A propos de l'Irlande et des nationalistes irlandais (Une critique de l'Irish Workers Group)01/09/19891989Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1989/09/LDC_26.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

A propos de l'Irlande et des nationalistes irlandais (Une critique de l'Irish Workers Group)

L'Irish Workers Group (Groupe des travailleurs irlandais) nous a fait parvenir, il y a quelques semaines, une critique d'un article publié dans Lutte de Classe n° 22 (11 février 1989) et intitulé : « L'IRA entre la lutte armée et le bulletin de vote ».

Cette critique reprend pour l'essentiel le texte d'une brochure déjà publiée par l'Irish Workers Group lors de la fête de Lutte Ouvrière les 13, 14, et 15 mai derniers. Nous la publions ici, suivie d'une réponse de la rédaction de Lutte de Classe.

'95 texte de l'irish workers group

L'article de Lutte de Classe (février 89) traitant de la lutte armée en Irlande du Nord donne de la question une analyse qui se base sur des considérations économistes aboutissant à des conclusions politiquement fausses. A aucun moment il ne présente le conflit comme une lutte nationale contre une puissance impérialiste - une analyse pourtant cruciale pour les internationalistes prolétariens.

L'article à aucun moment ne reconnaît dans le mouvement républicain irlandais (Sinn Fein /IRA) une force nationaliste révolutionnaire. Au lieu de cela, il tourne autour d'un aspect secondaire de l'approche des républicains irlandais, leur volonté d' « être reconnus - par leur ennemi, par tel gouvernement, par l'opinion publique - quelles qu'en soient les conséquences pour ceux qu'ils prétendent défendre » ( Lutte de Classe n_ 22, p. 48).

Qui plus est, il ne dit rien de ce que devrait être, au plan international, l'attitude des révolutionnaires vis-à-vis des républicains irlandais ou de leur combat. Par conséquent, la critique sévère qui est faite de ces derniers, bien que juste à bien des points de vue, laisse à penser que Lutte Ouvrière refuse de prendre parti pour ce mouvement dans la lutte qu'il mène contre l'armée britannique en Irlande.

L'oppression nationale et le combat nationaliste

Tout d'abord, l'article manque de perspective historique. Par conséquent, les origines de la lutte actuelle sont incorrectement décrites. En outre, il en découle au moins une grave erreur, introduite pour appuyer une conclusion tout à fait erronée ayant trait à la classe ouvrière loyaliste (protestante) et à sa place dans une perspective communiste révolutionnaire.

Le conflit qui oppose l'État du Nord et sa minorité nationaliste catholique a éclaté en 1968, sur la base de revendications visant la réforme du système électoral et de la question du logement. Toutefois, les griefs les plus importants et les plus pressants résultaient de la discrimination systématique de la population nationaliste en raison de son identité nationaliste irlandaise.

Entre 1921 et 1925, la frontière entre les deux États fut tracée par la Grande-Bretagne dans le but précis d'accorder à la population loyaliste protestante le territoire le plus vaste possible où conserver un avantage numérique permanent par rapport à la minorité nationaliste dispersée parmi elle dans le nord-est de la province.

Les dirigeants de l'appareil d'État décrétèrent publiquement qu'il était « déloyal » d'employer des catholiques. Ils se vantèrent ouvertement d'être partisans d'un « État protestant pour les protestants ». Jusqu'en 1969 la milice civile officielle, les « B-Spécials », était une force plébéienne exclusivement protestante, la seule à être légalement armée pour la défense de l'État, ce qui signifiait des actions brutales contre les communautés nationalistes catholiques sans défense. Oui, tout cela au sein d'une région du Royaume-Uni. Telles sont les réalités qui ont conduit àl'explosion de 1968-70, qui constituent la base du nationalisme en Irlande du Nord et qui en font une force réelle. C'est cela, et pas simplement « une série d'expériences » faites au cours de trois courtes années de lutte des masses qui ont permis aux nationalistes de tenir le choc face à la répression pendant vingt ans et de poursuivre le combat malgré tout jusqu'à aujourd'hui.

