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Les élections présidentielles américaines : Jesse Jackson et les démocrates en quête du vote de la communauté noire
Malgré les énormes problèmes, tant sur le plan international que sur le plan intérieur, auxquels sont confrontés le monde et les États-Unis, toujours aux prises avec la crise malgré la « reprise » de ces derniers mois, rarement une campagne pour les élections présidentielles s'était annoncée aussi terne. Ni le faux suspense qu'a essayé d'entretenir Reagan quant à savoir s'il serait de nouveau candidat, ni la personnalité des candidats du Parti Démocrate ne fournissaient le moindre piment. Tout le monde savait depuis longtemps qu'à moins que les forces lui manquent, Reagan était bien décidé à se représenter en novembre prochain. Et la presse tout entière ne parlait des politiciens qui aspirent à être désignés comme le candidat du Parti Démocrate que comme des « sept nains », ce qui en dit long tout de même sur le respect qu'ils ont gagné dans l'opinion publique. Il a donc fallu qu'un huitième candidat démocrate, le Révérend Jesse Jackson, se déclare, pour que reprenne quelque intérêt pour cette longue campagne.
L'attention de la presse internationale a été attirée sur Jesse Jackson par le coup d'éclat qu'il vient de réaliser en obtenant du dictateur syrien Assad la libération du pilote américain capturé par l'armée syrienne en décembre dernier. Ce succès a sans doute assuré à Jackson une crédibilité nouvelle, Reagan lui-même ne pouvant faire moins que se réjouir officiellement bruyamment et le recevoir en grande cérémonie à la Maison Blanche avec l'aviateur libéré qu'il ramenait dans ses bagages.
Mais aux États-Unis mêmes c'est bien avant ce coup d'éclat que sa candidature suscitait intérêt... ou inquiétude.
Non pas que l'on donne à Jackson la moindre chance non seulement d'être élu président - c'est tout à fait impensable même pour ses plus chauds partisans - mais même d'être désigné finalement comme le candidat du Parti Démocrate. On sait qu'aux États-Unis l'élection présidentielle proprement dite est précédée par une sorte de pré-élection pour désigner les candidats des deux grands partis, républicain et démocrate. Ce sont ces pré-élections, les primaires, qui vont commencer prochainement. Les commentateurs politiques ne croient pas que Jackson puisse y faire élire sur son nom plus de 150 ou 200 délégués sur un total de près de 4 000 qui formeront la Convention démocrate qui choisira le candidat du parti.
Malgré cette absence complète de chance d'être retenue, si sa candidature a suscité intérêt et inquiétude, c'est que Jackson est noir et, bien plus, que sa personnalité évoque le mouvement noir des années 60, c'est-à-dire un mouvement de masse profond, qui a mobilisé des millions de gens, a arraché la fin de toute discrimination légale, a même débouché sur des émeutes, qui furent quelquefois de véritables insurrections, dans pratiquement toutes les grandes villes américaines. C'est un peu ce spectre que certains ont vu se lever avec Jackson.
Un héritier de martin luther king
Jesse Jackson a en effet tout un passé de militant du mouvement pour les droits civiques. Étudiant, il a milité avec Martin Luther King dans le cadre du SCLC (Southern Christian Leadership Conférence) la plus en vue des organisations pour les droits civiques. Après l'assassinat de King en 1968, il se présenta comme son héritier le plus proche. C'est lui qui s'adressa à la presse, à Memphis, quelques heures après le meurtre, portant une chemise tachée du sang de King, dont il affirmait qu'il avait recueilli les dernières paroles. Beaucoup d'autres leaders du mouvement lui ont d'ailleurs reproché cette mise en scène qui visait, disaient-ils, à placer Jackson comme le dauphin du leader assassiné, ce qu'il n'était nullement du vivant de King.
Jackson a par la suite rompu avec le SCLC pour fonder sa propre organisation PUSH (People United to Serve Humanity). Mais c'est toujours en se réclamant de King qu'il a poursuivi son activité militante et politique, essentiellement à Chicago où il s'est installé, une ville particulièrement difficile pour le mouvement noir, où King lui-même avait connu des échecs, et où régnait et règne encore une rigoureuse ségrégation raciale.
