Un « tournant historique » du Secrétariat Unifié : l'orientation vers la classe ouvrière14/10/19791979Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1979/10/68.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Un « tournant historique » du Secrétariat Unifié : l'orientation vers la classe ouvrière

Le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, qui doit tenir prochainement son congrès mondial, aurait décidé d'imprimer à l'ensemble de ses sections « un tournant vers la classe ouvrière ». C'est du moins ce qui ressort des trois résolutions sur « La situation politique mondiale et les tâches de la Quatrième Internationale », « l'Amérique latine » et « L'Europe capitaliste en crise et les tâches actuelles de la Quatrième Internationale » qui sont soumises par la direction du SU au congrès.

Ces textes ont été soumis, pour discussion, depuis plus d'un an aux sections. Et en septembre 1978, dans un discours prononcé devant des membres du SWP et reproduit dans International Socialist Review, supplément mensuel de The Militant, organe du SWP, Jack Barnes, dirigeant du Socialist Workers Party, section américaine du SU, présentait ainsi l'affaire : « Du Canada à la France, de la Suède au Mexique, de la Nouvelle-Zélande à la Colombie, la tâche centrale que doivent affronter les partis de la Quatrième Internationale est de diriger une grande majorité de nos membres dans l'industrie, dans les syndicats industriels, et de le faire maintenant... Ce tournant est une des plus importantes décisions dans l'histoire de la Quatrième Internationale. La mettre en pratique systématiquement et complètement est un des plus grands défis que l'Internationale ait jamais eu à relever ».

Un changement radical d'orientation ?

Le courant dont Lutte Ouvrière est une composante ne saurait certes qu'approuver « l'orientation prolétarienne » que prétend suivre à l'avenir le SU Il ne saurait qu'approuver l'affirmation que cette orientation « implique la conscience du fait que seul un parti qui est prolétarien dans sa composition autant que par son programme et qui gagne le respect croissant des travailleurs par le rôle dirigeant qu'il joue dans la lutte de classe peut conquérir la majorité des masses laborieuses et les conduire vers la prise du pouvoir » (Projet de résolution sur la situation mondiale).

Notre courant, qui se veut partie intégrante du mouvement trotskiste, s'est en effet créé à côté de celui représenté aujourd'hui par le SU, en réaction devant son manque de rigueur dans son orientation vers la classe ouvrière. Le principal reproche justement que nous adressons, depuis le début, au reste du mouvement trotskiste, est de ne pas se donner comme première tâche - et même comme tâche unique au niveau de développement où nous en sommes les uns et les autres - l'implantation dans la classe ouvrière et, bien sûr, d'abord dans la classe ouvrière industrielle, comme le soulignent les résolutions du SU elles-mêmes.

Depuis bien des années nous reprochons à ces camarades de tourner le dos à cette tâche prioritaire et essentielle pour, par opportunisme ou sous la pression de la mode, partir à la recherche de succédanés ou de raccourcis.

Et bien des divergences politiques que nous avons eues, et que nous avons encore, avec ces camarades découlent de cette divergence fondamentale d'orientation. Sur des questions aussi diverses que la nature de classe des révolutions dans les pays sous-développés, la nature de l'État des Démocraties Populaires ou l'importance du mouvement étudiant, il n'y a pas que des différences d'analyse d'une situation. Derrière nos divergences chaque fois il y a toujours présente la question de l'orientation de notre travail. Et il y a un lien facile à démontrer entre nos analyses aux uns et aux autres et le fait que nous répondions oui ou non aux questions fondamentales suivantes : pour réaliser le socialisme, y a-t-il une autre force que le prolétariat conscient et organisé pour prendre et exercer lui-même le pouvoir ? En l'absence du prolétariat sur la scène politique, d'autres forces peuvent-elles se substituer à lui pour cette tâche : armée appuyée sur les paysans des pays sous-développés, bureaucratie étatique soutenue par l'armée soviétique, ou encore telle ou telle couche petite-bourgeoise en rébellion contre la société ? Et, en conséquence, les trotskistes doivent-ils chercher à être les représentants politiques d'autres forces sociales que le prolétariat quand, quelles qu'en soient les raisons, ils ne sont ni les représentants reconnus de celui-ci, ni même implantés en son sein ? Même quand des succès semblent davantage possibles de ce côté-là ?

