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Talbot : un avertissement de ce que sera la politique du gouvernement et des syndicats
Au moment où l'on annonce des dizaines de milliers de suppressions d'emplois dans différentes branches de l'économie (automobile, chantiers navals, sidérurgie, charbonnages, métallurgie) l'affaire Talbot prend valeur de test. Dans ce premier grand conflit de l'automobile, placé sous le signe des licenciements, on a pu mesurer tout à la fois l'intransigeance patronale, la complaisance du gouvernement, le désarroi syndical et la détermination des travailleurs à ne pas s'incliner devant la situation.
Après plusieurs semaines d'un conflit dur, grave, plein de rebondissements, marqué par les coups de force et le chantage de la direction PSA, l'intervention des CRS du gouvernement « socialiste », la division syndicale et les violents incidents entre grévistes et CSL, les ouvriers de Talbot ont repris le travail, sur la base de l'accord gouvernement-Peugeot entérinant 1905 licenciements. Seules se discutent encore, cas par cas, ambassade par ambassade, les modalités d'une « aide au retour » dont on ne sait pas encore si elle concerne les seuls licenciés de Talbot ou si elle sera étendue à toutes les branches visées par les licenciements.
Et pourtant le conflit Talbot n'a pas fini de peser sur la situation politique : les grandes centrales syndicales continuent à s'expliquer, à s'accuser mutuellement, les partis eux-mêmes modifient leur langage, Georges Marchais durcit le ton sinon les actes. Le gouvernement cherche tous azimuts des solutions « douces » à ce que toute la presse baptise hypocritement « les nécessités de la mutation industrielle » et les travailleurs, surtout ceux de l'automobile, des chantiers navals ou des Charbonnages, discutent âprement de ce qui s'est passé à Talbot, du rôle qu'y ont joué les uns et les autres, de la lutte inévitable qu'ils auront à mener et de leurs chances de l'emporter.
Chacun sait désormais que le gouvernement socialiste autorisera les licenciements demandés. Certes, pas des « licenciements secs » selon le jargon de Ralite, ministre communiste délégué à l'emploi, des licenciements avec « accompagnement social », mais licenciements tout de même. Pour beaucoup de travailleurs, c'est nouveau. Ils avaient certes connu les licenciements sous Giscard, mais ils avaient espéré autre chose des socialistes, d'autant qu'à l'été 81, le gouvernement était intervenu pour éviter des faillites et des dépôts de bilan, comme chez Boussac. Mauroy s'était engagé à ne pas dépasser la barre des deux millions de chômeurs recensés.
Depuis la situation s'est dégradée. Depuis le patronat réclame à cor et à cris la liberté de licencier. Il ne s'agit pas des entreprises qui ferment, mais des entreprises qui fonctionnent et qui entendent rester compétitives. Dans la logique capitaliste, ce terme entraîne inévitablement des suppressions d'emploi. Car moderniser, restructurer, opérer des mutations technologiques, sont des termes commodes, qui ne recouvrent le plus souvent qu'une volonté délibérée d'abaisser les coûts de production en faisant faire plus de travail avec moins d'ouvriers.
Ce n'est pas la robotisation qui met, globalement, les ouvriers à la porte, c'est la crise, ou plus précisément, la volonté des bourgeois en période de crise, de maintenir leurs profits à tout prix, même en augmentant le nombre des chômeurs, même en diminuant les revenus de la population laborieuse.
Cette volonté est dans une certaine mesure entravée par des liens juridiques qui soumettent les licenciements économiques à l'accord des autorités, direction départementale du travail et au-delà, gouvernement.
Or le gouvernement affirme lui aussi la nécessité de « sauver les entreprises », de les aider à être concurrentielles. Le gouvernement de Mauroy, qui épouse la logique capitaliste, sait parfaitement qu'il devra autoriser et donc cautionner les licenciements dans certaines branches industrielles. Il l'a laissé entendre très officiellement, pour ce qui dépend de lui, c'est-à-dire les Charbonnages. Mais, afin d'éviter les réactions ouvrières, et de préserver le calme social, il prenait du temps, le temps sans doute de mettre au point des propositions sociales qui en atténueraient un peu, provisoirement, les conséquences.
