Reprise américaine... sur le dos du restant du monde ?01/11/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/11/106.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Reprise américaine... sur le dos du restant du monde ?

Depuis la fin 1979, la crise de l'économie mondiale se traduit par un franc recul de la production en même temps que par une chute du commerce mondial. C'est la deuxième fois que cela arrive depuis le début de la crise mondiale. La première période de recul de la production avait duré à peu près deux ans, en 1974-1975. La récession en cours touche-t-elle à sa fin ? Les plus optimistes des augures de l'économie capitaliste répondent affirmativement à la vue des signes de reprises de la production qui se manifestent aux États-Unis depuis disons le début de l'année. Oh, les plus optimistes eux-mêmes n'osent parler que de la fin de la récession et non point de la fin de la crise tant même une reprise de la production ne signifie nullement reprise des investissements ; tant la crise monétaire demeure et tant une crise majeure du système financier mondial devient sans cesse plus menaçante.

La récession en 1982

A supposer que les signes timides de reprise économique se confirment en 1983 et 1984, la deuxième récession de la décennie aura atteint son point le plus bas à la fin de l'année 1982. Pour la deuxième fois depuis la guerre, la production des pays industriels a baissé (-0,2 % en 1982 ; -0,7 % en 1975) et l'utilisation des capacités de production aussi, passant aux États-Unis par exemple de 85 % en 1980 à moins de 70 % en 1982.

Le volume des échanges mondiaux a baissé parallèlement pour la deuxième fois (-2,5 % en 1982 ; -3,5 % en 1975). La récession ayant duré plus longtemps que la précédente et rendu plus sensible les limites du marché mondial a par ailleurs entraîné un net regain du protectionnisme les accords commerciaux bilatéraux entre États (baptisés « échanges compensés » ) et qui ne sont que du troc déguisé, ont considérablement augmenté et représenteraient à l'heure actuelle près de 30 % du commerce mondial. Les pays exportateurs de produits manufacturés du Tiers-Monde sont les premiers touchés par les mesures protectionnistes des pays industriels qui leur opposent des « contingents d'importation » ou leur imposent des accords de « restrictions volontaires » et multiplient les normes comme les règlements sanitaires, ces derniers pénalisant les produits agro-alimentaires des pays sous- développés. Une autre forme de protectionnisme agressif consiste en la généralisation des subventions aux exportations des biens d'équipement par les gouvernements occidentaux.

L'incidence globale de la montée du protectionnisme est difficile à évaluer car elle prend de multiples formes hypocrites ; mais la période où les échanges internationaux croissaient plus vite que la production elle-même et contribuaient à en accélérer encore la croissance, est révolue. La guerre économique a bel et bien commencé, à coup de normes, de cartellisations, de marchés réservés, de dumping ou de taux de change... sur un marché mondial en rétrécissement.

Le chômage quant à lui s'est accru brutalement à partir de 1980 en Europe et depuis, l'accroissement est incessant. Aux États-Unis, au cours de la reprise de 1976-79, le chômage avait diminué pour tomber de 8 à6 % en quatre ans. Mais à partir de 1980, il a presque doublé en trois ans, passant de 6 à 11 %. Depuis le début de cette année, le chômage a de nouveau reculé, mais le nombre de chômeurs demeure encore plus important que lors de la récession précédente.

Les signes d'une reprise douteuse aux états-unis et en allemagne en 1983

Au premier semestre 1983, des signes de reprise se sont donc manifestés aux États-Unis avec une augmentation de la production industrielle de 4,5 % selon les chiffres du FMI voire de 8,5 % pour les estimations les plus optimistes, et une augmentation de 2,5 % du PNB selon les estimations de l'OCDE. Le chômage quant à lui avait diminué d'un point par rapport au taux record de 10,5 % de la population active à la fin du premier semestre et serait redescendu à 8,8 % en octobre 1983.

En Europe cependant, seule l'Allemagne Fédérale aurait marqué une certaine progression de sa production industrielle avec un taux de +2,1 %, mais d'après les experts de l'OCDE il s'agirait d'un résultat artificiellement gonflé par une prime temporaire à l'investissement accordée par le gouvernement, des mesures d'aides publiques à la construction et plusieurs grosses commandes exceptionnelles. Pour le moment, personne ne parie sur une reprise durable en Allemagne où la consommation intérieure a marqué un net recul à la suite de la baisse des salaires réels des deux dernières années, et où le chômage a atteint un taux record en mai 1983 avec 2 300 000 chômeurs - trois fois plus qu'en 1980 - même s'il a très légèrement régressé depuis.