C'est en tant que force nationaliste que la minorité catholique a subi une discrimination systématique, et c'est pour cette raison que pour elle la solution à cette forme particulière d'oppression ne pouvait que passer par la réunification de l'Irlande.

Depuis 1922, des forces nationalistes radicales sont présentes en permanence : elles forment une organisation armée de guérilla clandestine. Elles se sont engagées à maintes reprises dans des campagnes armées destinées à mettre fin à l'occupation britannique et à la partition de l'Irlande. Ce n'est que grâce aux conditions particulières créées par la révolte populaire de 1968-72, toutefois, qu'elles ont pu enfin se placer à la tête de masses populaires qui se battaient pour qu'aboutisse l'entreprise inachevée de la lutte nationale historique en Irlande.

La mobilisation de masse des nationalistes en faveur de réformes démocratiques (égalité des droits de vote, attribution plus juste des logements) en 1968-69 ne prit un caractère révolutionnaire que parce que l'État d'Irlande du Nord était, et il le demeure à ce jour, fondé sur l'oppression nationale de la minorité catholique.

Au bout d'une année d'action de masse, la question de la direction de la population nationaliste n'ayant pas trouvé de solution, la grande majorité des catholiques s'est tournée d'instinct vers ses défenseurs traditionnels, l'armée de guérilla du mouvement républicain, en dépit du fait que celle-ci n'a pris part à la lutte qu'au milieu de 1970 ! Sur ce fait très important repose la capacité de l'IRA à dominer la révolte populaire, en l'absence d'une direction communiste révolutionnaire. Les forces de gauche n'avaient pas réussi à répondre, au moyen de tactiques de front uni, aux illusions qu'entretenait le peuple vis-à-vis des solutions nationalistes.

Une analyse economiste

Il semble que l'analyse de Lutte Ouvrière réduise la question nationale en Irlande à de simples considérations d'ordre économique. LO réduit les revendications des catholiques à l'emploi et au logement. Cette analyse méconnaît totalement l'importance capitale de la question de l'égalité politique, y compris l'égalité du droit de vote, et celle de l'exclusion de la petite bourgeoisie catholique de la vie politique de l'État des Six Comtés. La lutte est donc présentée comme une lutte ouvrière dans le nord-est dans le cadre d'une mobilisation ouvrière dans l'Irlande toute entière.

Hélas, aucun lien de ce type ne fut créé entre les luttes de la classe ouvrière, divisée entre le nord et le sud. Tragiquement, la direction et les perspectives de la minorité catholique du Nord, même sous ses aspects les plus militants, sont demeurées petites-bourgeoises et n'ont jamais pris la forme d'une véritable conscience de classe. Et la petite bourgeoisie catholique du Nord a divisé le mouvement non pas entre la classe ouvrière et les bourgeois, mais entre le nationalisme révolutionnaire petit-bourgeois et le nationalisme bourgeois constitutionnel.

Certes, comme le mentionne l'article de LO, « L'Irlande du Nord ne représente plus depuis longtemps un enjeu économique majeur pour la bourgeoisie britannique » (Ibid., p. 38). Sa population toutefois, a toujours fourni une main-d'oeuvre importante à l'économie britannique.

Ses grandes industries, peu nombreuses, pratiquent des salaires plus bas au bénéfice du capitalisme britannique. L'Irlande du Nord a une agriculture très développée sans réel rapport avec le poids que représente sa population dans l'économie britannique (2,5%), dont elle ne forme qu'une des régions « subventionnées ». La décrire comme « un parasite au flanc de l'État britannique qui lui verse annuellement 1,8 milliards de livres de subventions officielles » (Ibid.) révèle d'une analyse tout à fait incomplète.

