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Une discussion entre la LCR et LO : du bon usage des références historiques
Dans le numéro de décembre de la revue de la LCR Critique Communiste, Antoine Artous répond à l'article de notre numéro de novembre de Lutte de Classe, intitulé « La Ligue Communiste dans le sillage du gouvernement de gauche » .
Dans cette « Réponse à Lutte Ouvrière », on peut trouver plusieurs types de critiques qui nous sont adressées. Antoine Artous explique la politique de la LCR vis-à-vis du gouvernement de gauche. Il dit que la LCR en emprunte « la méthode » dans les tactiques adoptées par les Bolcheviks en 1917 ou préconisées par Trotsky en 1936 et nous reproche d'ignorer Trotsky ; et ensuite, Antoine Artous nous reproche de ne pas « avancer d'objectifs politiques » , de n'avancer aucun « axe politique central » « démarche qui conduit LO à l'impuissance complète lors de batailles politiques pourtant décisives » .
Pour la LCR, « le gouvernement en place est un gouvernement bourgeois d'un type particulier, composé, entre autres, par les partis réformistes majoritaires dans la classe ouvrière, et c'est pourquoi il faut attaquer le gouvernement par le flanc, c'est-à-dire apparaître aux yeux des travailleurs non pas comme ayant la volonté de renverser ce gouvernement, mais comme ayant la volonté de mobiliser les travailleurs contre la bourgeoisie et ses représentants directs qui « s'opposent au changement ». Il ne s'agit pas de « pédagogie » mais de comprendre comment les travailleurs se mobilisent dans de telles situations et au travers de quelles expériences concrètes va se développer la conscience de classe ».
Et à l'appui de cette position, la lcr qui nous reproche au passage d'ignorer la position de trotsky, aligne un certain nombre de citations de trotsky qui expliquait, en parlant de 1917 : « nous ne disons pas : « à bas les ministres socialistes ! » en revanche, nous enfoncions inlassablement le même clou : « à bas les ministres capitalistes » (dans la révolution espagnole, éditions de minuit), et, en juin 1936 : « quand nous disons que le moment n'est pas encore venu de combattre de front le gouvernement blum, nous ne voulons pas dire par là qu'il faille le protéger, mais seulement l'attaquer par le flanc ... le mot d'ordre ne peut pas être « a bas le gouvernement blum », mais « il faut chasser les bourgeois radicaux du gouvernement blum ... voilà la nuance. elle est extrêmement importante pour cette période » . (oeuvres -tome 10, EDI).
Toute l'argumentation d'Antoine Artous pour justifier que ces citations de Trotsky concernant 1917 et 1936 s'appliquent à la situation actuelle et à la position de la LCR telle qu'elle est exprimée plus haut, s'appuie sur le fait que le principal point commun de ces trois situations serait que, dans les trois cas, on a affaire à un gouvernement pas comme les autres, « un gouvernement bourgeois d'un type particulier, composé, entre autres, par les partis réformistes majoritaires dans la classe ouvrière » .
L'auteur consent à reconnaître au passage que « il y a des différences importantes entre la situation actuelle et celle de 1936, comme il y avait alors des différences avec la Russie d'aujourd'hui » . Mais, visiblement, pour la suite de son raisonnement, elles sont négligeables.
Pour l'auteur de l'article, ces différences, dont il ne fait pas mention, ne comptent pas auprès de ce point commun que constitue ce « gouvernement bourgeois d'un type particulier » .
Pourtant, ces « différences », elles étaient de taille ! En 1917, il y avait bien un gouvernement « socialiste », le gouvernement de coalition dirigé par le socialiste Kerensky, mais il y avait aussi la révolution ! Il y avait les soviets, il y avait des dizaines de milliers d'ouvriers, de soldats, en armes. Et c'étaient ces ouvriers et ces soldats en armes qui, après avoir renversé le tsarisme, avaient imposé, par les armes, ce gouvernement socialiste !
