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Canada Le succès électoral du Nouveau Parti Démocrate
Le 20 novembre dernier, le Nouveau Parti Démocrate canadien, qui se présente comme un parti travailliste social-démocrate, formait le gouvernement de la province d'Ontario au Canada. Avec 38 % des voix, il avait remporté 74 des 130 sièges du parlement provincial lors des élections du 6 septembre. Les libéraux, au pouvoir depuis 1985, avaient recueilli 32 % des voix et 36 sièges. Quant aux progressistes-conservateurs, qui détiennent le pouvoir au parlement fédéral et qui avaient dirigé la province d'Ontario de 1943 à 1985, ils avaient recueilli 23 % des voix et 2O sièges. Les 7 % restants étaient allés à quatre petits partis, dont les Verts.
Le NPD a déjà été au pouvoir dans d'autres provinces, celles de l'ouest rural, mais jamais encore en Ontario qui, avec 40 % de l'industrie et 35 % de la population, est la plus importante province du Canada. L'Ontario et le Québec, dominé quant à lui par des partis favorables à un Québec séparé, concentrent les deux tiers de la main-d'oeuvre canadienne.
C'est aussi la première fois que la majorité des élus du NPD sont des nouveaux venus en politique. Parmi ses 73 députés, on compte 21 syndicalistes ouvriers, 4 syndicalistes employés, plusieurs artisans (menuisiers, plombiers, etc), des infirmières, un responsable de foyer pour femmes battues, un responsable de l'équivalent des Restaurants du Coer, des militants écologistes ainsi que des ménagères, des étudiants et des enseignants. Il n'y a qu'une poignée d'avocats, professeurs ou autres membres des professions libérales.
La presse bourgeoise du Canada et des États-Unis avait vigoureusement réagi au dernier discours pré-électoral de Bob Rae, le leader du NPD, qui déclarait : « Le capitalisme est fondamentalement limité... Il produit la richesse et la pauvreté, la performance technologique et le désastre écologique, le succès personnel pour quelques-uns et l'oppression et la faillite pour le plus grand nombre. » Le Toronto Globe and Mail se disait préoccupé de voir le nouveau gouvernement de l'Ontario aux mains de « non-professionnels ». Le Wall Street Journal disait du NPD qu'il était « un des partis socialistes les plus farfelus du monde développé » et que « sa politique économique est celle d'un paysan d'Europe centrale du milieu du 15ème siècle. » Dans les jours qui ont suivi l'élection, le dollar canadien perdait 10 % par rapport au dollar américain.
Pourquoi est-ce l'outsider qui a remporte la victoire ?
Personne ne s'attendait à une victoire du NPD, ou même à un bon résultat de sa part. Son succès a été le révélateur du mécontentement grandissant de la classe ouvrière canadienne ainsi que d'une partie des classes moyennes, mécontentement dû aux conséquences sur le niveau de vie d'une situation économique qui se dégrade, ainsi qu'à la domination apparemment de plus en plus grande des États-Unis sur le Canada.
Ces quinze dernières années, la classe ouvrière canadienne, comme celle des États-Unis, a vu son niveau de vie diminuer. Mais, contrairement à ce qui s'est passé aux États-Unis, au Canada le recul a été principalement lié à l'inflation (et non à une série de « concessions » imposées directement aux travailleurs). Au début de cette période, les grandes sociétés canadiennes - dont la plupart sont des filiales de sociétés américaines - ont bien essayé d'appliquer au Canada la même politique de « concessions » qu'aux États-Unis. Mais la réaction des travailleurs canadiens a été vive et la plupart des « concessions » qui étaient imposées aux États-Unis n'ont pas pu l'être, ou du moins pas de manière aussi ouverte, au Canada. Par contre, l'inflation, qui est bien supérieure au Canada à ce qu'elle est aux États-Unis, a réussi à produire le même résultat que les « concessions » à la même époque aux États-Unis : une diminution du niveau de vie, accompagnée d'attaques de la part du gouvernement contre les systèmes de protection sociale, sous prétexte de résoudre les problèmes budgétaires posés par l'inflation.
