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Usure précoce d'un gouvernement de la gauche qui mène une politique de droite
Aux travailleurs qui attendaient du gouvernement de gauche des mesures en leur faveur, la réponse vient d'être donnée. Ce sont les patrons qui viennent de toucher le gros lot en obtenant 11 milliards de francs d'allègement de la taxe professionnelle, une trentaine de milliards de francs de prêts à des taux de 6 à 8 % - alors que le rythme de l'inflation est double - , une garantie de non-augmentation des charges sociales et même une prise en charge par l'État en ce qui concerne l'allocation aux adultes handicapés. Quant à la réduction du temps de travail, le gouvernement promet de ne plus s'en mêler jusque fin 1983, laissant aux chefs d'entreprises le soin d'en décider.
Ainsi s'épanouit une politique qui avait déjà montré par de multiples signes qu'elle n'était ni défavorable aux capitalistes, ni favorable aux travailleurs.
Ni l'inflation, ni l'augmentation du chômage - deux problèmes majeurs de la classe ouvrière - n'ont reçu le moindre début de solution. Par contre, le patronat bénéficie des mêmes égards que sous Giscard. Avec les dernières mesures favorables aux patrons, non seulement le gouvernement Mitterrand revient sur ses promesses électorales mais il en rabat également sur ses propres petites ébauches de réformes. Ainsi, après avoir bien timidement réduit le temps de travail à 39 heures et s'être engagé à arriver aux 38 heures fin 1982, il vient d'abandonner ce calendrier et de promettre aux patrons de rester à 39 heures jusqu'à fin 1983. Pourtant, un des principaux arguments invoqué par la gauche face à la droite avant les élections était qu'en prenant un certain nombre de mesures sociales telle que la réduction du temps de travail, on relancerait la machine économique et on diminuerait le chômage. Eh bien, il n'a fallu que quelques pressions patronales, un fléchissement électoral et quelques discours de la droite, pour que la gauche abandonne ses soi-disant grands principes. Elle vient de donner raison tacitement aux thèses du patronat selon lesquelles trop de charges sociales, trop de lois sociales sont responsables de la crise et selon lesquelles, pour relancer l'économie, il faut que les travailleurs consentent à faire des sacrifices. Devant tout le pays, la gauche a opéré un recul qui la déconsidère doublement. Aux yeux des travailleurs d'abord ; mais également aux yeux de ses adversaires puisqu'elle se rallie à leur thèse. De toute façon, elle renforce l'idée qu'elle n'a rien de nouveau à apporter et que sa présence au pouvoir ne se justifie en rien.
Non seulement sur le plan économique elle se rallie à ce qui a été pendant des années la politique de la droite mais, dans le domaine des libertés, qui était un des thèmes essentiels de la propagande électorale des socialistes, on vient de voir Gaston Defferre s'afficher avec éclat dans le camp de ceux pour qui l'ordre c'est, avant tout, l'ordre policier. A tel point qu'il avait rattrapé et même dépassé les Marcellin, les Poniatowski et autres Peyrefitte. Même si Defferre a visé un peu loin, il n'empêche que chacun sait, maintenant, qu'on peut être ministre de gauche et conseiller aux policiers de tirer à vue.
On n'a pas encore entendu, dans ce gouvernement, de voix s'élever pour le rétablissement de la peine de mort. Mais qu'à cela ne tienne, avec la police façon Defferre, il y a bien des délinquants qui risquent de passer l'arme à gauche sans arriver jusqu'au jugement.
Le changement attendu par les travailleurs se révèle de plus en plus comme un changement à deux vitesses. Pour les capitalistes, Mauroy a passé le grand braquet, donnant satisfaction aux demandes du grand patronat dès que celui-ci les formule. Mais, pour les travailleurs, c'est la politique de la tortue, du « centimètre par centimètre ».