Les puissances impérialistes ne sont pas gouvernées uniquement par des considérations économiques dans leur politique coloniale ! En tant que région, l'Irlande du Nord a depuis plus d'un siècle servi les aspects les plus réactionnaires de la politique impérialiste de la Grande-Bretagne. Et, aujourd'hui même, d'importants secteurs de la bourgeoisie impérialiste voient dans le conflit actuel un précieux terrain d'entraînement pour l'armée ainsi qu'un terrain d'essai des méthodes répressives de type État policier.

L'Irlande du Nord conservera une importance stratégique au sein de l'OTAN, tant que l'Irlande du Sud demeurera « neutre ». Il est par conséquent faux d'affirmer que des considérations économiques poussent la classe dominante britannique à vouloir se retirer, tout en hésitant pour « des raisons électorales » (Ibid.), en raison du conservatisme de la petite bourgeoisie ou de l'influence du protestantisme irlandais sur certains secteur de la population britannique, etc. La bourgeoisie britannique est loin d'être convaincue que ses intérêts stratégiques seraient mieux servis par un retrait du territoire irlandais.

Il est encore plus trompeur de vouloir prétendre que la petite bourgeoisie protestante du Nord ne cherche qu'à obtenir une garantie de son avenir économique pour se détacher de la couronne britannique.

Il est absurde de dire, comme le fait l'article de LO, que « ce qui compte avant tout pour (Paisley) et les couches qu'il représente, ce ne sont pas les principes mais l'argent » (Ibid., p. 40). Ce réductionnisme économique grossier révèle un manque de compréhension total en ce qui concerne la nature même du mouvement unioniste et de l'État loyaliste qu'il a bâti pour opposer son veto à l'auto-détermination nationale irlandaise.

La petite bourgeoisie protestante d'Irlande du Nord reste profondément attachée aux « principes » de l'État sectaire qu'elle a mis en place. Cet attachement dépasse tout calcul économique à court terme. Les privilèges matériels qui soutiennent son attitude réactionnaire sont peut-être maigres en termes absolus, mais ils sont cependant bien réels en termes relatifs. Ils s'ét-endent même au système d'aménagement régional responsable de l'implantation de la nouvelle ville de Craigavon ainsi que de la Nouvelle Université d'Ulster au coeur de communautés protestantes plutôt que dans des régions catholiques qui pourtant auraient été économiquement les plus viables ! Les loyalistes défendent l'État d'Irlande du Nord comme le leur, comme le garant de leurs privilèges relatifs et la base de leur sentiment de supériorité quasi raciste par rapport aux nationalistes irlandais.

De nombreuses réformes ont été accordées en réponse au conflit, en particulier dans le domaine des droits électoraux, mais peu de réformes d'importance réelle ont vu le jour si ce n'est qu'on a tenté de remédier à la question de l'attribution du logement. A plus long terme, le rapide déclin industriel de la région sapera sans aucun doute la détermination des couches populaires loyalistes et la capacité de la bourgeoisie unioniste à résister aux pressions que font peser sur elle la Grande-Bretagne, la Communauté Européenne et les États-Unis.

Mais ces pressions n'ont pour but que de refaçonner l'État d'Irlande du Nord et non de le détruire. Leur objectif est d'amener l'État loyaliste à faire entrer dans le système politique les nationalistes catholiques « constitutionnels », à partager le pouvoir avec la bourgeoisie catholique et de cette manière à marginaliser la lutte armée dans la communauté catholique. Il ne s'agit donc pas d'un retrait de la Grande-Bretagne, mais d'une tentative d'étayer l'ordre bourgeois en Irlande.

La classe ouvriere d'ulster

Le tableau que brosse LO de la classe ouvrière d'Ulster est la partie la plus faible et la plus déformée de toute son analyse. De dire qu'il n'y a presque pas de différence « entre les ghettos ouvriers de Dublin, ceux de Belfast - Andersonstown la Catholique et Shankill Road la protestante - , et ceux de Toxteth à Liverpool ou de Brodwater Farm à Londres » (Ibid., p. 57) est la marque d'une ignorance totale des réalités politiques majeures qui font que la lutte de classe est si différente en Irlande du Nord.