En 1989, au Canada, le nombre de grévistes a été le deuxième plus faible de la décennie. Mais à partir de l'été 1990, on a vu une augmentation considérable du nombre de grèves et de grévistes qui ont fait de 1990 l'année record de la décennie dans ce domaine. Plus de la moitié de la sidérurgie canadienne, qui se trouve essentiellement en Ontario, était encore paralysée fin décembre suite à une grève commencée le 1er août. Il y a aussi eu de longues grèves de mineurs qui ont commencé dans le nord de l'Ontario en mai et dans la province du Nouveau-Brunswick en juin. D'autres grèves importantes dans la région du Cap Breton (province de Nouvelle-Ecosse) en août, se sont étendues à Terre-Neuve et à l'Ontario en septembre. Il y a eu encore une grève chez Ford et dans d'autres usines d'automobiles en Ontario. Les employés canadiens de Greyhound et d'Eastern Airlines sont aussi en grève, comme leurs collègues américains, depuis plus d'un an.
Il est probable que c'est cette situation sociale qui a permis au NPD de prendre la tête du gouvernement en Ontario alors qu'il n'y avait jamais eu un seul représentant. La question se pose donc aujourd'hui de savoir ce que la classe ouvrière peut attendre du NPD maintenant qu'il dirige le plus important gouvernement provincial de tout le Canada.
Pas de quoi faire tant de bruit
Lors de sa campagne de 1990, le NPD proposait « Un programme pour le peuple » (dont il était fier de dire qu'il était imprimé sur papier recyclé). Il y promettait de « redistribuer la richesse » ; concrètement, il parlait d'instaurer un impôt minimum obligatoire sur les sociétés, de supprimer l'impôt sur le revenu des plus pauvres, d'augmenter les contributions des riches ainsi que l'impôt sur les successions. Il y proposait aussi « l'application d'une charte des droits concernant l'environnement ». Concrètement, cela signifiait interdire toute nouvelle construction de centrale nucléaire. Et il promettait de renverser la tendance actuelle de privatisation des entreprises d'État ou des services publics.
Le NPD avait encore toute une série de promesses, pour chaque catégorie de la population ou presque : maintien du droit à l'avortement, extension du réseau de crèches et application à toutes les catégories de travailleuses de la récente loi sur le salaire égal ; lutte contre la spéculation foncière, création d'une taxe élevée sur les opérations immobilières, un contrôle des loyers plus strict de manière à mettre fin aux évictions spéculatives, construction de 20.000 logements sociaux ; prêts à faible taux d'intérêt pour ceux qui désirent accéder à la propriété, pour les petits agriculteurs ou les petites entreprises ; déblocage d'un milliard et demi de dollars pour l'éducation.
Enfin, le NPD promettait de s'opposer à l'application du nouveau Traité de Libre Echange signé avec les États-Unis ainsi qu'à toute prise de contrôle de services publics par des capitaux étrangers. En fait, le NPD a fait de son opposition au Traité de Libre Echange l'axe principal de sa campagne. Jusqu'au 1er janvier 1989, date de la mise en application du traité, il y avait une loi canadienne imposant à toute société étrangère souhaitant vendre des automobiles, des pièces détachées ou tout autre produit de l'industrie automobile au Canada, de faire fabriquer dans ce pays des produits pour une valeur équivalant à 60 % de ce qu'elle y vendait. Cette loi explique sans doute en partie le fait que la balance commerciale du Canada avec les États-Unis soit positive. En tout cas, les syndicats y voyaient une garantie légale favorable à la protection des emplois. Le Traité de Libre Echange a abrogé cette loi.
En résumé, le programme électoral du NPD n'était guère plus qu'une liste des problèmes courants, accompagné d'un catalogue de promesses. Ce n'était pas un programme se situant du point de vue de la défense des intérêts des travailleurs, pas plus que ne le sont, aux États-Unis, les belles promesses électorales faites par l'aile libérale du Parti Démocrate.
Le NPD est apparu plus radical, en paroles, pendant sa campagne que ne le sont les démocrates libéraux des États-Unis - ou peut-être a-t-il simplement fait preuve d'une plus grande imprudence. Mais après tout, il ne s'attendait nullement à remporter les élections. Mais une fois la victoire acquise, la direction du parti a vite changé de langage. La plupart des commentateurs bourgeois ont d'ailleurs commencé à noter ce changement de ton environ une semaine après les élections et sont vite revenus de leurs attaques hystériques du début.