En France, les résultats du premier semestre 1983 sont en-deçà des prévisions. La production industrielle a bien légèrement augmenté de 1 % mais les carnets de commandes sont au plus bas depuis la récession de 1974-75. L'INSEE s'attend à une baisse de la production industrielle de 2 à 3 % d'ici la fin de l'année, et les investissements ont marqué une rechute de 4,9 % dès le deuxième trimestre 1983. Pour les huit premiers mois de l'année, le nombre des faillites d'entreprises a déjà dépassé de 13 % les scores des huit premiers mois de l'année dernière. L'OCDE prévoit une hausse continue du chômage au moins jusqu'à la fin 1984.

En Grande-Bretagne comme aux Pays-Bas, la production industrielle est restée stagnante au premier semestre. En Italie elle a reculé de 3,3 %.

Les prévisions pour l'Europe restent donc sombres et le chômage devrait atteindre 20 millions de personnes, soit près de 12 % de la population active d'ici la fin 1984. La production industrielle du Japon qui s'est pourtant à peu près bien maintenue en 1982 a reculé à son tour au premier trimestre avant de repartir semble-t-il au second.

Restent donc les espoirs liés à la reprise économique américaine dont tout le monde attend qu'elle entraîne la reprise du reste de l'économie mondiale.

Or cette reprise américaine ne fait pas l'unanimité, du moins en ce qui concerne sa profondeur et sa durée possible. Au début de l'année 1983, la remontée soudaine de la production (2,5 % et 9,2 % au premier et au second trimestres) avait pour une grande part un caractère à la fois technique et spéculatif. Elle a reflété d'abord un fort mouvement de restockage, à la suite d'un déstockage massif à la fin 1982. Mais les chiffres les plus spectaculaires concernent l'augmentation de la construction de logements résidentiels qui a atteint +52 % au premier trimestre 1983, après avoir baissé de 10,2 % fin 1982. Il s'agit là manifestement d'investissements spéculatifs, de possédants désireux de placer leur argent dans la pierre. Pour le moment la reprise américaine n'a touché ni les biens d'équipement, ni les firmes exportatrices. II est vrai que les investissements en machines et en outillages n'ont généralement suivi qu'avec décalage les premiers signes de reprise lors des récessions précédentes en Amérique du Nôrd. Mais les experts'de l'OCDE remarquent que le redressement actuel reste plus modeste et plus lent que ceux des précédentes reprises, et qu'il faudrait que les industriels aient confiance dans l'avenir (ce sur quoi personne ne peut tabler) pour que l'investissement productif suive et se confirme. Et les plus pessimistes des économistes américains quant à eux pensent qu'une nouvelle récession pourrait survenir aux États-Unis dès 1985 !

II n'est donc pas du tout certain que la reprise économique américaine actuelle soit durable. A bien plus forte raison, qu'elle puisse entraîner le reste de l'économie mondiale. Car ce coup d'accélérateur économique en Amérique peut tout aussi bien n'être qu'un sous-produit de la crise mondiale actuelle, et de la crise financière en particulier.

La banqueroute qui plane sur le monde financier reste toujours possible et dans le contexte actuel, les prêts et les investissements à court terme aux États-Unis, le sanctuaire du capitalisme, restent un refuge. La masse des capitaux flottants qui il y a encore quelques années cherchaient des occasions de spéculations heureuses et n'hésitaient pas à jouer contre le dollar, s'est brutalement canalisée en un flux irrésistible vers l'Amérique. Avec la deuxième récession mondiale, le dollar est redevenu la monnaie la plus recherchée du monde et a supplanté l'or comme valeur refuge.

Et la reprise américaine actuelle pourrait ne traduire que l'afflux des dollars européens et latino-américains qui se placent sur le marché financier américain dans les emprunts d'État ou dans des investissements industriels peu risqués, plutôt que dans les emprunts et les investissements dans leurs pays d'origine.