Certes le SU - trotskisme oblige - a toujours donné quelques coups de chapeau à cette idée marxiste fondamentale que seul le prolétariat pouvait réaliser une révolution menant au socialisme. Mais dans la pratique, il lui a tourné le dos en baptisant socialistes ou prolétariennes des forces politiques qui n'avaient rien à voir avec le prolétariat, qui ne s'appuyaient pas sur lui et qui n'entendaient nullement permettre à la classe ouvrière elle-même de s'emparer du pouvoir et de l'exercer. Il lui a tourné le dos en invitant les militants et les organisations trotskistes soit à se joindre à ces forces soit à mener la même politique qu'elles.

Ainsi pendant des années, le SU, à la suite du succès des castristes à Cuba, a défendu l'idée (du moins dans ses textes) que la tâche des révolutionnaires trotskistes dans les pays d'Amérique latine était, à l'imitation de Castro et de Guevara, d'y implanter des foyers de guérilla. Nous disions que c'était là, dans l'état et des forces révolutionnaires et de la classe ouvrière de ces pays, tourner le dos à la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire. Non seulement l'exemple de Cuba ne permettait pas d'affirmer que l'implantation d'un foyer de guérilla allait rencontrer forcément le soutien actif de la population laborieuse et en premier lieu de la paysannerie, mais, en admettant que par grande chance, ici ou là, se reproduise le schéma cubain, il n'y avait aucune chance pour qu'alors cela aboutisse à la prise du pouvoir par la classe ouvrière.

Car la prise du pouvoir par les travailleurs des villes et des campagnes en armes et organisés démocratiquement dans leurs conseils n'a rien à voir avec celle d'une armée de guérilleros, encadrés par la petite bourgeoisie et appuyée sur le soutien des paysans. Une telle armée peut bien se proclamer socialiste ou communiste, avant ou après la prise du pouvoir, elle n'entend pas céder ce pouvoir aux travailleurs eux-mêmes. L'exemple de Cuba le montre bien.

Aujourd'hui le SU fait son autocritique dans sa résolution sur l'Amérique latine sur la question de la guérilla :

« La IVesuper0 Internationale a avancé pendant plusieurs années une orientation politique incorrecte. L'expression la plus claire et la plus développée de cette ligne incorrecte se trouve dans les rapports et résolutions sur l'Amérique latine qui furent adoptés par le vote majoritaire des congrès mondiaux de la IVesuper0 Internationale de 1969 et 1974 (neuvième et dixième congrès mondial - troisième et quatrième congrès mondial après la réunification)... Le résultat de cette ligne fausse fut que beaucoup de camarades et d'organisations de la IVesuper0 Internationale se trouvèrent désarmés à cause de l'idée répandue mais fausse qu'un petit groupe de révolutionnaires capables et audacieux pouvaient impulser la dynamique de la révolution socialiste. Le processus d'implantation de nos partis dans la classe ouvrière et les masses opprimées a été bloqué. La ligne qui fut suivie, non seulement a réduit nos possibilités de gagner certains cadres des courants guérilleristes au programme marxiste-révolutionnaire mais a aussi conduit à des actions aventuristes et entraîné des pertes dans nos propres rangs. Les conséquences pour notre petit mouvement furent très graves en Argentine et en Bolivie ».

Il semblerait donc que les positions du SU, tant sa critique de sa politique antérieure que la politique qu'il se propose désormais (quand, par exemple, il définit aujourd'hui comme première tâche de la Quatrième Internationale en Amérique latine : « L'implantation dans la classe ouvrière : pour conquérir une influence décisive parmi les travailleurs et les masses exploitées et opprimées et pour les conduire à la victoire contre les classes dominantes il faut un parti prolétarien non seulement dans son programme mais aussi dans sa composition » ) et celles de notre courant se rapprochent.