Dans les années 70 le mouvement noir est complètement retombé. Pourtant Jackson, faisant appel à la « conscience noire », usant quelquefois de thèmes nationalistes, poursuivit ses activités dans la tradition des droits civiques en organisant des marches et des manifestations diverses pour l'emploi des Noirs, contre la faim, en faveur de l'intégration scolaire. Pendant l'été 1982 par exemple, il organisa avec succès un boycottage des festivités prévues par la municipalité pour protester contre les provocations du maire de l'époque, Jane Byrne, à l'encontre de la communauté noire.
C'est ainsi que Jackson a conservé une image militante. Les organisations les plus radicales du mouvement noir des années 60 ont été décimées par la répression, comme les Panthères Noires ou même certaines branches des Musulmans Noirs. Les dirigeants les plus notoires qui ont survécu, ont quasiment disparu de la scène avec la fin du mouvement ou alors se sont intégrés à l'Establishment politique. Jackson, du coup, a été quasiment le seul à garder une place à part et, malgré la disparition quasi-totale du mouvement, a pu accroître son audience personnelle auprès de la communauté noire.
C'est ce qui explique sans aucun doute l'intérêt que sa candidature a suscité dans cette communauté noire, intérêt qui s'est marqué par les foules qu'il a rassemblées, avant même de se déclarer officiellement comme candidat, quand il fit l'an passé un tour des États-Unis pour inviter les Noirs à s'inscrire sur les listes électorales.
C'est ce qui explique l'hostilité des racistes, enragés à l'idée de voir un Noir oser se déclarer candidat à la plus haute charge de l'État. Jackson n'est pas le premier Noir, contrairement à ce qu'écrit parfois la presse française, à se porter candidat à la présidence. De toutes petites organisations de gauche ou d'extrême-gauche, comme l'organisation trotskyste SWP par exemple, ont déjà présenté un candidat noir. Il y a quatre ans une candidate noire démocrate s'était déjà déclarée, Shirley Chisholm. Mais elle n'avait recueilli que 28 voix à la Convention démocrate. Et même en 1888 Frederick Douglass avait recueilli... une voix à la Convention républicaine. La candidature de Jackson n'est pas la première mais elle est la première qui prend cette importance.
C'est ce qui explique enfin l'inquiétude des politiciens. Bien sûr, celle de certains démocrates, tient d'abord à de bas calculs électoraux. Les candidats qui passent pour libéraux, comme Mondale, qui fut vice-président sous Carter et à qui on donne aujourd'hui le plus de chance d'être finalement l'élu du parti, ont évidemment peur que Jackson ne rafle dans les primaires une partie des voix sur lesquelles ils comptaient pour distancer leurs adversaires plus conservateurs.
Pour les mêmes raisons, les politiciens démocrates noirs les plus notables, notamment les maires d'Atlanta, de Detroit, de Chicago ou encore le président de la très modérée NAACP (Association Nationale pour l'Avancement des gens de couleur), étaient en général opposés à la candidature de Jackson. Le succès d'un candidat noir à l'élection présidentielle étant impensable, ils craignent qu'elle n'aboutisse finalement qu'à détourner des voix du candidat démocrate de leur choix, Mondale en l'occurrence. Ils craignent surtout que la candidature de Jackson les prive tout simplement de la possibilité de négocier, eux, avec le futur élu du parti... puisque du coup c'est Jackson qui en novembre prochain pourra lui apporter les voix des Noirs américains.
Mais plus profondément si l'Establishment politique a renaclé quelque peu et marqué quelque inquiétude devant cette candidature qui sort de l'ordinaire, c'est que derrière Jackson il y a le souvenir d'un mouvement noir que ces politiciens ne souhaitent pas revoir, et craignent toujours, bien qu'il soit assoupi depuis une décennie, de réveiller.
Tel n'est pourtant pas l'objectif de Jackson.
Une mobilisation... pour l'inscription sur les listes électorales
Certes, en annonçant officiellement sa candidature, début novembre, Jackson proclamait : « Je n'éprouve pas de pitié pour les pauvres : j'en suis un ». Il se montre parfois très critique, non seulement à l'égard de Reagan et des républicains, qu'il attaque vivement comme représentants des riches, mais aussi à l'égard de l'Establishment politique en général. Et il lui arrive de s'en prendre au Parti Démocrate et aux syndicats qui le soutiennent comme « non démocratiques, racistes et sexistes ». Il n'hésite pas à dire que « si les démocrates veulent le soutien de tous les opprimés, alors, il faut qu'ils changent ».
