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France La résistible ascension électorale du Front National
Avec un électorat dépassant depuis 1983 les 10 % du corps électoral dans les élections nationales et réalisant des pointes de 25 %, de 30 % voire au-delà dans diverses consultations locales, le Front National en France apparaît aujourd'hui comme la plus importante formation d'extrême-droite en Europe.
Le Front National n'est pas le seul à s'être renforcé au cours des dernières années - loin de là. Le déplacement du balancier politique vers la droite partout en Europe - et au-delà de l'Europe - se concrétise notamment par des succès électoraux plus ou moins importants pour l'extrême-droite. En Allemagne, l'extrême-droite a recueilli 7,1 % des suffrages lors des élections européennes de 1989. Aux Pays Bas comme en Belgique, elle avait obtenu, respectivement en 1984 et 1988, des résultats significatifs lors d'élections communales ou municipales. En Suède ou en Norvège, c'est encore à l'occasion d'élections municipales que des formations d'extrême-droite frisaient - pour ce qui est de la Norvège, dépassaient - les 10 % des votes. Au Danemark, ce sont les élections au Parlement qui ont permis à un parti d'extrême-droite populiste d'enregistrer 9 % des votes. En Italie, le MSI est présent de longue date sur la scène électorale mais, à en juger par les élections régionales de cette année, il semble être débordé sur son « extrême-droite » par des formations comme la Ligue de Lombardie - qui a réalisé 20,2 % des voix dans sa région - dont la xénophobie virulente ne vise pas seulement les immigrés d'Afrique ou d'ailleurs, mais aussi les Italiens du Sud...
La poussée électorale vers l'extrême-droite n'est donc pas un fait politique spécifique à la France.
En France, cependant, le phénomène est plus marqué et, surtout, plus stable. Il ne s'agit pas d'un mouvement d'humeur de l'électorat.
Existant sous son nom actuel depuis 1972, le Front National n'a été pendant plus de dix ans qu'un groupuscule d'extrême-droite. Même dans des élections locales ou législatives, lorsqu'il présentait des candidats, ses résultats tournaient au plus autour de 2 % ou 3 %. Le Pen lui-même n'avait recueilli aux élections présidentielles de 1974 que 0,74 % des suffrages exprimés.
Et voilà que, lors des élections municipales de 1983 puis, surtout, lors des élections européennes de 1984, le Front National sort de l'anonymat électoral. 10,95 % des voix et 2,2 millions de suffrages aux européennes ! Simple « vote de défiance » dans des élections « sans enjeu », comme le répétaient alors bien des commentateurs ? Mais aux législatives de 1986, le Front National recueille 2,7 millions de voix et 9,65 % des suffrages exprimés. Et comme cette fois - la première et la dernière fois en France pour des élections législatives - ce sont des élections à la proportionnelle, le Front National obtient 35 députés.
Et, depuis, le nombre des votes en sa faveur a continué à osciller, à l'échelle nationale, autour des 10 % des suffrages exprimés, représentant entre 2 et 3 millions d'électeurs. Aux élections présidentielles de 1988, le nombre de votants pour Le Pen a même atteint les 4,3 millions.
1983, l'envolée du Front National, c'est deux ans après l'arrivée au pouvoir de l'Union de la Gauche. Ceux qui, dans la classe ouvrière mais surtout parmi les militants, nourrissaient des illusions à l'égard de la gauche, avaient eu le temps de déchanter. L'accession de Mitterrand à la présidence de la République, la majorité absolue au Parti Socialiste à l'Assemblée Nationale, la présence de ministres communistes au gouvernement, etc. ont bien valu aux travailleurs quelques discours tonitruants en début de règne, une légère augmentation du salaire minimum, le SMIC, mais les choses s'en arrêtèrent là. Puis vint le tournant « réaliste » du gouvernement de l'Union de la Gauche. Le blocage des salaires. Les licenciements massifs dans les secteurs dépendants de l'État. Et en même temps, les versets éhontés des dignitaires socialistes en faveur du profit, de la spéculation boursière, de l'enrichissement des privilégiés. A droite toute ! Le Parti Socialiste, flanqué au début du Parti Communiste, puis débarrassé de ce dernier après qu'il eut rendu les services que Mitterrand attendait de lui, a repris à son compte quelques-uns des thèmes éculés de la droite. En même temps, il reculait sur tout face à la droite, non seulement sur tout ce qui concernait les intérêts de la classe ouvrière, mais même sur tout ce qu'il avait en propre dans son programme : la laïcité et bien d'autres choses.
