui précisément ne peut pas se faire au travers d'une élection, et d'une élection présidentielle en particulier, où il s'agit de faire campagne pour un seul homme ! Une telle tactique de front unique ne pourrait se concevoir et se justifier qu'au travers d'une lutte, ou du moins d'un combat militant, mais justement pas dans une élection où ce qui compte est ce qui se dit, rien que ce qui se dit, et où le seul qui se fait vraiment entendre est celui qui se présente.
Même si Juquin, donc, avait cette base qu'il n'a pas, il s'agirait de mener une politique qui se situe à l'opposé de celle que mène la LCR qui se contente de couvrir de sa propre caution ce que dit Juquin, comme ses ambiguités et ses esquives. Et là, ce n'est plus seulement une question d'estimation et d'appréciation politique qui nous sépare, mais une divergence bien plus profonde sur la nature de la politique révolutionnaire.
Bien sûr, en passant, au détour d'une phrase, dans sa presse, ses congrès et ses conférences, la LCR dit bien qu'elle n'est pas d'accord sur tout ce que disent et pensent les rénovateurs, et qu'il y aurait bien des points « à débattre ». Mais le débat (il est vrai que Juquin ne s'y prête guère !), on ne le voit jamais venir, et pour cause. Et à force de voir la LCR affirmer que les « points de convergences sont plus nombreux que les points de divergences », à force de la voir se livrer à une traduction savante des textes et déclarations des rénovateurs susceptible de mettre en valeur les « convergences » en question, on finit pas se demander sur quoi diable la LCR n'est pas d'accord avec Juquin.
C'est qu'à partir du moment où, à son congrès de mai dernier, la LCR avait décidé de militer pour une candidature des rénovateurs « parce qu'il s'agirait de la candidature la plus souhaitable dans la situation actuelle » , elle avait aussi décidé par avance que les convergences primeraient sur les désaccords quoi que disent ou déclarent les rénovateurs. C'est ainsi qu'elle a commencé par se jouer à elle-même une petite comédie : elle rédigea une plate-forme en six points, en vue de cette « candidature la plus souhaitable dans la situation actuelle ». En principe, les propositions formulées dans cette plate-forme auraient dû permettre de vérifier si les points de convergences avec le futur candidat étaient suffisants pour se rallier à une telle candidature. La LCR fut en cela remarquablement prudente, et les propositions de sa plate-forme furent soigneusement rédigées pour que Juquin puisse les faire siennes sans avoir à en souffrir. Ce qui aurait permis à la Ligue, lorsqu'elle se serait ralliée à la candidature Juquin, de dire à ses militants qu'elle ne s'était pas ralliée sans principes.
Peine perdue. A peine Juquin, en octobre, s'était-il décidé à se présenter, qu'il écarta simplement toute idée de plate-forme commune avec la LCR, comme avec qui que ce soit, parce qu'il « n'est pas le candidat d'une organisation, ni d'un groupement d'organisations, mais un mouvement qui est en train de se former » ( « un mouvement en mouvement » , comme l'expliquait un autre dirigeant « rénovateur » interviewé dans ROUGE du 5 novembre).
Dès lors, oubliant même ses semblants de principes, la LCR renonçait aux plate-formes, aux propositions, comme à défendre quoi que ce soit qui lui soit propre, en décidant de soutenir sans condition la candidature de Juquin, et elle demandait à ses militants de se fondre sans autres formalités dans les comités de soutien à sa candidature.
Pour justifier l'ensemble de sa démarche, y compris les abandons successifs de ce qu'elle estime être ses positions de principe, l'argumentation de la LCR est la suivante : il y a un courant Juquin. Ce qui compte, ce n'est pas ce que pense, ce que dit Juquin, ce n'est pas le candidat Juquin. Ce qui compte, c'est ce qui va se passer dans les comités de soutien à sa candidature, et c'est la possibilité, en participant à ce courant, en l'aidant à se structurer, de sortir du ghetto des seules organisations révolutionnaires, ou comme dit la Ligue « de rendre crédible un pôle révolutionnaire » . Car si Juquin obtenait un score important aux prochaines présidentielles, cela pourrait faire un regroupement et permettre la constitution d'un parti « à la gauche de la gauche » .
Tout d'abord, il est faux d'affirmer que ce que dit Juquin ne compte pas ou est secondaire. C'est Juquin qui en tant que candidat va parler et s'exprimer pour tous ceux qui le soutiendront. Ce qui signifie que le peu de crédit dont dispose la LCR ne servira qu'à entraîner son propre milieu derrière un politicien qui n'est jamais qu'un transfuge du stalinisme en marge de la social-démocratie.
