Quand la gauche « limite les dégâts... »01/03/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/03/101.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Quand la gauche « limite les dégâts... »

Le recul de la gauche aux dernières élections municipales était attendu. Les dirigeants du PS considéraient eux-mêmes avant les élections qu'il fallait s'attendre dans le meilleur des cas à perdre au moins dix villes de plus de 30 000 habitants par rapport à 1977 (où la gauche unie avait remporté les deux tiers des 221 grandes villes de plus de 30 000 habitants). Au-delà de 40 villes perdues, ce serait « la débâcle », disaient-ils, et entre 30 et 40 villes perdues, on pourrait parler de « dégâts limités ».

Le premier tour, le 6 mars dernier, a laissé présager la débâcle, le deuxième... a limité les dégâts.

La gauche ne perd « que » 31 communes de plus de 30 000 habitants, alors que les résultats du premier tour (16 villes - 8 PS, 8 PC - enlevées par la droite) avaient laissé espérer à la droite de renverser la situation de 1977 en récupérant les 60 villes supplémentaires enlevées par la gauche à cette époque, voire plus. Au lendemain du premier tour, la droite n'a pu retenir sa jubilation. La gauche, elle, n'a pu contrôler sa panique. Des ministres socialistes candidats, se sont laissés aller jusqu'à dire que « l'avertissement » donné au premier tour « avait été compris », sans toutefois préciser dans quel sens.

Les élections terminées, cette notion « d'avertissement » a disparu des discours officiels aussi soudainement qu'elle y était entrée. Seul le Parti Communiste tient à souligner cet « avertissement » non pas pour modifier sa propre politique, mais pour s'en prévaloir et justifier une nouvelle fois sa présence dans le gouvernement auprès de ses militants.

Une semaine après le deuxième tour, les résultats sont déjà presque oubliés, et il n'y a pas de retombées politiques particulières à en attendre. Pas plus en tout cas que de ceux de 1977 qui avaient pourtant marqué une avancée spectaculaire de la gauche, ce qui n'avait pas empêché sa défaite électorale aux législatives de l'année suivante, et n'avait pas empêché la droite de bénéficier d'un sursis gouvernemental de quatre ans.

Mais si ces élections en elles-mêmes ne changent rien, il reste à voir ce qu'elles indiquent sur l'état d'esprit de la population après deux ans de gouvernement de gauche.

Évidemment, l'instrument de mesure que représente ce scrutin municipal n'est guère précis. D'abord par le double caractère, à la fois local et national qu'il présente. Ensuite, ce scrutin municipal, malgré son faux air de proportionnelle, présente toutes les tares du scrutin majoritaire à deux tours. Et cette fois, en outre (comme en 1977 d'ailleurs), le PC et le PS ne se sont pas présentés séparément au premier tour. Ce qui rend impossible la mesure réelle du rapport d'influence entre les deux, mais ce qui rend possible du même coup toutes les hypothèses fantaisistes à ce sujet.

C'est ainsi qu'au sein de la gauche, les politiciens du PS comme les journalistes du Matin ou de Libération, secourus quelques jours après par ceux du Monde, ont cherché à toute force dans ce dernier scrutin une confirmation du « recentrage » de la gauche constaté en 1981, au détriment du PC et au bénéfice du PS, même si une comparaison des résultats de 1983 avec ceux de 1977 n'indique pourtant rien de semblable.

Le recul de la gauche au premier tour et les abstentions ouvrières

Au premier tour, la gauche a perdu beaucoup de voix. Ces voix pour l'essentiel ne sont pas allées à la droite, mais ont fait grève en quelque sorte. La gauche au premier tour a payé un fort abstentionnisme au sein de l'électorat ouvrier qui vote pour elle habituellement.

L'analyse locale de la répartition des abstentions suivant les bureaux de vote au sein des communes a permis de constater de forts pourcentages d'abstentions dans les quartiers ouvriers. II y a eu au premier tour de 1983, une moyenne nationale de 21,63 % d'abstentions (chiffre très voisin de celui de 1977). Pour les villes de plus de 30 000 habitants, les abstentions ont voisiné 30 % des inscrits, là encore, chiffre proche de celui de 1977. (Les abstentions dans les grandes villes sont aux municipales toujours plus fortes que dans les petites). Mais en 1983 la répartition de ces abstentions a été très différente de celles de 1977.

