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Les trusts agro-alimentaires mettent en coupe réglée la planète.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la production agricole a connu un développement spectaculaire. Les principales productions ont été multipliées par deux, voire par trois. Non seulement la quantité de produits agricoles disponibles s'est multipliée, mais la qualité de ces produits s'est elle-même modifiée. Le mode de production et de commercialisation des produits agricoles a subi de profondes transformations. La mécanisation de l'agriculture a pris une ampleur sans comparaison avec le passé et elle touche toutes les productions agricoles.
Dans les pays développés, la petite exploitation cède le pas devant des unités plus vastes. L'industrie a pénétré l'exploitation agricole, elle a aussi envahi la transformation des produits agricoles bruts en produits alimentaires élaborés. La commercialisation de ces produits exige des moyens considérables.
L'introduction de l'économie capitaliste partout, avec les bouleversements qu'elle a entraînés, jusques et y compris dans les habitudes et les besoins alimentaires, complétée par les progrès techniques dans le domaine du transport, du stockage, de la réfrigération, fait que ce ne sont plus seulement les épices ou le blé qui sont aujourd'hui commercialisés sur le marché mondial, mais aussi la viande de boef, les produits laitiers, les tomates, les fraises ou les ananas, c'est-à-dire une multitude de produits agricoles naguère destinés à la seule consommation locale. De fait, il n'y a plus guère de ces produits qui échappent de nos jours à l'emprise du grand capital. Ainsi la production agricole qui était autrefois destinée, pour l'essentiel, à satisfaire des besoins locaux ou régionaux, est devenue aujourd'hui une production entièrement tournée vers le marché mondial.
Un progrès, tout cela ?
Dans une économie rationnellement organisée, le fait que la production agricole soit devenue mondiale, pourrait être une source de progrès, un moyen de pallier les insuffisances naturelles de certaines régions. (Encore qu'une économie rationnellement organisée ne chercherait pas nécessairement à internationaliser toutes les productions agricoles. Elle ferait, peut-être, davantage appel aux ressources locales, à leur variété, au lieu d'uniformiser à l'échelle du globe. Et la notion de rentabilité d'un grand trust de l'alimentation ne correspond certainement pas à la rentabilité du point de vue de la société. Mais là n'est pas notre propos).
Dans l'économie du profit, l'internationalisation de la production agricole se traduit par une concentration énorme de capitaux et par la mainmise de quelques grands trusts et de quelques grandes puissances impérialistes sur l'alimentation du monde.
Par ailleurs, malgré l'accroissement prodigieux des possibilités de production de la société en matière alimentaire, il y a des millions d'hommes qui meurent de faim, et la majorité de l'humanité demeure mal nourrie ou sous-alimentée. L'accroissement de la production effectuée en fonction du profit et non pas des besoins des hommes, est un accroissement inégal, injuste, avec du gâchis d'un côté et la famine de l'autre.
L'exemple des céréales
Comment s'est effectuée la mainmise du grand capital sur l'agriculture ? Nous pouvons le voir en suivant l'exemple des céréales, secteur particulièrement important puisque les céréales demeurent l'alimentation de base de la majorité de l'humanité. C'est aussi un secteur où il existe, de très longue date, un commerce international capitaliste et qui est aujourd'hui, sans doute le secteur le plus complètement dominé, à l'échelle mondiale, par un nombre restreint de trusts puissants.
A l'aube du 20e siècle, les États-Unis ont pris le relais de la Russie et de l'Europe centrale comme grenier du monde. Le pays jouissait de conditions naturelles particulièrement favorables : les plaines du Middle-West étaient immenses, la terre y était fertile, l'eau abondante et le climat propice. La Première Guerre mondiale, en désorganisant les agricultures d'Europe, a contribué à assurer à l'Amérique, non touchée directement par le conflit, la place de premier producteur mondial de grain.