Ensuite, prétendre que l'important, c'est ce qui se passe dans les comités de soutien, c'est se moquer des militants de la LCR. Car eux savent trop bien qu'à part eux-mêmes, quelques rescapés de « l'alternative » qu'ils vont chercher par la main et quelques curieux, il n'y a personne dans ces comités de soutien. Et quant à ce qui s'y passe, ils sont bien placés pour constater avec une certaine amertume que pratiquement tout l'effort militant est apporté par la Ligue (y compris dans la recherche des 500 signatures de maires nécessaires à la candidature), et tout cela, pour s'entendre rétorquer par Juquin et ses amis que la LCR ne compte pour rien, elle qui ne fait qu'1 % des voix aux élections...
Enfin, à supposer malgré tout que les espoirs de la Ligue se réalisent, que Juquin fasse un bon score aux présidentielles, et qu'un véritable milieu se cristallise alors autour de lui pour former un nouveau regroupement politique, ce n'est certainement pas à la « gauche de la gauche », c'est-à-dire, pour parler plus clairement que la LCR, à la gauche du PC, qu'il se situera, mais au mieux entre le PC et le PS.
Car même si Juquin réalisait un tel score au détriment de Lajoinie (le candidat officiel du PCF), et du même coup était en situation d'entraîner un peu de monde venant du PC, ce ne serait pas la gauche du PC que Juquin draînerait vers lui, mais le milieu qui au PC tient par-dessus tout à l'union avec le PS. En effet, au sein du PC, parmi ceux qui peut-être auraient pu suivre les rénovateurs mais ne l'ont pas fait jusqu'à présent, il y a un certain nombre d'élus municipaux et régionaux (voire même des ouvriers qui en même temps que des responsabilités syndicales ont des responsabilités municipales - en tant que conseillers municipaux par exemple - comme c'est souvent le cas en province), qui ont mal accepté la rupture de la direction du PC avec le PS, car leur réélection ne peut se faire sans les voix de l'ensemble de l'électorat de gauche. Ces élus communistes tiennent à être réélus aux prochaines élections locales. Tant qu'ils n'étaient pas assurés que Juquin puisse devenir autre chose qu'un courant marginal (qui, jusqu'à présent, ne dépasse pas en ampleur les remous que le PC a connus dans le passé à chacun de ses virages politiques), ils n'avaient aucune raison d'abandonner le PC actuel pour Juquin, c'est-à-dire perdre toute possibilité ultérieure d'être présentés sur les listes locales par un appareil politique suffisamment crédible pour conclure localement des accords avec le PS. Seulement, si le déclin électoral du PC s'accentuait encore, et si Juquin faisait un score comparable à Lajoinie (soit autour de 5 ou 6 % l'un et l'autre), ces mêmes élus communistes et tous ceux qui leur doivent leurs postes et leurs responsabilités (y compris pour certains leurs postes syndicaux !), pourraient estimer que désormais l'étiquette juquiniste pourrait les mettre en meilleure situation de passer des accords avec les notables socialistes locaux. Dans ce cas, en effet, il ne serait pas impossible de voir à nouveau un courant se détacher du PC pour rejoindre Juquin, et réaliser en somme une scission à retardement, sur la droite du PC.
Au meilleur des cas, on aurait alors une sorte de PSU-bis, mais le PSU actuel, même pas celui du temps de la guerre d'Algérie qui avait au moins le mérite de représenter un courant qui critiquait la politique gouvernementale du PS, alors qu'aujourd'hui, il s'agirait d'un courant se détachant du PC, pour revendiquer le retour à la politique gouvernementale du PC !
On a donc plusieurs éventualités.
Ou la candidature Juquin ne fait qu'un score marginal. Le succès de curiosité qu'il aura suscité auprès d'un certain milieu tombera aussi vite qu'il est apparu, et toute l'opération sera une déception de plus pour les militants de la LCR, qui, il est vrai, en ont vu d'autres.
Ou Juquin réussit à faire une petite percée électorale. Mais dans ce cas, l'effet électoral peut très bien n'avoir aucune traduction organisationnelle (surtout si le PC améliore lui-même son propre score), et l'effet Juquin retomber quand même peu après, comme les espoirs de la Ligue...
Ou bien, enfin, les espoirs de la LCR se réalisent, et ces camarades n'auraient jamais contribués, dans la mesure de leurs modestes forces, qu'à créer une organisation dont la base sociale serait à la droite du PC, profondément hostile au communisme révolutionnaire, c'est-à-dire au trotskysme. Dans ce cas, la LCR pourrait bien payer de façon assez douloureuse cette victoire, en se voyant rejeter en tant que telle d'un pareil regroupement (il suffit de voir aujourd'hui la façon cavalière de Juquin de se démarquer, lui, publiquement de la LCR qui pourtant lui apporte toutes ses forces, pour imaginer qu'il n'éprouvera alors aucun scrupule pour l'éjecter), ce qui ne serait pas le pire. Mais, ce qui serait plus grave, elle pourrait en même temps y laisser et y perdre des militants qui trouveraient là l'occasion d'abandonner le trotskysme. Et le moins qu'on puisse dire c'est que la Ligue ne sortirait pas renforcée de l'éventure, ni le « pôle » révolutionnaire qu'elle voudrait incarner, plus crédible.