Les villes très ouvrières se sont souvent plus abstenues qu'en 1977 et, inversement, les villes les plus bourgeoises se sont moins abstenues. Dans la région parisienne c'est spectaculaire pour les banlieues les plus ouvrières, le plus souvent gérées par le Parti Communiste : le taux d'abstention a augmenté de près de 3 % à Gennevilliers, plus de 6 % à Bobigny, 3,06 % à Aubervilliers, 6,77 % à la Courneuve, 3,01 % à Saint-Denis, 2,70 % à Saint-Ouen, 4 % à Créteil... Près des usines de Renault Flins : plus 4,80 % à Mantes, plus 7,28 % aux Mureaux.

C'est le même phénomène en province : plus 10,69 % d'abstentions au Havre, plus 10,25 % à Vénissieux, plus 8,3 % à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, plus 10,9 % à Longwy. C'est la même chose dans les villes à gestion socialiste, très ouvrières : plus 4,6 % au Creusot, plus 11,9 % à Saint-Nazaire, plus 4,8 % à Arras, plus 4,8 % également à Belfort. A Fresnes, dans la banlieue parisienne, plus 12,25 % et à Neuilly-sur-Marne, plus 8,9 %. On pourrait allonger la liste.

Inversement, les villes très bourgeoises voient leurs abstentions diminuer, comme à Saint-Germain, près de Versailles, moins 3 %, Neuilly-sur-Seine, moins 8,12 %, Sèvres, moins 3,70 %, le Chesnay, dans les Yvelines, moins 16,71 %...

A Paris, les abstentions augmentent dans les arrondissements populaires (plus 5 % dans le XIIIe arrondissement, plus 1,5 % dans le XVIIIe, plus 1,4 % dans le XIXe), et baissent dans les arrondissements les plus bourgeois (moins 2,3 % dans le VIIe, moins 2,4 % dans le VIIIe, moins 2,2 % dans le XVIe).

La plupart de ces villes ouvrières à forts taux d'abstention sont restées à gauche. Mais même dans ce cas, elles font partie des villes où la gauche perd le plus de voix par rapport à 1977 : moins 15,22 % à Gennevilliers, moins 19,74 % à Aubervilliers, moins 8,66 % à Bobigny, moins 10,75 % à Saint-Denis, moins 11,27 % à Vénissieux, moins 10,75 % à Vaulx-en-Velin, moins 7,47 % au Havre... Voilà pour quelques mairies communistes qui le sont restées, parmi d'autres.

On constate de la même façon de grosses pertes en voix dans les villes ouvrières PS restées PS là où les abstentions ont été fortes : moins 7,86 % des voix de la gauche à Saint-Nazaire, moins 6,46 % à Arras, moins 7,36 % à Belfort, moins 10,34 % à Massy... Une exception, le Creusot qui, avec un fort taux d'abstention, donne néanmoins 4,40 % de voix supplémentaires à la gauche.

Les quartiers les plus pauvres, les plus abstentionnistes

Dans les villes mêmes qui ont vu leur taux d'abstention diminuer, les bureaux de vote des quartiers les plus ouvriers connaissent plus d'abstentions qu'en 1977. Ce fut le cas à Grenoble où le maire sortant a été battu. Mais le phénomène semble assez général.

Voici, entre bien des exemples, celui de Belfort où le premier tour laissait envisager le pire à Chevènement : il y a eu 30,23 % d'abstentions au premier tour 1983, soit 4,83 % de plus qu'en 1977 (25,38 % d'abstentions). Mais dans les bureaux de vote des quartiers ouvriers les plus pauvres, rue Braille et rue de Rome d'une part, rue Zaporojie d'autre part, il y a eu respectivement, plus 7,66 % et plus 11,45 % d'abstentions par rapport à 1977. Et au premier tour 1983 leur taux d'abstention est supérieur d'environ 4 % à la moyenne de Belfort. Inversement, l'un des quartiers les plus aisés de la ville, dans le « faubourg de Montbéliard », le taux d'abstention est inférieur de 5,5 % par rapport à la moyenne de Belfort et a baissé de 2 % par rapport à 1977.