Une orientation purement conjoncturelle

Mais ce qui justifie, d'après les dirigeants du SU, ce « tournant historique » aux yeux du SU, ce n'est pas, comme on aurait pu le croire, qu'une idée toute simple s'est quand même finalement imposée à lui, même si c'est au bout de plusieurs dizaines d'années, à savoir qu'une organisation qui se donne explicitement pour but la prise du pouvoir par la classe ouvrière à l'échelle mondiale, pour avoir la moindre chance de réaliser ce but, doit évidemment d'abord influencer cette classe et diriger ses luttes, c'est-à-dire s'implanter dans la classe ouvrière.

Pour des trotskistes qui se veulent logiques avec leur programme, cette tâche s'impose prioritairement partout et indépendamment des circonstances.

Mais ce n'est pas cela qui, pour le SU, justifie la nouvelle orientation qu'il propose. Ce serait parce qu'il y aurait une situation politique et sociale nouvelle, à l'échelle mondiale.

Cette situation, il la présente ainsi dans le préambule de sa résolution sur la situation mondiale :

« 1) Une nouvelle modification des rapports de forces entre les classes à l'échelle mondiale internationale aux dépens de l'impérialisme, résultant notamment de l'affaiblissement du capitalisme international par suite de la défaite de l'impérialisme américain en Indochine et de la première récession généralisée de l'économie capitaliste internationale depuis 1937-38.

2) Alors que le secteur colonial et semi-colonial reste hautement explosif, le poids prépondérant et l'impact de la lutte de classes dans les pays impérialistes sur la révolution mondiale continuent d'augmenter, processus qui avait commencé en 1968...

3) Une tendance vers la prédominance du prolétariat non seulement dans les luttes politiques de masse dans les pays impérialistes mais aussi dans les luttes de classe des pays semi-coloniaux et des États ouvriers bureaucratiquement dégénérés ou déformés.

4) Une crise croissante des appareils bureaucratiques pratiquant la collaboration de classe, qui contrôlent les partis de masse et les syndicats de travailleurs dans les pays impérialistes et dans de nombreux pays semi-coloniaux. Une avant-garde de travailleurs radicalisés est en train d'y naître...

5) La poursuite de la tendance du processus révolutionnaire d'en revenir au modèle initié par la révolution russe, modèle caractérisé par une intensification de la lutte de classe, l'organisation du prolétariat et de ses alliés dans des conseils et des comités, un combat entre tendances politiques différentes pour conquérir la majorité au sein de ces organisations ouvrières et un combat pour la conquête du pouvoir par ces organes de classe, sous la direction d'un parti bolchevique.

6) Une crise du stalinisme mondial, en rapport avec la crise du capitalisme et de l'impérialisme. Dans les États ouvriers dégénérés ou déformés, l'opposition politique continue à se développer, entre autres au sein de la classe ouvrière...

7) Une interaction croissante entre les trois secteurs de la révolution mondiale...

8) La situation politique mondiale dans son ensemble reflète donc des possibilités accrues de croissance de la IVesuper0 Internationale, centrée sur l'effort de gagner des cadres au sein des couches décisives de la classe ouvrière industrielle et du mouvement ouvrier. »

Ainsi, si le SU prétend orienter aujourd'hui ses « forces » vers l'implantation dans la classe ouvrière c'est parce que la situation dans cette classe ouvrière lui semble particulièrement favorable non seulement au développement d'un mouvement révolutionnaire en général mais plus particulièrement au recrutement par ses sections.

