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Parti Communiste Français : une base ouvrière troublée
Cet article est fait pour l'essentiel des principaux extraits d'un des exposés du meeting public de Lutte Ouvrière tenu à Paris le 3 décembre 1982.
Voilà dix-huit mois que le pays est dirigé par un gouvernement à majorité socialiste, un gouvernement comprenant même quatre ministres communistes. Et au lieu du changement attendu, sous couvert d'une politique de rigueur depuis quelques mois, c'est la bourgeoisie et son nouveau gouvernement qui s'attaquent, sans rencontrer d'obstacles, aux acquis et au niveau de vie de la classe ouvrière. Bien sûr, il faut le constater, les travailleurs font preuve d'une certaine apathie. Ils n'ont pas réagi au blocage des salaires, ni aux économies réalisées sur la Sécurité sociale, ni aux réductions de l'indemnisation-chômage, ni à la réduction des pré-retraites. Les travailleurs voient, jugent, n'en pensent pas moins, mais pour le moment, ils encaissent les coups portés. Des occasions de manifester leur mécontentement, il y en a pourtant eu. En octobre, à la mi-novembre, les syndicats, à commencer par la CGT, ont organisé de nombreux débrayages contre le blocage des salaires en particulier, et contre des patrons qui ici ou là ne voulaient rien céder au sortir du blocage. Ces débrayages n'ont pas été des succès. Si les travailleurs avaient eu l'envie et le moral pour réagir, ils auraient pu se saisir au moins de ces occasions-là. Ils ne l'ont pas fait.
L'attentisme de la classe ouvrière
Cette apathie, cet attentisme s'expliquent. D'abord par la crise et le chômage. Le rapport de forces économique n'est pas en faveur des travailleurs. La pression du chômage dissuade les travailleurs de se mettre en grève. Certes, les débrayages proposés par les syndicats ne représentaient pas de grands risques à cet égard. Mais plus personne ne croit à leur utilité. Et ils suscitent l'indifférence.
La classe ouvrière sent bien que dans le contexte économique actuel, il n'est plus question d'engager des demi-mouvements et des quarts de lutte pour espérer obtenir des huitièmes d'avantages. Cette période-là est révolue. Les travailleurs sentent bien que s'ils entament des luttes, et s'ils veulent qu'elles aboutissent, elles seront par la force des choses plus dures, plus longues, plus tenaces que les mouvements qu'ils ont menés pendant la période de prospérité, plus risquées aussi. Les patrons seront plus âpres, moins enclins à céder, moins pressés de faire sortir leur production, plus à l'aise pour remplacer les grévistes par des chômeurs. Et la classe ouvrière ne se lancera dans de telles luttes que si elle y est acculée.
Évidemment, tout cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de riposte possible aujourd'hui. II y aurait bien des façons pour la classe ouvrière de se faire respecter par la bourgeoisie et le gouvernement. Après tout, les travailleurs ne sont pas plus désarmés, n'ont pas moins de capacités d'organisation et d'initiative, bien au contraire, que des paysans, des artisans, des médecins ou des notaires, qui ont défilé dans les rues de Paris pour la première fois de leur vie.
Seulement les travailleurs ne voient pas quoi faire. Parce qu'ils n'ont pas de perspectives. Lutter ? Mais contre qui ? Chacun dans son usine ? A chacun son patron ? Quand certains font faillite ?
Contre qui diriger efficacement ses coups dans cette période de crise ? Et comment ?
Le problème est politique. Bien sûr. Mais précisément sur le terrain politique, les travailleurs n'ont aucune perspective.
Pendant des années, la classe ouvrière a cru qu'il suffirait de bien voter, de gagner les élections, pour que son sort en soit changé. La lutte électorale, si l'on peut parler de lutte à propos des élections, a été la seule action d'envergure qu'on lui a fait envisager. Aujourd'hui ceux pour qui elle a voté sont élus, et ils s'attaquent au niveau de vie de la classe ouvrière. Du coup, les travailleurs ne voient plus comment ils pourraient se défendre, ni comment lutter.