Entre ces deux extrêmes, d'autres quartiers ouvriers de Belfort, plus anciens mais aussi moins pauvres que les premiers, se sont moins abstenus, et leur taux d'abstention tourne autour de la moyenne de la ville. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas propre à Belfort et se retrouve dans de nombreuses autres villes. Ce sont les quartiers ouvriers les plus pauvres, parfois aussi les plus récents, qui se sont le plus abstenus.

C'est spectaculaire à Vénissieux près de Lyon : la moyenne des abstentions est de 34 %. Dans le quartier de la ZUP (quartier à fort pourcentage d'immigrés), là où il y a eu des incidents entre les jeunes et la police l'été 1981. Les abstentions s'échelonnent en 1983 entre 63 et 71 %, soit des écarts de 29 à 37 % supplémentaires par rapport à la moyenne de la ville. C'est dans ces quartiers que l'extrême gauche (le PCI) fait ses meilleurs scores (19 et 11 % pour deux bureaux de vote), le PC faisant 50 %.

Dans la région parisienne, à Bobigny, le bureau de vote de la cité ouvrière « de l'Étoile », rue Marcel Cachin a fait 52,45 % d'abstentions (14,06 % de plus que la moyenne de Bobigny). Par contre, un bureau de vote dans un quartier ouvrier où le PC a sa meilleure implantation, le taux d'abstention est celui de la moyenne de la ville. Il n'y a pas de quartiers « bourgeois » à Bobigny, mais les cités pavillonnaires, un peu plus aisées, sont celles qui se sont le moins abstenues (de 0,2 % à 2,9 % de moins que la moyenne de 38,39 %).

A Lille, les quatre bureaux du quartier le plus ouvrier de la ville s'échelonnent entre 43,74 % d'abstentions et 47,22 %, soit un écart de 9,17 à 12,62 % avec l'abstention moyenne de la ville.

Inversement le quartier le plus bourgeois de Lille, dans le centre, n'a que 24,5 % d'abstentions, soit 10,7 % de moins cette fois, que la moyenne de Lille (34,57 % d'abstentions).

A Orléans, le quartier ouvrier de « la Source » d'implantation assez récente (employés souvent jeunes et à bas salaires, dans les Chèques Postaux, les PTT, les hôpitaux, les impôts...) est le quartier d'Orléans où le PCF fait ses meilleurs scores sur la ville, où il est très minoritaire par rapport au PS. En 1977, le taux d'abstention du quartier de la Source était de 28 %, soit la moyenne de la ville. En 1983, le taux d'abstention moyen des bureaux de vote de la Source est de 36,78 % (8,78 % de plus qu'en 1977 et 6 % de plus que la moyenne d'Orléans en 1983), avec des pointes de 45 et 46 % (plus 15 % par rapport à la moyenne).

Il est vrai que les têtes de liste PS sont ici peu appréciées par l'électorat PC, et que cela a dû jouer partiellement dans ce quartier. II est probable qu'ici l'abstention massive soit partiellement plus politique qu'ailleurs.

Dans le quartier ouvrier plus traditionnel de « l'Argonne » (plus ancien et où le PS est plus implanté que le PC), le taux d'abstention est bien moindre qu'à la Source (31,64 % soit à peine 1 % de plus que le taux moyen d'Orléans). Quant aux quartiers les plus bourgeois, près de la Mairie et de la Bibliothèque, ce sont eux qui ont eu le moins d'abstentions, moins de 6 % que la moyenne.

A Saint-Nazaire (où le taux d'abstention de la ville est supérieur de 11,9 % par rapport à 1977) le quartier ouvrier de « Waldeck-Rousseau » connaît un taux d'abstentions de 6 % supérieur à la moyenne. En 1977, les abstentions n'étaient supérieures que de 2,5 % par rapport à la moyenne. Les quartiers du centre, plus aisés, qui votaient nettement moins que la moyenne en 1977 (moins 7 %), ont voté beaucoup plus que la moyenne cette fois-ci (plus 5 %).

Ces quelques exemples témoignent de ce qui s'est passé dans la plupart des grandes villes au moins partiellement ouvrières. On constate que ce sont les quartiers les plus pauvres qui se sont le plus abstenu, et que parmi ces quartiers pauvres dont certains ont traditionnellement un taux d'abstention assez élevé (mais ce n'est pas le cas de tous), les abstentions se sont encore amplifiées cette fois-ci.