Ce gouvernement, qui a été élu grâce aux voix des travailleurs, n'a certes pas semé leur route de pétales. Mais les discours des dirigeants, aussi bien au gouvernement que des dirigeants syndicaux, consiste à expliquer que Paris ne s'est pas bâti en un jour, qu'il faut « la durée » pour améliorer les choses. Mais, de toute évidence, la « durée » n'arrange rien. Peu de gouvernements ont subi autant, et en aussi peu de temps, les outrages de l'âge. En offrant le spectacle piteux d'un gouvernement n'ayant pas l'air de savoir ce qu'il veut, timoré, aussi prompt à renier les promesses qu'il fait à ceux qui l'ont envoyé au pouvoir qu'il est prompt à céder devant les exigences de ses adversaires déclarés, la gauche gouvernementale se déconsidère autant devant les seconds que devant les premiers.
Ce gouvernement de la gauche est de moins en moins un gouvernement de gauche. Il mène de plus en plus une politique de droite ce qui ne lui vaut d'ailleurs même pas de reconnaissance du côté de la clientèle de la droite modérée, car il a l'air de mener la politique qu'il mène, non pas par conviction, mais par lâcheté.
Les illusions des travailleurs ont fait qu'effectivement la gauche a bénéficié d'un « état de grâce » qui, pour ne pas être unanime, a tout de même duré de longs mois dans les entreprises. les dirigeants syndicaux se sont efforcés d'ailleurs de trouver des succédanés à l'action : on demandait le départ de tel chef d'entreprise dont on savait, par ailleurs, qu'il allait de toute façon être remplacé ; on demandait, non plus la satisfaction des revendications mais la discussion, très satisfait de pouvoir s'asseoir autour de la table, même en sachant d'avance qu'il n'y avait rien au menu...
Le résultat de cette politique visant à lanterner les travailleurs a été que les catégories sociales que l'on a entendu ces derniers temps exprimer le plus fort leurs revendications étaient souvent des catégories qui n'avaient pas spécialement l'habitude de se retrouver dans la rue avec pancartes et banderoles, ni de s'adresser aux ministres sur un ton aussi acerbe, accompagnant leurs harangues de démonstrations. Un exemple : les « patrons » des hôpitaux, auxquels le ministre de la Santé Jack Ralite a prévu, à juste titre, d'enlever d'ici quelques années leur secteur privé au sein des hôpitaux, ont ni plus ni moins organisé un chahut dans l'antichambre du ministère, dans le plus pur style de la contestation estudiantine. On a vu également bouger les architectes, les gardiens de prison... les kinésithérapeutes qui, comme l'écrit un journal, se sont « massés dans la rue ».
Il faut aussi rappeler l'opération « escargot » organisée par les petits patrons chauffeurs routiers qui, durant toute une journée, ont créé un immense embouteillage dans tout le pays.
Ainsi, ce sont les classes moyennes qui ont tenu le haut du pavé. Bien sûr, il y a eu ici ou là des travailleurs qui ont manifesté localement dans leurs entreprises mais, globalement, la classe ouvrière apparaît comme la grande absente de la lutte.
Est-ce à dire que la classe ouvrière a lieu d'être satisfaite ? Non, bien sûr, et il est urgent que les travailleurs fassent éclater ouvertement la vérité : à savoir qu'ils sont, comme sous Giscard, victimes de la crise, qu'ils sont victimes de la hausse des prix et, en premier lieu, de la hausse des tarifs publics. Il est urgent qu'ils déclarent bien haut que dans les usines la chiourme et les cadences sont toujours aussi insupportables, qu'on travaille toujours partout avec des chefs sur le dos, qu'on s'entasse dans des transports en commun, que les femmes continuent à faire leur double journée et que, même en passant de 40 heures à 39 heures de travail salarié, leur semaine est largement aussi remplie et aussi épuisante que celle d'un paysan au moment des récoltes.
Il faut que les travailleurs montrent que les discours de la gauche sur le « temps libre » ne sont que des discours et que, du côté de Renault, Citroën ou Michelin, on connaît surtout la « chasse aux temps morts », le bruit des presses, les cadences, les fumées, les 2x8, les 3x8, dans certaines usines les 4x8 et que peu de paysans envient le sort d'un ouvrier - et on les comprend !
Mais, pour reprendre le chemin de la lutte, la classe ouvrière ne peut compter ni sur les partis de gauche, ni sur les syndicats.
