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Manoeuvres électorales
A cinq mois des élections présidentielles, bien malin qui peut dire qui défendra les couleurs du Parti Socialiste dans cette compétition.
Certes Michel Rocard s'est, non sans grandiloquence, porté candidat à la candidature, en s'adressant le 19 octobre, depuis sa mairie de Conflans-Sainte-Honorine, « à la France » autant qu'il s'adressait aux militants socialistes. Deux jours plus tard, Chevènement se portait à son tour sur les rangs, moins sans doute pour briguer le poste de président de la République que pour faire pièce à Rocard afin de préserver les possibilités de Mitterrand de le faire. Quant à ce dernier, il continue à cultiver le suspense. Le discours qu'il a prononcé le 26 octobre à Marseille est un chef-d'oeuvre du genre. Tout y était calculé pour laisser ouvertes toutes les hypothèses sans fournir aucune réponse.
En fait, derrière une situation qui peut apparaître comme passablement embrouillée, les motivations des uns et des autres sont simples. Dans le choix que le PS aura à faire entre Mitterrand et Rocard, ce dernier, qui occupe ce qu'en langage de turfiste on appelle la position de l'outsider, avait intérêt à faire acte de candidature le plus tôt possible, de toute façon avant que Mitterrand le fasse officiellement.
La démarche de Rocard - annoncer sa candidature en premier et le faire en s'adressant à l'ensemble du pays, en quelque sorte par-dessus le parti - procède en outre probablement d'un calcul politique. C'est une manière de tenter d'imposer sa candidature au PS, sans faire référence à la ligne officielle du parti, inspirée par Mitterrand, et donc d'obtenir le droit de mener sa campagne à sa guise. Cela laisse même planer la menace qu'il est prêt à se présenter, y compris contre Mitterrand, et par là, c'est une tentative pour obliger celui-ci à céder la place pour éviter la confrontation.
D'ailleurs, Rocard n'avait pas attendu la mi-octobre 1980 pour faire savoir qu'il briguait l'Élysée. Dès le lendemain des élections législatives de 1978, il laissait entendre qu'il le ferait.
A l'inverse, Mitterrand lui n'avait pas intérêt à précipiter les choses, « à aller plus vite que la musique », comme il l'a dit lui-même. Occupant la première place au sein de son parti, ayant personnifié deux fois déjà par le passé l'opposition de gauche lors des élections présidentielles de 1965 et de 1974, il n'a pas en ce domaine de position à conquérir. Ce n'est pas à lui, mais aux autres, de faire acte de candidature contre lui.
Mais il y a d'autres raisons plus fondamentales pour expliquer son attentisme. Manifestement il s'interroge sur l'intérêt qu'il pourrait avoir à se porter candidat à la Présidence, c'est-à-dire en fait candidat à l'échec. Car cette fois, la compétition électorale se présente dans des conditions différentes des précédentes :
Mitterrand, comme n'importe quel candidat du Parti Socialiste, quel qu'il soit, ne sera plus le candidat unique de l'opposition ou de la gauche. Il réalisera forcément un score inférieur à ses résultats précédents, voire peutêtre inférieur aux résultats nationaux qu'avait obtenus le PS à l'occasion des élections législatives de 1978 et des élections européennes de 1979. Il court même le risque d'être dépassé par le candidat du PC au premier tour et de ne pouvoir être présent au second. Et même s'il franchit l'obstacle du premier tour, il risque d'obtenir, au second, un résultat en retrait par rapport à 1974, puisqu'il n'est nullement exclu que le PCF ne fasse pas voter pour lui.
Un nouvel échec contre Giscard, avec peutêtre un score sensiblement inférieur à ce qu'il a réalisé en 1974, ne soulignerait-il pas l'impasse de la politique qu'il symbolise ?
Dans ces conditions, Mitterrand peut songer à laisser son rival dans le parti aller au feu, et lui laisser assumer les conséquences de l'échec électoral, afin de démontrer que l'actuel premier secrétaire et la politique qu'il défend constitue la seule possibilité pour le PS C'est un calcul possible.
Un calcul qui aurait des avantages, mais aussi des inconvénients. en particulier en laissant le champ libre à rocard, de lui fournir l'occasion de prendre un peu plus de poids à la fois dans le parti et dans l'opinion publique et de l'évincer, lui, mitterrand, de la tête du PS
Cela le fait hésiter. Se présentera-t-il ? Ne se présentera-t-il pas ?
Si en fin de compte il se décide à le faire, tout ce suspense aura servi à le faire apparaître comme un arbitre, seul capable de mettre fin aux dissensions au sein du parti. Il lui resterait alors à affronter le verdict des électeurs !
Mais quel que soit le candidat qui représentera le PS en avril 1981, il aura à résoudre le problème posé par l'attitude du PCF Avant toute chose, il lui faudra devancer Marchais au premier tour. Pour ce faire, il peut être tenté de faire des avances en direction de l'électorat de droite. Mais les choses ne sont pas si simples. Car il ne peut raisonnablement espérer compenser les défections qui risquent de se produire du côté de l'électorat de gauche. Mais surtout il devra dans le même temps préserver les possibilités de récupérer, au second tour, les voix qui se seront portées sur Marchais, tâche qui risque d'être d'autant plus ardue que rien ne dit que ce dernier appelle ses électeurs à reporter leurs suffrages sur un candidat socialiste.