La classe ouvrière du Nord est divisée, soumise d'un côté à un nationalisme petit-bourgeois et de l'autre à un loyalisme réactionnaire. Les ghettos ouvriers catholiques subissent non seulement l'exploitation mais une forme particulière d'oppression due au fait même qu'ils sont nationalistes.

Quant à la classe ouvrière protestante, l'article de LO en donne une idée totalement fausse lorsqu'il tourne en ridicule l'idée des « privilèges des travailleurs protestants » , en la taxant de « sinistre blague, surtout pour les 20% qui sont au chômage » (Ibid., p. 54-55). Un économisme aussi simpliste pourrait constituer une rhétorique de bon aloi dans la lutte pour unifier les travailleurs catholiques et protestants dans le cadre de luttes économiques communes. Mais il ne peut que présenter une analyse fausse de la nature même du conflit qui justement empêche les travailleurs catholiques et protestants de mener de front la lutte de classe.

Tout d'abord, les chiffres sont erronés. Il est vrai que dans l'ensemble le chômage s'élève en moyenne à 20%. Toutefois, le taux de chômage est de 2,5 fois supérieur en milieu catholique qu'en milieu protestant ! Les conséquences d'une telle inégalité ne sont en rien mitigées par la détérioration générale des conditions de vie de la classe ouvrière, dans le cadre du déclin économique de l'Ulster.

Les « privilèges » de l'ouvrier protestant sont bien réels. A Short Brothers, usine d'aéronautique civile et militaire, qui emploie le plus grand nombre d'ouvriers, 90% des 7000 salariés sont protestants ! Et ce, en dépit des 17 années de gouvernement direct et de subventions votées au Parlement de Londres ! Après avoir rejeté explicitement l'importance réelle des privilèges dont jouissent les ouvriers protestants, l'auteur de l'article de LO se voit néanmoins contraint de faire référence à « la couche relativement privilégiée et à majorité protestante de la classe ouvrière » ! (Ibid., p. 39).

Ces « privilèges » doivent cependant être considérés comme marginaux en valeur absolue. Les conditions de vie de la classe ouvrière protestante ne sont pas en moyenne meilleures que celle de la classe ouvrière britannique en général. Le fait qu'ils sont loin de se mesurer aux privilèges tout à fait iniques de la petite bourgeoisie ne signifie pas toutefois qu'il faille les considérer comme insignifiants.

Les OS et chômeurs protestants subissent des conditions de vie similaires à celles des ouvriers catholiques, mais ils ont toutefois de meilleures chances de s'élever dans l'échelle sociale en raison de leur appartenance à un réseau de favoritisme et de « piston » au sein même de la communauté protestante.

Qu'ils appartiennent ou non aux couches les plus défavorisées, leurs attitudes sont conditionnées en dernière analyse par le fait que, sur leur lieu de travail, dans les syndicats, les loges orangistes ou leurs communautés, ils sont sous l'emprise de ceux qui jouissent de privilèges relatifs, certes, mais réels, en comparaison de leurs voisins catholiques. L'idéologie collective du loyalisme protestant amène même les plus exploités des ouvriers protestants à s'identifier avec le sectarisme de l'État.

Il serait idéaliste et utopique de prétendre que les divisions sectaires sont fondées simplement sur une fausse conscience, ou qu'elles n'ont représenté qu'une manipulation mensongère de la bourgeoisie déterminée à diviser les ouvriers. Un siècle de conflit sectaire en est la preuve. L'attitude réactionnaire de la classe ouvrière protestante a bel et bien une base historique qui se maintient toujours.

La contester implique dans la pratique que l'on fasse de la lutte démocratique révolutionnaire contre l'État d'Irlande du Nord un élément fondamental du programme révolutionnaire prolétarien. Cela implique également que nous ne cachons jamais aux travailleurs protestants notre opposition à l'impérialisme britannique et à ses alliés loyalistes même lorsque nous nous efforçons d'amener ces travailleurs à une action de classe unie contre l'offensive capitaliste.