Peugeot met le gouvernement au pied du mur
Le patronat, lui, n'a aucune raison d'attendre. En annonçant le 12 juillet son intention de supprimer près de 8 000 emplois sur l'ensemble du groupe Peugeot-Talbot, et déposant auprès des autorités un dossier, la direction PSA mettait le gouvernement au pied du mur.
Le gouvernement feint la surprise... et se donne deux mois pour examiner le dossier, avec la nomination d'un expert pour évaluer la situation du groupe Peugeot.
Le 11 octobre, la direction du travail des Yvelines, chargée du dossier Peugeot-Talbot, accepte le principe de 4 510 départs en pré-retraite (dont plus de 1 200 à Poissy, le reste à Sochaux). Mais elle refuse les 2 905 licenciements demandés chez Talbot, car « le plan social d'accompagnement est insuffisant » . Ainsi il apparaît dès lors pour l'administration que les licenciements sont inéluctables, il ne manque que la « sauce » autour. Peugeot est prié de revoir son dossier dans ce sens.
Mais pour les travailleurs de Talbot, c'est l'attente et l'inquiétude. Début décembre, la direction de PSA qui s'impatiente elle aussi et qui négocie avec Bérégovoy, annonce de nouvelles journées de chômage technique : entre le 12 et le 23 décembre, l'usine ne tournera qu'avec la moitié des effectifs (l'équipe du matin, l'autre restera à la maison avec 50 % du salaire) ; du 23 décembre au 2 janvier, l'usine sera fermée pour cause de congés (5e semaine).
II faut donc réagir tant que l'effectif est au complet.
Le mercredi 7 décembre au soir, à 20h 30, à l'appel séparé de la CGT et de la CFDT, l'usine Talbot est en grève pour 24 heures reconductibles.
La grève
La grève sera totale, elle concernera toute la production (13 000 personnes) et rencontrera, disent les syndicats, la sympathie des employés et même des cadres.
C'est cette réaction massive, déterminée des travailleurs qui va déranger les manoeuvres en cours. Visiblement après le rapport de l'expert, le gouvernement avait accepté le principe des licenciements. Restait à mettre au point, avec Peugeot, une formule de plan social qui ait un peu de tenue. C'était la tâche de Bérégovoy. Mais devant le mécontentement des ouvriers et leur décision, le gouvernement embarrassé, tente de gagner du temps et de retarder sa réponse. Ces tergiversations alimentent les illusions.
er décembre : « Monsieur Calvet, directeur de PSA, ne peut continuer en toute tranquillité la politique qu'il pratiquait lorsqu'il était chef de cabinet de Valéry Giscard d'Estaing et de narguer les décisions gouvernementales : refus des licenciements. Ce qui lui est demandé, ce n'est pas de faire en douceur ce qui lui a été refusé de faire brutalement, mais d'avancer d'autres solutions, garantissant l'emploi et le maintien de la marque Talbot » .
Ainsi, le PCF comme la CGT, prêtent au gouvernement la ferme volonté de « refuser les licenciements ». Tactique, ou ignorance ? C'est le moment où Georges Marchais, à propos de SKF, s'en prend au ministre Laurent Fabius, et affirme la volonté des communistes de défendre l'emploi.
L'Humanité du 10 décembre précise même : « Du côté des pouvoirs publics, aucune décision officielle, ni officieuse n'a été prise, contrairement à ce qu'a pu déclarer après une rencontre avec la direction départementale du travail, le syndicat CFDT de l'usine, selon lequel le problème était tranché dans le sens de l'acceptation des licenciements. C'est faux. Rien n'est joué » .
