Un succès de Mitterrand... et de la Vème République30/06/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/06/86.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Un succès de Mitterrand... et de la Vème République

A l'issue des scrutins des 14 et 21 juin, le Parti Socialiste dispose, pour la première fois en France, de la majorité absolue à la Chambre des Députés. Sur 491 députés, le groupe socialiste en compte à lui seul 269, auxquels il faut ajouter 14 députés du Mouvement des Radicaux de Gauche, et six « divers gauche », soit au total près de 59 % des sièges.

Les autres grandes forces parlementaires sortent perdantes de ces élections législatives. C'est le cas de la droite. Même si les trois sièges restant à pourvoir au moment où nous écrivons - en Polynésie et aux îles Wallis et Futuna - lui étaient acquis, UDF, RPR et divers droite totaliseraient dans la nouvelle assemblée 158 députés contre 288 dans la précédente ; soit moins du tiers. Mais c'est aussi le cas, à gauche, pour le Parti Communiste. Celui-ci ne compte plus que 44 députés contre 86 dans la Chambre élue en mars 1978.

La nouvelle composition de la Chambre des députés reflète d'abord, bien évidemment, l'importante poussée qui s'est produite, dans l'électorat, en faveur du Parti Socialiste. Au premier tour, le 14 juin, celui-ci et le Mouvement des Radicaux de Gauche ont en effet obtenu 37,51 % des voix, contre 24,69 % en 1978. Ce déplacement de voix s'est fait aux dépens du Parti Communiste (16,17 % contre 20,55 % en 1978) du PSU et de l'extrême-gauche (1,33 % contre 3,33 % en 1978) et bien sûr de la droite, qui totalisait le 14 juin 43,15 % des voix, contre 48,36 % en 1978.

 

Un mouvement électoral fortement amplifié par le mode de scrutin

 

Mais ce mouvement électoral, important en soi, s'est trouvé fortement amplifié, jusqu'à en devenir écrasant, par le mode de scrutin majoritaire. Dans toutes les élections législatives de la Cinquième République, ce mode de scrutin avait jusqu'alors joué en faveur de la droite. Il permettait en effet à celle-ci de transformer un léger avantage en voix en un important avantage en sièges. Le découpage des circonscriptions effectué en 1958, qui aboutissait à une sur-représentation des régions rurales au détriment des régions urbaines, jouait dans le même sens, en permettant à des représentants de la droite d'être élus avec 10 000 ou 20 000 voix, alors qu'il en faut 50 000 ou 60 000 pour être élu dans une banlieue ouvrière.

Au point que l'on estime généralement que, pour que la gauche dispose de la majorité en sièges à la Chambre, il lui faut atteindre et dépasser 52 % des voix dans le pays. En mars 1978, tout en réunissant au premier tour 49,57 % des suffrages contre 48,36 % à la droite, la gauche n'en fut pas moins largement minoritaire à la Chambre.

Le mouvement électoral du 14 juin, en donnant à la gauche le score total jamais atteint de 55,73 % des voix, lui a donc permis d'atteindre le point où le système électoral mis en place en 1958 par De Gaulle se mettait à jouer en faveur de la gauche, si bien que la majorité en sièges dont elle dispose à la Chambre amplifie fortement la majorité en voix dont elle a disposé dans le corps électoral.

 

Le PCF réduit sur le plan parlementaire

 

Mais, à l'intérieur de la gauche aussi, le système majoritaire a largement amplifié l'avantage pris par le Parti Socialiste sur le Parti Communiste. Dans de nombreuses circonscriptions ouvrières, dont l'élu était jusqu'alors traditionnellement PCF, le candidat socialiste, bénéficiant tout à la fois d'un apport de voix PCF et d'un apport de voix gagnées sur la droite, a pu devancer le candidat du PC à l'issue du premier tour. En vertu de l'accord de désistement automatique en faveur du candidat de gauche le mieux placé conclu par le PCF et le PS, le candidat du PCF devait donc céder la place à celui du PS. C'est ainsi que, en perdant le cinquième de ses voix de 1978, le PCF a perdu près de la moitié de ses députés.