En même temps, la lutte nationale de la classe ouvrière catholique contient un élément progressif très puissant, en dépit du caractère illusoire des solutions nationalistes, particulièrement en Irlande où un État bourgeois unifié est pratiquement impensable et serait de toute manière bien incapable de résoudre les problèmes matériels des opprimés et des exploités.

Ceci est bien loin des perspectives que tire LO de son analyse. Tout comme les perspectives adoptées en Irlande par Militant Tendency, organisation économiste, la politique de LO met l'accent sur l'unité des ouvriers catholiques et protestants comme moyen concret d'ouvrir la voie à la lutte des classes en « resserrant les rangs des ouvriers catholiques et protestants face aux patrons » (Ibid., p. 57).

Cela revient effectivement à nier ou à minimiser l'importance d'une lutte nationale dotée d'une dynamique progressiste face à l'impérialisme. Cela revient encore à un économisme simpliste qui nie ou minimise la profondeur et la base matérielle des divisions qui opposent ouvriers nationalistes opprimés et ouvriers loyalistes aux vues politiques profondément réactionnaires.

La grande-bretagne se retirera-t-elle ?

Rien ne prouve qu'un tel retrait est envisagé par la Grande-Bretagne. Son offensive économique en Irlande du Nord n'est certainement pas plus marquée qu'elle ne l'est dans les autres régions du Royaume-Uni. Si Londres et les autres puissances impérialistes se mettaient d'accord avec Dublin et certaines sections de la bourgeoisie du Nord pour réunifier l'Irlande, cette réunification ne pourrait se faire que sur la base de garanties économiques accordées aux deux sections de la bourgeoisie irlandaise, éventuellement dans le cadre d'un plan de la Communauté Européenne.

Ce que LO omet de dire est qu'un tel retrait pourrait être imposé à la Grande-Bretagne par un mouvement révolutionnaire de masse en Irlande, mené par des forces prolétariennes dotées d'une conscience de classe, accéléré en particulier par une résistance populaire à la répression et à la surexploitation impérialistes. Cela représenterait en effet une véritable menace contre l'ordre bourgeois partout dans le pays, nord et sud.

Un tel processus révolutionnaire se devrait, bien entendu, de gagner à sa cause, un grand nombre d'ouvriers protestants, ou du moins d'ébranler la collaboration de classe loyaliste et de neutraliser la force du loyalisme dans la classe ouvrière. LO ne semble attacher la moindre importance à ce problème-clé de la stratégie et des tactiques révolutionnaires en Irlande. Si l'on ne résout pas ces questions programmatiques, il s'avérera impossible de bâtir la section irlandaise de l'Internationale, dont la direction est un élément indispensable à la victoire. L'existence d'une telle section, prenant la direction de la lutte, sera indispensable à la victoire finale des masses irlandaises.

La critique des republicains

L'article de LO se consacre principalement à attaquer le mouvement républicain irlandais. Cette critique est en effet le devoir des trotskystes, et l'Irish Workers Group n'a jamais reculé devant ce devoir, y compris dans les réunions et les campagnes organisées par les Républicains. Nous nous déclarons toutefois solidaires de la lutte pour mettre l'impérialisme britannique hors d'Irlande, et prenons publiquement et sans équivoque la défense de l'IRA contre les impérialistes.

Cependant les communistes révolutionnaires engagés dans la lutte en Irlande même se doivent d'imposer des conditions de soutien qu'ils apportent à l'IRA, dans le combat qu'ils mènent pour remplacer cette organisation par une direction communiste révolutionnaire.

