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Rouge-Lutte Ouvrière - Deux points de vue différents sur la présence des ministres PCF au gouvernement
Dans un article intitulé « A propos d'un débat avec Lutte Ouvrière » , publié dans Rouge daté du 11 novembre, la LCR nous reproche d'avoir écrit dans un tract distribué par Lutte Ouvrière au cours de la campagne des municipales à Aulnay : « les travailleurs n'auraient rien à perdre si les ministres communistes sortaient du gouvernement pour prendre la tête des luttes des travailleurs » .
Et Laurent Carasso, l'auteur de l'article, ajoute : « Ils (les camarades de Lutte Ouvrière) disent que les révolutionnaires doivent soutenir ce courant dans le PCF car une telle sortie ne pourrait être que positive, dans les circonstances actuelles » .
Rétablissons d'abord ce que nous avons réellement écrit. Dans un tract appelant à un meeting de soutien à la liste la Voix des Travailleurs contre l'Austérité, nous nous sommes adressés ainsi aux « Électrices, électeurs communistes : Vous êtes nombreux à vous demander à quoi servent les quatre ministres communistes au gouvernement qui, depuis deux ans, n'ont infléchi en aucune façon la politique du gouvernement. Ils ne servent qu'à cautionner la politique économique de Delors.
Vous êtes nombreux à vous dire que ce soutien n'apporte rien aux travailleurs, et contribue tout juste à faire perdre au PCF toutes ses municipalités les unes après les autres. Vous êtes nombreux aussi à penser que les travailleurs n'ont rien à gagner à cette caution que les ministres communistes apportent au gouvernement, et que les travailleurs n'auraient rien à perdre à ce qu'ils en sortent, volontairement, pour aider les travailleurs à lutter contre cette politique désastreuse.
Alors, dites-le avec votre bulletin de vote » .
S'adresser aux militants ouvriers du PCF qui sont critiques
Nous savons, par les contacts et les discussions de nos camarades avec des militants et des sympathisants du PCF, qu'un certain nombre d'entre eux s'interrogent depuis quelque temps sur le bien-fondé du soutien de leur parti au gouvernement et de sa participation à ce gouvernement. Ils se voient reprocher la politique anti-ouvrière de ce gouvernement par leurs camarades de travail ou par leurs voisins dans les banlieues ouvrières bien qu'ils ne soient pas d'accord avec cette politique. Bien souvent d'ailleurs ils croient que leur parti n'est pas d'accord non plus. Et un certain nombre ne comprend pas pourquoi il accepte ainsi de se déconsidérer auprès des travailleurs, ce qui l'amène du coup à se laisser entraîner dans le recul électoral de la gauche. Pour ces militants et ces sympathisants, ces critiques ou ces interrogations se traduisent par la question : « mais pourquoi donc nos ministres restent-ils au gouvernement dans ces conditions ? » et même par la constatation : « Ils feraient mieux d'en sortir ».
Eh bien, à Aulnay, en nous adressant à cette fraction inquiète ou critique de militants et de sympathisants du PCF, nous avons essayé de faire de la présentation de la liste - présentée en commun par Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire - La Voix des Travailleurs un moyen pour eux, leur permettant d'exprimer ce qu'ils pensaient. Comme nous l'écrivions dans le même tract, nous leur avons dit que, s'ils se contentaient de voter pour la liste conduite par le maire communiste, « personne ne saura si vous votez ainsi parce que vous êtes entièrement d'accord avec toute la politique économique du gouvernement et parce que vous soutenez les mesures anti-ouvrières de Delors, ou si vous votez pour la gauche, à contre cœur, pour ne pas favoriser la droite » . Tandis qu'en votant pour la liste La Voix des Travailleurs ajoutions-nous, la liste des gens qui critiquaient sans concession ce gouvernement et en conséquence jugeaient que la présence de ministres du PCF n'y a strictement rien de positif, ils pouvaient exprimer ce qu'ils pensaient vraiment sans craindre que leur vote puisse nuire à la gauche. Ils pouvaient faire savoir que bien des gens pensaient que les ministres communistes devraient sortir du gouvernement.