Rae lui-même a tout fait pour les guérir de leur hystérie initiale. Deux jours après les élections, il s'est précipité à Wall Street pour y rassurer les financiers américains, revenant par exemple sur son opposition au Traité du Libre Echange car, disait-il, ce traité ayant été négocié par le gouvernement fédéral, un gouvernement provincial n'avait pas le pouvoir de le modifier. Avant même d'être nommé officiellement Premier ministre, il a négocié un accord avec une société britannique désireuse d'acheter le plus important service public d'Ontario et il a clairement laissé entendre que les lois de la province lui interdisaient de s'opposer à la construction de nouvelles centrales nucléaires.
Ainsi, quand le NPD est arrivé au gouvernement, le 20 novembre, le dollar canadien avait-il eu le temps de retrouver son niveau antérieur. Dans son « Discours du Trône » (le discours inaugural traditionnel), Rae a tout fait pour rassurer la bourgeoisie - tant canadienne qu'américaine. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il a laissé de côté la plus grande partie du « Programme pour le peuple ». Au chapitre de la « redistribution de la richesse » par exemple, il a proposé de créer une « Commission pour la justice fiscale » chargée de faire... une « étude » des problèmes posés par le système actuel.
Comme les discours de Rae l'ont montré, le NPD n'hésite pas àadopter un ton très militant quand il s'agit de mettre en accusation le capitalisme avant les élections. Ce parti continue d'ailleurs à se réclamer du socialisme et est affilié à l'Internationale Socialiste. Mais cela signifie simplement que son modèle de socialisme est celui du Parti Socialiste de Mitterrand ou du Parti Travailliste de Neil Kinnock.
Un parti construit par des paysans... et quelques socialistes
Le NPD tel qu'il existe aujourd'hui s'est constitué en 1961. Mais il est l'héritier d'une tradition remontant aux années 30, la tradition populiste des provinces rurales de l'ouest canadien. C'est dans les années 30 en effet qu'a été créé le CCF (Cooperative Commonwealth Federation), issu de la fusion de l'Independent Labour Party, créé par des ouvriers socialistes venus de Grande-Bretagne, et de diverses organisations paysannes. Lors de son premier congrès tenu à Regina en 1933, le CCF affirmait dans son manifeste que son objectif était l'établissement d'une « confédération socialiste » basée sur la « démocratie parlementaire ». Il préconisait la propriété collective de l'industrie, des banques ainsi que des services nécessaires aux agriculteurs. En même temps, le CCF expliquait qu'il ne désirait pas limiter son action à certains « groupes professionnels », qu'il voulait au contraire devenir une « fédération de professions », autrement dit le parti des paysans, des travailleurs et des petits entrepreneurs.
Malgré ses références programmatiques à une « confédération socialiste », dès le début le CCF/NPD a été un parti populiste cherchant à réconcilier des intérêts de classe divergents, plutôt qu'un parti se situant clairement du côté de la classe ouvrière et défendant ses intérêts. Rien dans la suite de l'histoire de ce parti ne devait en changer fondamentalement la nature, même si, par la suite, les syndicats devaient y jouer un rôle de plus en plus important.
Dans les années 30, les provinces de l'ouest fourmillaient d'organisations populistes dont un grand nombre se rangèrent sous la bannière du CCF. Rapidement, le CCF devint un parti important dans les quatre provinces de l'ouest. Il remportait les élections à diverses reprises en Alberta, en Colombie britannique (qui possède une industrie en plus d'une agriculture importante), au Manitoba et restait pratiquement sans interruption au pouvoir au Saskatchewan après la Seconde Guerre mondiale. Une autre province où le CCF réussit à s'implanter fut l'Ontario qui connaissait aussi un développement important des organisations paysannes de type populiste dans les années 30 et 40, parallèlement à un développement important des syndicats. Mais ni le CCF, ni le NPD n'ont pu s'implanter de manière significative dans les provinces de la côte Est (sauf en Nouvelle-Ecosse), non plus qu'au Québec francophone.
En 1956, en pleine guerre froide, et alors que le Canada subissait le contre-coup de l'anti-communisme qui sévissait aux États-Unis, le CCF publiait un nouveau programme, la « Déclaration de Winnipeg », où il se disait favorable à une économie « mixte ». Cela faisait un moment déjà qu'il ne parlait plus de « confédération socialiste ». Et là où il était au pouvoir, il se gardait bien de parler d'étatisation et encore moins de la réaliser... Mais par sa déclaration de 1956, ce parti rendait son soutien au capitalisme encore plus explicite.
