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Espagne : rien de changé après les élections du 22 juin
Les dernières élections générales en Espagne, du 22 juin 1986, se sont déroulées sans passion, et n'ont pas apporté de surprise : le Parti Socialiste (PSOE) reste après quatre ans de pouvoir le parti de loin le plus influent électoralement.
Avec 8,8 millions de voix et 44 % des suffrages exprimés, il obtient 184 sièges de députés - c'est-à-dire largement la majorité absolue - laissant loin derrière, la droite de Fraga (5,2 millions de voix, et 26 % des suffrages), le centre de Suarez (1,8 million de voix, et 91%) et Izquierad Unida, la Gauche Unie autour du PCE et du PCPE (Parti Communiste des Peuples d'Espagne, pro-soviétique) qui obtient 930 000 voix, 4,1 % des suffrages exprimés.
Le PSOE a bien sûr perdu 1,2 million de voix par rapport à son score de 1982. Il a notamment perdu beaucoup de voix dans les grandes agglomérations et dans les régions ouvrières. A Madrid par exemple, il passe de 52,87% des suffrages exprimés à 40,89 %, perdant 183 156 voix. Il perd aussi plus que sa moyenne national dans d'autres grands centres industriels, comme Valence, Barcelone et les Asturies. La seule région où le PSOE: gagne en voix et en pourcentage, c'est en Galice, la région qui vote traditionnellement le plus à droite. Le PSOE reste derrière la droite dans cette région, mais passe de 426 469 voix à 456 247 (soit environ 30 % des suffrages et y gagne deux sièges de députés.
L'abstention a considérablement augmenté, le nombre des abstentionnistes est passé à 8,4 millions, soit 3 millions d'abstentions en plus qu'en 1982. Il est vrai que pour la première fois le vote a eu lieu un dimanche. Jusqu'ici les élections se déroulaient en semaine, avec le temps de vote payé par l'employeur. Mais le changement du jour de vote est loin d'expliquer entièrement la forte montée des abstentions. Là où le PSOE perd le plus de voix, l'abstention augmente d'une manière parallèle, et incontestablement une partie des mécontents s'est réfugiée dans l'abstention. Sûrement d'autant plus facilement que le PSOE était donné gagnant d'avance.
A Madrid, par exemple, l'abstention augmente de 12 %, passant de 14, 9% à 26,9 %. A Barcelone elle augmente de 13,8 % passant de 17,13 % à 30,90 %. Sur Madrid l'abstention est sensiblement plus forte dans les quartiers ouvriers (San Blas: 29,8 %, Vallecas: 28,1 % Villaverde: 27,9 %) que dans les quartiers bourgeois (Retiro : 25,1 % Il et Moncloa : 25,6%). Il semble donc qu'une partie de l'électorat populaire du PSOE se soit abstenue dans les quartiers et les régions votant traditionnellement à gauche.
La principale formation de la droite, la Coalition Populaire de Fraga Iribarne n'a pratiquement pas réussi à progresser par rapport aux élections de 1982, ce que toute la presse - et les co-listiers de Fraga ! - ont considéré comme un échec personnel de l'ancien ministre franquiste.
L'ancien président du gouvernement de la période de transition, Suarez, dont la formation avait été marginalisée en 1982 (où elle avait obenu 2 % des voix) en faisant une campagne marquée à gauche et en direction des nouveaux électeurs (il avait mis par exemple dans son programme, la réduction du service militaire à trois mois) espérait bien récupérer une partie de l'électorat socialiste. Il a partiellement atteint son objectif, puisqu'il gagne 1,2 millions de voix. A Madrid il gagne 250 000 voix, passant de 4 à 14% obtenant de bons résultats dans les quartiers populaires. Dans la compétition au centre il fait ainsi figure de vainqueur au détriment de Roca qui bénéficiait pourtant de l'appui manifeste des banques. Ses listes, dans la grande majorité des provinces, ont en effet obtenu moins de 1 % des voix.