Ils pensaient économiser la lutte de classe et échapper à ses règles par un simple changement de gouvernement. Or le gouvernement a changé et rien n'est changé. Et toute cette politique s'avère aujourd'hui avoir été un piège. Un piège dans lequel les organisations de la gauche traditionnelle ont entraîné les travailleurs. C'est le piège du réformisme et de l'électoralisme : en croyant gagner les élections, la classe ouvrière a commencé par perdre sa force d'opposition. Elle était attentiste avant les élections, elle l'est restée après. C'est la logique de ce jeu-là. Seulement, dans le contexte de la crise économique qui contribue à l'atomiser et à la démobiliser en quelque sorte naturellement, cette démobilisation politique l'a rendue moins réactive encore, au moment où elle aurait eu besoin de l'être plus, et ça l'a rendue plus vulnérable.
L'absence de perspectives politiques
Bien sûr la classe ouvrière ne fera pas l'économie de la lutte. Tôt ou tard elle devra se battre si elle veut changer son sort, si elle veut simplement ne pas payer de plus en plus cher la crise de l'économie capitaliste et voir son sort empirer comme il le fait depuis six mois. Et au fond d'eux-mêmes, bien des travailleurs le savent, même ceux qui ne veulent pas entendre parler de grèves à l'heure actuelle.
Seulement, pour combattre, il faut être conscient de ses forces, plus exactement de la bonne façon de les rassembler. Avoir comme perspective la lutte, c'est pouvoir choisir ses formes de lutte, choisir ses alliés, son terrain, son moment, savoir quand le temps est aux manoeuvres préparatoires et quand il est aux passages à l'action. Et cela ne devient une perspective concrète que si la classe ouvrière dispose réellement en son sein d'organisations qui aient envie de mener ces luttes jusqu'au bout. Pour que la lutte soit une perspective crédible, il faut que la classe ouvrière puisse envisager une stratégie et une tactique dans la lutte de classe qu'elle mène contre la bourgeoisie. Ce sont cette stratégie et cette tactique qui offriront de réelles perspectives.
Et c'est bien là que le bât blesse.
Les organisations révolutionnaires, elles, sont faibles. Riposter, se battre, lutter, c'est ce que répètent à longueur de journée les militants et les organisations révolutionnaires. Mais ce sont des exhortations trop générales pour tenir lieu de perspectives et de politique de rechange pour la classe ouvrière. Surtout quand les travailleurs n'ont pas précisément envie de se battre. Car en l'absence d'organisations ouvrières suffisamment importantes pour défendre réellement ses intérêts généraux, le moral de la classe ouvrière est facilement atteint par les pressions économiques qu'elle subit, par la crise et le chômage. Et l'extrême-gauche est trop faible pour changer elle-même le moral de la classe ouvrière.
Et à côté des organisations révolutionnaires, qu'en est-il ?
Ceux qui se sentent le plus pris à ce piège de la gauche au gouvernement, les plus désemparés, les plus désorientés, ce sont encore les militants de gauche, les syndicalistes, en partie les militants du Parti Socialiste et de la CFDT, mais plus encore et surtout, ceux du Parti Communiste et de la CGT, eux qui sont les plus présents, les plus nombreux et les plus actifs au sein de la classe ouvrière.
Car ils avaient vraiment mis tous leurs espoirs dans la venue de la gauche au gouvernement, ces militants. Ils y avaient cru, plus que tout le monde.
En militant pour la cause de la gauche, les militants cégétistes et communistes se sont portés personnellement garants du changement auprès de leurs camarades de travail.
II n'est pas étonnant qu'aujourd'hui ce soient ces mêmes militants communistes les plus consternés. Pas tellement par les mesures anti-ouvrières prises par Mauroy et Mitterrand : les militants communistes ont toujours pensé que les socialistes étaient capables de tout en ce domaine. Mais ils sont consternés par le tour que prend la politique menée par la direction de leur parti. Ils avaient expliqué aux travailleurs que la participation gouvernementale communiste devait permettre d'avoir à l'oeil les socialistes. Et voilà qu'ils réalisent qu'il s'agit là d'un piège de plus. Non seulement les ministres communistes font figure de potiches, mais leur présence au gouvernement fait supporter à l'ensemble du Parti Communiste et à ses militants le discrédit du gouvernement socialiste.