Et ce qui justifiait la tactique des Bolcheviks face à ce gouvernement bourgeois qui menait la même politique que les précédents, qui cherchait à désarmer ouvriers et soldats, c'est que ce gouvernement-là avait été imposé par les masses en armes et que les ouvriers et les soldats avaient à le défendre, parce que ce gouvernement avait aussi des ennemis sur sa droite : tous ceux qui voyaient en lui l'émanation des masses et voulaient le détruire. Et il y avait d'autre part tous les capitalistes qui sabotaient à qui mieux mieux l'économie. Il s'agissait pour les Bolcheviks, à la fois de se battre contre les ennemis de la révolution et d'amener les masses à comprendre que, bien qu'il soit attaqué par les éléments les plus réactionnaires de la bourgeoisie, ce gouvernement « socialiste » était quand même leur ennemi.
Voilà les rapports qui existaient alors entre les masses et ce « gouvernement bourgeois » que la LCR baptise « d'un type particulier », et voilà ce qui justifiait la tactique des Bolcheviks en pleine révolution !
Par contre, le gouvernement présidé par le socialiste Léon Blum est bien arrivé au pouvoir par une victoire électorale, celle du Front Populaire aux élections de Mai 1936 et en cela, il ressemblerait plus à celui de Mauroy. Mais en juin 1936, au moment où Trotsky écrit le texte cité par la LCR, il y avait quand même une grève générale en France, partout des usines occupées et des millions de travailleurs communistes et socialistes en lutte, effectivement non pas contre le gouvernement mais contre le patronat. Ils avaient des illusions dans le gouvernement Blum, mais moins que beaucoup l'ont dit et cru, ou le disent et le croient encore. Car si les travailleurs se sont mis en grève, c'est aussi parce qu'ils n'avaient pas tellement confiance dans la gauche au pouvoir, qu'ils n'avaient pas l'intention d'attendre passivement, en un mot, qu'il n'y avait pas « d'état de grâce ». A l'intention principalement d'Antoine Artous et peut-être de quelques-uns des camarades de la LCR, nous recommandons la lecture complète de Léon Trotsky et, en particulier, le passage ci-après consacré à juin 36 (dans le volume cité par Artous) :
« Le déclenchement de la grève est provoqué, dit-on, par les « espoirs » que suscite le gouvernement de Front Populaire. Ce n'est là qu'un quart de la vérité, et même moins. S'il ne s'était agi que de pieux espoirs, les ouvriers n'auraient pas couru le risque de la lutte. Ce qui s'exprime avant tout dans la grève, c'est la méfiance ou tout au moins le manque de confiance des ouvriers, sinon dans la bonne volonté du gouvernement, du moins dans sa capacité à briser les obstacles et à venir à bout des tâches qui l'attendent ».
« Les prolétaires veulent « aider » le gouvernement, mais à leur façon, à leur façon prolétarienne. Mais ce serait les caricaturer grossièrement que de présenter les choses comme si la masse n'était inspirée que par des « espoirs » en Blum » .
Et, une page avant, trotsky parlait de cette grève en écrivant :
« S'arrachant aux cadres corporatifs et locaux, le mouvement gréviste est devenu redoutable non seulement pour la société bourgeoise, mais aussi pour ses propres représentants parlementaires ou syndicaux, qui sont actuellement avant tout préoccupés de ne pas voir la réalité. Selon la légende, à la question de Louis XVI : « Mais c'est une révolte ? », un de ses courtisans répondit : « Non, sire, c'est une révolution » Actuellement, à la question de la bourgeoisie : « C'est une révolte ? », ses courtisans répondent : « Non, ce ne sont que des grèves corporatives ». En rassurant les capitalistes, Blum et Jouhaux se rassurent eux-mêmes. Mais les paroles ne peuvent rien. Certes, au moment où ces lignes paraîtront, la première vague peut s'être apaisée. La vie rentrera apparemment dans son ancien lit. Mais cela ne change rien au fond. Ce qui s'est passé, ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C'est la grève. C'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c'est le début classique de la révolution » .
Alors, qu'est-ce qu'il y a donc de comparable entre la situation de juin 1936 et la situation d'aujourd'hui ? Entre les rapports entre une classe ouvrière mobilisée, en lutte, et le gouvernement Blum, d'une part et, d'autre part, la classe ouvrière d'aujourd'hui et le gouvernement Mitterrand-Mauroy, arrivé au pouvoir parce que le PS l'a emporté aux dernières élections présidentielles et législatives de mai et juin derniers, en prenant des voix non seulement sur sa droite, mais également au Parti Communiste et sans que la classe ouvrière bouge tant soit peu ? Quel point commun entre « la grève » de juin 36 et « l'état de grâce » de 1981 ?