Nous n'avons jamais dit à ces travailleurs et à ces électeurs communistes d'Aulnay, comme nous le fait dire Rouge dans le même article, que « une telle sortie aujourd'hui, « débloquerait » la situation en ôtant au gouvernement le soutien du PCF et de la CGT qui garantit pour beaucoup le peu de réactions de la classe ouvrière » . Comme l'écrivaient nos camarades de la LCR dans un précédent article de Rouge, publié le 4 novembre et intitulé « Y être ou pas, là n'est pas la question », nous savons que le PCF pourrait tout aussi bien soutenir la politique du gouvernement sans avoir de ministres. Nous savons aussi qu'il pourrait sortir du gouvernement sans prendre la tête d'aucune lutte, ou même s'il le faisait et dirigeait ou déclenchait des grèves, sans leur donner de perspectives.
Oui, c'est vrai, que le PCF soit ou non au gouvernement, ne change rien en soi. Mais c'est bien pour cela que les révolutionnaires ne peuvent pas voir la moindre raison positive pour qu'il y reste.
Lors des élections municipales d'Aulnay nous avons donc fait le choix de nous adresser à ces militants et à ces sympathisants communistes qui sont, eux, pour que les ministres communistes sortent du gouvernement, en essayant de leur montrer que nous étions de leur côté et que, si cela était possible, nous leur apportions notre soutien.
Ce qui nous a incité, ce qui nous incite aujourd'hui à soutenir ces militants-là, même s'ils ont des illusions sur ce que pourrait entraîner la sortie des ministres communistes du gouvernement, c'est qu'il s'agit de militants et d'électeurs communistes qui n'admettent pas la politique anti-ouvrière du gouvernement, qui sont écœurés de le voir s'attaquer à la classe ouvrière, qui acceptent mal de voir leur parti associé à cette politique anti-ouvrière. Ce sont donc les militants qui au sein du PCF se situent sur la gauche. Et ce sont d'ailleurs parmi eux qu'on trouve dès aujourd'hui ceux qui pensent que, gouvernement de gauche ou pas, la classe ouvrière devra lutter et se défendre.
C'est pourquoi il est juste que les révolutionnaires les soutiennent s'ils le peuvent. Les élections d'Aulnay étaient l'occasion de leur montrer concrètement que les révolutionnaires étaient solidaires d'eux et prêts à les aider, ne serait-ce qu'en leur fournissant une possibilité de s'exprimer que personne d'autre ne leur donnait.
Cette occasion a-t-elle été saisie par eux ? Ont-ils même compris ce geste que nous faisions à leur égard ? II nous est difficile de le savoir. En tout cas, notre geste n'a pas eu d'écho mesurable dans les résultats électoraux, c'est vrai. Mais ce geste, ou des gestes de même nature, vis-à-vis de militants du PCF critiques sur la gauche, les révolutionnaires devront certainement en faire bien d'autres. En clair, nous devons avoir une politique de soutien vis-à-vis d'eux.
Et les camarades de la LCR n'ont-ils pas, en fait, la même politique vis-à-vis du « courant alternatif » de la CFDT, un courant qui pourtant a au moins autant d'illusions en la possibilité de réformer la CFDT que les militants du PCF d'illusions en la direction de leur parti, et qui est au moins aussi réformiste qu'eux, et sans doute plus ? Cela n'empêche pas les camarades de la LCR de soutenir et même de participer à ce courant.
Lutte Ouvrière est plus sensible aux courants qui traversent la base ouvrière du PCF, la LCR à ceux qui naissent dans la CFDT. Devrions-nous nous réjouir que nos deux organisations se partagent le travail ? En tout cas, cela rend surprenant le fait que les camarades de Rouge ne comprennent pas notre souci...
Pour Rouge le gouvernement PCF-PS reste un fait positif
Ceci dit, au travers des critiques de Rouge concernant des positions qui ne sont pas tout à fait les nôtres, apparaît quand même une divergence politique. La LCR en effet pose en fait la question de cette manière : si le PCF quittait le gouvernement, serait-ce positif ou pas ? Et Jean Lentier répond dans un article publié dans le numéro de Rouge du 4 novembre et intitulé « Y être ou pas, la question n'est pas là » : « Il est vrai que détenir ou non des maroquins ministériels ne modifie pas fondamentalement la situation du PCF à l'égard des luttes » écrivait-il. Mais c'était pour ajouter un peu plus loin : « ainsi l'histoire récente ou plus lointaine montre que le départ des ministres communistes ne signifie pas une orientation vers ces luttes, mais une ligne de division » .
