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Victoire électorale des socialistes espagnols le changement et la continuité
Les élections espagnoles du 28 octobre ont donc confirmé ce qu'annonçaient tous les sondages depuis plusieurs mois. Le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol a obtenu 46 % des voix, et la loi électorale aidant, une large majorité absolue au Congrès des Députés (201 sièges sur 350) et au Sénat (134 sièges sur 208). Selon toute probabilité, à moins qu'un coup d'État militaire ne vienne d'ici là l'en empêcher, le secrétaire général du PSOE, Felipe Gonzalez, sera dans quelques semaines le nouveau Président du gouvernement espagnol, l'équivalent de notre Premier ministre.
Certains, parmi les amis comme parmi les adversaires du PSOE, verront sans doute dans cette victoire électorale des socialistes espagnols une revanche sur la guerre civile. Que tout juste sept ans après la disparition de Franco, un « rouge » puisse être appelé à diriger le gouvernement de l'Espagne, voilà sans doute ce qui va faire grincer bien des dents à l'extrême droite, comme dans maints cercles militaires. Et il est probable que le défunt dictateur, qui aimait répéter que ce qui a été attaché « a été bien attaché », n'avait pas prévu cela, quelle qu'ait été la manière dont il envisageait l'après-franquisme.
Mais d'un autre côté, voir le Parti Socialiste accéder aux plus hautes responsabilités gouvernementales sous le règne de Juan Carlos est une ironie de l'histoire qui ne peut faire sourire aucun travailleur conscient.
De 1936 à 1939, le Parti Socialiste a exercé dans l'Espagne républicaine l'essentiel des responsabilités gouvernementales. Il a alors affirmé aux ouvriers et aux paysans espagnols qui avaient pris les armes pour s'opposer au coup de force des militaires qu'il fallait être réaliste, que ce n'était pas le moment de parler de socialisation de l'industrie ni de réforme agraire, que ce n'était pas le drapeau de la révolution sociale qu'il fallait dresser face aux généraux soulevés, mais seulement le drapeau républicain. Et les dirigeants du Parti Socialiste ne se sont pas contentés de discours, d'utiliser tout le poids de leur influence pour tenter de convaincre les ouvriers et les paysans pauvres d'Espagne de renoncer à toute transformation sociale profonde. Ils n'ont pas hésité, en mai 1937, avec l'appui du Parti Communiste qui menait fondamentalement la même politique, à organiser la répression contre le prolétariat de Barcelone qui voulait défendre ses conquêtes de l'été 1936, et contre les militants du POUM et de la CNT qui en étaient solidaires. La forme républicaine du gouvernement était en soi un bien si précieux, proclamaient alors le PSOE et le PCE, qu'il fallait lui sacrifier toute revendication sociale.
On ne peut pas réécrire l'histoire, et nul ne peut dire aujourd'hui comment la guerre civile se serait terminée si les travailleurs d'Espagne avaient eu à leur disposition une organisation, un parti, capable d'organiser la lutte qu'ils avaient spontanément entreprise au lendemain du soulèvement militaire contre les gros propriétaires et les exploiteurs de toute sorte ; un parti capable de donner aux ouvriers et aux paysans pauvres d'autres raisons de se battre que la défense d'une République qui, de 1931 à 1936, avait largement eu le temps de démontrer qu'elle était au service des possédant. Mais ce n'est peut-être pas sans une certaine amertume que certains militants ouvriers, qui se souviennent du rôle que la « défense de la République » a joué dans le passé dans la politique du PSOE, verront l'actuel secrétaire général de ce parti devenir le Premier ministre de Juan Carlos, de ce roi qui est tout à la fois le successeur désigné de Franco et héritier de la dynastie des Bourbon. Était-ce pour permettre à Felipe Gonzalez et aux autres dirigeants du PSOE de fraterniser (ou du moins de tenter de le faire) avec les généraux qui sont les successeurs des massacreurs et des fusilleurs de 1936-1939 et des années noires du franquisme (quand ils n'en ont pas fait partie), que tant de travailleurs sont tombés dans la guerre civile, que tant de militants ont connu la répression ?
Bien évidemment, la possibilité d'une telle situation était incluse dans le ralliement du PSOE à la monarchie et au drapeau franquiste, au moment de la réforme politique de 1977. Et il ne s'agit pas de s'en étonner, encore moins de voir dans la politique actuelle du PSOE une rupture avec celle qu'il a menée durant la guerre civile.