Ces militants communistes ne s'aperçoivent pas bien sûr qu'il s'agit là d'une politique consciente de la direction du PC qui n'a envoyé ses ministres en otages dans le gouvernement socialiste que pour donner des garanties à la bourgeoisie française et lui donner la preuve qu'elle pouvait compter sur la loyauté du Parti Communiste et ses services. Mais au moins, ils ne se résignent pas à ce que l'ensemble du parti, à commencer par eux mêmes qui doivent défendre la politique de sa direction quotidiennement, en supportent les conséquences auprès de la classe ouvrière.
Les militants ouvriers du PCF troublés
II y a aujourd'hui un trouble important au sein du Parti Communiste, comme au sein de la CGT. Un trouble comme toute une génération de militants et d'abord de militants ouvriers dans ce parti n'en a sans doute jamais connu. Et c'est cela le plus nouveau et le plus important.
Des troubles, des remous, des oppositions même, le Parti Communiste en a certes déjà connus et supportés sans dommages réels.
Mais ces remous ne concernaient que les milieux intellectuels du Parti Communiste, particulièrement sensibles aux pressions du Parti Socialiste sur une base politique qui se situait à droite de celle de la direction du PCF. Et si les gens comme Ellenstein ont eu les honneurs de la presse de gauche pro-socialiste, ils n'ont eu par contre quasiment aucun écho auprès des militants communistes ouvriers.
Mais aujourd'hui, il se passe quelque chose de tout à fait différent. Certes, ce n'est pas dans la presse, ni dans l'Humanité bien sûr, mais pas non plus dans Le Matin, Libération ou Le Monde, qu'on peut trouver aujourd'hui un quelconque écho de l'état d'esprit qui trouble et agite les militants ouvriers communistes, ou proches du Parti Communiste.
Pour le savoir, il faut être en contact quotidiennement avec les militants communistes ouvriers. Mais il apparaît alors que les militants communistes sont encore plus troublés que le reste des travailleurs.
La plupart des travailleurs du rang, eux, ne se sentent pas mariés avec la gauche. Leur déception certes ne se transforme ni en colère, ni en mobilisation particulière. Et pour le moment, la gauche au gouvernement n'a pas à en pâtir. Mais par contre sans sortir de leur passivité pour autant, c'est aux militants qu'ils côtoient, c'est-à-dire le plus souvent les militants communistes et cégétistes, que les travailleurs syndiqués ou pas, expriment leur mécontentement. Aujourd'hui c'est auprès de ces militants, chaque jour, au bureau ou à l'atelier, qu'on ricane, qu'on fait des reproches, qu'on rappelle les promesses de changement.
Parce que c'étaient eux, ces militants qui, avant le 10 mai 1981, avaient dû user leur salive pour vanter les mérites du « socialisme à la française ». Et aujourd'hui, c'est d'abord à eux qu'on demande des comptes, quand on en demande, et auprès de qui on râle.
Bien sûr, Mauroy s'est fait conspuer, un peu rudement paraît-il, par les sidérurgistes de Denain. Mais pour le premier ministre, ça n'a été qu'un mauvais moment à passer. Mais pour les militants communistes et de la CGT dans le Valenciennois, eux qui sont censés dégager le bilan positif du gouvernement dans une région qui, en quatre ans, a vu 7 000 emplois supprimés, suffira-t-il qu'ils expliquent doctement, comme Mauroy, que les sidérurgistes ne doivent pas s'inquiéter, car si l'on ferme leurs usines, c'est pour en ouvrir d'autres ailleurs ?
La bonne volonté et la discipline des militants communistes a elle aussi ses limites.
Cela devient ingrat de défendre la politique du gouvernement, de la direction de son syndicat et celle de son parti, auprès des simples syndiqués ou des travailleurs qui ne le sont pas.
Et il faut vraiment avoir le moral pour supporter que les ouvriers vous prennent à partie à longueur de journée dans votre atelier, comme dans cet atelier de la SNCF où deux militants de la CGT ont, entre autres, pu lire sur un carton posé en évidence sur une machine : « Blocage des salaires, que faites-vous, la CGT ? », « CGT lèche-cul du gouvernement et des patrons ».
