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Les fluctuations du prix du pétrole : derrière l'OPEP, les grandes compagnies
A Londres, le 15 mars 1983, les treize pays membres de l'OPEP annonçaient une diminution commune des prix officiels des hydrocarbures de 15 %. Le prix du baril tombait de 34 à 29 dollars.
Dix ans après la flambée des prix de 1973 qui vit l'Organisation des pays producteurs de pétrole faire son entrée fracassante sur la scène de la politique pétrolière mondiale, ceux-là même qui furent présentés alors comme des assoiffeurs des économies occidentales, les responsables des dérèglements monétaires et de la récession économique, en sont réduits aujourd'hui à crier victoire pour être parvenus à maintenir un semblant de cohésion malgré la baisse des cours de leur seule richesse. Et parmi ceux qui devaient contrôler l'avenir du monde en contrôlant son approvisionnement énergétique, il se trouve des pays comme le Mexique, l'Indonésie ou le Nigéria au bord de la faillite financière, voire au bord de la famine.
Mais les mensonges et les mystifications ont si fortes carapaces que, rappelant « les années d'angoisse passée », la revue L'industrie du pétrole n'hésitait pas à écrire dans son numéro de mars 1982 : « beaucoup plus que le mouvement de décolonisation de la décennie soixante, beaucoup plus peut-être que les deux guerres mondiales, les années 1973-1979 ont représenté un véritable cauchemar pour le monde occidental. Frappé de stupeur en 1973, traumatisé une seconde fois six ans plus tard, l'Occident se trouvait alors brusquement confronté à des temps nouveaux. Des temps caractérisés non seulement par la fin de l'énergie abondante et bon marché, mais aussi par la perspective désormais plausible de se voir coupé du jour au lendemain des sources d'approvisionnement énergétique ». Et puis, comme il faut un happy end à toute bonne fable, cette revue reconnaissait quand même qu'aujourd'hui « les termes de l'équation diabolique se sont renversés au point que ce sont les pays consommateurs-importateurs et leurs compagnies exploitantes, qui sont de nouveau en mesure de dicter leur loi aux producteurs-exportateurs ».
Lors du premier « choc pétrolier » en 1973, comme lors du second en 1979, ce genre de balivernes servaient à dissimuler derrière le rôle des pays de l'OPEP, le rôle des principaux bénéficiaires de l'opération « hausse des prix du pétrole » : les compagnies pétrolières.
Eh bien, aujourd'hui, certains se demandent même s'il n'y a pas un « troisième choc pétrolier », cette fois à rebours, c'est-à-dire dans le sens d'une baisse du prix du pétrole. La question se pose si cette diminution du marché pétrolier entraînera la poursuite voire l'accélération de la baisse des prix déjà constatée et, si oui, au détriment de qui cela se fera ?
Lorsqu'on parle de hausse ou de baisse des prix du pétrole, c'est une abstraction.
D'abord parce qu'il y a une multitude de prix, non seulement entre le prix de la production sortie des puits et le prix à la consommation finale, chez le pompiste ou ailleurs ; mais encore en fonction de la qualité, de l'origine, de la nature des contrats passés, etc.
Mais surtout parce que cette abstraction générale qu'est le mouvement des prix cache des antagonismes d'intérêts entre les compagnies pétrolières et les États des pays producteurs ; entre pays producteurs eux-mêmes, entre la majorité sous-développée des pays exportateurs du pétrole et les puissances impérialistes importatrices ; sans même parler de l'antagonisme entre les travailleurs qui produisent, transforment, véhiculent et distribuent le pétrole et ses dérivés, et les différentes fractions de la bourgeoisie en rivalité pour en partager les bénéfices.
Les grands moyens d'information font volontiers du Cheik Yamani, du colonel Khadafi voire de l'Imam Khomeiny, les deus ex machina du pétrole. Mais pour demeurer dans la grisaille anonyme des conseils d'administration, les présidents de Esso, de Shell ou de British Petroleum, n'en sont pas moins des protagonistes du jeu pétrolier. Et des protagonistes dont le poids sur le marché pétrolier est sans commune mesure avec celui des « émirs du pétrole », à supposer que ces derniers incarnent une volonté différente des premiers, ce qui n'est pas toujours le cas.
Entre d'un côté les trusts et, de l'autre, les États producteurs il n'y a jamais eu d'égalité. Les premiers ont toujours dominé par rapport aux seconds.