En devenant Premier ministre de Juan Carlos, Felipe Gonzalez sera le digne continuateur de son lointain prédécesseur à la tête du PSOE, de ce Largo Caballero, qui fut conseiller d'État d'Alphonse XIII et du dictateur Primo de Rivera avant de devenir le premier chef de gouvernement socialiste de la guerre civile.
Durant celle-ci, le PSOE (et avec lui toute la gauche réformiste, y compris le PCE) s'est employé à essayer de démontrer à la bourgeoisie espagnole qu'il lui fallait lui faire confiance, qu'il était un parti respectueux de la propriété bourgeoise, et que sa seule ambition était d'être associé à la gestion des affaires des possédants. La politique de « défense de la République », alors que la situation créée par le coup de force des militaires et par la mobilisation ouvrière posait le problème de la révolution sociale, ne faisait que recouvrir hypocritement cette vulgaire aspiration à être admis par la bourgeoisie à la gestion de ses affaires.
Plus de 45 ans se sont écoulés depuis la crise de 1936. Le PSOE a sans doute changé depuis par beaucoup d'aspects, et pas seulement parce que ses dirigeants se sont renouvelés. Mais pas fondamentalement. Son aspiration suprême est toujours d'être admis par les classes dirigeantes espagnoles comme commis de leurs affaires. Et puisque dans le contexte de l'après-franquisme, cela exigeait de se rallier à Juan Carlos, Felipe Gonzalez s'est fait monarchiste de fait.
Le respect aujourd'hui témoigné à la Couronne par les dirigeants du PSOE est sans défaut. Si l'on en croit le quotidien libéral Diario 16 du 30 octobre, « Felipe Gonzalez assura toujours que si un jour il arrivait à la présidence du gouvernement, il doterait la Maison Royale des moyens économiques que par sa transcendance elle nécessite ». Et la femme de Felipe Gonzalez, qualifiée par un journaliste, à quelques jours des élections, de « future première dame » du pays, a même eu cette réplique : « Ici il n'y a qu'une première dame, qui est la Reine » !
C'est dire que les dirigeants du psoe n'ont aucune intention de s'en prendre aux intérêts des possédants espagnols, ni même d'appliquer un vaste programme de réformes. ils se veulent beaucoup plus « réalistes » que leurs homologues français, et le seul secteur qu'ils envisagent de nationaliser est celui de la production de l'électricité. ils ont certes fait campagne il y a quelque temps contre l'adhésion de l'espagne à l'otan, mais en termes suffisamment ambigus pour que le quotidien de droite abc puisse titrer le 30 octobre : « l'otan et la cee ont confiance dans des relations sous le signe de la continuité ». et la caractéristique de ces élections à propos desquelles tout le monde parle de « bipolarisation de la vie politique espagnole » , c'est que ni le patronat, ni la droite, n'affectent seulement de prendre leurs résultats au tragique.
Dans ces élections, la préférence de la grande bourgeoisie n'allait évidemment pas au PSOE, mais aux listes de droite de l'Alliance Populaire de Fraga Iribarne. Ce sont celles-ci qui ont bénéficié, de notoriété publique, des fonds de la CEOE (la Confédération Espagnole des Organisations Patronales, l'équivalent du CNPF français) et un nombre impressionnant de responsables d'organisations patronales y figuraient personnellement. Mais le PSOE n'a pas eu de difficultés à trouver auprès des banques (privées) les crédits nécessaires à sa campagne et sa victoire électorale n'a pas fait passer un vent de panique sur la Bourse ou sur les milieux d'affaires.
Le président de la Confédération patronale a déclaré que « l'attitude de la CEOE devant un gouvernement socialiste sera d'ouverture totale au dialogue et à la coopération constructive » et le vice-président de la même organisation a affirmé pour sa part : « Ce n'est pas le moment de rappeler les profondes divergences qui nous séparent de quelques-unes des positions fondamentales du PSOE, mais ce que je désirerais c'est me tromper, et que le PSOE puisse, depuis une position de gouvernement, résoudre les problèmes de l'Espagne » .