Ce résultat n'est certes pas une surprise pour les dirigeants du PCF. Ils le redoutaient en fait depuis 1974 ; c'est-à-dire depuis que la gauche a progressé sur le plan électoral et surtout depuis que, à l'intérieur de cette gauche, le progrès électoral a mis le Parti Socialiste à la première place, devant le Parti Communiste. C'est la crainte des dirigeants du PCF de voir le PS se tailler la part du lion dans une éventuelle victoire de la gauche aux élections de mars 1978 qui est à l'origine de la rupture de l'Union de la gauche en septembre 1977 par le PCF. C'est elle qui est à l'origine des attaques du PCF contre le PS, et de ses tentatives pour inverser le courant qui, à l'intérieur de la gauche, privilégiait le PS aux dépens du PC.

Les résultats du 14 et du 21 juin marquent donc, pour le PCF, l'échec de sa tentative pour renverser le courant, et de la politique menée dans ce but, depuis quatre ans, par Georges Marchais.

 

La gauche socialiste servie par le « fait présidentiel »

 

Mais les résultats de ces élections législatives ne sont que la suite de ceux de l'élection présidentielle des 26 avril et 10 mai, et de la victoire du candidat de gauche François Mitterrand. Avant son élection, celui-ci avait annoncé son intention de dissoudre immédiatement la Chambre, et fait le pari que de nouvelles élections lui donneraient une majorité de députés lui permettant de gouverner. Ce pari s'est trouvé justifié.

La victoire électorale de Mitterrand, le 10 mai dernier, s'est ainsi trouvée prolongée par la victoire du Parti Socialiste, le parti du président, aux élections du 14 et 21 juin. Mais ce n'est pas là seulement sa victoire ; c'est aussi d'une certaine façon, la consécration des institutions de la Cinquième République, mises en place en 1958 par De Gaulle, et complétées en 1962 par l'institution de l'élection du Président de la République au suffrage universel.

La Constitution de la Cinquième République avait pour but affirmé de donner au pays un gouvernement fort et stable (fort par rapport aux électeurs, c'est-à-dire à la population, et stable par rapport aux mouvements de l'opinion, c'est-à-dire aux déceptions éventuelles de l'électorat). Pour cela, elle donnait d'importants pouvoirs à l'exécutif, c'est-à-dire au Président de la République, par rapport au Parlement. En même temps, en remplaçant le scrutin de liste - dans une certaine mesure proportionnel - jusqu'alors en vigueur pour les élections législatives par le scrutin majoritaire uninominal, elle cherchait à favoriser la création de majorités parlementaires nettes et stables. Enfin, le découpage des circonscriptions visait non seulement à favoriser la droite vis-à-vis de la gauche, mais aussi et surtout à amoindrir la représentation parlementaire du Parti Communiste, en défavorisant systématiquement les régions ouvrières.

Pour donner plus de pouvoir encore au Président et le rendre même indépendant de sa propre majorité parlementaire, l'élection du Président de la République au suffrage universel fut instituée en 1962. Afin d'en augmenter artificiellement la légitimité et que le suffrage universel ait l'apparence d'un plébiscite, ne pouvaient se maintenir au deuxième tour que les deux candidats arrivés en tête au premier tour, ce qui faisait que l'élu du deuxième tour était obligatoirement, par cette procédure, élu par plus de la moitié des suffrages exprimés.

De façon plus draconienne encore que le scrutin majoritaire des législatives, le scrutin présidentiel poussait donc à simplifier l'affrontement électoral et à le réduire à l'affrontement de deux hommes ou, si l'on veut, de deux tendances. L'intention était de parvenir à une bipolarisation de la vie politique, entre deux grands partis garantissant, par leur alternance, la stabilité du pouvoir de la bourgeoisie, à l'instar de ce qui se produit aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne Fédérale.

Pourtant, jusqu'à présent, cette bipolarisation n'était pas effective au point de permettre l'alternance. De 1958 à 1974, les élections présidentielles furent gagnées par les candidats de la droite.

Et, aux élections législatives, l'ancienne majorité - qui sous Pompidou et plus encore sous Giscard, a fini par englober la quasi-totalité des formations de la droite et du centre - a invariablement obtenu la majorité des sièges à l'Assemblée.

Pour assurer l'alternance politique, il fallait que la gauche soit capable de mordre, et de façon importante, sur l'électorat de l'ancienne majorité de droite. Dans un pays où les partis de gauche sont traditionnellement minoritaires sur le plan électoral - les élections de 1945 ont été les seules au cours du demi-siècle passé où le PCF et la SFIO avoisinaient ensemble la moitié des voix, et encore, sans tout à fait l'atteindre - la chose n'allait pas de soi.