La reprise américaine peut être le symptôme alarmant d'une fuite généralisée des capitaux vers les États-Unis. Comme ces capitaux mexicains qui sont venus s'investir cette année dans les placements immobiliers de choix àManhattan, Miami, Houston ou Los Angeles et qui se montent à la moitié des emprunts mexicains à l'étranger pour ces trois dernières années.

Et c'est en cela que cette reprise américaine, loin d'être en mesure d'induire automatiquement la reprise mondiale, pourrait simplement priver de capitaux le reste du monde où les gouvernements aggravent les politiques d'austérité pour permettre aux capitaux immobilisés nationalement de continuer à dégager des profits qui vont aussitôt nourrir l'emballement spéculatif de la place financière américaine !

1975-1980 : une économie de croissance lente et d'endettement accéléré dans les pays industriels

Le système capitaliste avait semblé conjurer la première récession mondiale de 1974-75 au moyen d'une politique d'argent facile et d'extension sans limite du crédit. Dans les pays industriels, l'endettement des firmes auprès des banques et les subventions étatiques ont évité les faillites en chaîne. Les prêts massifs aux pays sous-développés les moins pauvres les ont rendus consommateurs de biens d'équipement et ont élargi les marchés industriels des pays riches qui ont pu continuer à accroître leurs exportations. II a donc pu sembler pendant près de six ans que le système bancaire et financier mondial, plus perfectionné, plus puissant et solidaire qu'avant-guerre, et disposant surtout de l'assurance des grands États impérialistes et de leurs banques centrales, ait pu amortir l'onde de choc d'une récession mondiale et même stimuler la relance économique.

Mais, rétrospectivement, ces quelques années de reprise économique modérée semblent surtout avoir accumulé de nouvelles contradictions sans avoir résolu les anciennes. Tout s'est passé comme si la prospérité spéculative et financière de l'entre-deux récessions, n'avait été que la forme prise par une phase, somme toute classique mais ordinairement plus éphémère, de toute crise économique capitaliste : la phase où le marché de l'argent disposant d'une autonomie suffisante, bénéficie du marasme général, avant de s'effondrer à son tour. La différence cette fois-ci étant que cette phase s'est étalée sur plusieurs années.

C'est au cours de la dernière décennie en effet que la classe capitaliste dans son ensemble a commencé à juger qu'il était plus profitable d'acheter et de vendre des créances que d'investir dans la production.

Les investissements dans les pays sous-développés eux-mêmes, où contrairement aux pays industriels les taux de profit sont restés élevés, ne se sont pas réalisés directement, mais essentiellement au travers des prêts bancaires (le plus souvent garantis par des organismes étatiques) ou des contrats industriels passés et garantis par les États impérialistes. Pendant six ans, les prêts à certains pays du Tiers-Monde se sont avérés extrêmement lucratifs, assurant aux grandes banques occidentales des rentrées régulières et sûres qui ont rentabilisé les créances plus ou moins douteuses qu'elles détenaient sur les entreprises métropolitaines.

L'endettement des firmes privées a doublé aux États-Unis, a crû dans des proportions sans doute semblables en Europe, les déficits budgétaires se sont considérablement creusés. Dans le même temps la croissance de la production dans les pays riches tombait de 5 % dans les années soixante à 3 % en moyenne pour les années soixante-dix, et la croissance des investissements tombait de 6 % dans les années soixante à 1,5 % en moyenne pour les années soixantedix. C'est au sein même du monde industrialisé que l'endettement économique s'est nourri de lui-même, aboutissant à une énorme hypertrophie de l'appareil financier mondial, par. rapport à la production et aux transactions commerciales effectives. Cette hypertrophie financière a pris une dimension supplémentaire avec les prêts massifs à une partie du Tiers-Monde (+20 % par an) qui y ont financé une croissance rendue particulièrement fragile et vulnérable par sa dépendance totale des marchés occidentaux. Et ce réseau financier mondial gonflé à la suite de la première récession de la décennie devait connaître son heure de vérité avec la récession des années quatre-vingt.