Très rapidement, tandis que s'est développé le commerce du grain, quelques grands négociants ont accaparé les transactions sur le marché céréalier. Ceux que aujourd'hui encore, on appelle les cinq « géants » du grain, sont les fils et petits-fils de ces quelques grands négociants qui dominaient, dès avant 1914, le marché international. Il s'agit, pour les États-Unis, des groupes Gargill et Continental. Les trois autres, Bunge, Louis-Dreyfus et André, respectivement d'origine néerlandaise, française et suisse, sont aujourd'hui devenus, comme les deux premiers, des groupes multinationaux.
Du seul commerce du blé, qui rapportait déjà d'importants bénéfices, ces groupes ont progressivement étendu leurs activités à tout ce qui touchait au commerce du grain : silos, transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, établissant entre les deux guerres mondiales un réseau de communications ultra-moderne capable de leur assurer le quasi-monopole du commerce international.
Puis ils ont investi dans les domaines touchant à la production des céréales et à leur transformation, dans ce qu'on appelle aujourd'hui les industries agro-alimentaires, nouveau secteur en pleine expansion et qui est lié au développement de la production agricole de ces dernières décennies.
Prenons l'exemple du plus puissant de ces cinq géants, le groupe Gargill.
La firme, qui à l'origine avait bâti sa prospérité sur le commerce des céréales, s'est peu à peu dégagée de cette activité exclusive qui ne représente plus aujourd'hui que la moitié de ses revenus. Pour le reste, Gargill a étendu son domaine à d'autres produits agricoles : le sucre, le coprah, le lin. Dès 1945, Gargill s'est lancé dans la fabrication de tourteaux de soja et d'aliments préparés à partir du maïs. Depuis, les semences hybrides (dont nous reparlerons plus loin) sont venues s'ajouter, ainsi que les engrais, les élevages industriels, le conditionnement de la viande. Si on ajoute à cela son réseau international de silos, de minoteries, Gargill a développé tous les secteurs d'activité propres à entretenir le marché des céréales. Et ces activités rapportent gros. En 1973, Gargill avait réalisé un taux de profit de 33 % ; on la considère comme l'affaire la plus rentable du pays. Elle englobe 140 sociétés installées dans 36 pays. Les usines à soja, les sirops de maïs et les volailles industrielles contribuent à l'opulence du groupe, Et dans sa diversification, ce trust ne s'est pas arrêté là : il a investi dans des secteurs commerciaux, les assurances, mais aussi dans des secteurs industriels comme les aciéries, le charbon. On pourrait dresser un portrait identique de la firme Continental et, à un moindre degré, des quelques autres géants mondiaux de l'agro-alimentaire.
Cette diversification des activités de groupes comme Gargill qui s'est accélérée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a fait des États-Unis, les maîtres de la production alimentaire de la planète. De même qu'au lendemain de la guerre 1914-1918, les États-Unis, qui n'avaient pas subi les pertes de la guerre et les dévastations des terres agricoles comme en Europe se retrouvaient en position de force : ils étaient en situation d'avoir à approvisionner le monde entier. Or la production de grain avait toujours été excédentaire (à de rares exceptions près) aux États-Unis. Au lieu de se limiter à racheter les excédents de blé pour les stocker, le gouvernement fédéral avait dès lors la possibilité de les écouler. Bien plus, cette demande a provoqué la remise en culture des terres qui avaient été laissées en friche et, la haute mécanisation des exploitations agricoles aidant, la production de céréales progressa à un rythme accéléré.
Les trusts qui contrôlaient le commerce du blé américain ont profité des circonstances pour agrandir leur marché. Ils l'ont fait avec le soutien de l'État américain.
La mainmise des trusts américains sur la production et la commercialisation des céréales
Comme les nouveaux pays demandeurs de grain américain, ruinés dans leur agriculture, étaient bien incapables de payer le blé qui leur manquait tant, alors, c'est le gouvernement américain lui-même qui a financé l'opération : il a racheté aux fermiers américains leur production et l'a distribuée à titre gratuit aux pays demandeurs. C'est dans le cadre du plan Marshall que se sont effectués nombre de ces approvisionnements.