L'extrême-droite française a poussé sur le même terreau que ses semblables partout en Europe : la stagnation économique, le chômage croissant, le renforcement de la position du patronat et la démoralisation que tout cela entraîna dans la classe ouvrière. Mais le gouvernement de l'Union de la Gauche et sa politique anti-ouvrière ont fertilisé le terreau. Le Pen doit plus à l'Union de la Gauche et sa politique qu'à ses propres talents de démagogue d'être devenu la figure de proue de l'extrême-droite en Europe.
Ce n'est pas qu'une fraction de la classe ouvrière ou des quartiers pauvres ait commencé à s'égarer, dès ce moment-là, du côté du Front National. Ce dernier commença par mordre sur l'électorat traditionnel de la droite, sur ces petits entrepreneurs, ces commerçants, ces artisans, sur cette fraction de la petite bourgeoisie aux réflexes, aux comportements les plus crasses, dont Le Pen exprime tout haut la xénophobie, le racisme, l'anticommunisme viscéral et la haine de « l'égalitarisme », c'est-à-dire de la classe ouvrière. Mais face à ce milieu et à sa pression, la classe ouvrière était silencieuse, ayant à subir elle-même dans ses rangs les effets délétères de cette pression.
Cela fait donc sept ans que le Front National est devenu, sur le plan de l'influence électorale, un véritable parti. Il talonne la droite classique - et dépasse la plupart des formations qui composent cette droite classique. Dans certaines régions, il est même devenu le principal parti de droite. Pour l'instant, un parti purement électoral ayant pour ambition affichée de conquérir le maximum de positions dans le cadre des institutions de la démocratie bourgeoise. Ambition refrénée sur le plan parlementaire depuis la disparition du scrutin de liste et son remplacement par le scrutin majoritaire qui le prive de députés. Mais l'élection à Dreux, en décembre 1989, de la première députée du Front National sous le régime du scrutin majoritaire montre comment le scrutin majoritaire qui défavorisait le Front National tant qu'il était minoritaire par rapport à la droite classique, peut au contraire le favoriser s'il arrive en tête.
Malgré les origines de son noyau dirigeant, dont une partie avait été formée dans le cadre de groupuscules fascisants, le Front National n'a pas accompagné jusqu'à présent son activité politique par des actions violentes systématiques. Il ne cherche pas- ou pas encore - à agir dans la rue, ni contre les travailleurs en général, ni contre les travailleurs émigrés en particulier, ni contre les militants de gauche ou d'extrême-gauche. Il persiste à affirmer que sa stratégie est purement parlementaire. Et, pour l'instant, ses actes visibles correspondent à la stratégie affirmée. Le gaullisme du RPF ou le poujadisme, représentaient en leur temps une menace physique plus immédiate contre les travailleurs et les militants de gauche.
Mais même en tant que « simple » phénomène électoral, l'importance prise par le Front national reflète la progression des idées réactionnaires. Les élections constituent un thermomètre. Ce thermomètre montre ce qui se passe dans les têtes et les consciences d'une partie de la petite bourgeoisie, mais aussi parmi un certain nombre de travailleurs les moins conscients ou les plus démoralisés.
La durée même des succès électoraux du Front National devient un facteur politique. Pas seulement parce que, au travers de diverses élections, municipales, cantonales, le Front National conquiert des positions - ou plus fréquemment encore, amène des notables de droite à rejoindre le Front National et à afficher ouvertement des opinions qu'ils gardaient auparavant pour eux-mêmes. Mais parce que, justement, les idées réactionnaires, anticommunistes, anti-ouvrières, la xénophobie et le racisme, l'idée qu'il y a trop de laxisme et qu'il faudrait un régime d'ordre, font leur chemin. Ceux qui s'en revendiquent les brandissent désormais bien haut, sans nécessairement trouver des contradicteurs.