Certes, toutes les réunions syndicales ne sont pas houleuses à la CGT. Tous les ouvriers ne prennent pas non plus à partie les militants communistes qui les réunissent sur le tas.
Mais les remarques fusent facilement de la part des simples syndiqués : « La CGT est complètement à la traîne du gouvernement », « il n'y a plus de CGT », « les syndicats se comportent comme des larbins ».
Et dans les réunions syndicales qui restent calmes, des militants commencent néanmoins à se plaindre : « Les gars ne sont pas contents. Ils s'en prennent au gouvernement et à toute la gauche ».
Oui, à la CGT, le malaise existe. Les militants l'expriment et s'en inquiètent. Les militants qui assument des responsabilités commencent à se poser eux-mêmes sérieusement des questions. Lors d'une réunion de responsables CGT ouvriers, en province, on a constaté qu'en un an, le nombre de cartes payées localement au syndicat avait presque diminué de moitié. Pour certains des responsables, la raison de la baisse est claire : « La CGT devient la courroie de transmission du gouvernement ». « On est en train d'accepter l'austérité de gauche » a dit l'un. « Il n'y a pas de bons ministres comme Fiterman et des mauvais comme Delors. Il y a un gouvernement, et on ne dénonce pas assez sa politique » a dit un autre... « On dirait que la politique de la CG T vise à protéger les petits copains qui se sont bien placés »... Et tous ces militants sont des militants communistes connus dans leur région et leur entreprise.
Les militants du Parti Communiste et de la CGT sont troublés. Ce n'est pas un raisonnement que nous faisons, c'est une constatation.
Et pas seulement parce que des travailleurs leur demandent des comptes, les raillent ou se détournent d'eux. Mais parce qu'ils sentent bien aujourd'hui qu'ils n'ont rien à défendre, rien à proposer de crédible, aucune perspective à proposer aux travailleurs.
Mais bien des militants communistes n'ont même pas besoin d'être interpellés par leurs camarades de travail, ni même de se trouver dans une situation embarrassante en défendant la politique de leur parti, pour être simplement écoeurés par cette politique. Les traditions révolutionnaires ont beau se perdre dans la nuit des temps au Parti Communiste, beaucoup de militants se sentent quand même communistes, ne sont pas des bureaucrates, ont à coeur la défense des intérêts de la classe ouvrière et leur jugement leur suffit pour constater qu'avec la venue de la gauche au pouvoir, il y a quelque chose de pourri dans la politique de leur parti. Et il apparaît qu'un certain nombre de ces militants n'hésitent pas à dire ouvertement leur désaccord, même en dehors des réunions du parti, même devant des militants d'autres tendances politiques.
Les militants PCF à la recherche d'une politique de rechange
Mais ce qui manque avant tout à ces militants désemparés et inquiets, c'est une politique de rechange, ni plus ni moins qu'à l'ensemble des travailleurs.
Du fait que la classe ouvrière n'a pas de perspectives, et personne ne lui en donne, elle paraît apathique. Et le fait même qu'elle paraisse apathique aux yeux des militants communistes, les empêche de concevoir cette politique de rechange.
Et c'est d'ailleurs cette même apathie politique qui sert souvent d'argument aux militants du PC et de la CGT : « qu'est-ce que tu veux qu'on fasse de plus ? Tu vois bien que les gens ne veulent rien faire ! » C'est par cet argument d'ailleurs que le PCF retient ses militants. Et à l'heure actuelle, c'est peut-être cet attentisme dans la classe ouvrière qui sauve le PCF, et lui permet d'éviter que les déceptions de ses militants ne se transforment en crise ouverte.
Et pour que les militants communistes envisagent d'emblée une autre politique que celle qui est menée par leur direction, il faudrait qu'il y ait un autre rapport de force.