Pas sur le Parti Socialiste, évidemment, qui soutient directement la politique du gouvernement. Ce gouvernement est le sien, une bonne partie des hommes qui le composent en sont issus. Il y a bien, de-ci, de-là, quelques protestations qui s'élèvent, il y a bien aussi quelques déceptions, quelques contestations qui s'expriment, notamment de la part de certains « jeunes » députés, pas encore rodés. Mais cela ne va pas loin, et tous sont à chaque fois rentrés bien sagement à la niche lorsqu'on les a rappelés à l'ordre.
Le Parti Communiste quant à lui explique que, s'il ne tenait qu'à lui, le changement irait à un autre rythme, c'est-à-dire plus vite et en prenant des mesures plus radicales.
On a vu le PCF apporter quelques critiques vis-à-vis de certaines mesures prises par le gouvernement Mauroy. Ce fut notamment le cas en ce qui concerne le rétablissement du 1 % de cotisation des salariés pour le financement de la Sécurité sociale. C'est encore le cas aujourd'hui avec les cadeaux de Mauroy au patronat. Le PCF fait de temps à autre mine de vouloir se dédouaner aux yeux des travailleurs de la politique gouvernementale mais sans pour autant mettre en cause le moins du monde sa participation au gouvernement, ni d'ailleurs sa pleine solidarité avec ce dernier. Contradictoire, cela ? Aux éditorialistes de l'Humanité de se contorsionner pour que cela n'apparaisse pas de la sorte.
A l'intention des militants qui protesteraient, André Lajoinie a rappelé que le PCF n'a que « quatre ministres sur quarante » et que, si peu nombreux, ils ne peuvent guère que donner leur avis.
A l'intention du Parti Socialiste - ou de la bourgeoisie - Pierre Juquin, interviewé à Europe Numéro 1, a cependant annoncé sans fioritures que le PCF « est prêt à prendre sa part des mesures impopulaires pour peu qu'elles soient nécessaires et justes » Juquin n'a fait d'ailleurs que redire ce que Marchais lui-même avait déclaré solennellement, le soir même des résultats des cantonales, à savoir que le PCF endosserait toute la politique du gouvernement même si elle n'était pas populaire auprès des travailleurs. De fait, sans beaucoup d'enthousiasme, les militants du PCF dans les entreprises comme ailleurs s'emploient à se faire l'écho de la politique gouvernementale. Même s'ils n'osent pas aller jusqu'à une apologie du gouvernement de gauche, leur absence de critiques - autres que faites à mots couverts - constitue en réalité une approbation.
Du côté syndical, on observe le même consensus inavoué vis-à-vis du gouvernement. Certes, on a bien vu Edmond Maire, il y a quelque temps, faire une déclaration tonitruante pour proclamer que le changement n'allait décidément pas assez vite. Mais il ne s'agissait que d'un éclat passager pour le communiqué puisqu'on n'en a pas vu les suites.
Bien au contraire, la CFDT s'est montrée tout à fait conciliante, signant notamment dans tous les secteurs des accords avec le patronat conformes aux ordonnances sur les 39 heures.
La CGT quant à elle, se montre combative localement dans certains conflits, ne s'opposant pas aux actions souhaitées par les travailleurs, et même les suscitant à l'occasion. Mais les dirigeants syndicaux prennent bien garde à ce que leur action apparaisse dirigée essentiellement contre les patrons et non contre le gouvernement. Dans les tracts syndicaux reviennent sans cesse des formules bien significatives de cette orientation : « les patrons font barrage au changement » ; « ils n'ont pas mis leurs montres à l'heure », etc.
La CGT tente de faire croire que le gouvernement voudrait bien améliorer la condition ouvrière, mais qu'il se heurte à la résistance du patronat. Là où les choses deviennent épineuses, c'est dans les entreprises nationalisées, où cet argument, évidemment, rencontre quelque obstacle, et oblige la CGT à quelques contorsions. Il faut alors imputer le non changement à des résistances encore plus floues.