La baisse actuelle du pétrole frappe manifestement la plupart des pays producteurs sous-développés. Même si le pétrole fait toujours figure de ressource naturelle privilégiée par rapport à d'autres matières premières, les pays producteurs de pétrole subissent à leur façon le sort commun à tous les pays producteurs de matières premières et de matières premières seulement. La crise s'est traduite par une baisse générale des prix des matières premières.
Ce mouvement général n'est pas seulement le résultat mécanique de la diminution du marché final, mais aussi le résultat d'une lutte tantôt sourde tantôt violente, entre les pays producteurs et les grands trusts qui dominent le marché mondial et qui pour maintenir leurs profits dans une conjoncture difficile, pèsent sur les revenus des pays producteurs.
Pendant quelques années, et à une époque où la demande de pétrole était en croissance rapide, les intérêts des pays producteurs, ou pour être exact, de leurs couches dirigeantes, et ceux des compagnies pétrolières, ont coïncidé dans un commun désir d'augmenter le prix du pétrole. (Nous en retracerons l'historique et les raisons).
Qu'en est-il aujourd'hui, dans le contexte de la crise ? Si les pays producteurs même coalisés dans l'OPEP, sont incapables d'arrêter l'érosion de leurs revenus, comment cela se passe-t-il pour les trusts pétroliers ?
De la politique de bas prix des compagnies...
L'histoire du pétrole, c'est aussi l'histoire des revendications, des oppositions, et parfois des combats entre les pays producteurs et les grandes compagnies pétrolières pour que le partage des revenus ne se fasse pas au seul profit de ces dernières. Bien des choses ont changé durant les trois dernières décennies, ne serait-ce que dans les formes juridiques de l'exploitation pétrolière. Entre le pillage ouvert qui était encore de règle à la fin des années cinquante et les diverses réglementations qui ont cours aujourd'hui il y a, bien sûr, la volonté des pays producteurs de ne pas laisser échapper sans contrepartie leurs seules richesses, mais il y a aussi des politiques conscientes et voulues des trusts du pétrole, en particulier des sept principaux, les « Majors ».
L'énorme expansion du pétrole après la Seconde Guerre Mondiale allait aviver les revendications bien modestes des pays producteurs. Ils réclamaient alors deux choses
un contrôle sur le volume de la production afin de limiter le gaspillage de leurs réserves, et surtout une fiscalité qui leur soit un peu plus favorable.
En 1948 pour le Vénézuela, en 1950 pour l'Arabie Saoudite, les compagnies américaines accordèrent assez aisément une augmentation des royalties se montant à 50 % de leurs bénéfices déclarés sur les seules opérations d'extraction, et ce d'autant plus aisément que le Trésor américain venait tout juste de leur accorder le droit de soustraire de leurs impôts aux États-Unis, ceux qu'ils payaient déjà ailleurs.
Mais si quelques Majors lâchèrent ici ou là un peu de lest, ils n'acceptaient pas qu'un pays outrepasse les limites qu'ils avaient eux-mêmes fixées. Lorsqu'en 1951 le gouvernement de Mossadegh nationalisa en Iran l'industrie pétrolière en réponse au refus de la British Petroleum d'augmenter la fiscalité versée à l'État iranien, le cartel fit front pour boycotter le pétrole d'Iran et aider au renversement d'un régime jugé par trop nationaliste.
Durant les années cinquante les pays producteurs continuèrent cependant à obtenir quelques avantages du fait essentiellement de la concurrence que livraient aux Majors des compagnies d'État (la CFP française ou l'ENI italienne), ou des indépendants américains prêts à payer des redevances supplémentaires pour avoir droit eux aussi au pétrole bon marché du Moyen-Orient. Mais ces nouvelles sociétés égratignèrent à peine le monopole des Majors puisque ceux-ci continuaient en 1970 à contrôler pour leur propre compte 70 % de la production du Moyen-Orient.
Cependant, entre 1950 et 1960, les prix du pétrole brut n'ont guère varié en valeur nominale passant de 1,71 dollar par baril en décembre 1950 à 1,93 en juillet 1953, puis 1,80 en septembre 1960. Compte tenu de l'inflation, les revenus réels des pays producteurs étaient en baisse constante.
Malgré la création de l'OPEP en 1960, les États producteurs n'obtinrent aucune concession de la part des compagnies pendant les onze ans suivants non plus puisque, de 1960 à 1971 aux accords de Téhéran, le baril n'augmenta que de 41 cents, ne suivant donc même pas la dépréciation des monnaies (dollar et livre) .