Si une organisation assez puissante offrait une autre politique aux travailleurs que celle de la gauche au gouvernement, cela suffirait sans doute à changer leur moral, cela pourrait suffire à redonner du tonus à la classe ouvrière, des perspectives de lutte, à changer le rapport de force, et du même coup changer les perspectives des militants communistes qui se posent des questions. Mais aujourd'hui, les seules organisations puissantes sont celles qui ont prôné l'électoralisme, qui ont hissé Mitterrand au gouvernement, celles qui précisément ne veulent pas se servir de leur force pour changer le moral de la classe ouvrière.
II ne suffit donc pas d'expliquer cela, même si c'est vrai, pour redonner une perspective aux militants communistes. Ce dont ils sont d'abord convaincus, eux, c'est que les petites organisations révolutionnaires sont bien incapables d'offrir cette politique de rechange...
Sans compter qu'ils voient habituellement dans les militants révolutionnaires plus des concurrents, même faibles, que des alliés réels.
Et beaucoup pensent sans doute que l'extrême gauche, à sa petite échelle, ne songe qu'à tirer les marrons du feu de l'affaiblissement du PC, comme le PS l'a réussi à sa propre échelle.
Eh bien non, justement. La question ne se pose pas dans ces termes là. II se trouve qu'aujourd'hui précisément quand la gauche est au gouvernement, même avec des ministres communistes, les militants communistes sont isolés comme ils ne l'ont pas été depuis longtemps. Nous, à Lutte Ouvrière, nous ne considérons pas en soi l'affaiblissement du PC par rapport au PS comme une bonne chose, ni l'isolement de ses militants.
Oui, dans les circonstances actuelles, où tout le monde à la droite du Parti Communiste, du côté du Parti Socialiste en particulier, marque des points contre le Parti Communiste, nous ne sommes pas des concurrents mais des alliés des militants communistes, même si nous dénonçons la politique de leur parti. Car c'est bien cette politique qui contribue à affaiblir le PC au sein de la classe ouvrière.
Les organisations révolutionnaires actuelles ne peuvent pas représenter un pôle pour les militants communistes déçus et désorientés, parce qu'ils sentent bien que si eux, avec leur grand parti, sont piégés par son électoralisme et sa participation au gouvernement, l'extrême-gauche quant à elle, est piégée par sa propre faiblesse.
Ce que les révolutionnaires ont à dire aux militants ouvriers communistes
Et pourtant, ce n'est pas un cercle vicieux. Ça ne le serait que si les révolutionnaires raisonnaient eux aussi en termes de boutiques, de petites boutiques, cherchant à se renflouer aux dépens des grandes boutiques assagies. Mais cet état d'esprit n'est pas le nôtre.
Car il peut y avoir une autre perspective bien plus crédible pour les militants ouvriers les plus dévoués, les plus sincères et ils sont nombreux, de ce pays.
Nous pouvons, nous devons, faire comprendre aux militants du Parti Communiste qui sont troublés, qui se sentent en désaccord avec la politique actuelle de leur direction, que la seule perspective actuelle pour la classe ouvrière, ce n'est pas nous, les petites organisations d'extrême gauche, mais que c'est eux, plus nos idées.
Car ce sont eux, les militants du Parti Communiste au sein de la classe ouvrière, qui sont un capital militant irremplaçable.
Oui, qu'ils s'emparent de nos idées, et ils seront une force ! Et ils pourront alors, s'ils le veulent, changer toutes les perspectives politiques de la classe ouvrière de ce pays.
Dans la région de Toulouse, un militant communiste des PTT expliquait à un militant de Lutte Ouvrière, de façon très fraternelle au demeurant, que lui était d'accord avec un parti d'extrême-gauche, mais avec des gens du PC et pas avec Arlette Laguiller à la tête. Pourtant Arlette Laguiller a toute son estime, mais cela ne suffit pas.
Eh oui, c'est comme cela. Dans ce nouveau parti d'extrême-gauche qu'il imagine, ce militant communiste accepterait et même tiendrait sans doute à ce qu'Arlette Laguiller soit à ses côtés, dans la même organisation. Mais à la tête d'un tel parti, en l'état actuel des choses, c'est plutôt un militant communiste comme lui qu'il souhaite.