Par contre des quartiers ouvriers plus traditionnels, où les organisations ouvrières ont une implantation ancienne, ont connu un mouvement d'abstentions moins marqué.

Politiquement, cette vague d'abstentions ouvrières traduit non pas la volonté consciente de donner un avertissement à la gauche (les scores de l'extrême gauche, mis à part le cas de Vénissieux qui semble une exception, sont restés faibles et parfois ont même baissé), mais bien plutôt l'accroissement de l'indifférence politique à l'égard de la gauche et des organisations politiques en général. Dans certains cas, comme à Orléans, c'est dans les quartiers ouvriers les plus abstentionnistes de la Source, que les écologistes ont aussi fait de bons scores. Une autre façon d'illustrer le fait que lorsque la déception s'est exprimée par un vote, elle l'a fait de préférence sur une liste apolitique.

La mobilisation des abstentionnistes de gauche au second tour

La moyenne nationale des abstentions au second tour a baissé d'un point.

Les résultats du second tour, avec le rétablissement partiel de la gauche, montrent que c'est la gauche qui a bénéficié essentiellement de la mobilisation des abstentionnistes du premier tour. Et le deuxième tour confirmait par là-même le fait que la gauche au premier tour avait pâti surtout de l'abstentionnisme de gauche.

Voici un tableau montrant l'évolution des abstentions entre le premier tour et le deuxième tour dans les communes de plus de 30 000 habitants en ballotage, selon que leurs maires sortants sont PS, PC, ou de droite

er ET LE 2e TOUR DANS LES VILLES DE PLUS DE 30 000 HABITANTS EN BALLOTAGE

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On constate d'abord qu'au premier tour, les villes dont les maires sortants sont de droite connaissent un taux d'abstention un peu moindre que les autres (il ne s'agit bien sûr que des villes en ballotage). Quand on prend par contre l'ensemble des 221 villes de plus de 30 000 habitants, en ballotage ou non, le taux d'abstention moyen des villes PC, PS et de droite est voisin : 30,70 % pour les villes à direction PC, 28,01 % pour les villes à direction PS et 29,17 % pour les villes à direction de droite.

Plus significatif, du premier au deuxième tour, le taux d'abstention dans les villes en ballotage de droite reste pratiquement stable. Par contre les villes dont les maires sortants sont au PS voient leurs abstentions diminuer de 4,16 %, et les villes à maires sortants communistes, de 5,73 %.

Ce tableau montre à l'évidence que c'est la gauche qui a mobilisé les abstentionnistes. Le Parti Communiste, dans ses propres communes, a même réussi à mobiliser un peu plus les abstentionnistes que le Parti Socialiste dans les siennes. Mais la différence (plus 1,57) est faible. II faut remarquer par ailleurs qu'à Marseille et Lille, les deux plus grandes villes socialistes en péril, le Parti Communiste a mis tout son poids pour mobiliser les abstentionnistes au deuxième tour. A Marseille, les militants socialistes reconnaissent eux-mêmes l'efficacité du PCF. « Ils ont fait descendre les cages » (comprenez les sympathisants des HLM), s'exclame admiratif un militant du PS, rapporte la journaliste du Nouvel Observateur envoyée sur place. Au sortir de la victoire, continue la même journaliste, « dans les locaux de la Fédération Socialiste les camarades communistes venus fêter l'événement seront accueillis à bras ouverts. Sans eux... ! » .

Globalement il semble donc que la vague d'abstentions ouvrières au premier tour ait été enrayée au second. Dans une ville comme Belfort, les quartiers ouvriers les plus abstentionnistes ont été totalement mobilisés, puisqu'au deuxième tour, ils s'alignent désormais sur le taux d'abstention moyen de la ville, 23,53 % (moins 6,70 % d'abstentions par rapport au premier tour). II faut dire que la municipalité socialiste a employé les grands moyens et utilisé comme à Marseille les listes d'émargement : la plupart des abstentionnistes ont reçu un coup de téléphone ou la visite des envoyés du maire.