En fait, la CGT fuit les problèmes et si elle admet de soutenir des conflits locaux, elle se refuse à avoir une politique au plan national qui serait, par la force des choses, une contestation de la politique gouvernementale. D'ailleurs, les déclarations des dirigeants nationaux se font rares ou évasives car ils ne veulent rien proposer aux travailleurs.
En résumé, depuis quelques mois, on peut dire que la classe ouvrière est livrée à elle-même, laissée sans perspectives, sans revendications autour desquelles elle pourrait s'unir et montrer sa force. Tout ce qu'elle peut déduire de l'attitude des dirigeants politiques et syndicaux de gauche, c'est qu'il faut attendre les améliorations que le gouvernement lui amènera petit à petit, et éventuellement, organiser des actions de harcèlement contre certains patrons. Mais cela, toujours dans l'optique de faire appliquer ce que le gouvernement a décidé, c'est-à-dire sans dépasser un cadre fixé à l'avance. De ce point de vue, les mouvements sur les 39 heures sont apparus comme complémentaires à l'application des ordonnances gouvernementales. Et dans cette affaire, la classe ouvrière est apparue à la remorque du gouvernement.
En persistant dans cette voie, les travailleurs fourniraient une arme redoutable à leurs adversaires.
Car les catégories qui ont des griefs certes justifiés pourraient en déduire que tout va mal pour eux, mais que tout va bien pour les travailleurs. Et ils pourraient même en conclure que si tout va mal pour eux, c'est justement parce que les travailleurs sont les grands bénéficiaires du régime qui s'est installé en France depuis le 10 mai.
D'ailleurs si toutes ces catégories qui souffrent de la crise, qui se plaignent des impôts trop lourds ne se disent pas spontanément que c'est la « faute aux travailleurs », on peut compter sur la droite pour leur faire franchir ce pas. Car la droite veut reprendre les places qu'elle a dû céder à la gauche. Ce n'est certainement pas pour mener une politique plus favorable aux classes populaires, mais au contraire pour renforcer, pour aggraver une politique de sacrifice et d'austérité contre la classe ouvrière et même les autres classes travailleuses. Mais la droite musclée pourrait d'autant mieux appliquer une telle politique qu'elle se serait constitué une base dans la population parmi les classes moyennes, qui approuveraient et même applaudiraient à des mesures draconiennes contre la classe ouvrière et ses organisations.
L'inaction prolongée de la classe ouvrière rendrait crédible la thèse selon laquelle elle est liée étroitement au gouvernement, et qui veut que pour s'attaquer au gouvernement, il faut aussi s'attaquer à la classe ouvrière qui en est le soutien.
Quant la droite était au pouvoir, elle était contestée par les travailleurs, et les classes moyennes susceptibles d'entrer en opposition avec le gouvernement ne se dressaient pas spontanément contre les travailleurs car il y avait bien clairement aux yeux de tous, d'une part la politique du gouvernement, et de l'autre les revendications des travailleurs en constante opposition.
Les choses ont changé depuis le 10 mai. La classe ouvrière a applaudi à la venue de la gauche au pouvoir. Il y a eu des lampions dans les rues et les dirigeants de la gauche ont tenu à présenter leur victoire comme étant aussi celle des travailleurs. Autant dire que désormais aux yeux de l'opinion publique les ministres de gauche peuvent apparaître comme étant d'abord les ministres de la classe ouvrière. Le danger est donc que le mécontentement contre la politique du gouvernement et la colère de certaines catégories soient dirigées contre l'équipe gouvernementale, mais aussi contre les partis qui soutiennent ce gouvernement, contre les syndicalistes qui sont membres de ces partis et contre tous les travailleurs qui semblent approuver et être satisfaits de la politique menée.
Si la classe ouvrière continue d'être perçue comme le principal soutien du gouvernement, elle risque de se retrouver isolée, et de voir rejaillir sur elle l'impopularité croissante d'un gouvernement en perte de vitesse. ce serait à la fois dangereux et injuste ; la classe ouvrière n'est en rien bénéficiaire de la politique de la gauche. on peut même dire qu'elle a dû en rabattre par rapport aux exigences qu'elle aurait formulées vis-à-vis d'un gouvernement de droite. pour elle, rien n'a changé.