Eh bien, nous lui disons : faisons donc ensemble cette organisation d'extrême-gauche. Ce qui importe, c'est la politique qu'elle va mener, c'est sa place dans la lutte de classe. Nous verrons bien qui en prendra la tête, puisque si nous sommes d'accord pour la faire ensemble, c'est ensemble, démocratiquement, que nous en choisirons les représentants et les dirigeants.
Notre attitude à l'égard des militants du Parti Communiste qui se posent des questions doit être simple. Nous ne leur demandons pas d'entrer chez nous. Mais nous leur disons : vous sentez bien que les militants ouvriers, quels qu'ils soient, vous comme nous, du PCF comme des organisations révolutionnaires, ont besoin de définir une politique qui corresponde aux intérêts de la classe ouvrière. Nous vous proposons de la chercher et de la définir ensemble, de discuter, de se regrouper. Vous êtes plus nombreux que nous ? La belle affaire. Ce qui nous importe, c'est qu'une force naisse au sein de la classe ouvrière qui soit capable d'ouvrir des perspectives à celle-ci, de l'aider à sortir de l'impasse actuelle. Que les militants du Parti Communiste fassent le principal de cette force, cela ne nous empêcherait nullement d'y participer.
Oui, il y a quelque chose à faire dans la situation actuelle. Elle n'est pas bouchée, loin de là. II y a quelque chose à faire, et pour les militants communistes déçus, et pour les militants révolutionnaires trop minoritaires.
II y a en ce moment dans ce pays des milliers de militants communistes outrés par la politique de leur parti, hostiles au gouvernement socialiste, qui pourtant se consacrent à leurs camarades de travail et veulent sincèrement défendre les intérêts généraux de la classe ouvrière, et qui ont mieux à faire que de rester écoeurés et d'aller planter leurs choux. Si la classe ouvrière de ce pays perd ces militants-là, elle perdra beaucoup. C'est pourquoi la démoralisation des militants communistes, en elle-même, n'a rien de positif.
Si ces militants-là perdent la confiance en leur parti pour ne rien faire, la faute en sera à la direction du PCF bien sûr. Mais c'est toute la classe ouvrière qui le paiera dans l'avenir. Car lorsque les travailleurs seront acculés et sortiront de leur apathie, car ils en sortiront, ils auront besoin plus que jamais à leurs côtés, dans leurs rangs, à leur tête, des capacités d'initiative, d'organisation des militants ouvriers les plus dévoués. Car si les luttes peuvent se déclencher spontanément, si elles peuvent aussi être vaincues spontanément, elles ne sont jamais spontanément victorieuses.
Alors bien sûr, parmi les militants démoralisés du Parti Communiste aujourd'hui, il y a toutes sortes de militants. II est possible que la majorité d'entre eux soient réformistes dans l'âme, et qu'ils regrettent seulement les revers électoraux du PC et souhaitent seulement qu'il ait plus que la portion congrue au gouvernement, sans vouloir autre chose. Peut-être. Il est possible que parmi ceux qui critiquent leur direction, ce soit pour beaucoup d'entre eux, plus sur sa droite qu'ils la critiquent que sur sa gauche. Nous n'en savons trop rien.
Mais ce que nous savons, de toute façon, c'est qu'il y a au moins une minorité de militants communistes qui ne sont pas troublés sur une base réformiste, mais sur une base qui peut être révolutionnaire. Or le Parti Communiste est un grand parti et une minorité de militants ouvriers en son sein, cela peut être une force considérable, qui représente à elle seule bien plus de militants que toutes les organisations d'extrême-gauche réunies. Or ce sont ces militants-là qui peuvent être susceptibles de former eux-mêmes une force politique crédible à la gauche du Parti Communiste.
Ces militants-là, qui sont peut-être quatre ou cinq dans chaque entreprise moyenne, plus dans les grandes, quelques dizaines dans chaque ville ouvrière de ce pays, seraient, dans le pays, en nombre suffisant pour avoir la force de franchir cette étape.
Alors l'une de nos tâches à nous révolutionnaires, dans la période actuelle, c'est cela : s'adresser aux militants du Parti Communiste, et les convaincre qu'une politique de rechange est possible à condition qu'ils sachent que cela dépend d'eux.