Car une nouvelle récession économique, pour le moins, ne pouvait manquer de survenir. Les investissements ne se sont accrus un peu pendant les années soixante-dix que dans le Tiers-Monde. Une fraction des capitaux occidentaux à la recherche d'un taux de profit supérieur à ce qu'ils étaient susceptibles de rapporter par des investissements productifs, ont profité du crédit facile pour s'investir dans les zones de la planète où la force de travail est sous-payée et donc susceptible de rapporter un profit supérieur. Mais cette croissance n'a pas créé en contrepartie de nouveaux marchés de consommation de masse. La pseudo-industrialisation d'une ou deux dizaines de pays du Tiers-Monde n'a été qu'une vaste entreprise de sous-traitance occidentale. Les filiales des firmes occidentales, les « usines clefs en mains », les chaînes de montage, les unités de sous-traitance électroniques, les grands travaux à l'utilité discutable, ont essaimé de façon disparate en Amérique latine, en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique, alors que les populations des mêmes continents se sont appauvries. Cette prétendue croissance économique des pays pauvres, entièrement tournée vers les exportations, n'a créé de débouchés réels que pour les industries occidentales de biens d'équipement, aggravant encore à l'échelle de la planète la contradiction fondamentale entre l'extension des capacités productives et la limitation de la consommation solvable.

Le seul mode de régulation économique véritable que connaisse le système capitaliste est l'ajustement a posteriori des capacités productives aux capacités d'absorption limitées du marché sous la forme d'une dévalorisation massive et brutale du capital (faillites en chaîne - arrêt de pans entiers de la production). Tous les expédients étatiques et financiers n'ont jamais réussi jusqu'à présent qu'à reculer l'échéance de cet ajustement destructif et dramatique pour aboutir à une crise plus formidable encore.

La première récession de 1974-75 n'a pas joué ce rôle régulateur. L'économie mondiale a repris péniblement son souffle sur le dos du Tiers-Monde tout en aggravant ses déséquilibres monétaires, financiers et productifs. Quelques années plus tard, le marché même artificiellement élargi par un recours effréné au crédit, s'est trouvé de nouveau saturé, et cette fois, l'endettement a atteint un niveau tel que les banquiers les plus aventureux commencent à s'effrayer et limiter les crédits.

1980-1982 : des conditions réunies pour un krach financier mondial

Depuis deux ans, les banques occidentales sont avant tout inquiètes des annonces de dépôt de bilan en provenance des conseils d'administration d'entreprises. Les prêts aux entreprises nationales ne produisant plus d'intérêts (les « actifs non-performants » ) s'accumulent et détériorent les bilans bancaires. Au plus fort de la récession en 1982, les montants des prêts intérieurs définitivement perdus ont doublé voire triplé selon les pays.

La montée des faillites, réelles ou potentielles, tant du secteur privé que des États, est devenue une obsession chez les grandes banques du monde entier. Et elles hésitent à prêter. L'époque du crédit facile est révolue.

Avec la seconde récession de 1980-82, la crise économique mondiale entre dans une seconde phase : l'euphorie financière commence à douter d'elle-même. Désormais, non seulement les détenteurs de capitaux renoncent à investir productivement, mais ils rechignent à prêter. Tout qui se dégage comme capital liquide est désormais à la recherche de placements plus sûrs que rentables..

On est entré dans cette phase de la crise économique où la superstructure bancaire et financière de l'économie capitaliste n'est plus en état de profiter du marasme, mais ne veut plus assurer aucun risque, chacun ne songeant qu'à sauver ses positions.

Toutes les conditions sont réunies pour un krach financier, et pour que le premier choc menace de faire s'écrouler le fantastique échafaudage international de cavaleries de traites et de créances.

La dette des pays sous-développés et la panique financière mondiale de l'été 1982

Le premier choc est arrivé avec les défauts de paiement successifs des pays sous-développés les plus endettés. Après la Pologne, ce sont le Brésil, l'Argentine, le Chili, le Nigéria et quelques autres qui ont dû reporter leurs remboursements. L'été 1982, un vent de panique a soufflé sur le monde bancaire international. Le Mexique, dont les ressources en pétrole et gaz naturel sont énormes et dont personne ne mettait jusque-là en doute la solvabilité, fermait son marché des changes et se déclarait incapable d'assurer le service de sa dette étrangère estimée à 80 milliards de dollars (le total de l'endettement des pays sous-développés se monte à quelque 700 milliards de dollars). En réalité, l'ensemble des prêts au Tiers-Monde, aussi importants soient-ils, ne représentent que 5 % du total des prêts de l'ensemble des banques occidentales, et 10 % des prêts des principales grandes banques internationales. Mais la combinaison de crédits nationaux devenus peu sûrs et les encours importants sur des pays incapables désormais de faire face à leurs obligations, a mis un certain nombre de grandes banques en état de faillite virtuelle.

