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Lettre de la LCR
Le 25 septembre 1984
Chers camarades,
La politique du nouveau gouvernement Fabius et les attaques qu'il multiplie contre les travailleurs, main dans la main avec le patronat, ne font que souligner l'urgence d'une alternative anti-capitaliste à la politique des directions réformistes du PS et du PCF qui portent l'essentiel la responsabilité de la situation actuelle de la classe ouvrière, plus de trois ans après que la gauche a été portée au pouvoir.
L'activité des militants de la LCR et de LO peut, à cet égard, jouer un rôle important, dans les entreprises et à l'échelle nationale. Par cette lettre, nous voulons vous proposer d'envisager ensemble toutes les activités communes susceptibles de contribuer à l'expression de cette force alternative du sein de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier, aujourd'hui plongés dans une profonde crise de perspective.
Cependant, avant de traiter de ce problème général, qui suppose des discussions approfondies entre nous, nous estimons qu'il est, en tout état de cause, possible de resserrer les liens qui existent déjà entre nos deux organisations, justement afin d'améliorer le cadre de nos débats et de notre travail.
Comme nous vous l'avons dit lors de notre dernière rencontre, le Comité central de la LCR, réuni au début de ce mois, a décidé de vous faire une série de propositions qu'il nous a donné mandat de vous communiquer.
1) Nous souhaitons tout d'abord que se développe la pratique de rencontres régulières dans les entreprises entre les militants de nos deux organisations. Nous croyons qu'il doit devenir habituel pour nos militants de se rencontrer pour discuter des problèmes auxquels ils sont les uns et les autres confrontés. Cela est évidemment valable à l'occasion des mouvements de grève - comme cela a déjà été le cas - mais devrait le devenir pour ce qui concerne l'intervention quotidienne dans l'entreprise et les organisations de masse des travailleurs. Ainsi, nous pourrons plus souvent harmoniser nos activités ou, du moins, cerner plus précisément les raisons d'une activité différente.
De la même manière, selon les circonstances, des camarades de la LCR et de LO, responsables du travail de leur organisation dans des secteurs déterminés, devraient se rencontrer périodiquement. (Pour prendre un exemple actuel, les plans de démantèlement qui visent le personnel des PTT paraissent imposer une telle réunion).
Pour ce qui concerne ces deux propositions, le but est donc clair : nous voulons que, parallèlement aux réunions de nos directions nationales, il devienne une habitude pour nos militants de se rencontrer localement, sans plus de formalité, pour discuter de leur activité respective et envisager les possibilités concrètes de la rendre commune.
2) Nous estimons possible d'avancer ensemble sur le terrain de la propagande et de l'agitation dans les entreprises et à une échelle plus globale. Nos deux organisations vont être amenées à intervenir sous forme de tracts, d'affiches, de brochure, de meetings, etc., face à l'offensive d'austérité du patronat et du gouvernement. Nous n'avons sans doute pas un accord total sur l'analyse de la situation actuelle et la définition de nos modalités d'intervention. Il serait vain de vouloir remédier à cet état de fait par des tentatives laborieuses de rédiger des compromis généraux ne satisfaisant personne.
Par contre, dans des domaines où nos réponses sont réellement identiques, nous ne voyons pas ce qui devrait nous empêcher de les apporter ensemble, tout en maintenant chacun notre activité propre. Cela aurait sûrement un impact positif sur les travailleurs combatifs intéressés par ces réponses mais qui trouvent leur crédibilité amoindrie par la dispersion des révolutionnaires qui les popularisent séparément.
Nous vous proposons donc qu'au niveau local nos camarades aient la possibilité de publier un tel matériel commun adapté à leurs besoins (tracts, encarts communs dans les feuilles d'entreprise par exemple) et qu'au niveau national nous envisagions une propagande commune concernant - là aussi ce ne sont que des exemples - le chômage et la réduction du temps de travail, la défense du pouvoir d'achat ou le budget.
3) Nous avons déjà, de part et d'autre, tiré un premier bilan comparable de l'expérience de publication du supplément commun de quatre pages dans Rouge et Lutte Ouvrière. Le fait que cette formule, malgré ses aspects positifs, ne soit pas très bien adaptée à la conduite d'une discussion politique approfondie ne remet nullement en cause, selon nous, le principe et la nécessité de ce genre de débat public à partir de l'actualité nationale ou internationale.