Même attitude « constructive » dans la presse de droite. L'éditorialiste de Ya écrivait le 30 octobre : « Le résultat des élections est positif et impressionnant : naufrage du Parti Communiste et disparition littérale des partis d'extrême-droite. Si le nouveau parti gouvernant et la nouvelle opposition en tirent la leçon jusqu'à ses dernières conséquences et y sont fidèles, nous pourrons contempler le futur (...) avec une sérénité pleine d'espoir » . Et ABC dont les sympathies politiques vont manifestement à Fraga lribarne, après avoir déclaré : « En premier lieu, ce journal félicite le parti triomphateur, qui a obtenu une ample, historique et démocratique victoire dans les urnes » , écrivait le même jour « ABC accepte la nouvelle situation et déclare publiquement son intention de ne pas mettre d'obstacles sans cause sur le chemin du Parti Socialiste ». Même le leader de la nouvelle opposition parlementaire de droite, Fraga Iribarne, qui postule pourtant au pouvoir pour un proche avenir, y est allé de sa déclaration conciliante : « J'espère que le PSOE agira avec la modération dont il a fait étalage durant la campagne électorale » .
Mais si le remplacement d'un gouvernement « centriste » par un gouvernement « socialiste » ne changera sans doute que fort peu de choses à la société espagnole, il n'en est pas moins vrai que les élections du 28 octobre ont profondément changé le paysage politique du pays.
A gauche, le fait dominant est l'effondrement du Parti Communiste qui passe, sur l'ensemble du pays, de 10,8 % des voix (en 1979) à 3,8 %, et de 23 députés à 5. Non seulement le PCE obtient de mauvais résultats dans les régions qui votent traditionnellement à droite (par exemple en Galice avec 1,6 % des voix dans la province de La Corogne, 0,8 % dans celle d'Orense, etc.), mais il est également nettement en recul dans les régions industrielles du pays. Le cas de la Catalogne est particulièrement spectaculaire. En 1979 le PSUC (l'organisation catalane du PCE) avait obtenu dans la province de Barcelone, avec près d'un quart des voix, 7 sièges de députés sur 33. Avec 4,8 % des suffrages, il n'en a sauvé qu'un seul.
Le Monde du 31 octobre a trouvé à ce recul du PCE une explication simple, que résumait le titre d'un de ses articles : « Le Parti Communiste n'a pas su convaincre les électeurs qu'il s'était adapté à la démocratie » . C'est sensiblement la même explication qu'avançait au lendemain des élections l'écrivain ex-communiste (et actuellement proche du PSOE) Jorge Semprun, en rejetant la responsabilité du recul du PCE sur son leader, Santiago Carillo, accusé de ne pas avoir mené une politique suffisamment « eurocommuniste ». Mais rien ne prouve justement qu'avec une autre attitude, le PCE aurait réalisé de meilleurs scores. L'exemple du Parti Communiste Français, et de ses retournements politiques depuis dix ans, montre justement qu'il est difficile pour un Parti Communiste de vouloir rivaliser avec un parti social-démocrate puissant, sur le même terrain politique que celui-ci, sans y laisser des plumes !
Sur le plan purement électoral, il n'est pas sûr du tout que le PCE aurait pu faire mieux avec une autre politique. Le faible score (1,6 % des voix) réalisé à Barcelone par les scissionnistes « léninistes » du PSUC qui ont quitté ce parti il y a quelques mois, montre que tenir un langage plus radical n'aurait pas forcément permis au PCE de conserver son électorat. Tenir un discours encore plus ouvertement social-démocrate, gommant encore plus les différences qui existent entre PC et PS, aurait pu tout aussi bien faciliter encore plus les transferts de voix de l'électorat communiste vers le PSOE. Car si le « vote utile » a fait tort au PCE, c'est bien parce qu'il y avait préparé les travailleurs qui jusque là votaient pour lui par son électoralisme. Comme le constatait le 30 octobre Diaro 16 : « Cinq années de légalité ont obtenu par la voie du suicide ce que quarante de franquisme n'avaient pas réussi à travers la répression » .
A droite, le reclassement politique, marqué par l'effondrement des partis dits « du centre » et parle succès relatif de l'Alliance Populaire est encore plus spectaculaire.
De 1979 à 1982, le parti qui gouvernait l'Espagne, l'Union du Centre Démocratique, est en effet passé de 35 à 7,2 % des voix, et de 168 à 12 sièges.