Mais cette remobilisation totale des abstentionnistes ouvriers par la gauche semble être surtout caractéristique de Marseille et de Belfort. Ailleurs, les choses semblent plus nuancées. A Lille, à Saint-Nazaire, Orléans, comme dans les quartiers ouvriers de Lyon, pour ne prendre que ces exemples, la mobilisation des abstentionnistes varie suivant les bureaux ouvriers. Et si les bureaux les plus abstentionnistes voient leur nombre d'abstentions diminuer partiellement au second tour, c'est en proportion moindre qu'ailleurs. Pour reprendre les mêmes exemples que ceux cités plus haut, à Saint-Nazaire, le quartier « Waldeck-Rousseau » voit ses abstentions baisser de 3 % mais garde un écart de 6 % avec la moyenne de la ville au second tour. A Orléans, le quartier de la Source malgré une baisse de 4 % des abstentions au second tour, garde un écart de 5 % avec la moyenne. Par contre, le quartier ouvrier plus traditionnel de l'Argonne, légèrement plus abstentionniste que la moyenne au premier tour égalise la moyenne au second. De la même façon à Lille, les quartiers ouvriers les plus abstentionnistes ne se mobilisent que très partiellement, et gardent un écart de 8 à 15 % avec la moyenne de Lille au second tour ! Par contre, toujours à Lille, fait notable, le quartier le plus bourgeois de Lille qui, au premier tour, avait déjà 10,7 % d'abstentions de moins que la moyenne, se remobilise plus encore au second tour, et garde un écart de 9,24 % avec la moyenne. Mais le fait remarquable cette fois, c'est que dans ce quartier bourgeois, Mauroy gagne 5,55 % des voix au second tour par rapport au premier. Tout se passe comme si dans cette ville, c'était d'une part surtout l'électorat de gauche petit-bourgeois qui s'était mobilisé au second tour et comme si, d'autre part, un bon nombre de voix qui au premier tour s'étaient portées sur la droite, se soient reportées sur Mauroy au second.

Il est probable que cette différenciation dans la remobilisation des abstentionnistes ne soit pas isolée à quelques villes, mais qu'elle soit plus générale. La gauche a enrayé les abstentions au second tour, mais moins dans les quartiers les plus pauvres que dans les quartiers ouvriers plus traditionnels et, dans bien des cas sans doute, plus encore parmi la fraction de la petite bourgeoisie de gauche qui s'était aussi abstenue au premier tour. En réalité, globalement, il semble que la gauche n'ait pas récupéré l'ensemble des abstentionnistes ouvriers du premier tour, mais n'ait réalisé qu'un rétablissement partiel. A cet égard, il semble aussi, si l'on en croit les chiffres globaux cités plus haut, que le Parti Communiste ait été un peu plus capable de remobiliser les abstentionnistes que le Parti Socialiste.

Ces nuances faites, il reste néanmoins que, globalement, la remobilisation des abstentionnistes de gauche au second tour a été spectaculaire. II y a sans doute plusieurs raisons à cela. L'arrogance de la droite au lendemain du premier tour a sans doute beaucoup fait pour mobiliser une partie de l'électorat abstentionniste de gauche qui a tenu à voter contre la droite sinon pour la gauche. II se peut aussi que même une partie de l'électorat centriste-libéral qui avait voté pour Mitterrand et qui avait globalement viré cette fois-ci, ait désapprouvé certains aspects de la campagne de la droite entre les deux tours (œillades vers l'extrême droite, anti-immigrés, démagogie virulente...) et ait reviré au second tour. II semble que ce soit le cas à Dreux, mais peut-être aussi à Marseille. Et l'exemple cité plus haut du report des voix sur la gauche au second tour, voix qui s'étaient portées à droite au premier tour dans le quartier chic de Lille, traduit la même chose.

Mais cette remobilisation, somme toute facile au second tour pour le gros de l'électorat de gauche y compris ouvrier, montre aussi finalement qu'il n'y a pas vraiment de « colère », ni de véritable « impatience » à l'égard du gouvernement.

Depuis deux ans que la gauche gouverne, elle suscite sans doute plus d'indifférence croissante au sein des couches populaires les plus pauvres qu'une hostilité nettement affirmée. A vrai dire, dans cette période de crise, pour le moment, les effets de la politique gouvernementale anti-ouvrière ne fait sentir immédiatement et directement ses effets que sur les couches les plus pauvres de la population. Pour le reste, les conséquences de la politique gouvernementale restent du domaine du « plus tard ». Et les conséquences les plus graves de la crise ne sont pas encore perçues comme directement menaçantes.