Les pays sous-développés comme les pays de l'Est qui s'étaient fortement endettés la décennie précédente ont été les premiers frappés et le plus brutalement par la nouvelle récession mondiale. Ils l'ont été doublement. D'une part parla chute de leurs exportations, tant en volume qu'en valeur les cours des produits de base autres que les combustibles sont tombés à leur niveau le plus bas depuis la Deuxième Guerre mondiale - sans même parler du prix du pétrole qui est à la baisse depuis la récession et a mis en difficulté les pays producteurs jusque-là considérés comme privilégiés - et les mesures protectionnistes des pays impérialistes ont surtout joué à l'encontre des produits manufacturés venant du Tiers-Monde. En 1982, les quatre plus gros emprunteurs qui ont dû différer leurs remboursements devaient payer des versements qui dépassaient 50 % de leurs recettes d'exportation.

D'autre part ils ont été frappés par la hausse du dollar et celle des taux d'intérêt qui ont gonflé artificiellement et dramatiquement le service de leur dette. A partir de 1980 en effet, les grands États impérialistes à la suite des États-Unis ont financé leurs déficits budgétaires moins par l'inflation comme dans la période précédente, que parle gonflement de la dette publique, c'est-à-dire l'émission systématique d'emprunts d'État qui ont entraîné la hausse générale des taux d'intérêt et la fin de la dépréciation du dollar. Et les pays sous-développés ont été les premiers à devoir payer pour l'aggravation des déficits budgétaires occidentaux et particulièrement américain.

En outre les banques internationales ont prêté moins facilement et à des conditions plus dures dès l'amorce de la récession (en 1982, elles ont même moins prêté aux pays du Tiers-Monde qu'elles n'ont reçu sous forme de remboursements de principal), ce qui a contribué à aggraver encore plus si c'est possible les difficultés de paiement des pays sous-développés. C'est ainsi qu'en deux ans, bon nombre d'entre eux se sont trouvés au bord de la banqueroute.

En réalité, ce ne sont pas en eux-mêmes les retards de paiement des pays sous-développés qui ont mis les banques occidentales au bord de la faillite. Ils ont simplement agi comme révélateurs de toutes les faillites potentielles du monde bancaire occidental.

Quand un pays pauvre demande le report des échéances de sa dette, il ne disparaît pas. Et s'il ne choisit pas de refuser à payer ses dettes (et aucun ne l'a fait jusqu'ici), il est simplement bon pour l'usure. Jusqu'à présent, s'il est arrivé aux banques de devoir patienter (surtout depuis la récession de 1980-82), elles n'ont jamais perdu d'avoirs du côté des pays sous-développés, aux dires même de la Banque Mondiale. Ce qui par contre n'est pas du tout le cas du côté des 53 000 compagnies américaines qui ont fait faillite en 1982 et dont l'essentiel des obligations à l'égard des banques s'est envolé avec elles ; ce qui n'est pas non plus le cas, autre exemple, des trusts sidérurgiques insolvables en Europe où les banques (nationalisées en France) durent convertir leurs prêts en capital, c'est-à-dire renoncer définitivement aux intérêts tout en devenant solidaires des pertes présentes et futures.

Des plans d'austérité sont imposés aux États des pays pauvres au bord de la banqueroute, pas aux grandes familles qui contrôlent les grosses entreprises occidentales insolvables et soutenues par leurs États respectifs, ces familles dont les fortunes personnelles restent intouchables.

La véritable question est que l'accumulation des retards de paiement de la part de gros débiteurs du Tiers-Monde ou des pays de l'Est, considérés jusque-là sans risques, a déclenché une crise de confiance généralisée au sein du monde bancaire international. En août 1982, le problème venait moins du Mexique qui après tout ne demandait qu'un moratoire, que du consortium des grandes banques engagées au Mexique qui a menacé de refuser le rééchelonnement des prêts (contrairement à toute la pratique précédente), risquant d'entraîner par là un arrêt de tous les prêts au Tiers-Monde, des banqueroutes en chaîne et un krach bancaire international.