C'est du moins ce qu'il dit et écrit, et n'ayant pas le pouvoir de sonder les coeurs et les consciences, nous discutons là de ses affirmations, en laissant de côté le point de savoir si la décision de proposer une nouvelle orientation est venue réellement à la suite de l'analyse de la situation mondiale telle qu'elle est faite ci-dessus, ou bien si cette analyse optimiste est venue, par la suite, simplement conforter la décision du SU de valoriser cette direction (rappelons que pour cette orientation comme les précédentes, il n'y a guère de rapport entre ce qui est décidé et ce qui est effectivement fait par les sections du SU).

D'ailleurs, alors que cette discussion est censée être portée devant le SU depuis un an ou plus, ce « tournant historique » n'a aucun effet pratique visible dans des sections comme la section française par exemple. Ce qui semble bien indiquer que pour une bonne partie au moins des sections toute cette discussion reste purement académique.

De son analyse de la situation nous ne pouvons discuter ici longuement. Disons qu'elle nous semble fort loin de la réalité. Chacun de ses points est une énorme exagération, dans le but, semble-t-il, de se convaincre qu'il existerait des possibilités révolutionnaires immédiates.

Mais si cette situation, à l'épreuve de l'histoire, ne se révèle pas telle qu'a crue l'apercevoir le SU ? Si au cours des prochaines années la classe ouvrière n'a pas pris ou repris partout l'offensive révolutionnaire, comme il le prévoit ? Si le recrutement des sections du SU et leur implantation dans la classe ouvrière se révèle plus lent que prévu ? S'il n'avance que pas à pas comme cela a été le cas pour l'implantation dans la classe ouvrière des groupes, tel que Lutte Ouvrière, qui se sont orientés systématiquement depuis bien longtemps dans cette direction ?

De notre point de vue cela ne devrait rien changer à ce que doit être l'orientation des militants trotskistes à travers le monde, puisque, répétons-le, pour nous elle découle immédiatement du programme trotskiste fondamental et non pas de la situation du moment ou même de la période historique.

Mais il n'en est évidemment pas de même pour ceux qui la font découler de la conjoncture et en fonction des possibilités de succès et de recrutements immédiats.

Il se trouve que, en fonction d'une analyse (que nous estimons par ailleurs erronée) de la situation ou parce qu'il croit entrevoir telle ou telle opportunité immédiate de recrutement, le SU dit aujourd'hui ce que nous disons depuis longtemps. Mais cette rencontre, sur ces bases, est presque fortuite.

Pour les mêmes raisons d'opportunité, se basant sur des perspectives révolutionnaires semblablement optimistes, le SU était hier pour s'orienter en direction des guérilleros nationalistes appuyés sur les paysans du Tiers-Monde ou, dans les pays occidentaux, en direction de mouvements mettant en branle certaines couches de la petite bourgeoisie comme les étudiants. Il est aujourd'hui pour s'orienter en direction de la classe ouvrière industrielle. Il sera demain, pour peu que change sinon la situation du moins son analyse de la situation, pour s'orienter à nouveau vers telle ou telle autre couche sociale, ou tel ou tel mouvement politique représentant une autre couche sociale.

Reprenons l'exemple de l'Amérique latine. Si le SU se livre aujourd'hui à l'autocritique de la ligne guérilleriste qu'il a prônée pendant des années c'est parce que, comme il l'affirme dans sa résolution, « la stratégie de la guerre de guérilla qui était avancée par un grand nombre de militants révolutionnaires en Amérique latine s'est soldée par un échec ».

C'est vrai que les guérillas des années 60 qui avaient vu le jour un peu partout en Amérique latine semblent bien, et depuis longtemps, avoir vécu. Avec dix ans de retard, le SU, qui se veut la direction de l'avant-garde, les condamne parce qu'elles ont échoué et en vient à la conclusion que ce n'était pas la bonne tactique. Il en propose une autre qu'il base pareillement comme il le faisait pour la guérilla, sur ce qu'il croit être des perspectives révolutionnaires immédiates.