C'est sans doute la raison pour laquelle ces élections, en ceci semblables aux précédentes, ne marquent aucune « radicalisation » de l'électorat. II y a bien eu quelques scores locaux de l'extrême droite, mais trop isolés pour qu'on puisse valablement en tirer des conclusions générales. Quant à l'électorat de l'extrême gauche... il est resté égal à lui-même.

En somme, la gauche au gouvernement s'use, ces élections en témoignent d'une certaine façon, mais en suscitant plus l'indifférence, les réactions d'apolitisme, le désintérêt à l'égard des organisations politiques, que la contestation. Et de ce point de vue, le résultat électoral ne fait que confirmer l'absence actuelle de toute mobilisation ouvrière dans le pays.

Mais c'est peut-être aussi justement parce que ces couches populaires sont moins sous l'emprise des organisations réformistes traditionnelles que leur état d'esprit peut changer brutalement, et leur indifférence politique croissante se muer en colère explosive, sans que les partis et les syndicats puissent la détourner par leurs procédés habituels.

Est-il vrai que le PCF est le grand perdant des municipales de 1983 comme le prétend la presse proche du ps ?

« La gauche rentre par la fenêtre ... le PC est le grand perdant » lit-on à la Une de Libération du 14 mars au lendemain du deuxième tour. « Les maires communistes ont payé le déclin électoral du Parti » renchérit le même journal le lendemain. Même son de cloche dans Le Matin du 14 mars, avec Jean-François Kahn : « Défaite du PC » sous-titre-t-il. « Le grand perdant du scrutin du second tour est incontestablement le Parti Communiste. II est le seul dont le solde soit totalement négatif... le rétablissement du PS ne fait que mettre plus encore en relief l'affaiblissement d'un PC quia incontestablement perdu un certain nombre d'électeurs socialistes » . Deux jours après, c'est au tour du Monde de venir à la rescousse de cette thèse avec des arguments statistiques cette fois.

La presse de gauche pro-PS veut accréditer la thèse suivante, le PS aurait rétabli sa situation au deuxième tour. Le PC, lui, serait le grand perdant. Le recentrage électoral au sein de la gauche au bénéfice du PS et au détriment du PC constaté en 1981, serait confirmé par les municipales de 1983. En somme, le PC continuerait de perdre de l'influence auprès de son électorat au bénéfice du PS. Voilà pour les supporters du PS une façon bien euphorique d'interpréter le recul de la gauche en 1983. Nous avons peut-être perdu, mais ils ont plus perdu que nous, se disent-ils. Voire.

A l'appui de cette thèse, Le Matin et Libération n'apportent guère d'arguments.

Le seul fait présenté comme le témoin irréfutable de cet échec du PC serait le mauvais report des voix socialistes là où il y a eu des primaires (mais cela ne concerne que 11 villes). On avance aussi que le PC a perdu trois villes de plus de 100 000 habitants : Nîmes, Saint-Étienne et Reims. Mais on oublie de préciser que le PS, pour sa part, en a perdu quatre : Brest, Grenoble, Nantes et Roubaix.

Pour ce qui est de l'arithmétique du nombre de mairies respectivement perdues ou gagnées par le PS et le PC, le comité central du PCF a répondu lui-même quelques jours après de façon assez convaincante à ceux qui veulent à tout prix que le PC soit le grand perdant des municipales. Au sortir du scrutin de 1983, le PC dirige 184 villes de plus de 9 000 habitants, le PS 194. Le PC dirige 57 villes de plus de 30 000 habitants, le PS 61. Du point de vue du nombre de communes, le PC se trouve dans une position équivalente à l'égard du PS qu'avant le scrutin.

En ce qui concerne les pertes : qui a le solde le plus lourd ? Le PS perd 62 villes de plus de 9 000 habitants dont 15 de plus de 30 000. Par contre il en gagne 13 de plus de 9 000 dont une de plus de 30 000.

Le PCF, lui, perd 44 villes de plus de 9 000 habitants dont 15 de plus de 30 000 et il en gagne 3 seulement de plus de 9000.