En 1954, le Congrès américain alla plus loin. Il vota une loi qui institutionnalisa l'aide alimentaire. Les pays qui souhaitaient s'approvisionner en produits agricoles américains pouvaient, grâce à la loi, le faire à des conditions présentées comme avantageuses. Par exemple, ils pouvaient payer en utilisant des fonds que les États-Unis leur prêtaient à des conditions très larges. De nombreux pays, parmi les plus démunis, se sont précipités sur cette manne américaine.
L'aide humanitaire n'était bien évidemment pas le mobile de cette nouvelle législation. Ce sont les trusts céréaliers américains que le gouvernement fédéral a aidés avec cette loi. Les États-Unis, qui se taillaient déjà la part du lion en 1945-1949 à l'époque du plan Marshall en assurant 50 % des échanges mondiaux de grain, en assurent maintenant 80 %. Ils exportent 58 % du blé, 56 %du riz, 48 %du soja et 24 %du maïs produits sur le sol américain. Pour assurer une production accrue, l'agriculture américaine, déjà pourvue d'une technologie avancée, s'est encore davantage modernisée. On a trouvé des machines à meilleur rendement, on a utilisé quantité d'engrais et de pesticides, dont la consommation a triplé depuis 1945. Avec 50 millions de tonnes d'engrais consommés par an, les États-Unis, à eux seuls, absorbent 25 % de la production mondiale. La mécanisation de l'agriculture atteint aujourd'hui un tel niveau que l'agriculture américaine investit aujourd'hui en machines plus pour chaque travailleur que la plupart des branches industrielles.
Aux machines agricoles classiques se sont ajoutées récemment les machines informatiques pour mieux planifier la production et améliorer les rendements. Ainsi une vache, dont l'alimentation est programmée sur ordinateur, peut-elle produire jusqu'à 40 % de lait supplém entaire. Les satellites artificiels sont aussi mis à contribution : ils photographient à longueur d'année les zones agricoles du monde entier et peuvent indiquer pour chaque région du globe quel est l'état d'avancement des récoltes. Les résultats de cette surveillance sont communiqués exclusivement aux grands trusts céréaliers qui utilisent ces données pour prévoir leurs exportations et fixer d'avance les cours mondiaux.
La technologie américaine est sans conteste la plus avancée du monde dans le domaine agricole comme dans bien d'autres. A titre de comparaison, en 1975, un seul fermier américain suffisait à la culture de 400 hectares de terres alors que dans les meilleures exploitations céréalières d'Europe on ne dépassait pas le chiffre de 150 hectares.
Dans les champs de coton, la machine remplace l'homme, la récolte se faisant de façon mécanique. La cueillette des prunes, du raisin, des oranges, se fait à l'aide de machines. Et lorsque la nature rend la tâche difficile aux machines, c'est la technologie élaborée dans les centres de recherche agronomique qui vient à la rescousse. Ainsi a-t-on pu développer la cueillette mécanisée des tomates après qu'une variété de tomates arrivant toutes en même temps à maturité et possédant une peau plus résistante ait été mise au point par des chercheurs. De même, la culture des cerisiers n'a-t-elle été sauvée que parce qu'on a récemment mis au point un système mécanique pour en permettre la récolte de façon rentable. On pourrait dresser une longue liste des prouesses technologiques réalisées dans le domaine agricole. Si la technologie avancée du secteur agricole a pour effet de diminuer sans cesse l'intervention humaine et permet par là de réduire considérablement les prix de revient, par l'importance des capitaux qu'elle requiert, elle place la production agricole sous l'entière dépendance d'un petit nombre de groupes capitalistes, seuls capables de réaliser les investissements que cela suppose.
La taille et le nombre des exploitations ont considérablement évolué sous les effets de la mécanisation poussée. De 5,6 millions d'exploitations en 1950, possédant une superficie moyenne de 85 hectares, les États-Unis sont passés en 1978 à 2,7 millions d'exploitations ayant une superficie moyenne de 160 hectares. Mais surtout la domination des grandes firmes capitalistes se fait sentir en amont de la production agricole, dans le domaine des machines agricoles, des engrais chimiques, des équipements pour l'élevage, et, en aval, dans le transport, le stockage, la transformation et la commercialisation des produits agricoles. Là encore, quatre firmes se partagent la moitié des ventes en équipement agricole : les deux groupes Gargill et Continental possèdent la moitié des installations de stockage de grain.