Le NPD peut toujours se réclamer de la tradition de la social-démocratie européenne. Mais le CCF/NPD n'a même jamais été ce qu'ont été les partis social-démocrates, du moins à leur début : des partis ayant un programme de classe, réellement socialiste, un programme de transformation de la société. Dès sa naissance, le CCF/NPD a été social-démocrate au sens où la social-démocratie a été, depuis au moins la Première Guerre mondiale, un parti défendant les intérêts de la bourgeoisie sous une rhétorique de gauche.
Le NPD n'a réussi à utiliser son influence que pour faire accepter au Canada diverses réformes sociales existant dans d'autres pays industrialisés. Dans les années 40, le CCF a utilisé sa position de force dans les provinces de l'ouest pour mettre sur pied des systèmes d'assurance-chômage ou d'allocations familiales - qui existaient déjà aux États-Unis. Il a ensuite mis sur pied toute une propagande pour exiger des gouvernements centraux successifs, libéraux ou conservateurs, que ce qui existait au Saskatchewan ou en Alberta soit étendu à tout le pays. Par la suite, le NPD a agi de la même manière, instaurant dans les provinces de l'ouest des programmes comme l'assurance-maladie, qui devait plus tard être reprise au niveau fédéral par le gouvernement libéral.
Ainsi, une grande partie de l'action du NPD a toujours consisté à essayer d'influencer les deux grands partis ouvertement bourgeois, dans l'espoir d'obtenir les changements législatifs qu'il souhaitait. Le CCF réussit finalement à gagner suffisamment de sièges au parlement fédéral pour devenir le troisième parti à l'échelle nationale, mais ce sont les libéraux et les conservateurs qui se succédaient au gouvernement. Le CCF ne fut même jamais le principal parti d'opposition au gouvernement central. Sa place d'éternel troisième ainsi que son intérêt presque exclusif pour les changements de type législatif le poussaient à soutenir, indirectement ou même directement, tantôt l'un, tantôt l'autre des deux partis qui se succédaient au pouvoir. Le plus souvent d'ailleurs, ce sont les libéraux que le CCF/NPD essayait d'influencer.
Un parti travailliste, fonde (en partie) sur les syndicats
Aux États-Unis, un certain nombre de syndicalistes et de militants de gauche donnent le NPD comme l'exemple à suivre par les syndicats américains. Ils y voient un modèle de parti travailliste moderne, un moyen pour les syndicats américains d'échapper au piège du Parti Démocrate.
Il est vrai que les appareils syndicaux jouent un rôle important dans le NPD aujourd'hui et que leur influence n'a cessé de croître au fil des années. Mais qu'est-ce que cela a changé pour la classe ouvrière ?
En 1943, le CCF a envoyé des militants lors de la vague de syndicalisation, faire pièce à l'influence des militants du Parti Communiste qui avaient été jusque-là les principaux organisateurs des syndicats. La même année, le Congrès Canadien du Travail (CCT), une confédération fondée en 1940, décidait de soutenir officiellement le CCF. Le but de l'opération consistait en partie à essayer de limiter l'influence grandissante du PC dans les syndicats. C'est ainsi qu'à partir des années 40, la base du CCF en Ontario et, dans une moindre mesure, en Colombie Britannique, était formée en grande partie de syndicalistes.
En 1961, le CCF fondait le NPD, dans une tentative de donner une plus grande place aux syndicats - et ainsi de sortir le CCF de son ghetto des provinces de l'ouest. Le changement de nom s'est accompagné de changements de structures : aux structures locales du NPD (appelées « clubs » ) qui regroupaient les membres sur une base géographique, sont venues s'ajouter des organisations entières à qui était donnée la possibilité d'adhérer en bloc au NPD. Ces « organisations affiliées » étaient pour la plupart des syndicats et avaient le droit d'envoyer des délégués aux congrès provinciaux où la ligne politique du parti était débattue et ses dirigeants choisis. Aujourd'hui, des organisations féministes ou écologistes utilisent à leur tour ce droit d'affiliation au NPD.