Cette hémorragie de voix s'est faite pour une part au profit du psoe (puisque le total pc - ps est passé de 41,3 à 49,8 % des voix dans la même période), et pour une autre part, sans doute encore plus grande, au bénéfice de l'alliance populaire de fraga iribarne, qui passant de 5,8 % des voix à 25,3 et de 9 sièges à 106 sera l'ossature de la nouvelle opposition de droite aux cortes.
Mais cet effondrement du centre n'est pas tant le résultat d'une radicalisation à droite, que celui d'un reclassement lié à la fin de la période de transition de la dictature au parlementarisme. L'un des problèmes majeurs qui s'est posé à la bourgeoisie espagnole, après la mort de Franco, sur le chemin de la réforme des institutions, était celui d'éviter que se produisent en Espagne des secousses semblables à celle que venait de connaître le Portugal voisin après le renversement de Caetano par les militaires du MFA. C'est pour éviter de telles difficultés que le chef du gouvernement qui présida à la réforme politique, Adolfo Suarez, s'engagea dès le printemps 1977 dans la recherche d'un consensus de toutes les forces politiques, passant non seulement par la légalisation du PSOE et du PCE, mais aussi par la participation de ces partis à l'élaboration de la Constitution.
C'est donc tout naturellement sur la base de cette politique de consensus que se forma autour de la personne de Suarez le premier grand parti de droite que l'Espagne post-franquiste ait connu l'Union du Centre Démocratique.
Mais passée la période constituante, cette politique du consensus fut à la fois moins nécessaire et moins possible. Ce ne fut d'ailleurs pas sur le plan social qu'elle échoua : grâce à la bonne volonté (vis-à-vis de la bourgeoisie) des partis de gauche et des grandes centrales ouvrières, et à travers une série de pactes dont le dernier en date fut l'Accord National pour l'Emploi, le gouvernement de Suarez puis celui de Calvo Sotelo, réussirent à faire « consentir » par les partis de gauche une politique salariale qui organisait systématiquement la baisse du pouvoir d'achat des travailleurs (10,45 % d'augmentation des salaires jusqu'à présent en 1982, face à une hausse de 14,5 % des prix, selon Cambio 16 du 22 octobre). Mais faire sortir le pays, dans tous les domaines, de l'arriération juridique léguée par le franquisme se heurtait à l'opposition de la partie la plus réactionnaire de l'électorat et des hommes politiques. Ce furent essentiellement des « problèmes de société » (le divorce, l'avortement, l'école privée) qui rendirent impossible la recherche d'un consensus plus large, et qui condamnèrent l'UCD à mort.
Depuis plusieurs mois, celle-ci n'a cessé de subir des pertes constantes, les unes vers le PSOE (tel le courant « social-démocrate » de l'UCD, dirigé par l'ancien ministre Fernandez-Ordonez, qui figurait le 28 octobre sur les listes du PSOE), les autres, plus nombreuses, vers l'Alliance Populaire de Fraga.
La tentative de Suarez, après son départ de l'UCD, de fonder avec le Centre Démocratique et Social, un parti qui lutterait pour « un pacte d'État entre toutes les forces politiques pour défendre la stabilité de la démocratie, chercher une issue à la crise économique, et aboutir àun dénominateur commun en politique extérieure » a abouti à un échec quasi complet sur le plan électoral (2,8 % des voix pour le CDS à l'échelle nationale), ce qui ne veut pas dire que Suarez (qui, plus heureux que le chef du gouvernement sortant, Calvo Sotelo, a été réélu) ne puisse pas jouer le rôle de rassembleur qu'il ambitionne visiblement.
Mais pour le moment, avec le succès de l'Alliance Populaire, l'Espagne se trouve finalement du point de vue de la mécanique parlementaire, dans une situation plus normale en quelque sorte que précédemment : avec un parti de droite qui dit son nom et qui, dans l'opposition, va prétendre à l'alternance.