Nos organisations-soers dans d'autres pays, en particulier Workers' Power en Grande-Bretagne, ne doivent pas oublier que le premier devoir est de gagner le soutien inconditionnel des ouvriers britanniques en faveur de l'IRA et contre leur propre État. Mais sur quelles bases LO critique-t-elle l'IRA ? Il ne semble pas qu'elle fasse une quelconque déclaration internationaliste de soutien à la lutte contre l'impérialisme en Irlande.

Quant aux critiques que LO adresse aux Républicains, elles sont pour une bonne part correctes. Il est vrai que le discours « socialiste » des Républicains n'est qu'une imposture. Les méthodes qu'ils emploient rendent leurs propres partisans totalement passifs. Ils cultivent avec cynisme une respectabilité parlementaire bourgeoise de manière à négocier une réorganisation bourgeoise de l'Irlande. Ils n'offrent de direction à aucune section de la classe ouvrière dans la lutte économique. Du même coup, ils tournent le dos également aux besoins des ouvriers protestants.

Mais nous contestons l'idée qu'ils incarnent « un mépris complet et absolu de la population protestante, y compris ses secteurs les plus défavorisés » . Ceci est caractéristique du discours de la propagande pro-impérialiste en Irlande et au niveau international, dont se font l'écho certaines tendances « trotskystes » comme Militant, les Spartacistes... et LO ! Il est tout à fait autre chose que de dire qu'ils ne font rien « pour tenter de combler le fossé entre travailleurs protestants et catholiques » (Ibid., p. 55).

Il est vrai que certaines de leurs actions militaires ont eu pour conséquence le meurtre tout à fait inexcusable de civils, conduisant à un antagonisme accru entre nationalistes et loyalistes. De plus en plus souvent, les dirigeants politiques républicains critiquent de telles actions eux-mêmes.

Il serait faux, toutefois, de suggérer que leur campagne fait preuve d'une hostilité fondamentale envers la population protestante en tant que telle même si certaines actions de guérillas sont presque sûrement conçues dans la haine délibérée des protestants. Il ne faut pas non plus oublier qu'un très grand nombre de protestants (et un nombre infime de catholiques) font partie de l'énorme machine policière du Royal Ulster Constabulary, des réserves de la police et des unités régionales de l'armée britannique, l'Ulster Defense Regiment.

Les catholiques subissent diverses formes de répression brutales et quotidiennes aux mains de ces forces qui deviennent de fait des cibles légitimes aux yeux de certaines sections, les plus combatives, de la population catholique, même lorsque leurs représentants ne sont pas en service actif. Il serait totalement faux de suggérer qu'il existe une similarité quelconque entre les actions menées par les Républicains et celles entreprises par les bandes de tueurs loyalistes qui exécutent au hasard des catholiques dans le seul but de terroriser et d'intimider toute une communauté.

La question n'est pas celle du « mépris complet et absolu de Sinn Fein vis-à-vis de la population protestante » , mais plutôt son attitude typiquement petite-bourgeoise vis-à-vis des questions de classe, qui renvoie à un rang subalterne toute considération des besoins communs à tous les secteurs de la classe ouvrière. C'est un parti petit-bourgeois à direction petite-bourgeoise, et ceci, malgré le fait que son principal soutien de masse vient des couches les plus exploitées de la classe ouvrière catholique du Nord. Les petits agriculteurs constituent également un appui non négligeable, mais ils ne représentent pas une force sociale importante.

En tant que courant politique, Sinn Fein a des militants partout dans le pays et reçoit le soutien d'une couche de la petite bourgeoisie, bien que petite, à l'échelle nationale. Il compte très peu de partisans au sein des masses du Sud et n'entretient aucun rapport organique avec la classe ouvrière en tant que telle.

Retranchés dans leurs ghettos au Nord, ne bénéficiant d'aucun soutien dans le Sud, et avec un programme qui ne peut que les isoler de la masse des travailleurs du Sud, les Républicains sont incapables de faire évoluer la lutte nationale jusqu'à forcer les Britanniques à se retirer. Ils n'ont donc qu'une chance très réduite de devenir un jour l'agent direct de la bourgeoisie impérialiste dans la reconstruction du pouvoir bourgeois dans une Irlande unie, comme le suggérait LO en écrivant : « Tant que Sinn Fein maintient son influence, il est évident qu'aucun règlement politique ne peut avoir lieu sans sa participation » (Ibid, p.42).