L'agriculture et la production alimentaire attirent de gros capitaux. Aux États-Unis, c'est le secteur le plus dynamique de l'économie ; il occupe à lui seul un tiers des salariés du secteur privé. C'est qu'il y a en effet d'énormes profits à réaliser.
Le contrôle croissant de l'élevage par les trusts de l'alimentation du bétail
La part prise ces dernières années par le soja dans l'agriculture américaine est particulièrement spectaculaire. Celui-ci représente en effet un sixième des terres cultivées. Le soja a pour propriété de contenir 40 % de protéines pures, c'est-à-dire infiniment plus que les plantes fourragères traditionnelles. Les États-Unis ont, entre autres privilèges, celui de posséder un climat propice à la culture du soja.
Les trusts qui se sont édifiés dans la production et la commercialisation de l'alimentation du bétail, ont fait du tourteau de soja leur produit favori. Pour développer le marché, ils ont mené une véritable politique de dumping à l'échelle du monde. Ils ont proposé le tourteau de soja à des prix défiant toute concurrence. Ils ont parallèlement systématisé la vente « clé en main » d'élevages où ils fournissaient les installations, les animaux de reproduction, les techniciens et bien entendu, l'approvisionnement en aliment pour bétail.
De sorte que, en l'espace de quelques années, on a vu les éleveurs en Europe, en Amérique ou ailleurs - pour ainsi dire partout où l'élevage cherchait à s'industrialiser - délaisser les cultures fourragères locales. On a vu se généraliser des élevages industriels de poulets, puis de porcs ou de veaux, rendus complètement indépendants de la production fourragère locale ou régionale, mais par contre totalement dépendants du commerce international des tourteaux de soja, lui-même totalement dominé de son côté par quelques grands trusts.
Dans le même processus, en une vingtaine d'années, les États-Unis sont devenus, avec le Brésil, les fournisseurs exclusifs du monde entier en tourteaux de soja.
Dans un second temps, les exportateurs américains, désormais assurés d'une clientèle, ont simplement triplé le prix de vente du soja, en faisant ainsi une production particulièrement bénéficiaire. La demande des consommateurs en viande, aliment considéré comme noble et symbole d'une certaine aisance, est en augmentation constante. L'introduction du soja dans l'alimentation animale en permettant l'élevage industriel, a permis aussi une baisse sensible du prix de certaines viandes comme le porc et la volaille, mettant ces aliments à la portée d'un plus grand nombre d'acheteurs. Les habitudes sociales et la publicité aidant, les achats de viande dans les pays riches et, dans une moindre mesure, dans les centres urbains des pays sous-développés, ont toutes les chances de s'accroître assurant ainsi un solide débouché aux producteurs de soja.
Des produits plus sophistiques pour les uns, un appauvrissement de l'alimentation pour les autres
On pourrait se réjouir après tout que l'essor de certaines cultures permette le développement de la production de viande de boucherie. Mais l'extension du marché de la viande se fait à l'intérieur de la même fraction de la population mondiale, celle qui a un niveau de vie suffisamment élevé.
En même temps, la majorité de la population mondiale souffre d'une grave insuffisance en protéines végétales aussi bien qu'animales. « Fabriquer » de la viande implique déperdition de nourriture végétale immédiatement utilisable par l'homme. D'après les calculs d'experts cités par Le Monde Diplomatique, une unité nutritive fournie par la viande animale implique que lesdits animaux aient absorbé de trois à quinze fois plus d'unités nutritives végétales. Pour obtenir un kilo de viande, il faut sacrifier selon le cas de sept à quinze kilos de céréales ou de soja, alors que ce dernier contient également beaucoup de protéines.