C'est en tout cas ce dont se félicitait le quotidien de droite ABC (déjà cité) en écrivant : « Le progrès et la liberté vivent à partir d'aujourd'hui, dans ce pays, avec l'impulsion de deux partis : l'un, sensiblement plus fort, qui constituera le gouvernement, l'autre, plus petit, dans l'opposition. Bipolarité ? Bien sûr que oui (mais) la bipolarisation n'a pas de raison d'être une radicalisation. A la tête de l'Exécutif, en un moment national d'extrême difficulté, se trouve un homme jeune qui a su imposer discipline et ordre à son parti. (...) A la tête de l'opposition un processus de sélection a placé un homme d'un tempérament exceptionnel. Le triomphe qu'on ne peut nier de Manuel Fraga dans l'élection d'hier est le triomphe de la ténacité, de l'intelligence politique, de la volonté conséquente. Il est depuis aujourd'hui le chef de l'opposition et le symbole de l'alternative possible » .
L'avenir du parlementarisme espagnol serait donc assuré... s'il n' avait les « golpistes », les amateurs de coup d'État.
Du point de vue électoral, l'extrême-droite a certes subi un échec complet. Fuerza Nueva (Force Nouvelle) qui se réclame ouvertement du fascisme, n'a pas dépassé 2 % des voix dans son « fief » de Tolède, et n'a obtenu que 0,8 % des voix dans la province de Madrid où Solidarité Espagnole, la liste que dirigeait le lieutenant-colonel putschiste Tejero a obtenu 0,30 % des suffrages. Mais est-ce suffisant pour se rassurer ?
II vaut certes mieux que ces élections aient démontré que les « golpistes » n'avaient pratiquement aucune base populaire, plutôt que le contraire. Un succès électoral de l'extrême droite aurait en effet pu faire basculer en sa faveur un certain nombre d'indécis, amener des hommes politiques de droite à tenter de jouer cette carte-là, pour répondre à l'existence de ce courant d'opinion publique réactionnaire.
Mais ce n'est certainement pas leur maigre résultat électoral qui découragera les Tejero et consorts. Ce n'est justement pas des urnes que ceux-ci attendent de pouvoir jouer un rôle politique. Mais comme le faisait dire le quotidien de gauche El Pais, dans un dessin humoristique, à un « golpiste » contemplant les maigres résultats que les sondages prévoyaient pour l'extrême droite : « Raison de plus pour faire un coup d'État » .
Certes, toute l'attitude des porte-parole des industriels et des banquiers, comme celle des hommes politiques de la droite parlementaire, montre que la bourgeoisie espagnole est prête - pour le moment - à respecter le résultat des élections, et qu'elle n'aspire pas à un coup de force visant à empêcher le PSOE d'arriver au gouvernement.
Mais il n'empêche que toute une partie des cadres de l'armée est hostile au parlementarisme, ne rêve que d'en finir avec lui, et - ce qui serait infiniment plus grave pour les travailleurs - avec les libertés démocratiques qui vont de pair. Orles militaires comploteurs jouissent pratiquement d'une totale impunité, le gouvernement se contentant de muter ici ou là ceux qui n'arrêtent pas de conspirer contre le régime. Seuls ceux qui sont passés à l'action, comme Tejero, ont été sanctionnés. Et encore, tout prouve-t-il que, depuis leur prison, sans doute pas trop inconfortable, ils peuvent continuer de comploter. Et ce n'est certainement pas le futur gouvernement socialiste qui mettra un terme à cela.
C'est que la bourgeoisie espagnole, et tous les hommes politiques qui font profession de défendre ses intérêts, depuis le roi jusqu'aux dirigeants du Parti Socialiste, savent que l'armée est l'ultime recours des possédants, face à une éventuelle révolte des exploités, et ils se garderont bien d'y toucher, comme les socialistes des années 1930 n'ont rien fait pour mettre hors d'état de nuire préventivement les généraux qui complotaient au su de tous contre la République.
C'est pourquoi une épée de Damoclès est suspendue au-dessus du régime parlementaire espagnol (comme à un degré ou un autre audessus de tous les systèmes parlementaires), celui d'une nouvelle intervention de tout ou partie de l'armée dans la vie politique, le jour où la bourgeoisie en ressentira la nécessité, voire avant, pour forcer la main de cette bourgeoisie.
La crise économique dans laquelle l'Espagne s'enfonce peu à peu, comme le reste des pays industrialisés, mais plus que lui, renforce encore ce danger. Et ce ne sont pas les illusions électoralistes qui pourront en protéger les travailleurs, bien au contraire.
En Espagne comme ailleurs, la reconstruction d'une avant-garde révolutionnaire capable de préparer la classe ouvrière à d'autres luttes qu'aux joutes électorales, est un problème urgent.