...au premier choc pétrolier
Seulement, les choses allaient finalement changer. En partie bien sûr parce que durant les années soixante les vagues nationalistes des mouvements d'émancipation touchèrent aussi les pays producteurs de pétrole (renversement de la monarchie irakienne en 1958, indépendance de l'Algérie en 1962, coup d'État de Khadafi en Libye en 1969...), mais aussi parce que l'impérialisme américain et les grandes compagnies pétrolières avaient tout intérêt, pour des raisons quelque peu différentes mais qui, finalement, se recoupaient, à modifier la structure des prix du pétrole.
La hausse du pétrole correspondait surtout aux intérêts immédiats et à long terme des trusts internationaux qui, après avoir supplanté de parle monde occidental les autres sources d'énergie, décidèrent de mettre fin à l'ère du pétrole bon marché. Leur nouvelle stratégie visait essentiellement à rendre rentables leurs investissements dans les gisements à coûts d'extraction plus élevés. Elle visait également à prélever sur leurs bénéfices pétroliers de quoi financer leur diversification vers d'autres sources d'énergie, comme le charbon ou le nucléaire.
Dès lors, la coïncidence des intérêts des trusts pétroliers avec la revendication des pays producteurs concernant les prix pouvait être suivie d'effet. A partir de 1970, feu vert fut donné aux pays producteurs pour faire valoir leurs revendications. Et ce fut le Shah d'Iran, représentant d'un des régimes du Moyen-Orient le plus lié aux États-Unis, qui se fit leur porte-parole, , aidé quelque temps après par l'Arabie Saoudite, autre pays qui se mouvait dans le giron de l'impérialisme américain.
Ainsi, le premier mouvement de hausse de 1973 ne fut pas décidé par les seuls États sous-développés du Moyen-Orient, d'Afrique ou d'Amérique Centrale. Tout au plus en prirent-ils la responsabilité publique dissimulant dans cette affaire le rôle des compagnies.
Les fruits de l'opération ne tardèrent pas à tomber dans l'escarcelle des Majors.
Pour la seule année 1973, les profits des grandes compagnies pétrolières américaines auraient augmenté de 40 à 45 %. Ceux d'Exxon atteignirent 2,44 milliards de dollars, soit une augmentation de 60 % par rapport à 1972. Mais l'augmentation des bénéfices de cette société ne se répartissait pas également en fonction des divers lieux de production, ses bénéfices avaient augmenté de 83 % dans les activités de la société à l'étranger, et seulement de 16 % dans ses activités américaines. Cela signifiait simplement que, dans les hausses des prix sur le pétrole en provenance du Moyen-Orient, une partie importante fut appropriée non pas par l'État producteur mais par les compagnies. Autre exemple, la British Petroleum avoua une progression de 370 % de bénéfice net pour 1973 par rapport à 1972 ; le champ d'exploitation de cette société était à l'époque essentiellement le Moyen-Orient et le Nigeria.
Certes, les revenus des pays pétroliers augmentèrent aussi de façon considérable durant cette période de flambée des prix. De 14,37 milliards de dollars en 1972, les revenus pétroliers des pays membres de l'OPEP passèrent à 90,51 milliards de dollars en 1974. Cette hausse importante était en partie due à l'augmentation générale des prix, en partie aussi aux prises de participation des pays producteurs dans l'exploitation de leurs ressources. En 1971, l'Algérie nationalise à 51 % sa production de pétrole et à 100 % celle du gaz.
Le mouvement des prises de participation des États des pays producteurs dans la propriété des champs pétroliers s'accéléra dans les années qui suivirent le premier « choc pétrolier »... Cela ne gênait pas trop les grandes compagnies. Ce fut même plutôt une bonne affaire pour elles puisqu'elles amenaient ces États à réinvestir les milliards de dollars de redevances qu'ils recevaient dans la production sur leur sol d'un pétrole que les trusts continuaient de toute façon à commercialiser. Et les trusts pétroliers pouvaient ainsi consacrer leurs propres capitaux à la mise en valeur de gisements en Mer du Nord, en Alaska, en Orénoque, devenus rentables avec l'augmentation générale des prix du pétrole.
Grâce à cette première hausse générale des prix, les trusts auront donc réussi à freiner l'accroissement quantitatif de la demande pétrolière - donc des investissements pour y faire face - tout en augmentant leurs profits.