La progression de ces idées, conséquence en fin de compte de l'évolution du rapport des forces entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, devient elle-même un des éléments de ce rapport de forces. La pression sociale, à droite, pèse sur l'opinion d'une classe ouvrière d'autant plus désorientée que les partis qui prétendent la représenter n'ont nulle perspective crédible à offrir, qu'ils se sont déconsidérés et que, de surcroît, pour ce qui est en tout cas du Parti Socialiste au gouvernement, ils cèdent devant la pression de la droite et de l'extrême-droite.
Un des aspects les plus significatifs de la situation est précisément à quel point Le Pen et le Front National pèsent sur la caste politique. Tout se passe pour l'instant dans le théâtre d'ombres parlementaire - mais ce qui s'y passe montre à quel point tous ces politiciens libéraux, voire prétendument socialistes, sont pleutres face à l'extrême-droite, alors même que celle-ci ne manie pas ou pas encore, les gourdins, mais seulement ses scores électoraux.
Pour la droite dite libérale, par ailleurs éclatée et en proie à une guerre de chefs, l'attitude à l'égard du Front National peut être objet de polémiques tactiques ou de déclamations, mais sur un fond d'alignement croissant sur les positions du Front national. Au point que Le Pen a pu, récemment, à propos des gestes faits par Giscard en direction de l'électorat lepéniste, ricaner sur l'ex-président de la République « qui préfère être élu sur mes idées que d'être battu sur les siennes. »
Mais il n'y a pas que la droite libérale qui s'aligne sur l'extrême-droite en frétillant dans tous les sens pour freiner, sans succès, le grignotage de ses positions électorales par le Front National. La gauche gouvernementale, tout en prétendant faire de « la lutte contre le racisme » son cheval de bataille, recule en abandonnant même les quelques mièvreries pseudo-humanistes qui lui tenaient lieu d'idéologie face à la droite et l'extrême-droite.
La gauche et la droite se livrent depuis plusieurs mois à une sorte de duo, tantôt à contretemps, tantôt à l'unisson, pour mettre « le problème posé par l'immigration » au centre de la vie politique. La gauche gouvernementale aura contribué tout autant que la droite à cette propagande autant insidieuse qu'abjecte qui consiste à affirmer tranquillement que ce sont les travailleurs immigrés qui posent un problème (les travailleurs, car comme chacun sait, les milliardaires étrangers, les ex-dictateurs déchus style Duvalier, les émirs du pétrole vivant sur la Côte d'Azur ne sont pas des immigrés et ne sont pas concernés par ce débat). Manière de dire que les responsables de la montée du racisme, ce sont les travailleurs émigrés eux-mêmes - par leur seule existence peut-être ! - et pas la démagogie permanente du Front national ! Le « socialiste » Laurent Fabius, alors premier ministre fraîchement émoulu, poussait cette complaisance de ses congénères à l'égard du Front National et de ses idées jusqu'à dire que le mouvement lepéniste posait à propos de l'émigration « les vraies questions », même s'il y apportait de « fausses réponses ». Hypocrisie « socialiste » oblige, les dirigeants du PS ne s'en prenaient pas « aux immigrés » en général... » mais « aux immigrés clandestins ». Ce n'est tout de même pas de leur faute si on ne peut pas distinguer, à leur figure, les « bons » émigrés des « mauvais » et si, en conséquence, les contrôles policiers, les mesures vexatoires se multiplient pour tous. En reprenant à son compte une « politique de fermeté à l'égard de l'immigration clandestine » , et les expulsions expéditives, le gouvernement « socialiste » a largement apporté sa part dans la création d'un climat fortement teinté de racisme où chaque individu au faciès maghrébin ou à la peau noire est virtuellement un immigré, et où chaque immigré est virtuellement un immigré clandestin susceptible des rigueurs de la loi, de la police et pourquoi pas de l'opinion publique. Le Pen, avec son racisme étalé, n'avait qu'à engranger à son profit cette propagande insidieuse, en se payant le luxe de paraître moins faux-jeton que les faux antiracistes de la gauche gouvernementale.