En pratique, cela a signifié que les syndicats se sont mis à jouer un rôle important dans les organes dirigeants du NPD, dans les provinces d'Ontario et de Colombie Britannique ainsi qu'à l'échelon fédéral. Les appareils syndicaux envoient régulièrement leurs représentants aux congrès du NPD. Mais alors que les syndicats fournissent la plus grande partie des militants du NPD, on ne peut pas dire que les travailleurs aient vu le programme de ce parti refléter leurs intérêts de classe.
L'appareil syndical : quelle politique souhaite-t-il ?
L'un des problèmes est bien sûr celui de la politique mise en avant par les dirigeants syndicaux eux-mêmes - à l'intérieur du NPD comme des syndicats.
D'après Bob White, le dirigeant du syndicat de l'automobile canadien (CAW), la décision prise en 1985 de soutenir les libéraux au parlement d'Ontario a été prise par Bob Rae et Ed Broadbent, le dirigeant national du NPD, après consultation avec White et d'autres leaders syndicaux.
En fait, selon ses propres déclarations, dans son livre Hard Bargains ( « Dures négociations » ), White était un des plus chauds partisans de cette décision. Voici comment il défendait cette politique d'alliance avec les libéraux :
« L'accord de soutien mutuel signé par les libéraux et le NPD pour deux ans a eu de bons résultats sur le plan législatif. L'un des résultats les plus importants a été l'adoption du texte interdisant aux médecins de demander plus que le tarif officiel pour une consultation... ».
« Il y a eu d'autres avancées au niveau des droits de l'homme, des contrats d'entreprise, des salaires (paye égale pour un travail de valeur égale), des indemnités de licenciement. En d'autres termes, les citoyens d'Ontario ont bénéficié d'une série de changements politiques passablement progressistes. Bien sûr, le NPD a contribué à donner une meilleure image de Peterson (le dirigeant libéral), mais cela a été une bonne chose du point de vue politique : les conservateurs méritaient une cure d'opposition, ils l'ont eue ».
Apparemment, White et les autres dirigeants syndicaux ne sont pas du tout gênés d'apporter leur soutien à un parti bourgeois. Et la pauvre liste des choses qu'ils ont obtenues montre à quel bas prix ils évaluent leur soutien. (De meilleures indemnités de licenciement, cela signifie qu'on accepte les licenciements. Et le fait que le NPD ait cru bon de faire campagne sur le thème de l'extension à toutes les catégories de travailleuses de la clause sur le salaire égal montre bien qu'en ce qui concerne la politique « passablement progressiste » des libéraux, le terme à retenir était celui de « passablement » ).
La principale question politique soulevée par le NPD et les directions syndicales depuis quatre ans était celle du Traité de Libre Echange entre le Canada et les USA. Ils étaient d'accord pour dire que ce traité ouvrirait toutes grandes les frontières aux investissements américains et signifierait la perte de centaines de milliers d'emplois ainsi que l'alignement des systèmes de protection sociale canadiens sur ce qui existe aux États-Unis.
Il est vrai que les salaires payés au Canada sont souvent inférieurs à ceux payés par la même société aux États-Unis - surtout si on tient compte des taux d'inflation différents des deux pays. Et comme l'économie canadienne est par bien des aspects un prolongement direct de l'économie américaine à laquelle elle reste inextricablement liée, les compagnies américaines ont beau jeu d'opposer les travailleurs canadiens et américains les uns aux autres, en faisant parfois faire la même production tantôt ici, tantôt là.
Mais, certaines des différences qui existent entre les États-Unis et le Canada sont favorables aux travailleurs canadiens. Un grand nombre de programmes sociaux canadiens sont plus avantageux que leurs équivalents américains - quand il y a un équivalent. Et, par exemple, la loi américaine rend beaucoup plus difficile qu'au Canada la constitution d'un syndicat - en tout cas par les méthodes bureaucratiques habituelles utilisées par les syndicats tant américains que canadiens. Aujourd'hui aux États-Unis, le nombre de syndiqués des secteurs non agricoles tourne autour de 16 %, alors qu'il est de 36 % au Canada.