II est difficile de démêler la part de chantage et de panique réelle dans ces menaces. De la même façon que les entreprises défaillantes se tournent vers l'État dans chaque pays, les banques internationales qui avaient financé les prêts internationaux se sont tournées vers le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale dont les ressources viennent des grands États impérialistes. De leur côté, les dirigeants des institutions financières internationales, à commencer par ceux du FMI, se sont mis à avoir peur de la peur des banques. Ils ont mobilisé tous leurs efforts (et leurs ressources) pour rétablir le minimum de confiance nécessaire et convaincre les banques d'assurer les rééchelonnements des dettes du Tiers-Monde et la continuité du flux financier mondial.

Le Fonds Monétaire International a donc joué le rôle de pompier de la finance internationale, en avançant de l'argent bien sûr, mais surtout en imposant comme condition aux nouveaux prêts des plans d'austérité draconiens, au Mexique comme au Brésil et à tous les autres pays demandant le rééchelonnement de leur dette. Il s'agissait de sauver la mise aux banques commerciales en leur assurant politiquement en quelque sorte que les intérêts des rééchelonnements seraient bien versés. Tout comme la flotte américaine basée au large de l'Amérique Centrale leur garantit militairement que les États d'Amérique latine hésiteront avant de refuser de payer définitivement leurs dettes comme l'avait fait l'État ouvrier russe au lendemain de la révolution de 1917 à l'égard des emprunts russes.

Et de fait, la renégociation des dettes avec les grands débiteurs du Tiers-Monde en difficulté s'est avérée une opération d'une rentabilité extrême. Les rééchelonnements portent sur des durées dé plus en plus courtes (5 à 7 ans maximum à l'heure actuelle) et s'accompagnent de commissions bancaires substantielles. En outre le débiteur doit payer des intérêts beaucoup plus élevés que sur les anciens crédits. D'après l'OCDE, si l'on tient compte des commissions bancaires, la dette réaménagée rapporte aux banques un montant annuel supérieur d'environ 2 % au rendement financier initialement prévu. Le contrecoup des retards de paiement pour les banques aurait été ainsi largement amorti par le durcissement des modalités de réaménagement qui s'est produit ces trois dernières années.

Mais la situation dans les pays sous-développés, elle, devient dramatique. En Amérique latine le PNB aurait chuté de 15 %, les importations de 30 %. Le revenu par habitant a baissé pour la troisième année de suite. La Banque Mondiale prévoit pour 1983 une baisse supplémentaire des revenus de 10 %. Cela n'a pas empêché le FMI d'exiger des ajustements supplémentaires au plan d'austérité en 1983, en échange de nouveaux prêts. Pour payer, les États compressent leurs importations, réduisent l'économie à la paralysie, et la population pauvre à la famine. L'État brésilien va réaliser cette année un surplus commercial de six milliards de dollars, au prix de coupes sombres dans les importations, sans que cela lui permette d'ailleurs de faire face aux remboursements. Et la situation est semblable pour le Mexique et l'Argentine. L'engrenage de l'usure s'accélère. Les banques, elles, récupèrent leurs mises avec des intérêts supplémentaires, mais continuent de réduire globalement leurs prêts, l'avenir restant trop incertain. Et l'appauvrissement des pays sous-développés contribue en retour à aggraver la crise mondiale.

En 1982, ce qu'on appelle la « solidarité » des banquiers internationaux a donc joué. Ou plutôt le renflouement des banques par l'État américain et les grands États européens s'est réalisé au prix de l'étranglement des pays sous-développés. Mais la solidarité entre les usuriers impérialistes ne résistera pas forcément à un deuxième choc, comme la banqueroute non pas de pays pauvres cette fois, mais d'un certain nombre de pays industriels tout autant endettés alors qu'ils ne sont toujours pas sortis de la récession économique.

La dette extérieure des grands états industriels

La plupart des pays européens sont en passe de se trouver dans la même situation d'endettement extérieur que les pays sous-développés. Depuis deux ans, la part de leur endettement extérieur par rapport à leur dette publique intérieure s'est considérablement accentuée. Si les États-Unis, eux, financent à bon compte leur déficit budgétaire avec les capitaux du monde entier qui viennent se convertir en dollars et y chercher des placements refuge, les autres pays impérialistes commencent à devoir payer leur endettement au prix fort.