C'est pourquoi nous vous proposons de mettre à l'étude la publication d'une tribune de débat public entre nos deux organisations, sous une forme qui nous autorise réellement à développer chacun nos positions et à les faire connaître dans nos organes de presse respectifs. A cet égard, une tribune trimestrielle, insérée par exemple dans Critique communiste et Lutte de Classe, pourrait vraisemblablement mieux répondre à ces objectifs.
4) Ces discussions et ce travail commun doivent se traduire dans une apparition politique nationale, qui permette aussi de refléter le type de relations privilégiées entretenues entre nos deux courants. Nous vous proposons d'organiser en 1985 une fête commune de la LCR et de LO. En pratique, cela implique la modification du caractère de votre fête annuelle à Presles, comme cela avait déjà été le cas en 1979 et en 1983. Pour que notre participation à cet effort puisse être réellement égale à la vôtre, nous avons donc la volonté de nous y prendre suffisamment à l'avance. S'il y a accord de votre part sur cette proposition, qui nous paraît importante, nous sommes évidemment prêts à en discuter dès maintenant tous les aspects matériels et financiers correspondants.
Voilà donc les propositions immédiates que vous adresse le Comité central de la LCR. Bien sûr, celles-ci ne sont pas exhaustives et peuvent être complétées ou modifiées en fonction de vos suggestions.
A nos yeux cependant, elles sont toutes formulées dans un même esprit : par le maximum d'activité commune possible, surtout au sein de la classe ouvrière, et la poursuite du débat politique public et interne entre nos deux organisations, contribuer à la fois à renforcer l'intervention des révolutionnaires dans la situation présente et travailler à rassembler les conditions d'une véritable unification de nos forces militantes au sein d'un parti révolutionnaire des travailleurs.
A l'évidence aujourd'hui, les conditions d'une telle fusion, qui reste notre objectif, ne sont pas réunies. La nature de nos divergences politiques et le caractère de nos activités distinctes suffisent à en témoigner.
L'objet de cette lettre n'est pas de les répéter. Mais il dépend de nous, et non seulement de l'évolution objective des luttes de classes, que ces conditions se modifient.
Nos deux organisations ont, depuis une quinzaine d'années, des rapports qui tranchent par leur loyauté et leur fraternité sur ceux qui règnent en général dans le mouvement ouvrier. Ils les ont conduites, à plusieurs reprises, surtout lors de campagnes électorales mais aussi en d'autres circonstances, à agir ensemble malgré leurs divergences. Depuis plus d'un an, nous constatons aussi un resserrement de nos liens militants, par des contacts plus fréquents entre nos camarades dans les entreprises où nous nous retrouvons. Nos directions se consultent souvent et se rencontrent régulièrement pour discuter d'une série de problèmes politiques et organisationnels. Pour notre part, nous avons aussi pris l'initiative, en accord avec les instances de direction de la IVe Internationale, d'inviter des représentants de la Direction nationale de LO à participer à certaines réunions organisées sous l'égide du Secrétariat unifié.
Nous avons également pour projet, en accord avec les directions des sections concernées, d'organiser des voyages permettant à votre direction de mieux connaître la réalité militante de l'Internationale, notamment en Europe et en Amérique Latine. En outre, dans ce dernier continent, il nous reste à mettre sur pied ce qui avait été convenu, à savoir un voyage commun au Nicaragua et en Amérique centrale, dans le but de mieux connaître la réalité vivante des révolutions qui s'y déroulent et des directions qui les mènent.
Tout cela contribue à une meilleure connaissance de nos positions et de nos pratiques respectives. Sans brûler les étapes nécessaires et inévitables du débat politique et de l'activité conjointe, il est pourtant indispensable de prendre désormais, et chacun, nos responsabilités pour faire avancer ce processus. C'est à cela que nous voulons oeuvrer avec les propositions que vous fait le CC de la LCR. Leur réalisation devrait permettre, selon nous, de faire ensuite d'autres pas en avant plus importants.
Certes, en raison des désaccords qui continuent à séparer la LCR et LO, nos rapports ont et auront sans doute encore une certaine autonomie par rapport aux possibilités d'action commune immédiate. C'est pourquoi, volontairement, les propositions que nous vous adressons ne sont pas directement dépendantes de nos perspectives d'activité conjointe dans les mois qui viennent.