Les dirigeants syndicaux canadiens ont utilisé cette situation pour détourner contre le Traité de Libre Echange les craintes des travailleurs face à une situation qui se dégradait et leur désir de réagir. En 1987, les syndicats canadiens et le NPD ont lancé une grande campagne demandant au parlement de ne pas ratifier le traité qui venait d'être rendu public et qui était l'objet de négociations entre les deux gouvernements. Au cours de 1988, ils ont dirigé leur campagne principalement contre le Parti Conservateur, en apportant leur soutien aux libéraux, dans une tentative d'ébranler le gouvernement qui avait conduit les négociations et ainsi de l'empêcher de ratifier le traité.
Cette façon d'agir n'est pas sans rappeler leur attitude lors de la vague de grèves qui a touché le Canada quand les compagnies américaines ont essayé d'y imposer les mêmes « concessions » qu'aux États-Unis. Plutôt que d'organiser une véritable riposte à cette offensive patronale - y compris au moins une tentative d'entraîner les travailleurs américains dans la lutte - les dirigeants syndicaux canadiens, tel Bob White de la CAW, ont essayé de détourner la colère des travailleurs contre les dirigeants des syndicats dits « internationaux », dont les centres dirigeants sont aux États-Unis. Cela s'est terminé par une campagne prônant la scission d'avec les centrales américaines et la formation de syndicats uniquement canadiens. Cette campagne avait en fait commencé à la fin des années 70, mais elle s'est grandement accélérée dans les années 80, la décennie des « concessions ». En 1980, environ la moitié des travailleurs canadiens syndiqués l'étaient dans des syndicats « nationaux » et la moitié dans des syndicats dits « internationaux », c'est-à-dire des syndicats ayant des sections au Canada et aux États-Unis. Neuf ans plus tard, 63 % étaient organisés dans des syndicats canadiens et 32 % seulement dans les syndicats « internationaux ». Le reste l'était dans de petits syndicats à l'échelle locale.
En réalité, face à l'attaque menée par la bourgeoisie américaine contre le niveau de vie des travailleurs, les dirigeants syndicaux canadiens n'ont pas réagi autrement que leurs homologues américains. Alors que les syndicalistes américains accusaient le Japon de tous les maux, les syndicalistes canadiens, eux, désignaient le commerce avec les États-Unis comme la source de tous les problèmes. Alors que les syndicats US s'en prenaient aux républicains, les syndicats canadiens, eux, s'en prenaient aux conservateurs. La principale différence étant que les syndicats canadiens pouvaient plus facilement se cacher derrière leur parti feuille de vigne, le NPD.
Cette même feuille de vigne est aujourd'hui utilisée contre les intérêts de la classe ouvrière. Le problème n'est pas de savoir si le NPD trahit ses promesses électorales - même si, bien sûr, c'est exactement ce qu'il est en train de faire. Mais le problème véritable est que la victoire du NPD va sans doute permettre encore une fois aux syndicats de détourner les travailleurs de la lutte nécessaire. C'est exactement ce qu'ont commencé à faire les dirigeants syndicaux dès l'annonce de la victoire. Une semaine après l'élection, Bob White, prenant la parole durant la grève chez Ford, parlait de la nécessité de terminer la grève rapidement, même si cela signifiait renoncer à certaines revendications, de manière à donner au gouvernement NPD la « possibilité » d'agir. Gord Wilson, président de la Fédération du travail de l'Ontario (émanation provinciale du CCT), annonçait pour sa part que le monde du travail ne pouvait se permettre une attitude négative à l'encontre du discours inaugural de Rae et que le NPD méritait bien qu'on lui laisse un peu de temps pour changer les choses en Ontario.
L'autre question est de savoir si les travailleurs canadiens vont suivre, ou s'ils vont trouver le moyen de poursuivre et d'étendre la vague de grèves qu'ils ont lancée - c'est-à-dire, dans une certaine mesure, s'ils vont trouver des dirigeants qui leur proposent de continuer la lutte. Autrement dit, vont-ils commencer à rejeter les corporatismes qui, tant aux États-Unis qu'au Canada, enchaînent les travailleurs à des contrats qui les isolent les uns des autres et qui fixent à quel moment précis, tous les deux ou trois ans, chaque secteur est autorisé à faire grève.
Il est possible que la victoire du NPD soit le signe avant-coureur d'une montée de la lutte de classe des travailleurs eux-mêmes. Sinon, sans cette lutte de classe, l'élection du NPD n'aura été qu'un autre moyen de s'en prendre au niveau de vie des travailleurs canadiens.
8 janvier 1991.