En somme le PS perd plus de villes et en gagne plus, et le PC perd moins de villes mais en gagne moins.

Bien difficile dans ces conditions de dire qui a le plus perdu. En tenant compte du fait que le PS dispose peut-être de villes plus importantes en moyenne que le PC, il semble bien que les soldes de pertes et de gains des deux partis soient assez proches l'un de l'autre.

Restent les pertes en voix globales. Le Matin et Libération s'étaient bien gardés d'en dire quoi que ce soit. II faut attendre Le Monde du 17 mars, pour qu'à l'appui de cette thèse, dans un article savant et illustré de statistiques, Jérôme Jaffré raisonne à sa façon sur les pertes de voix globales. Les statistiques qui illustrent son article étudient l'évolution des voix dans les villes de plus de 30 000 habitants entre le deuxième tour de 1981 et le premier de 1983. C'est-à-dire que toute l'analyse est basée sur la comparaison des voix de Mitterrand recueillies au second tour des présidentielles, et celles de la gauche unie recueillies au premier tour des municipales. « Par rapport au 10 mai 1981, la gauche recule de 5,1 points dans les villes gérées par des maires communistes, au lieu de 3,6 points dans les communes socialistes ». A en croire cette statistique, les maires communistes sortants seraient donc moins aptes à retenir les voix de gauche que les maires sortants socialistes. Mais dans la même statistique la comparaison avec le second tour de 1983 montre la proportion inverse : les voix de gauche reculent de 5,6 points avec des maires socialistes, et de 4,9 points seulement avec des maires communistes. Cette fois, le résultat n'est pas commenté !

Mais quelles conclusions sérieuses peut-on tirer d'une comparaison d'un premier tour de 1983 avec les voix de Mitterrand au deuxième tour des présidentielles ?

Si une telle comparaison peut apprendre quelque chose, c'est tout au plus sur la capacité des maires communistes à retenir les voix qui se sont portées sur Mitterrand, pas sur l'évolution de son électorat propre. Or, en 1981, on sait bien que les voix qui se sont portées sur Mitterrand étaient en partie des voix centristes (celles qui ont fait la différence et le renversement) qui n'ont choisi Mitterrand que parce que les pertes préalables du PC les avaient rassurés. II ne faut pas être un expert électoral pour deviner que le Parti Communiste est plutôt moins apte que le Parti Socialiste à maintenir sur le nom de ses maires sortants les voix centristes anti-communistes ! Alors, valait-il la peine que le journaliste du Monde emprunte l'ordinateur de la Fondation pour nous apprendre cette lapalissade ?

En réalité, une telle comparaison entre les deux scrutins, totalement différents, ne peut rien apprendre sur l'influence respective du PC et du PS dans l'électorat ni sur son évolution.

Si l'on veut à la rigueur tirer des conclusions sur les pertes respectives du PC et du PS lors des municipales, la moindre des choses est de comparer avec un scrutin comparable, c'est-à-dire avec les précédentes municipales de 1977, où la gauche avait marqué des scores sans précédents, en voix comme en mairies remportées. Mais tous les tenants de la thèse du « PC grand perdant » se sont bien gardés de faire cette comparaison.

Or voici ce qu'elle donne

i PERTE DES VOIX DE GAUCHE ENTRE 1977 ET 1983bi0 bi DANS LES VILLES DE PLUS DE 30000 HABITANTS DIRIGÉES PAR LE PS (78 villes)

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i PERTE DES VOIX DE GAUCHE ENTRE 1977 ET 1983bi0 bi DANS LES VILLES DE PLUS DE 30000 HABITANTS DIRIGÉES PAR LE PC (76 villes)

-7,12cell

Dans les 75 grandes villes à maires sortants communistes, la gauche perd 7,12 % des voix par rapport à 1977.

Dans les 78 grandes villes dirigées par le PS, les pertes de la gauche sont de 7,28 %.

On constate donc que la capacité à maintenir (ou à perdre !) l'électorat de gauche sont quasi identiques pour le PC comme pour le PS. Les pertes sont d'ailleurs légèrement moindres pour les mairies communistes. Mais nous nous garderons d'en tirer des conclusions, car l'ensemble des communes gérées par le PC rassemblent un peu moins d'électeurs que celles gérées par le PS, le PC disposant d'un nombre sensiblement moindre de très grandes villes.