Mais par contre, les pays producteurs qui ont vu s'améliorer en 1973-1974, d'un seul coup et de façon importante, leurs revenus, avaient de plus en plus de mal à maintenir par la suite cet avantage acquis.
Entre 1974 et 1978 donc, dans un monde en inflation, les prélèvements des États producteurs ont été à peu près les seules choses à ne pas augmenter ou très peu. Après une période de légère baisse des prix en 1975, les prix officiels n'ont augmenté, sur près de cinq ans, que d'environ 6 % alors que, dans le même temps, le dollar monnaie de paiement du pétrole perdait annuellement environ 10 % de sa valeur. Autrement dit, les pays producteurs étant payés en monnaie dévaluée, avaient de moins en moins de produits manufacturés en contrepartie du pétrole livré. D'après une étude de la banque Morgan, alors que le prix du brut restait à peu près stable entre 1973 et 1978, la valeur des produits importés, alimentaires ou manufacturés, augmentait, elle, de 31 %. Bref, durant ces quelques années, on assista à un transfert de richesses au détriment des pays producteurs de pétrole, au profit des pays impérialistes.
Mais même pendant cette période de calme sur les prix à la production, il n'y eut nul calme des prix à la consommation. Eux, ils n'ont cessé d'augmenter, à des rythmes très variables suivant les pays. Dans certains, et plus particulièrement dans les États impérialistes de seconde zone d'Europe, l'augmentation des produits pétroliers a été bien supérieure à l'inflation. En France notamment où le super a augmenté de 68,6 % entre 1974 et 1979.
C'est dire que si les États producteurs avaient bénéficié des hausses de prix lors de la crise pétrolière de 1973, les bénéficiaires exclusifs de l'opération furent ensuite les deux intermédiaires entre producteurs et consommateurs : les trusts pétroliers et les États des pays consommateurs.
1979 : la nouvelle hausse des prix
A partir du second trimestre 1978, et durant toute l'année 1979, le redémarrage temporaire de la production, notamment aux États-Unis, se traduisit par une nouvelle demande de produits pétroliers. La situation était de nouveau favorable pour les grandes compagnies qui rééditèrent presque dans les mêmes termes l'opération hausse qui leur avait si bien réussi en 1973. Prétextant les événements d'Iran, les Majors orchestrèrent une psychose de pénurie aux USA et dans le monde, allant même jusqu'à réduire leurs livraisons de 10 % pour Exxon, de 15 % pour Shell, de 45 % pour BP. Le but recherché était évidemment de parvenir à de nouvelles augmentations, tout en désignant d'avance les pays de l'OPEP comme les seuls responsables des hausses recherchées. Peu importe que les trusts aient permis aux États producteurs de relever leurs prix ou que ceux-ci, dans une situation qui leur semblait favorable en aient pris l'initiative. Le résultat fut que, en plusieurs paliers, les prix officiels du brut atteignirent la barre des 34 dollars par baril. Le même scénario produisant les mêmes effets, les recettes des pays de l'OPEP gonflèrent à nouveau ou plus exactement rattrapèrent la détérioration qu'avaient subi leurs prix de production durant les cinq années précédentes tandis que les profits des compagnies pétrolières s'envolaient une fois encore.
Seulement, cette période où la hausse des produits pétroliers bénéficia à la fois aux compagnies et aux pays producteurs fut de courte durée. Dès 1980, sous l'effet de la crise, les pays industrialisés ont réduit leur consommation de 7,5 %. L'année suivante la baisse fut encore sensible puisqu'elle atteignait 5 %. Parallèlement, la production de pétrole de l'OPEP s'effondra de 30,8 millions de barils par jour en 1978 à 22,5 millions de barils par jour en 1981. Ce mouvement à la baisse n'était pas alors terminé puisqu'aujourd'hui la production pétrolière de l'OPEP ne dépasse guère les 17,5 millions de barils par jour.