A l'heure actuelle, l'endettement extérieur de bon nombre de pays industriels a passé le stade irréversible où il leur faut de plus en plus emprunter en devises étrangères et surtout en dollars pour rembourser. La situation est particulièrement inquiétante pour les pays qui s'enfoncent toujours dans la récession et dont la monnaie n'est pratiquement pas utilisée dans les paiements internationaux. Le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la Belgique (dont la dette extérieure se chiffre à 24 % du PNB contre 8 % fin 1980), le Danemark, peut-être même les Pays-Bas, doivent aujourd'hui exécuter les consignes d'austérité du FMI, comme n'importe quel pays sous-développé. Ils ont l'ordre de baisser les salaires réels, de revenir sur les clauses d'échelle mobile, d'économiser sur les budgets sociaux. Pour assurer le service de la dette, eux aussi en sont réduits à compresser les importations, ce qui leur permet des communiqués de victoire sur le rétablissement de leur balance commerciale qui sont autant de communiqués de défaite pour le niveau de vie de la population.

La France, elle aussi, commence à être dans une position critique. L'État français est à l'heure actuelle le deuxième emprunteur mondial, après les États-Unis, mais certes pas aux mêmes conditions, sans compter l'énorme endettement international de l'EDF, la SNCF et des autres entreprises nationalisées. (L'EDF comme la SNCF ont dû cette année réduire leurs investissements pour pouvoir assurer un service de la dette trop lourd).

L'endettement extérieur de la France se serait accru au minimum de 35 milliards de dollars en moins de deux ans.

La dette extérieure de la France est estimée à 70 milliards de dollars, c'est-à-dire un endettement dont le montant place la France pas loin derrière le Brésil et le Mexique, les deux grands débiteurs du Tiers-Monde. Convertis en francs, cela fait 500 milliards, c'est-à-dire à peu près les deux tiers du budget annuel de l'État.

D'après les prévisions, récemment évoquées par le journal Le Monde, la charge annuelle de la dette serait telle que, dès 1985, la France serait contrainte .d'y consacrer l'intégralité de sa capacité annuelle d'emprunt. Autrement dit, elle devra donc emprunter simplement pour rembourser ses dettes antérieures.

La question du rééchelonnement de cette dette commencerait même à se poser car, d'après les experts, son service annuel et le remboursement en principal qu'elle va exiger à partir de 1985 risque de devenir insoutenable. Cela signifie qu'un État comme la France risque la banqueroute d'ici un ou deux ans s'il n'y a pas de reprise économique d'ici là. Et le crédit des débiteurs français (État, entreprises nationalisées ou non) sur le marché financier international peut se perdre tout aussi rapidement que pour le Brésil ou le Mexique auxquels les banques internationales étaient prêtes à accorder sans restriction de nouveaux prêts il y a encore dix-huit mois.

Si la récession dure en Europe, à supposer même que la reprise se confirme aux États-Unis, ce ne seront plus simplement le Brésil ou le Mexique qui iront frapper à la porte du FMI, mais ce seront la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, le Danemark et, qui sait, même la France, pour annoncer qu'ils ne peuvent plus payer leurs dettes. Et cette fois-là, il n'est pas évident que l'État américain acceptera de renflouer le FMI pour faire les avances nécessaires. D'autant qu'en 1982 pour se porter garant du rééchelonnement des dettes des États en difficulté et tenir lieu désormais de prêteur de dernier ressort, le FMI a marchandé auprès de l'État américain et des États européens de nouvelles ressources, en espérant obtenir la possibilité d'emprunter sur le marché international des capitaux au même titre que n'importe quelle banque. Mais si un grand nombre de pays demandent à profiter de nouvelles facilités, le Fonds aura, paraît-il, épuisé avant deux ans les ressources propres et empruntées qu'il espère recevoir. Le monde risque alors de compter un emprunteur de plus en difficulté. On ne voit guère qui pourrait alors sauver le FMI !

Et en 1983, un an après la panique mexicaine, les économistes constatent avec inquiétude qu'en l'absence d'une reprise mondiale vigoureuse une nouvelle crise financière est en train de mûrir, en se demandant si elle n'emportera pas cette fois tout le système.

Après l'étranglement des pays pauvres, l'attaque en règle contre le niveau de vie des populations des pays industriels

Après la récession de 1980-82, le monde a connu une baisse de la production pour la deuxième fois depuis la guerre. Mais c'est la première fois depuis la guerre que le niveau de vie des travailleurs a sensiblement baissé dans la plupart des pays industrialisés.