Mais si demain, ici ou là, en Amérique latine ou ailleurs, des guérillas reprennent et remportent quelques succès ? Car, après tout, même si le SU avait cru y voir quelque chose de très nouveau, il y a des siècles que régulièrement des guérillas appuyées plus ou moins sur les paysans reprennent vie dans cette région du monde !

Alors dans ce cas, si le SU reste fidèle à lui-même, c'est-à-dire sensible à ce qu'il croit être les opportunités du moment, il redeviendra pro-guérilleriste. Les grandes déclarations de principe sur la nécessaire composition et implantation prolétarienne oubliées, ou modifiées en fonction des nouveaux besoins, son orientation changée à nouveau en fonction dés vents politiques du moment, il proposera à nouveau à telle ou telle de ces sections de se lancer dans la lutte guérilleriste (ou du moins votera de le faire dans ses congrès).

Et ce qui est vrai pour l'Amérique latine à propos de la guérilla, l'est pareillement pour les États-Unis ou les pays européens occidentaux à propos d'autres mouvements politiques qui représentaient certaines couches de la petite bourgeoisie ou s'appuyaient sur elles. Car c'est au fond la conclusion la plus claire qu'on peut tirer de la nouvelle « orientation prolétarienne » du SU : c'est parce que tous les mouvements sur lesquels il avait misé à un moment ou à un autre ces dernières années semblent avoir abouti au fiasco que le SU en vient à se tourner directement vers la classe ouvrière. Ce qui lui fait ainsi jouer le rôle de roue de secours pour révolutionnaires en panne. C'est là une bien curieuse conception pour des trotskistes.

Pour résoudre des problèmes organisationnels ?

« Dans beaucoup de pays la majorité de nos camarades sont déjà membres des syndicats, mais il reste encore à construire des fractions puissantes dans les principaux secteurs de la grande industrie. De nouvelles possibilités se sont maintenant ouvertes pour recruter des ouvriers de l'industrie. Il faut faire un effort spécial pour réaliser ces possibilités, y compris la mobilisation des cadres recrutés pendant la période antérieure, Dans beaucoup de pays ces cadres ne sont pas encore enracinés dans la classe ouvrière industrielle. Il faut sans plus tarder les diriger dans la voie de ce tournant ». Si nous avons bien compris la résolution, confirmée d'ailleurs par les explications de Jack Barnes au SWP, dans la pratique ce « tournant historique » consiste à envoyer dans les principaux secteurs de l'industrie une partie des militants petits-bourgeois ou de ceux travaillant jusque-là dans les secteurs marginaux de l'économie.

D'abord le SU y voit un moyen de régler un certain nombre de problèmes organisationnels. Il s'agit d'empêcher les comportements individualistes de toutes natures et permettre aux ouvriers d'exercer des responsabilités dirigeantes dans le parti, comme le souligne la résolution :

« Sur le plan interne, cette orientation facilitera la formation de dirigeants et la solution de problèmes organisationnels dans tous les domaines de notre travail. La lutte pour des partis prolétariens inclut l'encouragement conscient du fonctionnement des directions comme des équipes collectives. Elle signifie promouvoir la formation d'organes de direction qui incluent des camarades de différentes opinions et expériences d'activité du parti et qui s'organisent de manière démocratique et objective. Elle signifie éduquer tout le parti sur l'importance théorique et politique de la question d'organisation. Elle signifie un effort conscient pour développer des camarades ouvriers, femmes, et originaires des nationalités opprimées en tant que dirigeants du parti, capables d'assumer toutes les responsabilités de direction. Elle signifie éduquer le parti contre les dangers du fractionnisme permanent et de l'esprit de clique qui peuvent déchirer des organisations jeunes et inexpérimentées. Le but c'est de construire des partis bolcheviks ouvriers expérimentés qui s'orientent pour devenir des dirigeants politiques de leur classe et de ses alliés ».

Il est évident qu'un parti révolutionnaire prolétarien peut avoir à décider d'envoyer une partie de ses membres, y compris petits-bourgeois, travailler à certains moments dans les usines. Le problème ne se pose pourtant pas forcément en ces termes, quand il s'agit de mettre un barrage à l'influence petite-bourgeoise sur le parti.