Alors, il n'y a pas de raison que non seulement elle ne retire aucun bénéfice de la présence de la gauche au gouvernement, mais qu'elle doive en plus en payer les pots cassés. Son intérêt est d'apparaître d'urgence comme constituant une force qui ne puisse plus se confondre avec les partis au pouvoir. Elle doit prendre ses distances.
Cela implique bien sûr, que la classe ouvrière se défende, et se défende autant contre le gouvernement que contre le patronat, car le premier est et demeure le conseil d'administration des affaires politiques du second. D'abord, tout simplement pour que les travailleurs ne soient pas les dindons de la farce, et les victimes de la crise ; victimes de surcroît consentantes sous prétexte que ceux qui gèrent la crise pour le compte du grand capital se réclament de la gauche et des travailleurs.
Mais se défendre ne signifie pas mener des luttes catégorielles, de toute façon dérisoires, car dans ce domaine, même les victoires sont des victoires à la Pyrrhus, alors que les défaites, elles, peuvent être bien réelles. Et cela ne signifie même pas mener seulement des luttes économiques, des luttes qui ne concernent - ou qui n'ont l'air de concerner - que la seule classe ouvrière.
Il faut que la classe ouvrière apparaisse, et par sa détermination - car sans détermination, le reste ne serait pas pris au sérieux - et par sa politique, comme une force sociale capable d'imposer des changements au gouvernement, et des changements qui aillent dans le sens des intérêts de toutes les couches travailleuses, même tout en allant contre les intérêts de la minorité possédante.
De l'absence politique actuelle de la classe ouvrière jusqu'à ce qu'elle assume pleinement son rôle, il y a bien sûr, bien des étapes, bien des degrés. Jusques et y compris - et même si c'est encore chanson d'avenir - une mobilisation telle de la classe ouvrière qu'elle entraîne derrière elle les autres catégories travailleuses à l'assaut de l'ordre bourgeois et de son incarnation gouvernementale.
Nous n'en sommes pas là, bien sûr. Mais ce qui est par contre une nécessité à la fois objective et pressante, c'est que la classe ouvrière montre qu'elle n'est ni inexistante sur le terrain politique, ni une force pro-gouvernementale, mais une force qui combat le gouvernement sur toutes les questions sur lesquelles celui-ci mène une politique anti-populaire.
Pour ne prendre que cet exemple, mineur sans doute eu égard aux problèmes autrement plus importants qui se posent, pourquoi fallait-il donc que les organisations de patrons chauffeurs routiers ou de paysans - plus ou moins marquées à droite - soient les seules à se mobiliser contre la dernière hausse du gazole et du fuel domestique ? Les travailleurs ne tiraient bien entendu aucun profit de ces mesures décidées par un gouvernement trop lâche devant les trusts du pétrole pour rogner les profits de ceux-ci plutôt que d'augmenter les prix. Il aurait mieux valu que ce soient des organisations ouvrières qui partent en guerre contre le gouvernement sur cette question, de façon à entraîner derrière elles les autres catégories mécontentes plutôt que de laisser le beau rôle de défenseur des intérêts populaires au mieux à des organisations catégorielles d'autres catégories sociales, au pire à la droite.
Problème relativement mineur, encore une fois. Mais la crise multiplie les problèmes de ce genre. Il ne faut pas que les mécontentements multiples engendrés par la faillite de l'économie capitaliste puissent être utilisés par les capitalistes pour sauver leur économie et leur règne.
Il ne faut pas que le gouvernement de la gauche serve d'écran. Ni devant la classe ouvrière, en masquant le fait qu'il lui faut se battre contre ce gouvernement, comme il eût fallu qu'elle se batte contre les gouvernements qui l'ont précédé. Ni devant les autres catégories travailleuses que la colère contre le gouvernement de la gauche amènera inévitablement à se dresser contre la classe ouvrière.