L'augmentation des abstentions et la montée de Suarez montrent que toute une partie de l'électorat a été mécontenté par la politique des socialistes. Mais rien n'indique dans ce vote une quelconque radicalisation de la classe ouvrière. Bien au contraire, c'est plutôt l'indifférence qui aura marqué ces élections
Et les sept millions d'électeurs qui avaient dit non à l'OTAN deux mois avant, n'étaient visiblement pas des électeurs radicalisés et prêts à se regrouper. Le PCE a essayé d'en gagner le maximum en se présentant avec une partie de ceux qui avaient été actifs dans la campagne anti-OTAN, et surtout avec le PCPE au sein de la coalition Izquierda Unida. Le succès a été réduit, et Izquierda Unida ni que faiblement dépassé le score très bas du PCE en 1982 (4,6 % contre 4,13 % des voix en 1982). Même si on y ajoute les 1,12 % des voix obtenues par les listes dissidentes de l'ancien secrétaire général du PCE Carillo (qui, au nom de l'Unité des Communistes faisait cavalier seul, et a manqué son opération en ne réussissant pas à se faire élire), les perspectives parlementaires des différents tronçons du Parti Communiste espagnol sont toujours aussi sombres. D'autant plus que le regroupement constitué à l'occasion des élections a provoqué bien des tiraillements du côté du PCPE pro-soviétique (qui a d'ailleurs présenté ses propres listes, sans succès, dans le traditionnel bastion communiste qu'était la Catalogne). Et rien n'indique que « l'unité » se prolongera bien longtemps.
Les 7 millions de votes anti-OTAN ne se sont pas non us reportés sur l'extrême-gauche (même en faible partie).
Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs, groupe espagnol lié à la LIT) qui se présentait dans 43 circonscriptions sur 52, a obtenu 78 860 voix (0,39%), c'est-à-dire un score très faible, en baisse par rapport à son score de 1982 (0,49%).
La LCR (section espagnole du Secrétariat Unifié) a déterminé à sa façon sa politique dans ces élections en fonction des alliances tissées pendant la campagne anti-OTAN. Elle appelait à l'abstention, alliée au MC (Mouvement Communiste, courant populiste issu du maoïsme). L'augmentation du nombre des abstentions amènera peut-être ces organisations à croire qu'elles viennent de remporter un succès. Pourtant, cette orientation abstentionniste a amené la LCR a être pratiquement absente de cette campagne électorale. Elle a renoncé à s'adresser aux travailleurs, avec les moyens - même limités - que lui aurait donné la participation électorale, pour flatter les préjugés anti-électoralistes de la « mouvance » pacifiste, écologiste, et féministe du mouvement anti-OTAN vers laquelle elle a choisi de se tourner.
Ce qui ne l'a pas empêché au Pays Basque (où le PST présentait une liste qui ne cachait pas ses critiques de la politique du PSOE et se démarquait au nom de l'internationalisme du nationalisme radical d'Herri Batasuna) de faire campagne pour les listes d'Herri Batasuna (le porte-parole politique de l'ETA militaire).
La seule région où l'on puisse parler d'une certaine radicalisation de l'électorat, mais sur le terrain nationaliste, c'est sans doute justement le Pays Basque, où Herri Batasuna est passé de 210 000 voix à 231 558. Ce gain de 20 000 voix, alors que l'abstention a été forte, et que le PSOE et le Parti Nationaliste Basque (nationalistes modérés) perdent des suffrages, font passer Herri Batasuna de 2 à 5 députés. Cette montée de Herri Batasuna est peut-être en outre liée au réflexe de solidarité à la suite de la mort en prison d'un militant de l'ETA et des violents matraquages qui ont eu lieu lors de son enterrement, à Bilbao, une semaine avant le scrutin.
Dans l'ensemble, ces élections Espagnoles que Felipe Gonzalez avait convoquées quatre mois avant la date prévue pour profiter de son succès au référendum sur l'OTAN n'ont fait que confirmer le rôle dominant du PSOE, sur le plan électoral, qui continue à drainer l'immense majorité des suffrages des travailleurs.
Il est vrai qu'il n'existe aucune force capable d'ouvrir à la classe ouvrière espagnole une autre perspective que la perspective électorale, car les différents courants issus du Parti Communiste, chacun à leur manière, n'ont d'autre, but que d'essayer de rivaliser sur ce terrain-là avec la social-démocratie (et avec le succès que l'on a vu!). Et l'extrême-gauche est non seulement trop faible, mais encore - pour certaines de ses composantes - bien trop soucieuse de plaire à d'autres couches sociales.