En tout cas, cette comparaison montre que les communes PC résistent en voix au moins aussi bien que celles du PS, ou si l'on veut, ne perdent pas plus.

Quant au deuxième tour, les chiffres donnés précédemment sur les abstentions respectives dans les villes en ballotage PC et PS, montreraient que le PC a plutôt mieux réussi à mobiliser les abstentionnistes que le PS lui-même.

En tout cas, la comparaison du dernier scrutin avec celui de 1977 montre à l'évidence que les hypothèses sur les pertes plus grandes du PC par rapport au PS relèvent de la plus grande fantaisie.

Les primaires sont-elles en défaveur du PCF ?

Le PS a imposé au PC douze des primaires qui ont eu lieu dans les villes de plus de 30 000 habitants, dans des communes où les maires sortants étaient communistes. Dans ces douze villes, aux présidentielles de 1981, Marchais faisait un score plus faible que Mitterrand (ce qui sans doute a laissé espérer au PS de prendre aussi les devants lors des municipales de 1983). Mais le pari du PS a été perdu. Car le résultat du premier tour de 1983 tourne à l'avantage du Parti Communiste, puisque sur 11 de ces 12 villes, les scores du PC dépassent largement ceux de Marchais en 1981, et en tout cas, sont nettement supérieurs à ceux du PS. II est impossible de dire si ces scores montrent qu'aujourd'hui Marchais verrait ses voix remonter, évidemment ! II s'agit d'élections municipales, et la prime au maire sortant compte pour beaucoup. Mais une chose est sûre. Le PS a fait la démonstration que là-même où il espérait que la situation lui était favorable, il était incapable de confirmer le recentrage au sein de la gauche. En réalité, l'hypothèse la plus raisonnable est sans doute de considérer que les scores du PC dans ces 11 villes sont dus au caractère municipal de ces élections, puisque dans les cinq autres villes à gestion PS où il y a eu des primaires, le PS à son tour, a renforcé ses scores par rapport à ceux de Mitterrand en 1981. Alors, bien difficile de savoir ce que prouvent ces primaires, mais en tout cas pas la confirmation du recentrage de la gauche au détriment du PCF !

Au deuxième tour, dans les mêmes primaires à maires sortants communistes, les choses ont tourné contre le PC à cause des mauvais reports PS. Mais cela ne contredit en rien le premier tour. II n'est guère surprenant en effet que l'électorat PS prenne sa revanche de la défaite du premier tour, en boudant le PC au deuxième.

Mais y compris ces mauvais reports du PS au détriment du PC ne prouvent pas que le PC est le « plus grand perdant ». Certes, une partie de l'électorat PS a dû rechigner dans certaines villes contestées au sein de l'Union de la gauche (primaires ou pas d'ailleurs). Mais l'inverse a dû se produire aussi. L'exemple d'Orléans, cité plus haut, montre qu'au sein de l'électorat PC, bon nombre de militants ont boudé les têtes de liste PS et ont grossi les rangs abstentionnistes, ne serait-ce que pour faire payer à Orléans, au PS, des têtes de liste imposées au PC ailleurs.

Pour résumer, ce scrutin des municipales de 1983 n'aura pas amené de grandes surprises. Ce scrutin à double détente a bien crée un suspens après le premier tour, le temps de donner des émotions fortes aux états-majors de gauche et de droite, pour donner finalement le résultat mi-figue mi-raisin le plus prévisible qui soit. Après deux ans de gouvernement la gauche marque un net recul électoral, sans toutefois que la situation soit renversée totalement en faveur de la droite par rapport aux élections de 1977. La gauche garde la majorité des grandes communes de plus de 30 000 habitants (elle en avait les deux-tiers avant le scrutin).

Le plus notable est que les pertes de voix de la gauche viennent des abstentions ouvrières des grandes villes, que la gauche est parvenue toutefois à mobiliser pour la plus grande part au second tour. Par ailleurs ces élections n'apprennent rien de neuf sur l'évolution respective de l'influence électorale du PC et du PS, pour la raison essentielle que dans la quasi totalité des villes les deux partis ne se présentaient pas en concurrence. En tout cas l'électorat des mairies communistes n'a pas plus reculé que l'électorat des mairies socialistes.

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