Alors que les vaches du Texas sont bien mieux nourries que les paysans du Sénégal ou du Bengla Desh, on consacre une part croissante de la production céréalière à l'alimentation du bétail d'élevage en développement rapide. Un tiers environ de la production mondiale des céréales est destiné à l'alimentation du bétail. La proportion est même renversée dans les pays développés. Ceux-ci avaient consommé en 1970 - et depuis l'évolution s'est encore accentuée - 160,9 millions de tonnes de céréales pour l'alimentation humaine et 371,5 pour l'alimentation du bétail.
C'est déjà révoltant qu'une partie importante des disponibilités alimentaires immédiates de la planète soient utilisées pour produire de la nourriture animale plus complexe, alors qu'il y a des hommes qui meurent de faim. Mais ce qui est encore plus révoltant, c'est que cette nourriture destinée à l'élevage est en partie directement prélevée sur les disponibilités alimentaires des pays sous-développés.
Car il n'y a pas que le soja américain que les trusts de l'alimentation utilisent pour nourrir le bétail des pays développés. Il y a aussi le soja du Brésil - alors qu'une partie de la population de ce pays sous-développé, connaît des carences alimentaires que le soja aiderait à surmonter - ; il y a la farine de poisson faite à partir de poissons pêchés au large du Pérou ; il y a l'arachide d'Afrique ou encore la farine de manioc de l'Asie du Sud-Est.
On arrive ainsi à cette révoltante balance des échanges alimentaires : les pays pauvres exportent vers les pays riches (sous forme de tourteaux de soja, de grains d'arachide ou de farine de manioc pour l'alimentation du bétail essentiellement), plus de protéines qu'ils n'en importent sous forme de grain, même en y incluant les fameuses aides alimentaires !
C'est un des aspects les plus lourds de conséquences du pillage des pays sous-développés.
Les gadgets alimentaires
La viande n'est pas le seul exemple de gâchis qui résulte du système. A mesure que s'est étendu le marché pour les produits alimentaires, dans les pays industrialisés, dans une bien plus faible mesure, dans les grandes villes des pays du tiers monde, les géants de l'agro-alimentaire ont investi le secteur comme ils l'ont fait pour le marché des céréales. Des produits de plus en plus élaborés sont apparus dans les rayons des supermarchés. Les supermarchés sont eux-mêmes le symbole du dynamisme de ce secteur d'activité. A partir des produits de base - céréales, lait, viande - on a fabriqué des denrées de plus en plus sophistiquées, commercialisées grâce aux nouvelles techniques de conditionnement et de conservation. On ne compte plus les produits fabriqués à partir du lait. Du simple maïs, la firme américaine Corn Products Corporation ne tire pas seulement l'huile et la maïzena vendues dans le monde entier, mais elle fabrique aussi des centaines de produits dérivés tels que potages, mayonnaises, aliments pour bébés, etc. Les supermarchés américains regorgent de plats tout préparés, de sauces, de condiments, de crèmes, qui tous, pratiquement sans exception, contiennent du maïs, soit comme agent de texture, soit comme édulcorant.
Ainsi se crée un marché susceptible d'entretenir la production de produits de base, tels que le maïs, le blé, le lait, afin d'approvisionner la fabrication d'aliments plus élaborés. Les conserves, les surgelés, les plats tout préparés, répondent à une demande des consommateurs des pays riches, une demande suscitée, créée, développée artificiellement par la publicité.
Car les consommateurs, aussi fortunés et aussi gourmands soient-ils, n'achètent jamais que ce qui correspond à leurs besoins alimentaires, c'est-à-dire une quantité limitée. Tandis que la consommation réelle de flocons d'avoine diminuait aux États-Unis, la firme Quaker Oats voyait ses bénéfices triplés en un an (cité par la revue Croissance des jeunes nations, mai 1978, sous le titre : Agro-business : le racket de la faim).
Le pillage alimentaire du tiers monde
L'accroissement de la production agro-alimentaire mondiale va donc pour l'essentiel vers les pays où la population bénéficie d'un certain pouvoir d'achat. Dans ces pays, les grands trusts de l'agro-alimentaire cherchent sans cesse à créer des marchés nouveaux. Mais pour satisfaire ces marchés, on met à contribution les pays sous-développés. On l'a déjà vu pour la production de la viande. Mais c'est aussi le cas pour une multitude d'autres domaines.