En 1917, Il y avait la révolution, des ouvriers et des soldats en armes qui imposaient leur volonté.
En 1936, il y avait la grève générale et la volonté des masses d'imposer, par la lutte, des changements, et une situation que Trotsky qualifiait de « pré-révolutionnaire ».
En 1981-82, où sont les luttes, où sont les grèves, où est la mobilisation de la classe ouvrière ?
Que devient le « point commun » que constitue « un gouvernement bourgeois d'un type particulier » ? et pourquoi antoine artous qui tient tant à parler de gouvernement bourgeois particulier à propos du gouvernement mauroy ne nous a-t-il pas trouvé une citation de trotsky pour appuyer cette catégorie nouvelle de gouvernement bourgeois ? probablement parce que les seules qu'il pourrait trouver contiendraient en même temps la condamnation de l'analogie superficielle sur laquelle repose son raisonnement.
Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi la LCR ne range pas dans cette catégorie de gouvernement bourgeois « particulier », les gouvernements « socialistes » de la IVe République, c'est-à-dire les gouvernements dirigés par les présidents du Conseil socialistes, sous le règne d'un président de la République socialiste, Vincent Auriol !
Peu importe, si l'on suit la démonstration de la LCR, que ces gouvernements soient arrivés au pouvoir indépendamment de toute mobilisation des travailleurs et qu'ils représentent ou pas un épisode dans la lutte des masses populaires, ou un simple aléa du suffrage universel.
Eh bien nous, nous pensons rester fidèles à l'esprit des idées de Trotsky en pensant que l'analyse des révolutionnaires doit d'abord reposer sur la situation et la conscience des masses populaires et en particulier de la classe ouvrière, et pas sur des « points communs » superficiels qui cachent la réalité au lieu de l'éclairer.
Les citations de Trotsky faites par l'auteur de l'article de Critique Communiste sont extraites de textes où Trotsky, militant et écrivain révolutionnaire, élaborait une tactique pour des masses en mouvement, dans une période qui pouvait déboucher sur une révolution. La LCR, en détachant des phrases de leur contexte concret, à défaut de nous montrer en quoi la tactique des Bolcheviks en 1917 ou celle préconisée pour 1936 par Trotsky, s'applique à la situation actuelle, nous donne un bon exemple de la façon dont on peut s'égarer quand on applique des formules que l'on ne comprend pas, parce qu'on ne voit pas qu'il a plus de différences, sur cette question, entre juin 1981 et juin 36, qu'il n'y en avait entre juin 36 et 1917. Et cela en fonction de l'existence ou non d'un mouvement des masses et pas de la composition du gouvernement.
Et lorsque les bolcheviks et trotsky tentent d'anticiper sur le cheminement de la conscience des masses, lorsqu'elles sont en lutte, et que la lcr utilise le produit de leur raisonnement pour « prédire » quelles voies devraient emprunter un mouvement qui n'existe pas, il y a la même différence qu'entre la démarche du marxisme révolutionnaire et celle de l'astrologie.
Aujourd'hui, plus de six mois après la venue de la gauche au gouvernement, il n'y a pas de mouvement de masse. On a assisté à un certain nombre de mouvements, pas très importants.
Reprenons donc les exemples cités par Antoine Artous. La LCR a des idées précises à ce sujet. « Le rédacteur de l'article de Lutte de Classe , dit-il, devrait commencer par se renseigner. Il saurait qu'à Renault et dans les banques, par exemple, la volonté de chasser les directions giscardiennes est bien une aspiration profonde qui s'est exprimée dans les mobilisations. Cela se retrouvera encore à l'avenir et traduit la volonté des travailleurs de briser les obstacles qui s'opposent à leur volonté de changement » .