Si donc la xénophobie et le racisme ont acquis droit de cité, c'est très exactement pour les mêmes raisons et par les mêmes mécanismes que l'exaltation du profit, de l'enrichissement et de la propriété privée ; parce que la gauche gouvernementale elle-même a repris ces idées, les a véhiculées, en les édulcorant, ou encore en les exprimant seulement de façon un peu plus hypocrite que l'extrême-droite.
Le gouvernement vient de renoncer définitivement au seul point sur lequel son programme à l'égard des travailleurs émigrés se distinguait des positions de la droite : la promesse d'accorder le droit de vote aux émigrés dans certaines élections locales. Mais avant même cette reculade lamentable, Mitterrand a repris à son compte l'idée que « le seuil de tolérance » des travailleurs émigrés a été atteint. Mitterrand sait évidemment que le nombre de travailleurs émigrés en France n'a pas augmenté depuis de longues années. Il sait également que si ce nombre se maintient, c'est-à-dire si des départs sont compensés par des arrivées, c'est parce que, dans bien des secteurs de l'économie, les capitalistes ne peuvent tout simplement pas se passer d'une main d'oeuvre mal payée, aux conditions plus précaires encore que celles des travailleurs français, même ceux qui sont en contrat précaire. Mais brandir le « seuil de tolérance », c'est évidemment alimenter, renforcer la xénophobie ; mais c'est aussi amener de l'eau au moulin de Le Pen. Le gouvernement socialiste dans son ensemble se fait aujourd'hui gloire de sa « fermeté » à l'égard de l'immigration. Quel hommage à Le Pen, qui aurait donc eu raison avant tous les autres !
Le Parti Socialiste trouve les moyens de faire des concessions aux idées réactionnaires, c'est-à-dire, à la droite et à l'extrême-droite, même lorsqu'elle fait mine de réagir contre certaines manifestations de ces idées. C'est dans une unanimité touchante que la gauche et la droite ont appelé à une manifestation commune contre l'antisémitisme après la profanation du cimetière de Carpentras. Passons sur la sélectivité de l'antiracisme de cette gauche gouvernementale, restée silencieuse après chacun des meurtres racistes contre des travailleurs émigrés - et il y en a eu plusieurs dizaines - même et surtout lorsque tel ou tel de ces meurtres ont été le fait d'une police dont le ministre est un socialiste. Mais la base politique de cette union entre la gauche et la droite était que la manifestation devait rester silencieuse... alors que sa tête était constituée de dignitaires religieux. Le « laïc » Parti Socialiste n'a pas d'autre rempart à proposer à la montée des idées réactionnaires que le cardinal Lustiger, le grand rabbin ou le muphti de la mosquée de Paris...
La poussée réactionnaire que les votes en faveur du Front national expriment sur le plan électoral se manifeste dans une multitude d'aspects de la vie sociale. Tout cela crée un climat, pèse sur la conscience de la classe ouvrière. La pression de la petite bourgeoisie réactionnaire sur la classe ouvrière est pour l'instant politique et morale. Elle s'exerce dans le sens de créer, d'aggraver des clivages au sein de la classe ouvrière ; de dresser des travailleurs d'origine française contre les travailleurs émigrés ; de dresser des travailleurs du privé contre les travailleurs dépendant de l'État ; de dresser les chômeurs contre les « privilégiés » qui ont du travail, etc.
La fraction de la petite bourgeoisie qui véhicule ces idées, se contente pour l'instant de propos de bistrots... et de votes en faveur de Le Pen. La violence, lorsque, sporadiquement, il y en a, est le fait d'individus plus ou moins paumés ou excités, pas de masses. Pour la petite bourgeoisie, globalement, la situation économique n'est pas mauvaise. A sa façon, elle touche quelques retombées de l'enrichissement de la bourgeoisie obtenue par l'abaissement du niveau de vie de la classe ouvrière. Elle est encline à considérer que c'est l'ordre normal des choses et qu'en conséquence, des réactions de travailleurs pour se défendre, surtout s'il s'agit de travailleurs émigrés - ou de ces « fainéants de fonctionnaires » - constituent une atteinte à l'économie et avant tout, à leurs économies. Mais elle préfère exprimer ces idées, et quelques autres insanités réactionnaires, en mettant un bulletin dans l'urne plutôt que de risquer de prendre des coups. La masse des Dupont-la-Joie devient plus bruyante, mais elle préfère s'en remettre à Le Pen, qui a le double avantage d'exprimer toutes les insanités réactionnaires qu'elle aime entendre, sans lui demander de mettre la main à la pâte. Elle n'éprouve pas le besoin de prendre elle-même son sort en main et la crise ne la met nullement dans une situation difficile au point d'éprouver ce besoin.