Quant à Poperen, il explique dans une interview au Matin : « Elle (la direction) prétend que supprimer trois mille emplois à Poissy c'est permettre d'en gagner douze mille. Tout le monde sait qu'il s'agit d'un mensonge et que l'objectif est de parvenir rapidement à un effectif maximal de 8 000 salariés à Poissy » . Ce « mensonge » deviendra pourtant l'argument officiel du gouvernement, après la conclusion de l'accord avec Peugeot, il sera même repris par Nora Tréhel début janvier pour expliquer aux travailleurs qu'il n'y a rien de mieux à espérer.
En fait durant cette première phase de la grève, alors que la CFDT dénonce l'intention des autorités de laisser faire les licenciements, la CGT prétend elle, que rien n'est fait, et laisse entendre que le gouvernement peut refuser.
Le lundi 12, la grève est reconduite par plusieurs milliers d'ouvriers et pas seulement de l'équipe du matin. La CGT a appelé, malgré la consigne de la direction, l'équipe du soir - officiellement en chômage technique - à venir aussi à l'usine. Talbot s'installe dans la grève.
Après une entrevue avec Bérégovoy et Ralite, le secrétaire de la Fédération de la métallurgie CGT, André Sainjon, déclare : « la direction de PSA semble persister dans sa volonté de licencier. Pour la CGT, il n'est pas question d'accepter de licenciements chez Talbot. Il est possible, par la négociation, d'envisager des solutions telles que la réduction du temps de travail, l'avancée de l'âge de la retraite pour les travailleurs sur chaîne, le développement de la formation, le recyclage » .
En fait, au gouvernement, on s'active pour trouver une solution mais Peugeot ne veut rien entendre. Il n'a que faire de l'embarras du gouvernement socialiste. Il a fait ce que Bérégovoy et Ralite lui avaient demandé, un peu de « social », il n'ira pas outre : au gouvernement de prendre ses responsabilités. Sinon...
Sinon, le jeudi 15 décembre, au cours d'un CE extraordinaire, le directeur de Peugeot automobile annonce que vu la situation dans l'usine, les salaires ne seront plus payés à compter du 19 décembre (y compris pour l'équipe de nuit jusque là indemnisée à 50 %), qu'elle suspend son plan d'investissement pour la modernisation de l'usine de Poissy et déclare : « la présence du personnel sur le lieu du travail est devenue sans objet ».
C'est un coup de force et un chantage. Le gouvernement accuse le coup. Mauroy en voyage dans la Somme a beau dire « le gouvernement n'a pas à se presser, n'a pas à dire « mais oui, mais oui » aux patrons. Les travailleurs ont leurs amis au gouvernement, qu'ils le sachent » , le week-end va être consacré à régler l'affaire Talbot. Un accord est signé le samedi 17 entre le gouvernement et la direction Peugeot. Le nombre de licenciements est ramené de 2 905 à 1 905. 1 300 licenciés iraient en FPA, une centaine serait formée par Peugeot à la réparation automobile, les autres seraient « reclassés » à l'extérieur de Peugeot, une prime de 20 000 francs à tout employeur embauchant des Talbot ! Personne n'irait pointer au chômage.
C'est un accord « exemplaire » estime le gouvernement. C'est un « effort pour une solution humaine » estime Ralite qui juge ces « acquis intéressants » .
Les travailleurs refusent l'accord
Les travailleurs vont en décider autrement.
Le lundi 19 décembre, alors que l'usine est théoriquement fermée (la direction de Peugeot a fait savoir la veille que l'établissement de Poissy était en chômage technique jusqu'au 23, date des congés d'hivers) qu'il n'y a ni car, ni train Talbot, des centaines de travailleurs se rendent à l'usine, les lettres de licenciement sont parties, mais personne ne le sait encore. Et très vite le clivage se fait. La CGT, en la personne de Nora Tréhel, explique longuement le contenu de l'accord gouvernemental : « c'est un acquis de notre lutte. Ce sont des points positifs que nous avons arrachés à PSA : Talbot vivra !... On annonce 1 905 départs de l'entreprise. Nous le déplorons. Ce n'est pas nous qui avons négocié cela » .