Eh bien, chez Renault ou au Crédit Lyonnais par exemple, quelle « mobilisation » y a-t-il eu pour faire changer la direction, changement qui s'est traduit par le remplacement, chez Renault, du PDG Vernier-Palliez (qui est d'ailleurs devenu depuis ambassadeur du gouvernement Mitterrand !) par le PDG Hanon (l'un des directeurs de la Régie et connu comme bon cadre réactionnaire, sans plus), et au Crédit Lyonnais, par la prochaine nomination d'un directeur qu'on dit lié au Parti Socialiste, Deflassieux, qui a une longue carrière de haut cadre au Crédit Lyonnais et de membre de cabinets ministériel de la Ve République, à la place de Brossolette, lié à l'ancienne équipe giscardienne.
Certes, chez Renault, il y a eu des tracts distribués par la CGT et la CFDT. Il y a eu une mobilisation de la part des militants de la LCR pour coller des affiches à ce sujet autour de Renault. Mais c'est à peu près tout, les travailleurs n'ont absolument pas bronché sur cette question. Les travailleurs n'ont décidément pas compris comment ils devaient se mobiliser pour respecter les prévisions de la LCR.
Et « la mobilisation », au Crédit Lyonnais, s'est réduite à quelques escarmouches des appareils syndicaux avec l'ancien directeur au cours des réunions du Comité d'Entreprise.
Dans ces affaires, il semble bien que la lcr confonde l'espoir de certains travailleurs et surtout des « avant-gardes » de voir certaines choses changer sans lutte (en ayant un directeur plus ouvert à l'idée de négociation par exemple) avec « la volonté des travailleurs de briser les obstacles qui s'opposent à leur volonté de changement » .
Ou alors la LCR confond la « mobilisation des travailleurs » avec les illusions des appareils ! Nous reviendrons sur cet aspect de la question.
Mais pendant la période dont parle la LCR, c'est-à-dire la fin de l'année 1981, on a pourtant vu des mobilisations de travailleurs. On a vu des grèves et en particulier chez Renault que cite l'auteur de l'article, pour lesquelles des centaines de travailleurs se sont mobilisés et qui ont impliqué des milliers d'autres travailleurs qui sympathisaient avec leurs camarades ou qui étaient touchés par les conséquences de ces grèves - qui parfois étaient lock-outés.
Et ces grèves n'ont pas eu lieu « pour le renvoi des directions giscardiennes des entreprises nationalisées, des hauts fonctionnaires liés à l'ancien régime » .
Elles ont eu lieu parce que les travailleurs se sont défendus contre l'aggravation de leurs conditions de travail. Elles ont eu lieu dans des entreprises nationalisées, à Renault justement, à la SNCF, à Air-France et aussi dans des entreprises non nationalisées comme Peugeot.
La LCR, visiblement certaine, forte des enseignements qu'elle a cru trouver dans Trotsky, que les travailleurs vont se mobiliser « contre la bourgeoisie et ses représentants directs qui s'opposent au changement » , scrute l'horizon comme soer Anne à sa tour, dans une direction où elle ne voit rien venir - et en oublie de se retourner pour voir que derrière elle il se passe quand même quelque chose !
Notons quand même au passage que le PC et le PS disent aussi qu'il faut imposer le changement à la bourgeoisie et au patronat. Pas très fort, d'accord. Mais ils le disent et l'écrivent quand même et justement, ce n'est pas le Programme de Transition qui les inspire. Ce qui les inspire, c'est de justifier le gouvernement. Alors, n'y aurait-il pas une mauvaise lecture quelque part ?
En fait, les travailleurs ont sans doute moins d'illusions sur le gouvernement que la LCR ne le croit et, s'ils entrent en lutte, il y a de moins en moins de chances que ce soit pour le soutenir ou pour le défendre...
Par contre, un certain nombre de militants syndicaux et politiques, CFDT et PS, mais aussi CGT et PC, bien souvent des bureaucrates syndicaux, considèrent aujourd'hui le gouvernement Mauroy comme « leur » gouvernement. Ce sont eux qui, pour reprendre l'exemple de la LCR ont « réclamé le départ des directions giscardiennes des entreprises nationalisées, des hauts fonctionnaires liés à l'ancien régime » . Et c'est sur leurs « illusions » à eux que la LCR, en fin de compte, fonde sa politique, au nom d'un soi-disant réalisme, parce qu'elle pense que c'est l'opinion de ces gens-là, « l'avant-garde organisée » comme elle a coutume de les appeler qui est déterminante dans la lutte de classe.