La crise et le regain d'antagonisme entre trusts pétroliers et pays producteurs
La récession que connaît le monde occidental amena en 1982, pour la seconde année consécutive, une baisse importante de la production et des échanges. Ce contexte de crise n'est évidemment pas favorable aux sociétés capitalistes dans leur ensemble, ni même aux plus puissantes d'entre elles, les compagnies pétrolières. Mais alors que certains, pour ne pas dire la plupart des pays sous-développés exportateurs de pétrole, comme le Mexique, le Nigéria, l'Irak, le Venezuela, l'Indonésie, sont au bord de la faillite, les trusts pétroliers continuent leur mouvement ascendant. Non seulement durant la dernière décennie le chiffre d'affaires des douze plus grandes firmes pétrolières du monde passait de 61 à 560 milliards de dollars, tandis que leurs profits passaient, eux, de 5 à 26 milliards de dollars ; non seulement le bénéfice réalisé sur un baril grimpait de 65 cents en 1971 à 5,17 dollars en 1980, mais, malgré la crise, malgré les nationalisations d'une partie de leurs puits, l'augmentation du coût d'accès au brut, la diminution de la demande, elles ont réussi à augmenter, à un rythme plus rapide que le reste de l'économie, leur chiffre d'affaires et leur puissance financière.
En 1969, six seulement des grandes compagnies pétrolières figuraient parmi les vingt premiers trusts mondiaux. Aujourd'hui elles sont douze.
Et c'est toujours dans le pétrole - malgré ou peut-être à cause de la baisse du prix à la production - que les dits trusts réalisent l'essentiel de leurs bénéfices.
La stratégie de diversification vers d'autres sources d'énergie n'a vraiment réussi que dans le charbon, dans lequel les trusts pétroliers ont conquis une position dominante. II est estimé que quatre des grandes compagnies pétrolières contrôleront à peu près 50 % du commerce international du charbon dans les deux ans à venir. Cette mainmise sur une source d'énergie à utilisation plus restreinte, et au développement plus lent, mais que le renchérissement du pétrole a rendue plus rentable pour certains usages, donne aux trusts du pétrole une marge de sécurité plus grande et, surtout, le contrôle d'un marché qui pourrait concurrencer leur production traditionnelle. Mais le nucléaire qui a également beaucoup intéressé les trusts pétroliers il y a une dizaine d'années, s'est révélé moins juteux qu'ils ne l'escomptaient.
C'est donc encore et toujours dans le pétrole que les Majors voient leur avenir.
Et finalement les grandes compagnies ont une position de monopole assez forte pour faire face à la crise et pour en détourner les effets néfastes sur les consommateurs, autant que faire se peut et, quand il y a une limite de ce côté-là, sur les pays producteurs. Et c'est sans doute ce qui se passe en ce moment.
De l'avis des spécialistes -ainsi pour JeanMarie Chevalier quia écrit plusieurs textes sur la
politique des trusts pétroliers- la hausse des prix du pétrole du « deuxième choc pétrolier » aurait été trop forte. En d'autres termes, les trusts pétroliers auraient poussé un peu trop loin leur politique malthusienne antérieure qui consistait à augmenter leurs bénéfices, en augmentant .très fortement les prix, quitte à diminuer les quantités vendues. Là, la perte du marché due aux hausses des prix n'aurait pas été compensée par les recettes supplémentaires dues à ces hausses de prix.
Les trusts ne sont donc pas fâchés de ce que les prix, même à la consommation finale, baissent un peu. Qu'à cela ne tienne, ils se retournent contre les pays producteurs, et ils pèsent sur les prix à la production.
Bien sûr, les trusts contrôlent aussi une partie de la production. Et dans la mesure où une baisse trop importante à la production risquerait de compromettre la rentabilité de certains de leurs gisements, en Alaska ou en Mer du Nord, les compagnies s'opposeront certainement à une baisse excessive des prix à la production.
Mais, et c'est là un des énormes avantages des trusts sur les pays producteurs, c'est qu'ils sont aussi transporteurs, raffineurs et distributeurs, et dans ce domaine, ils ont le monopole absolu. Autrement dit, ce que les compagnies perdent en tant que producteurs de pétrole brut, si le prix de ce pétrole brut baisse, elles peuvent le compenser et au-delà en tant que raffineurs en payant moins cher la part de pétrole qu'elles achètent aux pays producteurs. Rien n'empêche par exemple Exxon de freiner la production de ses propres puits s'il peut acheter du pétrole moins cher dans un pays propriétaire de ses puits. Cela se traduit évidemment pour le pays sur le sol duquel se trouvent les puits d'Exxon par une baisse, peut-être catastrophique, de ses recettes et cela se traduit, pour le pays producteur, par le fait qu'il vend de moins en moins cher sa seule richesse. Mais Exxon y trouvera, lui, son compte.
Lui en tout cas, il a le choix de faire son profit en tant qu'intermédiaire lorsqu'il ne peut pas le faire en tant que producteur. Pas le pays producteur !