La CGT déplore, mais ne condamne pas. La CFDT, elle, dit carrément « non à aucun licenciement » . C'est elle qui est applaudie.
A partir de cette date du 19 décembre, la CGT va remplir son rôle de syndicat « responsable », sans donner l'ordre de reprise. (Officiellement, elle dit qu'il faut continuer la lutte pour obtenir de négocier cas par cas sur les 1 905 licenciements). Mais sans parler ouvertement de grève. La CGT demande aux travailleurs de « venir surveiller l'outil de travail pendant le chômage » ! Elle dénonce ouvertement l'orientation de la CFDT, les éléments extérieurs à l'usine, les médias et l'intransigeance de PSA. Elle demande une fois de plus l'intervention des pouvoirs publics pour la mise sur pied d'une réunion tripartite auprès du préfet des Yvelines.
Et les travailleurs, eux ? Impossible de savoir ce que ressent l'immense majorité des salariés de Talbot qui ne sont pas venus à l'usine. Mais ceux qui sont présents (peut-être 1 000 ou 1 500) discutent beaucoup. La plupart dénoncent la pseudo formation qu'on leur propose, ils n'y croient pas, ils ne croient surtout pas qu'après, ils trouveront de l'emploi ; certains parlent ouvertement du « retour au pays », mais avec leurs droits. Tous sont d'accord pour continuer la lutte, il n'y a pas d'autre solution.
Le mardi, les premières lettres de licenciement sont arrivées à domicile Les grévistes les font circuler. Au fil de la journée des licenciés arrivent à l'usine. L'idée de la « prime au retour » gagne du terrain parmi les émigrés. Quelques délégués des chaînes, « dissidents » de la CGT, algériens et marocains, tiennent une sorte de conférence de presse : « les immigrés de Talbot veulent retourner dans leur pays avec des conditions décentes. Ces conditions, nous les avons chiffrées ». Les directions syndicales sont prises de court. La CGT parle de « manipulation ». La CFDT ne repousse pas la revendication mais elle ne la reprend pas car elle fixe son activité sur le refus de tout licenciement.
La CGT au fil des jours va s'efforcer de reprendre ses troupes en main. Elle intègre en partie la revendication de l'aide au retour, elle refuse les licenciements « arbitraires » (!), elle multiplie les démarches pour l'obtention de nouvelles négociations.
Aucune riposte d'ensemble à talbot, une minorité bien déterminée occupe l'usine
Durant toute la semaine, dans l'usine occupée, se retrouvent quelques centaines de travailleurs, licenciés ou non., (pour beaucoup militants syndicalistes ou délégués de chaîne), les autres travailleurs de Talbot sont restés chez eux, au chômage technique et, à partir du 23, officiellement en congés payés. Dans la journée, certains viennent aux nouvelles.
Mais les Talbot sont seuls. Durant ces interminables journées (les « occupants » passent le réveillon dans l'usine), le conflit, qui pourtant intéresse tous les travailleurs de l'automobile, qui passionne les militants, qui est l'objet de discussions dans les foyers d'immigrés, le conflit reste circonscrit à Talbot et, plus précisément, à quelques centaines de travailleurs et militants syndicalistes. Les syndicats CGT et CFDT sur le plan départemental organisent bien quelques manifestations de sympathie, des collectes, des messages de solidarité. Mais de riposte unitaire et massive des travailleurs de l'automobile, il n'en sera jamais question. Cela aurait pourtant été la seule réponse capable de faire reculer le gouvernement et les patrons de l'automobile.
Mais les confédérations ne font rien. Elles laissent les militants locaux aux prises avec les problèmes, les discussions, les débats, les décisions à prendre. Au sommet, la CGT multiplie des démarches auprès du gouvernement, pour de « nouvelles négociations ». La CFDT critique « l'immobilisme et le secret » de la politique gouvernementale. Mais jamais, à aucun moment, il n'est question d'engager la classe ouvrière de l'automobile dans une épreuve de force décisive pour empêcher les patrons de licencier et de faire payer la crise aux travailleurs.