Et c'est là que réside l'une de nos principales divergences avec la LCR. Nous pensons-qu'elle ne tient compte que des illusions - et des ambitions aussi d'ailleurs - de cette avant-garde organisée, composée des membres des appareils syndicaux et des militants politisés, et pas du niveau de conscience réel, des illusions ou du manque d'illusions, de la majorité des travailleurs, simples syndiqués ou pour la plupart inorganisés. La LCR agit comme s'il n'était nécessaire que de s'adresser à cette avant-garde et de la convaincre, que de ne pas se couper d'elle. Et de ce fait, elle choisit de ne pas critiquer ouvertement la politique des organisations syndicales et politiques auprès des travailleurs du rang (ou elle ne le fait que « par le flanc », en leur donnant, dans ses tracts adressés aux travailleurs par exemple, des conseils sur ce qu'elles devraient faire).
La LCR se trompe si elle espère ainsi influencer l'opinion de cette avant-garde. En tout cas, elle se prive d'un moyen de l'influencer en renonçant à critiquer franchement la politique des organisations syndicales et politiques devant l'ensemble des travailleurs : elle ne lui permet pas de mesurer l'écho qu'ont ces critiques parmi les travailleurs et, pour les plus honnêtes de cette « avant-garde », d'y être sensibles.
Quel rôle jouera l'avant-garde organisée dans ces luttes, se feront-elles sous la direction de militants syndicaux, des appareils syndicaux traditionnels, de comités de grève issus de travailleurs militants du rang... On ne le sait. Mais, par contre, il est sûr que leur succès, leur avenir dépendra de la combativité et du niveau de conscience des travailleurs du rang.
Alors, il ne s'agit pas de renoncer à s'adresser à cette avant-garde et de lui parler un langage qu'elle peut comprendre. mais à condition de savoir qu'il n'y a pas seulement dans ses rangs des militants sincères à gagner, mais aussi des bureaucrates qui sont bien plus liés au gouvernement qu'aux travailleurs et qu'il faut critiquer ceux-là devant l'ensemble des travailleurs, car les travailleurs les trouveront sans doute, en travers de leurs luttes. ce sont ceux-là qui leur diront, sur les traces de mauroy, premier ministre socialiste, ou de fitermann, ministre communiste, qu'en période de crise toutes les grèves ne sont pas bonnes, qu'il faut savoir retrousser les manches et « être solidaires », c'est-à-dire accepter de gagner moins.
Et à condition de savoir ne pas confondre la classe ouvrière avec cette « avant-garde », car cela revient, dans les faits, à se limiter à s'adresser à la bureaucratie syndicale et politique et à renoncera s'adresser aux travailleurs et, finalement, à renoncer à faire réellement pression sur les bureaucrates d'une part, et à avoir les moyens de gagner les militants honnêtes d'autre part.
On ne saurait trouver de meilleur exemple de cette politique que celle que mène actuellement la LCR vis-à-vis de « CGT pour Solidarité ».
On sait qu'au sein de la CGT, un certain nombre de militants et d'adhérents de cette centrale se sont à juste titre émus de voir les dirigeants de leur Confédération prendre officiellement position en faveur du coup de force de l'armée et ne même pas réclamer la libération des militants de Solidarité emprisonnés.
Seulement, le problème, c'est qu'un certain nombre de bureaucrates de la CGT liés au Parti Socialiste, ont profité de cette émotion pour monter une opération politique destinée à accroître l'influence du PS au sein de la CGT au détriment de celle du Parti Communiste.
Si l'on en croit un article signé P.L. dans le numéro de Rouge daté du 8 janvier, les camarades de la LCR semblent bien conscients à ce sujet. On pouvait y lire « la position scandaleuse du Parti Communiste ... donne une marge de manoeuvre considérable au Parti Socialiste ... pour favoriser le développement d'oppositions dans la CGT, en tentant de négocier une place plus importante dans ses instances de direction. Les dirigeants socialistes cherchent à traduire sur le terrain syndical l'évolution des forces électorales PS-PC » .