Soit dit en passant, ce qui se passe en cette période de crise illustre à quel point le fait que les États de certains pays producteurs aient pris le contrôle de la production du pétrole brut ne les émancipe pas du tout de la pression des compagnies pétrolières.
En tous les cas, alors même que, au cours de la dernière période, les États producteurs avaient du mal à enrayer la chute de leurs prix, on a vu les compagnies pétrolières durcir leur attitude.
L'offensive a porté en premier lieu sur les pétroles africains, les plus chers, sur lesquels elles refusèrent de payer des primes dites de qualité. En conséquence le Nigeria vit sa production baisser de 15 % entre janvier et février 1981. Ce fut ensuite dans la renégociation des contrats avec différents pays du Golfe que les compagnies montrèrent leur résolution. Ainsi, la British Petroleum, Shell et Gulf Oil refusèrent de payer les primes demandées par le Koweit et réduisirent de moitié leurs enlèvements faisant chuter la production de ce pays de 250 000 barils par jour.
Cette politique des trusts fut appuyée par l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes qui, exerçant de leur côté une pression à la baisse, refusaient durant le premier semestre de 1981, de diminuer leur production. La position de Cheik Yamani fut sans équivoque : « Le sur-approvisionnement du marché était attendu par l'Arabie Saoudite... afin de stabiliser les prix du pétrole » déclara-t-il en avril. Le ministre du pétrole des Émirats Arabes alla dans le même sens en expliquant que « le moment est venu de laisser le marché pétrolier reprendre sa respiration afin que l'économie mondiale puisse s'ajuster aux hausses de 1979 et 1980 » , et en suggérant de geler les prix jusqu'à la fin de l'année.
Les pressions s'exercèrent également sur d'autres pays exportateurs. L'URSS, la Syrie, le Brunei, annoncèrent des baisses de prix de 2 à 4 dollars. Face aux menaces des acheteurs de suspendre leurs enlèvements, la société mexicaine PEMEX baissa son pétrole de 4 dollars par baril. Mais dès l'annonce d'une nouvelle hausse de 2 dollars, les exportations de brut tombèrent en chute libre (300 000 barils par jour au lieu de 1,3 million de barils). Les problèmes financiers qui en résultèrent furent tels qu'ils contraignirent le Mexique à annuler sa dernière hausse de prix.
Les pays les plus touchés furent certainement les producteurs africains qui virent la diminution de leur production atteindre 45 %. Les baisses déguisées se multiplièrent elles aussi par le biais de l'allongement des délais de paiement portés de 30, à 60 ou 90 jours et même à 120 jours pour le Nigeria qui comptait ainsi hâter le retour de ses clients.
Bref les pressions de toutes sortes auxquelles furent soumis les États producteurs les contraignirent en octobre 1981 non seulement à aligner leurs prix sur celui de l'Arabie Saoudite, mais à s'engager à geler les prix pour toute l'année 1982. Ce qui fut effectif et amena, selon le FMI, une chute de 19,9 % des recettes pour l'ensemble des pays exportateurs de pétrole.
Les limites étroites de l'action de l'opep
Au regard de la puissance et de la cohésion des Majors, l'OPEP n'est en fait qu'une juxtaposition d'intérêts nationaux divers agissant en sens opposé dès qu'une tension se fait sentir sur le marché du pétrole. Et on est loin de l'époque d'unanimité des années 1970-1974 où, avec la bénédiction des grandes compagnies, les pays producteurs faisaient valoir leurs revendications. La solidarité de façade qu'on nous présentait comme la force de l'OPEP n'existe plus, n'a même jamais existé.
A l'image des pays qui lacomposent, l'OPEP est tout à la fois un des canaux par lequel s'expriment les revendications des pays producteurs, et un des moyens dont disposent les compagnies - ne serait-ce que par le poids de l'Arabie Saoudite - pour peser sur les revendications, les canaliser, les orienter vers des voies qui ne leur soient pas défavorables.
En fait, si cartel il y a dans le monde du pétrole, ce n'est pas celui des États producteurs mais bien celui des grandes compagnies internationales.
Alors, même si pendant quelques années les pays de l'OPEP, plus que tout autre pays sous développé, ont bénéficié de revenus importants, cette période est désormais révolue. Les États producteurs redeviennent ce qu'ils n'ont jamais cessé d'être, des pays pauvres, pas parmi les plus défavorisés sans doute, mais des pays qui, comme tous les pays sous-développés, sont intégrés dans les relations économiques mondiales, en position subordonnée à l'impérialisme.