Manifestement, ce n'est ni dans la perspective, ni dans la stratégie des centrales. Elles ne sont pas là pour cela, leur rôle conservateur joue dans l'autre sens, et pas seulement parce que la gauche est au gouvernement. Sous Giscard, les sidérurgistes de Longwy se sont battus seuls pendant de longues semaines. Mais, parce que la gauche est au gouvernement, la CGT s'est trouvée même sur le plan local en porte-à-faux, dans un conflit où elle aurait pu, autrement, sur le plan local, conduire de façon déterminée. Cette fois, entre les travailleurs en lutte et le gouvernement, la CGT, très ouvertement, a choisi le gouvernement. Et cela s'est vu et continue à provoquer des remous dans ses rangs.
Alors à Talbot, ce n'était plus qu'une question de jours. Après plusieurs provocations, la direction obtint du Tribunal un arrêté d'expulsion. Les CRS rentrent dans l'usine et font évacuer les occupants. Peugeot, pressé d'en finir, commence à regrouper sa maîtrise, à faire donner la CSL locale et parisienne. L'ouverture de l'usine est repoussée au 3 janvier.
Le dénouement
Quand, le 3 janvier, les travailleurs de Talbot se présentent enfin, la CFDT regroupée au B3 appelle à la poursuite de la grève. La CGT sans parler de reprise, appelle à la raison « on fera ce que les ouvriers décideront » . Tout le monde comprend que la CGT « lâche ». Les grévistes ne sont pas très nombreux (1 000 ou 1 500), mais comme le B3, l'atelier d'assemblage est occupé par eux, toute l'usine ou presque est paralysée, les travailleurs sont dans l'expectative.
Manifestement, les 16 000 travailleurs de Talbot ne sont plus unanimes pour la grève. Ils ne savent pas trop, la plupart ont endossé leur bleu, prêts à reprendre le travail, prêts aussi sans doute à entendre les consignes syndicales. Mais la division entre CGT et CFDT est manifeste. Une tentative de grévistes pour dépasser cette division en s'inscrivant pour un comité de grève fait long feu. Les premiers heurts avec la maîtrise et la CSL se produisent très vite. Ils sont violents. Et le jeudi 5 janvier, dès l'embauche, les commandos CSL venus de toute la région parisienne (Citroën et concessionnaires Talbot ou Citroën) ont pris position autour du B3.
L'immense majorité des travailleurs de Talbot ne sont pas dans le coup. La bagarre est circonscrite entre les 1 000 grévistes du B3, la CFDT et la CGT et, à l'extérieur, les commandos CSL. Après quelques échanges très durs, la CFDT demande l'intervention des forces de l'ordre. Ce n'est qu'en fin d'après-midi que les grévistes assiégés pourront quitter l'usine. La direction annonce la fermeture de l'usine, pour réfection.
Pour les Talbot, c'est fini. La reprise du travail se fera progressivement à partir du 11 janvier sur convocations individuelles.
Et pourtant. Et pourtant, la lutte des travailleurs de Talbot, même isolée, même défaite, continue à marquer la situation.
D'abord, elle aura mis en évidence la politique du gouvernement : il ne s'oppose pas aux licenciements, il est d'accord pour permettre aux patrons de faire payer la crise aux travailleurs, il essaie simplement d'obtenir quelques mesures en faveur des licenciés afin d'éviter toute explosion sociale. Et face à un conflit plus dur que prévu, soumis à la pression de PSA, il s'en tient à cette ligne de conduite et envoie les CRS pour évacuer l'usine. Bien plus, il laisse Peugeot se dégager financièrement, en toute liberté, de Talbot, il respecte loyalement les droits des capitalistes. Une fois de plus le gouvernement se montre veule vis-à-vis du patronat, et ferme vis-à-vis des travailleurs. C'est une leçon que les travailleurs, de chez Talbot et d'ailleurs, n'oublieront pas.