Il se veut même maintenant le porte-parole d'une « Rainbow coalition » , une coalition « arc-en-ciel », c'est-à-dire regroupant, outre les Noirs, les Hispano-américains, les Porto-ricains ou Chicanos, les femmes, les vieux, les handicapés... en un mot, tous les pauvres et les opprimés des États-Unis. Il s'identifie au mouvement contre la guerre, désapprouvant et critiquant, par exemple, l'intervention militaire à la Grenade.
Mais, à ces pauvres et ces opprimés, que propose-t-il ? Quels objectifs propose-t-il aux Noirs qui l'écoutent et regardent vers lui ? Quelles perspectives offre-t-il à cette population, à l'heure où elle est dramatiquement atteinte par la crise au point que les acquis du mouvement des années 60 sont eux-mêmes remis en question ? Il ne lui propose qu'une chose : s'inscrire sur les listes électorales, et voter. Il ne s'agit pas aujourd'hui pour lui de mobiliser les masses de la communauté noire, même pas d'une manière non-violente comme l'avait fait Martin Luther King dont il se réclame. Il ne fait appel à elles que pour qu'elles se rendent aux urnes.
C'est sur ce terrain qu'il déploie son activité et celle de son organisation. Au cours de l'été 1983, il a ainsi effectué une tournée militante dans les États du Sud des États-Unis en vue d'obtenir que davantage de Noirs s'inscrivent sur les listes électorales. Entre mai et août 1983, de fait, l'État du Mississipi a enregistré 40 000 inscriptions supplémentaires de Noirs. Cette tournée, Jackson l'a présentée comme une véritable croisade, prophétisant à ses auditoires : « Le train de la liberté qui s'annonce, vous ne pourrez le prendre que si vous êtes inscrits » .
En effet, malgré la loi sur les droits civiques obtenue en 1965, une forte proportion des Noirs ne sont pas inscrits ou, quand ils le sont, ne votent pas. La proportion de la participation des Noirs aux élections est allée en diminuant sans cesse depuis cette époque. Et cela s'est particulièrement manifesté en 1980, lors de l'élection de Reagan. On avait alors enregistré un taux d'abstention record, le plus fort depuis 1948 : 52 % de votants seulement. Mais le vote des Noirs en particulier avait chuté encore plus par rapport aux présidentielles précédentes. Ainsi, la chaîne ABC estimait que le « vote noir » qui représentait 11 % du total en 1976, n'en représentait plus que 7 % en 1980.
Alors que traditionnellement, en tout cas depuis l'époque de F.D. Roosevelt, bien des Noirs croyaient pouvoir placer quelque espoir du côté des politiciens démocrates par opposition aux républicains, au cours de ces dernières années le dégoût des politiciens, aussi bien démocrates que républicains, la déception devant le peu de résultats concrets obtenus grâce au vote, se sont largement répandus parmi cette population, qui semblait se désintéresser de plus en plus des échéances électorales.
C'est à changer cela que s'emploie Jackson. Avec quelque succès d'ailleurs semble-t-il, comme l'a déjà montré l'élection de Harold Washington, un démocrate noir, à la mairie de Chicago, deuxième ville du pays, en avril dernier. Elle a été d'autant plus frappante que Chicago ne compte qu'un tiers environ de Noirs dans sa population. Certes, même si nombre d'électeurs démocrates blancs ont préféré cette fois voter pour le candidat républicain, plutôt que de voter pour un Noir, une frange de la population blanche libérale a voté pour Washington. Mais, surtout, les électeurs noirs se sont spécialement et massivement mobilisés pour l'occasion. Et Jackson a été le principal propagandiste pour inciter les Noirs à s'inscrire et à voter pour H. Washington.
C'est d'ailleurs à partir de ce résultat que Jackson a lancé sa campagne nationale pour appeler les Noirs à s'inscrire et à voter.
Peut-être encore plus significativement, Jesse Jackson s'est adressé à la foule immense rassemblée à Washington le 27 août dernier, à la mémoire de Martin Luther King, en proclamant : « Nous n'avons pas besoin des émeutes ou de la drogue. Notre sort va changer par les urnes, pas par les révolutions sanglantes. C'est la leçon de notre victoire d'il y a vingt ans. Il faut maintenant passer du champ de bataille racial au combat économique commun... Nous pouvons faire mieux que progresser, nous pouvons gagner... En 1980, M. Reagan a gagné dans l'Illinois par 370 000 voix, mais il y avait 600 000 électeurs noirs non inscrits... Il a gagné dans huit États du Sud par 170 000 voix, mais il y avait trois millions d'électeurs noirs non inscrits ».