Les taches des trotskystes

L'Irish Workers Group mène une politique visant à l'unité dans l'action des « travailleurs, des socialistes et des Républicains » à propos de questions concrètes ayant trait à la répression, aux exigences des prisonniers, au retrait des troupes, etc. Nous avons toujours combattu aux côtés des activistes républicains sur cette base tout en ne cessant de mettre en avant notre propre programme communiste révolutionnaire.

C'est la seule attitude de principe à adopter vis-à-vis des « secteurs militants et radicaux du Nord catholique » que LO considère à juste titre comme un foyer de soutien très important pour les révolutionnaires prolétariens. Enraciner un parti communiste dans ces secteurs ne signifie pas cependant qu'il existe une voie directe qui conduira à « resserrer les rangs des ouvriers catholiques et protestants face aux patrons... et face aux aspects les plus inacceptables et les plus flagrants de l'occupation britannique » (Ibid., p.57).

Et pourquoi s'opposer seulement à certains « aspects » de l'occupation britannique ? Cela signifie-t-il que LO ne reconnaît pas la légitimité de la revendication avancée par la lutte nationale irlandaise du retrait total de l'armée britannique ? Il semblerait que l'accent mis par LO sur l'unité des travailleurs protestants et catholiques dans les luttes économiques conduit cette organisation à des perspectives utopiques qui, comme pour la Militant Tendency et les Spartacistes, reléguent à la deuxième place le soutien inconditionnel que les communistes ont le devoir d'apporter aux luttes nationales contre l'impérialisme.

Cette lutte nationale est d'importance cruciale pour les communistes en Irlande toute entière. Elle a, chaque décennie depuis la partition, servi à déstabiliser le pouvoir bourgeois. De nombreuses caractéristiques de la formation sociale et politique irlandaise, en particulier le retard politique de la classe ouvrière dans son ensemble, sont le résultat direct de la division du pays, et de cette classe, par une partition voulue par la Grande-Bretagne impérialiste ainsi que de la subordination économique de l'Irlande du Sud aux puissances impérialistes.

Le développement social et économique de l'Irlande est globalement retardé par sa profonde dépendance par rapport au capitalisme impérialiste, qu'il soit britannique, européen ou nord-américain. Cela pourrait d'ailleurs s'avérer d'une grande importance dans l'accélération de la crise économique et politique des années à venir, à moins que le processus accru d'intégration européenne ne réussisse à étayer l'économie irlandaise, dans des proportions qui demeurent hautement improbables.

C'est bien cette combinaison de facteurs dans la société irlandaise, au Nord comme au Sud, qui rend possible la perspective de révolution permanente pour la lutte de classe en Irlande. Les communistes révolutionnaires ne doivent pas seulement mettre en avant un programme d'action transitoire pour les besoins indépendants du prolétariat. Ils doivent aussi et en même temps lutter pour se mettre à la direction de la classe ouvrière dans toutes les révoltes populaires découlant des deux caractéristiques distinctes de la subordination irlandaise à l'impérialisme.

Notre premier devoir est d'appliquer cette méthode sans attendre, en Irlande comme à l'échelle internationale, en déclarant notre soutien clair et net à la lutte de la minorité nationaliste opprimée en Irlande du Nord et en nous engageant à défendre les combattants républicains qui, quelles que soient leurs méthodes, restent à la tête de la lutte contre l'impérialisme britannique.

Dans tous les pays impérialistes, nous exigeons donc des communistes qu'ils se battent pour le retrait immédiat des troupes britanniques d'Irlande et pour l'autodétermination du peuple irlandais dans son ensemble !