Pour cela, s'il n'est pas forcément nécessaire d'envoyer les membres petits-bourgeois, étudiants, enseignants, médecins, etc. travailler dans la grande industrie, ce qui est nécessaire par contre c'est d'orienter systématiquement leur travail politique vers la classe ouvrière, quelle que soit la manière dont ils gagnent leur pain.

Trotsky juste avant la Seconde Guerre mondiale posait déjà le problème de l'importance et du nombre des membres petits-bourgeois dans le parti, à propos du SWP américain justement. Il ne proposait pas comme solution de les envoyer travailler en usine mais de les envoyer militer et recruter en milieu ouvrier. Et c'est à notre avis encore le problème essentiel. Pour empêcher que l'organisation révolutionnaire ne soit entraînée du côté de la petite bourgeoisie, - ce qui a l'air d'être un des problèmes actuels du SU - il ne s'agit ni d'empêcher l'adhésion de petits bourgeois ni d'envoyer systématiquement ces petits bourgeois en usine. Mais il s'agit de sélectionner les seuls petits bourgeois qui soient tout dévoués aux intérêts de la classe ouvrière et qui l'aient démontré et le démontrent chaque jour par leur activité militante.

Si on ne fait pas cette sélection, on peut bien envoyer une partie d'entre eux en usine, probablement la partie la plus dévouée. Il suffit qu'il en reste une bonne partie préoccupés des seuls problèmes des petits bourgeois, militant dans les seuls milieux petits-bourgeois, ayant consciemment ou inconsciemment en vue les seuls intérêts de telle ou telle couche de la petite bourgeoisie, pour que le parti tout entier soit entraîné ou du moins qu'il subisse une extraordinaire pression de ce côté.

La fragilité d'une orientation basée sur des perspectives illusoires

Ceci dit, pour ceux des militants des sections du SU qui se dirigeront ainsi vers la grande industrie se pose le problème des perspectives avec lesquelles ils entament ce travail. Et il n'est certes pas indifférent pour l'avenir de celui-ci qu'ils le fassent en toute connaissance de cause ou sur la base de perspectives illusoires.

Le SU, lui, oriente ce travail avec une perspective à court terme. Il s'agit tout simplement de créer une « tendance gauche de lutte de classe au sein du mouvement syndical ».

Jack Barnes commentant la résolution déclarait : « une telle base (de militants dans les grandes entreprises-NDLR) rendra beaucoup plus possible pour nous de jouer un rôle dirigeant dans la construction d'une aile gauche de lutte de classe dans le mouvement ouvrier pour combattre la politique de collaboration de classe qui paralyse les travailleurs dans leurs tentatives pour utiliser la puissance des syndicats pour faire face à l'offensive des employeurs. »

Dans sa résolution sur la situation européenne, le SU est forcé d'admettre que « une véritable tendance lutte de classe, même à un stade initial, n'existe dans aucun syndicat européen ». Mais il se console en affirmant « dans de nombreux syndicats l'esquisse de la constitution de regroupement de militants oppositionnels qui ont manifesté leur contestation de la ligne de l'appareil ». Ainsi « en France, ces oppositions se sont révélées dans les congrès de la CFDT. Elles existent de façon permanente dans diverses fédérations de la CGT et de la CFDT »

Là encore c'est une grosse exagération de la situation. En tous cas si nous en jugeons par la situation française. Et si la base doit en être les opposants qui se sont montrés dans les congrès CFDT, soit les militants de la LCR sont à des années lumière de constituer « une tendance gauche de lutte de classe » , soit sous ce vocable il ne faut entendre qu'un vague regroupement de bureaucrates syndicaux. De toute manière ce n'est pas de ce côté que l'implantation du parti révolutionnaire dans la classe ouvrière a des chances de faire des progrès importants.