La grève Talbot aura mis certainement en lumière l'étroitesse de la marge de manoeuvre de la CGT, le syndicat le plus responsable devant le gouvernement, le plus important depuis 1982 sur l'usine de Poissy. A l'aise traditionnellement dans les conflits locaux, qu'elle contrôle aisément, la CGT a été dépassée à Talbot par la volonté de lutte des travailleurs et la détermination du syndicat local CFDT et dès que le gouvernement a rendu son arbitrage en faveur des licenciements, la CGT s'est trouvée en porte-à-faux. Sans désavouer les grévistes, elle s'est employée à justifier le plan gouvernemental, donnant à la lutte un objectif dérisoire « obtenir de Talbot de pouvoir discuter cas par cas, des 1 905 licenciés ». Jouant à fond la carte de la division syndicale, elle a démoralisé les grévistes même si elle est restée présente dans l'usine jusqu'au bout.
Le syndicat local n'a fait qu'appliquer la ligne de la CGT au niveau confédéral. La CGT elle-même n'a fait qu'appliquer la politique du PCF. Le camarade ministre Ralite qui s'était engagé personnellement à ce qu'il n'y ait aucun licenciement avant le ier janvier 1984, a dû faire le « sale boulot ». Il l'a fait sans broncher, sans démissionner. Le PCF aujourd'hui par la voix de Marchais tonitrue « pas de licenciement, pas un chômeur de plus », mais il confirme qu'il est exclu que le parti quitte le gouvernement. En fait, les grandes phrases fermes servent à cacher une servilité qui fait de la CGT le syndicat chargé de faire « passer » parmi les travailleurs la politique du gouvernement.
Si les militants locaux de la CFDT se sont tenus fermement et jusqu'au bout aux côtés des grévistes les plus déterminés, jusque dans les actions violentes et désespérées des derniers jours, Maire n'est intervenu, lui, qu'après la bataille, pour déplorer que le gouvernement ait mené toute l'affaire sans discuter avec les syndicats et notamment la CFDT. La confédération n'a pas désavoué ses militants locaux, elle les a laissé seuls.
En fait, pas plus que la CGT, la CFDT ne souhaite s'opposer au gouvernement et au patronat dans les circonstances de la crise. Elle aussi est partie prenante de cette société où domine la loi du profit, elle aussi redoute les explosions sociales, elle aussi est pour les « mutations industrielles », c'est-à-dire pour que les patrons fassent payer la crise aux travailleurs.
Mais les centrales et les partis réformistes doivent jouer serré. Car les Talbot ont fait peur. Ils ont montré que la classe ouvrière ne se laissait pas faire, qu'on ne décidait pas de son sort, simplement, dans les conseils d'administration des sociétés ou les cabinets gouvernementaux. A Talbot le conflit est resté limité, mais demain dans les chantiers navals ou dans les charbonnages, comment cela va-t-il se passer ?
Les travailleurs ont appris des choses. Ceux de Talbot bien sûr, mais aussi ceux de Peugeot, de Renault, et de toute l'automobile. Ils ont vu l'attitude des syndicats et celle du gouvernement. Bien des travailleurs, et surtout des travailleurs immigrés, ont compris qu'ils n'auraient rien sans rien, qu'on était prêt à les jeter à la rue avec une formation bidon et des promesses de reclassement illusoires et que, pour avoir plus ou mieux, il leur faudrait lutter inévitablement. Dans les branches concernées par les licenciements, le climat n'est pas à l'enthousiasme - personne ne croit vraiment pouvoir empêcher les licenciements, personne ne croit que les syndicats sont prêts à l'échelle nationale à lutter pour cela - mais il n'est pas non plus à la démoralisation.
L'exemple de Talbot a montré que la lutte serait difficile, isolée sans doute, risquée certainement, mais qu'elle était inévitable.