Une semaine plus tard, Laurent Carasso, lui, voit le départ des ministres communistes du gouvernement entraîner une situation où le PCF dirait : « les conditions du changement ne sont pas encore mûres dans le pays (...) on reviendrait à la situation d'avant 81 et un tel discours pourrait fort bien s'accompagner d'actions de forme très « dure » ; mais sans qu'il y ait d'issue possible à ces luttes (...) avec en prime un désarroi encore plus grand parmi les travailleurs socialistes dont le parti serait encore au gouvernement » . Et il ajoute : « pour des révolutionnaires, pousser consciemment le PCF à quitter le gouvernement équivaudrait à tirer un trait sur la volonté de changement, donner raison a posteriori à la campagne de division menée par le PCF à l'époque. Ce serait dire : dans ce pays il n'y a pas de majorité pour le changement, la droite est majoritaire. Ce serait faire un recul politique de plusieurs années » .
Ainsi les camarades de la LCR commencent par dire que la participation du PCF au gouvernement ne change rien à rien... pour finir par juger que ce serait la catastrophe s'il en sortait.
En fait, ce que dit là en clair la LCR c'est qu'en l'absence d'un gouvernement où participent le PS et le PCF, il n'y a pas de perspectives politiques pour la classe ouvrière et pour ses luttes.
On en revient à une question souvent débattue entre la LCR et Lutte Ouvrière : la victoire électorale de la gauche a-t-elle été « en soi » positive pour les travailleurs ? A-telle ouvert de nouvelles perspectives ?
Les camarades de la LCR, encore une fois, répondent « oui ». Même après une expérience de plus de deux ans, après que ce gouvernement ait conduit une politique au moins aussi anti-ouvrière que les gouvernements de droite précédents, après que la classe ouvrière, loin de se mobiliser plus facilement, ait sans doute livré moins de combats encore. Bizarrement, sans tenir le moindre compte de ces deux ans écoulés, ils nous reprochent de dire que ceux des militants du PCF qui ont compris que les travailleurs n'avaient rien à attendre du gouvernement en place et ont perdu leurs illusions sur celui-ci, ont raison. Et ils nous disent que le retrait des ministres communistes entraînerait la démoralisation des travailleurs et leur ôterait toutes les perspectives qu'ils ont actuellement grâce au gouvernement de gauche. Vraiment ! Lesquelles ?
Ce qui démoralise aujourd'hui les travailleurs, ce qui risque d'accroître leur démoralisation dans les mois qui viennent, c'est de voir les partis de gauche au gouvernement orchestrer les attaques contre eux, soutenir les patrons, accepter les licenciements, organiser la baisse du niveau de vie. Ce qui démoralise les travailleurs, c'est justement l'idée qu'il n'y a pas d'autre solution pour eux puisque c'est la gauche qui s'attaque à eux. Voilà la seule perspective qu'offre la présence des ministres PCF et PS au gouvernement.
La seule chose qui pourrait être positive, c'est que les travailleurs décident de se défendre, qu'ils prennent conscience que la seule issue pour eux pour ne pas continuer à subir la crise, les attaques du patronat et du gouvernement, c'est de lutter contre le patronat sans se soucier de savoir si le gouvernement est de droite ou de gauche. La seule chose positive serait que les travailleurs sortent du piège où la gauche les a enfermés en leur disant : il faut que vous souteniez ce gouvernement, parce qu'il est « de gauche » ; la droite, c'est pire, alors, s'il vous plaît, ne nous mettez pas en danger avec vos luttes !
Les révolutionnaires doivent être résolument du côté de tous les travailleurs qui, d'une manière ou d'une autre, essaient de trouver une issue, qui refusent de baisser les bras. C'est ce que font justement les militants communistes qui aujourd'hui voudraient voir leur parti sortir de ce gouvernement. Ceux-ci pensent au moins qu'il y a quelque chose d'autre à faire que d'accepter de soutenir un gouvernement dont on ne reçoit que des coups. Et cela, c'est déjà un premier pas contre la démoralisation !
Les deux articles de Rouge évoquent longuement les luttes nécessaires que les travailleurs devront mener. Pourtant, pour les camarades de la LCR, ce gouvernement PS-PCF contre lequel pourtant ces luttes se feraient immanquablement, demeure un fait positif.
Nous, nous disons : gouvernement de gauche ou pas, la seule perspective pour les travailleurs, c'est de savoir qu'il ne leur faudra compter que sur eux-mêmes et sur leurs luttes.
Une divergence qui n'est pas nouvelle mais qui demeure entière.