Alors pour les militants qui s'orienteraient vers la classe ouvrière, sur la foi de ces déclarations, que se passera-t-il si la situation n'est pas celle décrite ? Si, comme ce fut le cas jusqu'ici, pour les militants d'entreprise en France par exemple, non seulement il n'est pas question de bâtir une « tendance de gauche de lutte de classe » dans les syndicats mais même le recrutement se fait avec difficulté ?

Cette situation n'enlève rien à la nécessité de faire ce travail en direction des grandes entreprises. C'est vrai que c'est la seule manière de commencer la construction d'un parti révolutionnaire prolétarien, instrument indispensable pour diriger une montée révolutionnaire dans la classe ouvrière. Cette tâche est celle des militants révolutionnaires d'aujourd'hui, que cette montée se produise dans deux mois ou dans dix ans. Mais à cette deuxième alternative les militants ouvriers révolutionnaires doivent être aussi préparés. Ce n'est certes pas ce que fait le SU aujourd'hui.

Si donc ces brillantes perspectives ne se produisent pas - et inutile de dire que nous préférerions que le SU ait raison, mais le problème n'est pas de ce que nous préférérions - que se passera-t-il ? C'est le risque que désillusions et démoralisation s'emparent d'un certain nombre de militants, qui en tireront la conclusion que la classe ouvrière n'est pas la classe révolutionnaire, qu'elle est embourgeoisée ou sans ressort, bref qu'il faut chercher ailleurs, à nouveau, la couche sociale porteuse d'avenir, à moins qu'ils ne se retirent tout simplement de l'activité militante.

Ce phénomène s'est produit avec les militants d'un certain nombre de groupes, en particulier maoïste, à la suite de Mai 68 en France ou à la fin des années 60 aux États-Unis. Ils ont cherché très sincèrement à militer dans la classe ouvrière. Et ils ont fini écoeurés et démoralisés parce qu'ils attendaient des succès à brève échéance. Ce risque ne guette sans doute pas les sections du SU qui ont été jusqu'ici capables, tout en répétant leur conviction que la classe ouvrière était la classe révolutionnaire, d'accrocher leur wagon aux différents mouvements petits-bourgeois. Mais celles qui prendraient les résolutions des congrès mondiaux au sérieux ?

Savoir si les sections du SU seront capables d'effectuer le tournant proposé est une question à laquelle seul l'avenir répondra. Une fois les résolutions de congrès votées se posent alors les vrais problèmes. Le premier en ces temps de crise est de réussir à trouver des emplois dans cette grande industrie. Le second est d'avoir sélectionné des militants assez dévoués et engagés au service de la classe ouvrière.

Nous ne doutons pas cependant que les sections du SU comptent de pareils militants dans leurs rangs. Autant que nous puissions en juger, le SWP américain, dont Jack Barnes affirme qu'il en était venu à conclure de la nécessité de ce tournant six mois avant la résolution du SU, a bien envoyé déjà une partie de ses membres dans les grandes entreprises.

Par contre le fait que d'autres sections n'aient strictement rien changé à leur attitude ces derniers temps, semble bien montrer que, pour elles au moins, ces résolutions comme bien d'autres adoptées dans le passé, restent des textes à l'usage exclusif des congrès.

Il ne fait pourtant guère de doute que, quelles que soient les erreurs d'analyse et de perspective du SU, si le mouvement trotskiste était capable de mettre en pratique une telle orientation vers la classe ouvrière industrielle, un pas important serait fait vers la construction de véritables partis révolutionnaires prolétariens.

Ne serait-ce que parce qu'un tel travail militant permettrait peut être, entre autres à notre tendance et celle du SU, de discuter des vrais problèmes qui sont posés aujourd'hui à ceux qui se donnent réellement pour tâche de réimplanter les idées et le mouvement révolutionnaires dans un prolétariat qui en a été séparé depuis des dizaines d'années... et non plus sur des analyses qui n'ont qu'un lointain rapport avec cette réalité.

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