Lors de la première récession en 1974, tous les gouvernements occidentaux, sociaux-démocrates ou conservateurs, avaient pratiqué la même politique de maintien de la demande intérieure en maintenant la consommation au moyen des indemnités de chômage et des budgets sociaux, tout en laissant les salaires suivre l'inflation.

Cette fois-ci, les gouvernements conservateurs ou sociaux-démocrates s'alignent sur les mêmes politiques d'austérité.

Aux États-Unis, même avec la reprise actuelle, les augmentations nominales de salaire en 1983 ont été les plus faibles depuis quinze ans, très inférieures à l'augmentation du coût de la vie (bien des conventions collectives négociées ces derniers mois prévoyant même des réductions de salaire ou leur blocage).

Quant aux pays d'Europe, ils sont encore loin évidemment de la situation dramatique des pays sous-développés. Mais les différents gouvernements s'en prennent aux revenus populaires comme aux couvertures sociales.

Le gouvernement belge prévoit de nouvelles hausses des cotisations sociales et de la fiscalité locale qui devraient se traduire par une chute de 1 % du revenu disponible des ménages. Aux Pays-Bas, la consommation des ménages va reculer pour la cinquième année consécutive et le nouveau budget prévoit une baisse des salaires des fonctionnaires et du salaire minimum.

En France, sans qu'il y ait eu de mesures spectaculaires depuis le blocage des salaires pour trois mois en 1982, le gouvernement continue à exercer de multiples pressions pour que les salaires retardent sur l'inflation (en donnant le ton dans la Fonction Publique) et l'on prévoit une stagnation du pouvoir d'achat des ménages pour 1983 et une baisse de 1 % pour 1984.

La justification officielle de toutes ces politiques d'austérité est de relancer les exportations. Mais comme elles contractent la consommation et les marchés intérieurs, on voit mal vers qui chaque pays pourrait exporter plus.

En réalité ces batailles économiques pour la conquête d'une meilleure place sur le marché mondial passent par une guerre économique des différents gouvernements contre leurs populations respectives.

Le véritable problème des dirigeants des États impérialistes n'est d'ailleurs pas de permettre une quelconque relance nationale, mais de permettre à leurs capitalistes nationaux de continuer à dégager des profits, pendant la récession elle-même. Parce que ce n'est pas l'économie de spéculation dans laquelle le monde capitaliste s'est enferré depuis des années qui permet de dégager des profits supplémentaires, même si chaque capitaliste en particulier ne voit pas d'occasion de profit en dehors de la spéculation. Et la seule façon de dégager plus de profits en période de récession est de diminuer la rémunération de la force de travail.

En baissant les salaires, bien sûr, mais ce n'est pas la seule façon. Dans les pays industrialisés les salaires proprement dits ne représentent qu'une fraction de la rémunération de la force de travail. Une bonne part est socialisée et distribuée de façon indirecte sous forme de prestations sociales, ou dispensée en nature par le biais de services publics (enseignement, santé, transports en commun). Et c'est au travers des budgets d'austérité, en pesant sur les budgets sociaux et publics que les gouvernements disputent désormais à l'ensemble de la classe ouvrière une partie de ses ressources pour les mettre à la disposition du capital.

L'avenir dira donc si, une certaine reprise aidant, la bourgeoisie parviendra à éviter l'effondrement financier généralisé.

Ce qui est certain, c'est qu'éviter l'effondrement bancaire implique soit que l'on aide, au besoin par la force, le système bancaire à récupérer ses énormes créances, intérêts et profits compris ; soit que les États directement ou par le Fonds Monétaire International interposé, rachètent aux banques leurs créances douteuses.

En d'autres termes, les banquiers ne pourraient sauver leurs profits et la bourgeoisie sauver le système financier de l'effondrement, qu'au prix d'une aggravation des conditions d'exploitation déjà intolérables des masses pauvres des pays du Tiers-Monde et au prix d'une chute du niveau de vie de la classe ouvrière.

Reste à savoir quelles seront les réactions de la classe ouvrière, des pays pauvres comme des pays riches, devant la guerre ouverte qui leur est déclarée par la bourgeoisie impérialiste.

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