Nous sommes, quant à nous, d'accord avec cette analyse du rédacteur de Rouge. Et nous en tirons comme conclusion que si le courant « CGT pour Solidarité » se développe, il y a tout lieu de craindre qu'il aboutisse à ce que des responsables du Parti Communiste soient déboulonnés au profit de responsables liés au Parti Socialiste. Et d'après nous, la classe ouvrière n'a rien à gagner à ce que la bureaucratie de la CGT, actuellement liée au Parti Communiste, et de ce fait au gouvernement, soit remplacée par une autre bureaucratie, PS cette fois, ou assimilée, encore plus liée au gouvernement que les précédents !
Alors, nous savons bien que les motivations des neuf membres de la Commission Exécutive de la CGT, pour la plupart membres du PS ou liés à lui, qui ont officiellement pris position contre la politique de la Confédération, ne sont pas forcément celles des militants qui ont fait prendre à leurs sections syndicales ou à leurs syndicats des prises de position en faveur des travailleurs polonais et qui exigent que la Confédération tienne compte de ce qu'ils pensent.
Mais en fin de compte, ceux qui, militants du PS ou d'extrême-gauche, se sont regroupés au sein de la Coordination CGT pour Solidarité, quelles que soient leurs intentions, servent de troupes à ceux qui ont lancé cette opération au profit du Parti Socialiste.
Et les camarades de Rouge qui participent à cette Coordination ont beau vouloir seulement représenter l'émotion légitime des militants et adhérents sur la Pologne, ils ont beau vouloir profiter de cette affaire pour lutter pour la démocratie à l'intérieur du syndicat - ce qu'il est effectivement du devoir de révolutionnaires de tenter de faire - dans les faits, parce qu'ils ne s'en démarquent pas dans leur activité au sein de la CGT et au sein de la Coordination CGT pour Solidarité, ils s'associent à une politique qui favorise le Parti Socialiste contre le Parti Communiste, ils s'associent à une campagne anticommuniste.
Et ce n'est pas la seule critique qu'on peut faire de leur action.
Les camarades de la LCR n'ont évidemment pas tort de profiter de l'émotion engendrée par la politique de la CGT au sujet de la Pologne pour vouloir ouvrir des brèches sur le terrain de la démocratie. Lorsqu'ils expliquent, comme l'a fait au meeting « CGT pour Solidarité » qui s'est tenu à la Bourse du Travail de Paris, mardi 12 janvier, Jean-Laurent Cascarano, représentant la CGT de PORNIC (l'Office des céréales) et connu comme étant un militant de la LCR, que le problème n'était pas seulement celui de la position de la CGT sur la Pologne, mais celui de la lutte pour la démocratie au sein de la CGT, nous sommes d'accord. Mais nous le sommes moins avec l'assimilation de la lutte pour la démocratie avec la lutte « pour que l'ensemble des opinions présentes dans la CGT (soient) représentées, notamment dans la pratique du partage des mandats » (Discours retranscrit dans Rouge du 15 janvier).
Car encore faut-il être clair sur ce qu'on appelle la démocratie. Car si l'on en croit la citation de Rouge, la LCR voudrait donc que la CGT soit « démocratique » vis-à-vis des différentes tendances qui existent en son sein et cela revient à dire, en l'état actuel des choses, que la tendance PS doit voir augmenter sa représentation dans toutes les instances, ainsi, bien sûr, que la tendance LCR et la tendance Lutte Ouvrière, mais en l'état actuel du rapport des forces, cela ne rend en rien le fonctionnement de la CGT plus démocratique. Cela favorise seulement le rééquilibrage PS-PC.
Évidemment, on pourrait dire que si la LCR et Lutte Ouvrière (et d'autres) gagnaient quelques sièges dans les instances dirigeantes de la CGT, ce serait mieux que rien. Mais cela ne vaut certainement pas de favoriser le rééquilibrage en faveur du PS.
Et si la LCR entend se battre pour que les syndiqués gagnent, pour eux, le droit à la parole, le droit de contrôler et de décider la politique de leur syndicat, à la base, dans leur entreprise et à tous les niveaux, mais surtout le droit de diriger leurs luttes à venir, cela nécessite l'abandon de toute ambiguïté et la critique sans équivoque, y compris au sein de « CGT pour Solidarité » de tout rééquilibrage en faveur du PS.