Les cultures vivrières qui assuraient les besoins de la population ont dû céder le pas, dans nombre de pays sous-développés, à la culture massive du thé, du café, du cacao, de l'arachide ou de la canne à sucre, pour ne parler que des produits alimentaires.
Avec l'extension du marché des produits agricoles, ce sont les mêmes pays qui ont été mis à contribution pour fournir, outre les traditionnelles cultures « coloniales », les denrées répondant aux nouveaux besoins des pays riches. Les fruits exotiques, les agrumes, jadis considérés comme des produits de luxe, font partie aujourd'hui de l'ordinaire des menus des pays industrialisés. Et une bonne partie de la viande que nous consommons, des légumes verts et des fruits qui ne sont plus disponibles seulement « en saison », c'est-à-dire quelques jours par an, mais pratiquement tout au long de l'année, vient des pays d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine. Ces produits sont cultivés uniquement pour l'exportation et ne parviennent même pas sur les marchés des pays producteurs, quand bien même ils font défaut à la population. Tel est l'exemple des Philippines où le trust Del Monte exporte 90 % de la production de fruits vers les pays riches alors que le pays même connaît l'un des plus forts taux mondiaux de sous-alimentation et qu'un enfant sur deux y souffre de carence en protéines et en calories. Tel est le cas aussi des pays du Sahel qui, au plus fort de la sécheresse de 1973, exportaient néanmoins 41 % de viande de plus cette année-là qu'en 1968, qui était une année normale ; car ils continuaient à approvisionner les pays d'Europe en fruits et légumes frais tandis que la population mourait de faim et de soif.
En même temps que l'évolution capitaliste dans les pays sous-développés a eu tendance à miner ou à affaiblir la production vivrière locale, elle a eu également pour effet un accroissement rapide de l'urbanisation. Pour désargentées que soient les populations urbaines des pays sous-développés, elles constituent une clientèle et un débouché pour le blé ou le riz commercialisé sur le marché mondial. Les grandes firmes du négoce du blé ou du riz ont, là aussi, fini par imposer leur monopole sur cette clientèle-là.
Il en résulte une dépendance croissante d'un nombre tout aussi croissant de pays sous-développés par rapport au marché mondial.
On cause beaucoup de la dépendance du monde à l'égard des pays producteurs de pétrole. Mais aujourd'hui, la dépendance du monde est au moins aussi grande pour certains produits alimentaires de base, d'une part à l'égard des États-Unis qui fournissent en grande partie ces produits, d'autre part à l'égard des grands trusts qui en monopolisent entièrement la commercialisation.
Gâchis, inégalités, pillage, le système capitaliste coûte cher à l'humanité
Les conséquences du mode de production et de répartition capitalistes sont plus révoltantes encore en matière de production agricole que dans les autres, car là, les conséquences se traduisent de façon plus immédiate, plus directe encore qu'ailleurs pour la vie, et même la survie des hommes.
Ce système basé sur le profit, c'est-à-dire sur la satisfaction des besoins solvables et non des besoins réels, aboutit à ce que le monde connaisse simultanément un gâchis permanent formidable, la destruction périodique de produits alimentaires invendus, la dénaturation d'autres et en même temps la famine.
Sur le plan technique, l'humanité est capable, et de très loin, de satisfaire tous les besoins alimentaires. Nulle pénurie naturelle ne menace le monde. Même avec les connaissances actuelles, les experts estiment que la planète pourrait nourrir entre 40 et 90 milliards d'hommes, c'est-à-dire de dix à vingt fois sa population actuelle.
La technique n'y est pour rien. Le problème est social. Si l'humanité ne se débarrasse pas du capitalisme, c'est le capitalisme qui détruira l'humanité, par un nouveau cataclysme guerrier ou tout simplement par la mort lente de la famine.