Mais la situation politique à laquelle nous sommes confrontés devrait quand même nous permettre d'aller plus loin. En effet, quelles que soient nos analyses, nous pouvons constater ensemble que la politique du gouvernement et celle qui est suivie par les directions réformistes majoritaires du mouvement ouvrier ont pour conséquence, entre autres, de provoquer un mécontentement croissant parmi les militants ouvriers, les syndicalistes, les travailleurs ; et, pour un nombre significatif d'entre eux, de stimuler la recherche d'une politique de rechange.
Nous estimons que la tâche essentielle des militants révolutionnaires, dans la période à venir, est de tout faire pour aider ce courant à s'exprimer et à agir, afin de poser les jalons d'une alternative à la ligne de collaboration de classes du PS et du PCF. Cela implique un engagement total aux côtés des travailleurs, une participation à leurs luttes et, chaque fois que possible, la mise en pratique, à la direction reconnue et méritée de ces combats, d'une orientation opposée à celle des appareils social-démocrate ou stalinien. Mais cela suppose aussi un travail politique, en tant que tel.
Nous voulons pour notre part, mettre nos forces au service d'initiatives stimulant l'organisation ou, au moins, l'expression de courants de travailleurs décidés à refuser la politique d'austérité du gouvernement et à riposter contre l'offensive du patronat et de la droite. Ce projet s'inscrit dans une situation politique et sociale où la question d'une alternative concrète aux vieilles directions se pose de plus en plus. Toute avancée dans cette direction sera un point marqué sur la démoralisation qui pèse sur beaucoup de militants ouvriers et de travailleurs. Il n'y a évidemment aucune garantie de réussite, mais une chose est certaine : si les révolutionnaires ne travaillent pas au dégagement d'une telle alternative, nationalement et localement, celle-ci n'a aucune, chance de voir le jour.
Sur la base de nos contacts avec des organisations, des groupes, des militants et à partir de notre travail dans les localités et les entreprises, nous envisageons donc une double démarche. D'abord, tenter au niveau national, de travailler avec tous ceux qui peuvent partager cet objectif d'une alternative au lancement d'un appel national de militants et de travailleurs. En même temps, nous en explorons les possibilités au niveau local et des entreprises, sur les mêmes bases. En fonction des résultats de cette démarche, la perspective est de donner un canal d'expression et d'action à ce courant, si nous pouvons aider à le faire apparaître, dans des comités contre l'austérité et la droite. Leur émergence dépendra évidemment de leur représentativité réelle, dans les entreprises, car ils ne doivent en aucun cas se résumer à l'addition des militants d'extrême gauche. Ils devraient au contraire englober des militants et des travailleurs d'opinions politiques diverses mais prêts à se regrouper et à agir ensemble contre l'austérité gouvernementale et les attaques patronales, sur le terrain des entreprises comme celui des élections.
Un travail commun de nos deux organisations dans ce domaine permettrait d'envisager d'autres initiatives locales ou nationales convergeant vers cet objectif de dégagement d'une alternative anticapitaliste.
A cet égard, tout en connaissant votre position sur ces dernières questions, il nous paraît aussi utile de reprendre la discussion entre nous sur deux points.
D'abord la montée du racisme, dans le contexte de la crise, et la progression de l'extrême-droite nous imposent d'envisager sérieusement, avec d'autres courants qui y sont prêts, quelles sont les initiatives susceptibles de déboucher sur la constitution d'un Front uni antiraciste. Selon nous, les conditions commencent à exister pour progresser réellement dans ce sens.
En second lieu, l'agression impérialiste contre la révolution nicaraguayenne menace, selon toute probabilité, de se transformer sous peu en une intervention ouverte de l'administration américaine. Partout, le caractère de la nécessaire solidarité s'en trouve aussi modifié. Il nous semble donc nécessaire de discuter ensemble de votre éventuelle participation au travail de préparation et de lancement, à partir des mobilisations actuelles de solidarité, d'initiatives de masse contre l'intervention impérialiste US en Amérique centrale, pouvant rassembler des forces et des gens d'accord sur ce point essentiel. A notre avis, l'enjeu est aussi important, malgré les contextes spécifiques, que celui qui était au coeur des manifestations contre la guerre impérialiste au Vietnam.
Nous sommes prêts à vous rencontrer pour discuter en détail de toutes ces propositions.
Le Bureau politique de la LCR