Car le choix même de la pologne comme axe de cette campagne favorise le ps au détriment des courants qui critiquent principalement l'alignement de la CGT sur la politique économique du gouvernement.
Car pour mener un tel combat, tout en se démarquant de la campagne anti-communiste qui se déroule actuellement au sein de la CGT, il ne suffit pas d'ajouter quelques mots en faveur de la démocratie aux discours de la fraction pro-PS, ni même de demander comme l'a fait Cascarano, lors du meeting mentionné plus haut, que se tiennent des assemblées de syndiqués qui puissent discuter et déterminer leur position.
Mener une telle politique exige d'expliquer que la démocratie est nécessaire au sein de la CGT, parce que si la direction confédérale a montré, à propos de la Pologne, qu'elle ne respectait pas les opinions de ses adhérents, elle ne les respectera pas non plus, quand ceux-ci critiqueront la position de la CGT en faveur de leur propre gouvernement.
Une telle politique exige qu'on critique autant le Parti Socialiste que le Parti Communiste, et qu'on affirme nettement qu'on ne fera pas une bonne affaire si on remplace des bureaucrates du PC par des bureaucrates du PS, parce qu'ils seront encore moins prêts que les précédents à être « démocratiques » quand il s'agira de critiquer le gouvernement.
Et, dans la mesure où les camarades de la LCR ne font pas cela, partout, du haut en bas de leurs interventions à tous niveaux, en toutes circonstances, ils emboîtent le pas, defait, à l'OPA du PS sur la CGT... De toute évidence, ils n'envisagent pas que l'on puisse critiquer des alliés avec lesquels on mènerait des luttes communes circonstancielles.
Ont-ils peur de ne pas être compris des « masses » pro-PS de la CGT, qui ne comprendraient pas leurs critiques ? Mais en l'occurence, la LCR confondrait alors l'opinion des bureaucrates du PS qui, effectivement ne « comprendraient » pas la politique de la LCR, et en tout cas de l'admettraient pas, avec l'opinion de nombre de militants, et pas parmi les moins combatifs ou les moins conscients, c'est-à-dire les militants du Parti Communiste. Il y en a parmi eux, qui sont troublés parla position du PC et de la CGT, mais qui sont aussi écoeurés par le tour anticommuniste que prend la campagne pour la Pologne. Et la LCR confondrait aussi les remous qui agitent, dans certains secteurs, un certain nombre de cadres syndicaux et politiques, avec l'opinion de la classe ouvrière qui n'a guère manifesté d'émotion sur la question de la Pologne...
Quant à nous, répétons-le, nous sommes pour saisir les occasions pour combattre les illusions, celles de l'avant-garde comme celles des travailleurs. Et si des militants de la CGT en viennent, à propos de la Pologne, à se poser des questions sur la direction de leur syndicat et sur la démocratie, il faut les aider à y voir clair.
Mais nous pensons que cela ne peut se faire qu'en dénonçant sans relâche tout ce qui, de près ou de loin, vise à mettre les travailleurs et leurs syndicats à la remorque du gouvernement, et c'est ce que la LCR ne fait pas clairement et de façon intransigeante. Nous sommes actuellement dans une période où le gouvernement de gauche sert ouvertement les intérêts des patrons et poursuit la même politique que le gouvernement de droite précédent, vis-à-vis des travailleurs : leur faire payer la crise.
Eh bien, nous disons que si des mouvements d'importance ont lieu, ils auront immanquablement lieu contre le gouvernement autant que contre le patronat. dans ces luttes, les travailleurs trouveront contre eux les dirigeants du pc, mais encore bien plus sûrement ceux du ps. les révolutionnaires n'ont rien à perdre et tout à gagner à dire cela dès maintenant car nous sommes en une toute autre situation qu'en 1917 ou 1936.
Et les révolutionnaires doivent, bien sûr, tenir compte des illusions des masses, mais ils doivent encore plus tenir compte de leurs aspirations et surtout combattre les premières en se servant des secondes, et pas l'inverse.