Bien sûr, pour gagner la confiance d'autres catégories travailleuses, il faudrait à plus ou moins longue échéance que la classe ouvrière ait une politique systématique à leur égard. Qu'elle apparaisse comme susceptible d'offrir à la société une autre perspective que la déchéance que lui offre la société capitaliste en crise. Mais il y a un commencement à tout. Et le commencement, c'est de montrer au travers des luttes concrètes, politiques, que la classe ouvrière n'a rien à voir avec le gouvernement, qu'elle ne prend aucune responsabilité pour une activité gouvernementale entièrement au service du grand capital.
Il faut que la démonstration se déroule à la plus large échelle possible, dans la rue, aux yeux de tous, sur la scène publique. Et il faut que la classe ouvrière fasse bien des démonstrations de combativité si elle veut apparaître comme une force autour de laquelle d'autres catégories puissent se rassembler. La classe ouvrière qui entre en lutte s'en prend tout naturellement aux riches et aux puissants, à tous ceux qui exploitent le travail d'autrui. Elle est donc l'alliée naturelle des petits paysans, des petits commerçants qui ne demandent qu'à recueillir le fruit de leur travail. Mais encore faut-il que ces autres catégories sociales aient la preuve que la classe ouvrière est de leur côté. Or, si celle-ci soutient le gouvernement, le même gouvernement qui augmente les impôts des petits et qui laisse leur niveau de vie se dégrader, elle se coupe inévitablement de ces couches-là. D'autre part, si elle reste passive alors que d'autres catégories sociales, se mobilisent, elle se coupe également de toutes possibilités de lier son combat au leur. Car pour que les luttes convergent, encore faut-il qu'elles existent.
La classe ouvrière, avec ses millions de salariés aux postes clés de l'économie, sans lesquels rien ne pourrait fonctionner, représente une force potentielle immense. et d'ailleurs, il suffit que la classe ouvrière se mobilise, même pas en totalité, pour que cela crée l'événement et pour que dans le pays, chacun se détermine en fonction de ce qu'elle fait.
La classe ouvrière ne doit pas craindre de réclamer son dû et d'employer les moyens nécessaires pour cela. Elle se fera craindre des patrons, respecter des autres catégories sociales et respecter également des politiciens de droite qui surveilleront leur langage et leurs arguments.
Jusqu'à présent les syndicats dont on ne peut attendre qu'ils mènent des luttes de ce genre, n'ont pas eu non plus à s'y opposer. En effet, dans un premier temps, les travailleurs ont attendu avec espoir puis, au fil des mois, une certaine déception s'est fait jour. Néanmoins, il semble que les travailleurs qui ressentent confusément la nécessité de se battre hésitent parce qu'ils sont gênés politiquement de s'en prendre à la gauche.
Ainsi, à la suite du résultat médiocre des cantonales, la réaction de nombreux travailleurs a été de prendre le contre-pied de ceux qui critiquaient le gouvernement. Face au succès de la droite et à ses attaques, le réflexe des travailleurs a été d'affirmer leur solidarité avec un gouvernement dont, pourtant, ils sont loin d'approuver la politique.
Et pourtant, les travailleurs ne pourront pas esquiver le problème. Ils seront contraints de reprendre le chemin de la lutte.
Car de plus en plus la politique du gouvernement de gauche apparaît comme la soer jumelle de la politique menée auparavant par la droite. Qu'on soulève les masques et derrière, ce sont toujours les mêmes intérêts qui gouvernent, les mêmes coffres qui se remplissent.
Les travailleurs ont un rôle à jouer dans la société, c'est d'être par nature la force de contestation déterminante contre le capitalisme. Ils ne peuvent pas se permettre de démissionner devant cette tâche sous prétexte de circonstances politiques gênantes. La crise est là, des millions d'hommes en paient les conséquences. Eh bien, il faut qu'ils trouvent dans la classe ouvrière un pôle de ralliement. Il faut que la classe ouvrière joue son rôle politique dans la société. Sinon sa carence risquerait de détourner d'elle ceux qu'elle peut avoir comme alliés, le risque est même de les voir se muer en ennemis.
Amener les travailleurs à jouer leur rôle dans les luttes politiques à venir, c'est la tâche de tous les militants ouvriers conscients, de tous ceux qui savent que l'avenir de la société dépend de l'intervention des exploités.