La stratégie de Mitterrand ne pouvait réussir que s'il parvenait à gagner la confiance d'une frange de l'électorat de droite, sans pour autant décourager une partie de cet électorat du Parti Communiste qui lui était acquis dès le premier tour en 1965 et en 1974, et au second tour en 1981. Stratégie dont le succès était donc lié à la capacité de Mitterrand de convaincre cette fraction de l'électorat du centre ou de droite, qu'il n'était nullement l'otage du Parti Communiste ; qu'il était au contraire capable de rééquilibrer la gauche au détriment de ce dernier ; et qu'en tous les cas, une fois au pouvoir, il était capable de gouverner sans dépendre du PCF.

Eh bien, il faut croire que Mitterrand a suffisamment convaincu pour dépasser Giscard d'un bon million de votes et, surtout, pour que sa propre victoire personnelle aux présidentielles se prolonge aux législatives par un raz-de-marée électoral en faveur du Parti Socialiste, et cela sans une radicalisation politique particulière dans le pays.

L'ampleur du succès de Mitterrand, si ce n'est le succès lui-même, doit en outre beaucoup aux rivalités internes à la droite, en particulier aux manoeuvres de Chirac contre Giscard. Il était manifeste qu'une frange de l'électorat gaulliste a préféré Mitterrand à Giscard aux présidentielles.

Il semble que cette frange d'électeurs ait prolongé son attitude durant les législatives, et ait favorisé les candidats du Parti Socialiste, en votant pour eux ou, en tous les cas, en s'abstenant de voter pour les candidats giscardiens.

Les divisions des dirigeants de la droite, sur un fond d'usure du pouvoir, conjuguées à l'apparence rassurante que Mitterrand a su donner à son arrivée au pouvoir y compris aux yeux d'une partie de l'opinion publique bourgeoise, ont valu aux partis de gauche la majorité la plus confortable qu'ils aient jamais eue.

 

Mitterrand, le continuateur de De Gaulle

 

De Gaulle s'était servi des institutions de la Cinquième République pour obliger la droite française à se couler dans un grand parti de la « majorité présidentielle » qui fut l'UNR, devenue ensuite UDR et aujourd'hui RPR. Lorsque cette unité de la droite éclata, en particulier durant le septennat de Giscard d'Estaing, les institutions de la Cinquième République furent encore assez fortes pour obliger les deux composantes de la « majorité présidentielle », l'UDF et le RPR, à garder le minimum de solidarité nécessaire pour assurer la stabilité gouvernementale.

Mitterrand de son côté a su se servir, et du système électoral majoritaire, et du rôle primordial que la constitution gaulliste donne à ceux qui représentent l'un ou l'autre camp dans la course à la présidence, pour « rééquilibrer » la gauche en sa faveur et en faveur du Parti Socialiste.

L'entrée de ministres communistes dans le gouvernement de Pierre Mauroy a été, d'une certaine façon, le parachèvement de la victoire de Mitterrand sur le PCF. Car celui-ci a dû accepter la politique de Mitterrand qu'il critiquait si fort il y a tout juste quelques semaines, et accepter le principe de la solidarité gouvernementale. C'est une capitulation qui revient pour le PCF à reconnaître qu'il est aujourd'hui dépendant du président de gauche élu, tout comme le RPR et l'UDF étaient, hier, dépendants du président de droite Giscard d'Estaing.

Les mécanismes institutionnels de la Cinquième République ont fini par servir Mitterrand, en particulier en amplifiant sa victoire électorale sur le plan de la représentation parlementaire. Mais Mitterrand a aussi servi, si l'on peut dire, ces mécanismes institutionnels, en rendant politiquement possible l'alternance.

Sous la Quatrième République, le cadre institutionnel, comme l'importance électorale et parlementaire du PCF - que la bourgeoisie refusait d'associer aux responsabilités gouvernementales - ont tous les deux contribué à l'instabilité gouvernementale que l'on sait.

La Cinquième République, dès sa mise en place, a mis fin à l'instabilité gouvernementale, mais laissait en reste la question de savoir si l'alternance était possible sans secousses, et si la gauche pouvait relayer la droite pour un temps, sans que son gouvernement paraisse dépendant du Parti Communiste.

Voilà qui est fait. C'est l'apport de Mitterrand au bon fonctionnement de la Cinquième République.

 

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