Cela met le futur porte-parole du PS dans une situation qui relève de l'équilibrisme politique. Même Rocard, qui s'était démarqué de Mitterrand en déclarant qu'il était nécessaire de prendre ses distances par rapport au PCF, en a bien conscience. Il a fait preuve de beaucoup de réserve sur cette question, en particulier lors du premier meeting de sa campagne à Épinay-sur-Seine. Il y a gros à parier que, s'il est candidat, il ne se départira pas durant sa campagne de cette prudence.
Contrairement au Parti Socialiste, le PCF a officiellement rendu public le nom de son candidat.
Il n'y avait d'ailleurs pas besoin d'attendre la cérémonie d'intronisation de marchais pour savoir qu'il y aurait un candidat du p.c.f. en lice en 1981 et quel serait ce candidat. le choix était fait depuis longtemps. depuis que le p.c.f. avait tiré la conclusion que le maintien de l'union de la gauche, en renforçant électoralement son partenaire, compromettait ses chances de participer au gouvernement, dans l'éventualité d'une victoire électorale de la gauche.
Il est évident, même pour les militants qui scandent dans les meetings : « Marchais président ! » que l'objectif de la bataille politique que mène aujourd'hui le PCF n'est pas d'installer Marchais à l'Élysée. Si le PCF mène campagne sous son propre drapeau et, derrière son propre candidat, c'est pour essayer de renforcer son audience électorale. C'est ce qu'il faut comprendre derrière la formule : « Un Parti Communiste fort ». Il n'y a pas d'autre enjeu pour le PCF dans ces élections. Son radicalisme verbal et l'agitation qu'il développe dans le pays ne signifient certainement pas qu'il aurait abandonné l'électoralisme au profit de la lutte de classe. C'est même tout le contraire. Mais l'échéance électorale qu'il prépare n'est pas celle de 1981, où il sait qu'il n'a rien à gagner. Sauf sans doute l'occasion de s'affirmer. De toute façon il s'y affirmera plus qu'en 1974, où il n'avait pas de candidat. Il veut démontrer au PS que sans l'apport des voix des Communistes, il ne peut espérer accéder au pouvoir. Il n'est pas exclu, dans cette logique, que Marchais appelle les électeurs qui auront voté pour lui à s'abstenir au second tour. Certes, il est prématuré, aujourd'hui, d'affirmer qu'il le fera, encore que les silences du Secrétaire du PC sur cette question, les déclarations de Ballanger au journal Le Monde qui expliquait qu'il ne pourrait, en tout état de cause, voter pour un partisan de l'atlantisme c'est-à-dire pour le candidat du PSmontre que le PCF n'exclut pas cette éventualité, en tout cas qu'il y prépare ses militants.
En fin de compte, si l'on ne peut prédire quelle sera la position du PCF au lendemain du 26 avril 1981, une certitude se dégage aujourd'hui, c'est que, d'ores et déjà la tactique qu'il a adoptée, qui non seulement élimine toutes les chances pour un candidat de gauche d'être élu, mais même rend peu probable pour un Mitterrand de refaire le score qu'il avait réalisé en 1974 face à Giscard, pèse de tout son poids sur le choix des dirigeants du PS C'est elle qui amène Mitterrand à hésiter, et dans cette mesure, donne quelques chances supplémentaires à Rocard.
er janvier prochain.
Tout le monde a souligné la symétrie de ces deux attitudes. En effet, la situation du leader gaulliste n'est pas sans analogie avec celle du secrétaire du PS Lui aussi s'interroge sur l'opportunité de se porter candidat. Lui aussi peut craindre d'obtenir un résultat trop défavorable, surtout s'il doit partager les voix gaullistes avec Debré, et, peut-être même, avec Marie-France Garraud, si cette dernière maintient jusqu'au bout sa candidature.
Cruel dilemme pour le fougueux leader du R.P.R. : ou bien il se présente, au risque de faire un score trop faible, qui, parce qu'il compromettrait son image, réduirait son emprise sur le R.P.R. et peut-être ses chances de jouer un rôle sur le devant de la scène politique. Ou bien il se dérobe, laissant place libre à Debré, ou à un autre membre du R.P.R., mais c'est peut-être aussi son emprise sur son parti et donc aussi son avenir politique qu'il compromet.
Car sa position est loin d'être solide. Les politiciens du R.P.R., s'ils ne sont pas tout à fait à l'écart de la mangeoire gouvernementale n'ont plus les mêmes facilités à y accéder que lorsque c'était un des leurs qui en commandait l'accès. Ils peuvent un temps encore faire contre mauvaise fortune bonne figure. Mais à condition que leur appartenance politique leur laisse quelques espoirs d'y accéder de plein pied pour un avenir qu'ils souhaitent pas trop lointain. C'est le calcul qu'ils avaient fait en se rangeant derrière Chirac, escomptant que l'aggravation des difficultés dues à la crise provoquerait un glissement de l'électorat vers le R.P.R. Le phénomène tarde à se manifester. Et si les zizanies qui se sont manifestées lors de l'annonce de la candidature de Debré, ne constituent pas une surprise - elles ne sont d'ailleurs pas nouvelles - elles sont néanmoins significatives du climat qui règne au sein du R.P.R. Une fraction des élus et des notables R.P.R., encore faible, mais elle pourrait se renforcer rapidement, se demande s'il ne convient pas d'abandonner Chirac.
Convient-il pour les retenir, de se présenter, même sans aucune chance d'être élu, ou non ? tel est le choix que doit faire maintenant le chef du r.p.r. chacune des alternatives comportant autant de risques, il a choisi... de retarder le choix définitif le plus longtemps possible.
C'est là un éloquent symbole de fait que ces élections ont beaucoup d'importance pour l'avenir de certains politiciens, mais aucune en ce qui concerne le sort du pays et des travailleurs.