Cela peut changer. La crise peut s'aggraver, atteindre la petite bourgeoisie. Le travail préparatoire de l'extrême-droite aura alors été fait. Il aura orienté politiquement cette petite bourgeoisie en lui donnant des cibles à frapper, le jour où elle sera poussée à frapper. Et les reculades et les reniements sur le théâtre d'ombres parlementaire d'aujourd'hui anticipent sur ce qui pourrait se passer demain sur la scène sociale.
Et puis, on ne doit pas sous-estimer les aspects internationaux des choses. La situation économique qui n'est pas dramatique en France - et plus généralement, dans les pays les plus riches - peut le devenir et l'est déjà dans une certaine mesure, dans l'Est de l'Europe, désormais réintégré dans le giron de l'occident capitaliste. Avec le passé stalinien qui a déconsidéré le communisme ; avec le nationalisme ambiant, le risque d'émergence de bandes d'extrême-droite agissantes n'est pas une hypothèse d'école. Si cela était, cela encouragerait ceux qui, en France, ont les même tentations.
Il serait nécessaire pour la classe ouvrière de se préparer à cette éventualité. Non pas en menant aujourd'hui les combats de demain, mais au moins, en menant ceux d'aujourd'hui. D'abord, en défendant ses conditions d'existence, tout simplement. La classe ouvrière a besoin de reprendre confiance en elle-même, en sa propre capacité de se défendre, pour empêcher que ses éléments les plus faibles, ou les plus mal placés - les chômeurs par exemple - cherchent un exutoire du côté des charlatans d'extrême-droite. On ne peut pas combattre l'ombre électorale d'un rapport de forces entre classes par des réactions électorales. Le slogan « voter pour la gauche pour faire barrage au Front National » est une stupidité. En outre, c'est faire peu de cas de la responsabilité du Parti Socialiste, de ses ministres et de ses députés, dans la situation matérielle et morale de la classe ouvrière (comme c'est faire peu de cas de la responsabilité du Parti Communiste d'avoir promu, cautionné le Parti Socialiste)
La montée du Front National est un fait politique. La classe ouvrière devrait s'y opposer sur le terrain politique. Ceux qui tirent précisément argument de la montée du Front National et du danger que la propagation des idées réactionnaires constituent pour toute la société, pour prêcher à la classe ouvrière « l'unité de tous contre le Front National », pour lui prêcher d'oublier - ou de ne pas réapprendre - la lutte de classe au profit de la « lutte contre le racisme », trompent les travailleurs. L'unité de tous dans la « lutte contre le racisme » signifie dans les conditions actuelles l'alignement des travailleurs derrière ces prétendus antiracistes que sont Chirac, Pasqua ou même ce Rocard qui, pour justifier sa pression croissante sur les travailleurs immigrés, va en répétant que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Il se peut que, la situation économique se maintenant sans s'aggraver, le Front National s'ajoute seulement et se substitue partiellement, pour une période, aux partis de droite plus anciens et passablement usés. On en a vu d'autres - y compris dans des périodes où existaient des partis ouvriers dignes de ce nom. Mais si le Front National devait se révéler le fourrier d'un futur parti fasciste, la classe ouvrière ne pourrait absolument pas compter sur des « antiracistes » comme ceux qui occupent aujourd'hui le devant de la scène. La seule question qui a un intérêt est celle de savoir avec quelle rapidité une fraction au moins de la classe ouvrière retrouvera sa conscience politique pour opposer ses propres valeurs aux idées réactionnaires d'une extrême-droite encore purement électorale ; et sa combativité pour s'opposer physiquement à une extrême-droite qui serait tentée d'exercer la violence contre la classe ouvrière ou une de ses composantes. En d'autre termes, avec quelle rapidité la classe ouvrière retrouvera la conscience de ses intérêts de classe et renouera avec ses méthodes d'action de classe.
22 juin 1990