En guise de conclusion

Fidèle à sa méthode économiste, à son matérialisme vulgaire, LO tourne le dos à la seule stratégie capable de transformer la lutte nationale en Irlande en une lutte pour le pouvoir ouvrier : la stratégie de la révolution permanente. A aucun moment LO n'avance un programme d'action capable de résoudre à la fois la question sociale et la question nationale en Irlande. De plus, faisant abstraction du rôle de l'impérialisme en Irlande, LO, qui se réclame pourtant du trotskysme, manque au devoir élémentaire de tout communiste de soutenir ouvertement tous ceux qui luttent contre l'impérialisme britannique, son armée, forte de 10 000 hommes, sa police et ses bandes de tueurs paramilitaires loyalistes.

Ce devoir internationaliste, particulièrement important pour ceux qui militent dans un pays impérialiste comme la France, est absolument indispensable si on veut critiquer les Républicains d'un point de vue de classe et éviter de se ranger du côté d'une bourgeoisie impérialiste toujours prête à s'attaquer au « terrorisme » des opprimés.

Mais rien de cela ne devrait surprendre les lecteurs de Lutte de Classe car dans cette revue LO et l'UCI ont déjà publié une série d'articles sur diverses luttes anti-impérialistes. Chacun de ces articles montre l'incompréhension totale de LO devant les revendications démocratiques et anti-impérialistes des masses opprimées. Citons l'exemple d'Israël, où LO et l'UCI se contentent de dire qu'il faut « faire naître, à partir de la lutte des Palestiniens, la conscience qu'il existe des intérêts d'ensemble, que la lutte des Palestiniens peut devenir celle de l'ensemble des ouvriers » . ( Lutte de Classe, numéro 8, p. 6).

Des sentiments louables, mais comment y arriver ? ! Comme d'habitude, LO et l'UCI ne font que prononcer des voex pieux et avancent pour toute « solution » que les révolutionnaires doivent « démontrer à la classe ouvrière et à la population juives, que c'est leur intérêt de rompre avec la politique sioniste de l'État d'Israël » (Ibid).

Comme en Irlande du Nord, LO préfère « oublier » le rôle de l'impérialisme et sa capacité de diviser la classe ouvrière. Comme s'il suffisait de se concentrer seulement sur les questions économiques, espérant que ces dernières feraient évoluer spontanément la classe ouvrière vers une conscience révolutionnaire de l'oppression capitaliste, impérialiste et nationale.

Dans leur rêverie économiste, LO et l'UCI croient pouvoir écarter les réalités de l'oppression nationale d'un geste pour ensuite s'atteler à la « lutte de classe » économique, qui semble seule compter pour ces organisations.

C'est cette méthode qui a conduit LO :

- à tourner le dos à la construction d'une réelle solidarité internationaliste dans la classe ouvrière française avec le peuple kanak en lutte contre l'impérialisme français ;

- à assimiler le nationalisme des opprimés à celui des oppresseurs (il suffit de se rappeler le slogan de LO de 1986 : « Le racisme et le nationalisme, c'est la même chose et c'est idiot » ) ;

- minimiser l'importance de la montée du racisme et du Front National et se refuser à créer une campagne ouvrière contre le fascisme et le racisme.

Est-ce sur cette base-là que LO ose s'arroger le droit de donner des leçons aux peuples opprimés sur comment mener à bien la lutte anti-impérialiste ? !

Sans doute LO et l'UCI croient que leur position les protège de l'influence du nationalisme petit-bourgeois. Mais, au contraire, leur politique les coupe des couches les plus opprimées du prolétariat et les conduit à deux doigts de la position des réformistes chauvins.

En Irlande, comme au Moyen-Orient, en Kanaky et en France, les masses opprimées n'ont aucunement besoin des principes abstraits et rationalistes de LO. Il leur faut plutôt un programme révolutionnaire qui les conduira à la victoire. C'est la tâche que nous nous fixons à l'Irish Workers Group et au Mouvement pour une Internationale Communiste Révolutionnaire.

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