A l'époque , Jackson n'avait pas encore annoncé sa propre candidature à l'investiture démocrate. Il militait pour ramener les voix des électeurs noirs vers le Parti Démocrate, tout en déclarant simultanément rechercher une candidature noire, ce qui était une façon de préparer le terrain pour la sienne propre mais aussi de motiver les électeurs noirs potentiels pour qu'ils se fassent inscrire.
Ainsi, les objectifs de Jesse Jackson sont clairement et nettement circonscrits au terrain électoral.
Un propagandiste du « capitalisme noir »
Ce qu'il entend par le « combat économique commun » des Noirs se situe tout aussi clairement et nettement dans le cadre du système existant. En effet, Jackson s'affirme comme un apôtre du « capitalisme noir ». Il propose à tous les Noirs d'acheter et promouvoir les produits « noirs », même s'ils sont plus difficiles à se procurer et coûtent plus cher que ceux de leurs concurrents blancs, infiniment plus puissants.
Ainsi, lors d'une campagne en faveur d'une entreprise de produits laitiers appartenant à un propriétaire noir, il avait lancé comme slogan
« Dites-le bien fort, je suis Noir et j'en suis fier, et je bois du lait Joe Louis » (du nom de l'entreprise en question -la première partie du slogan étant inspirée par une chanson célèbre de James Brown).
Jackson a également lancé des campagnes en vue de persuader les grandes sociétés de passer des contrats avec des entreprises possédées par des bourgeois noirs, d'engager davantage de distributeurs noirs, d'embaucher davantage de travailleurs noirs. Son organisation PUSH a signé des contrats dans cet esprit avec cinq firmes dont Coca-Cola et Seven Up. Le but de Jackson est d'obtenir que, grâce à cette intégration des Noirs dans les circuits économiques, pour chaque dollar dépensé par des Noirs dans les produits de ces firmes, la valeur d'un dollar retourne à des Noirs. Indépendamment même de savoir si cela est possible, le malheur est que ce ne sont généralement pas les mêmes qui déboursent et qui encaissent ! Jackson le sait clairement, à ce qu'il semble car, à vouloir ainsi récupérer quelques dollars de plus pour les bourgeois ou les petits bourgeois de sa communauté, il se retrouve hostile aux intérêts des travailleurs.
Dans une interview au New York Times qui remonte à1976, il déclarait ainsi : « Je connais des entrepreneurs noirs qui ont fait faillite parce que leurs ouvriers noirs n'étaient pas appliqués ou bien avaient des attitudes négatives. Je connais des jeunes travailleurs noirs qui annoncent avec fierté qu'ils vont travailler à l'heure qui leur convient, prennent un jour de congé chaque fois qu'ils en ont envie, (...) font marcher leurs grosses radios portatives sur les chaînes de montage. Ils disent qu'ils sont en rébellion contre le système et qu'ils manifestent ainsi leur indépendance. Mais il y a beaucoup de travailleurs blancs qui en font autant. Et ce qu'ils manifestent en réalité, c'est leur ignorance de toute une tradition de travail de la communauté noire qui est l'un de nos héritages les plus dignes de notre fierté ».
Bref, le programme économique de Jesse Jackson, enrobé dans des appels à l'unité noire et des slogans nationalistes, le situe sans ambiguïté sur le terrain de classe d'une bourgeoisie noire restreinte à la portion congrue dans le cadre de la société américaine et qui aspire à davantage.
Même pour cette bourgeoisie noire d'ailleurs, la réelle efficacité de la politique que prône Jackson reste sans doute à démontrer.
Mais, en tout cas, ce qui est certain, c'est que cette politique n'offre rien à l'énorme majorité de la communauté noire qui est formée de prolétaires qui n'ont aucune affaire, aucune entreprise à faire prospérer.
Une nouvelle couche de politiciens noirs
Son capital et son image d'héritier du mouvement noir, le Révérend Jackson ne fait que les exploiter maintenant au service d'une carrière de politicien au sein du Parti Démocrate.
Jackson a peut-être plus de moyens que d'autres pour capitaliser ainsi ce qui peut subsister du mouvement dans la conscience des pauvres, des travailleurs, des fermiers noirs. Il peut dans une certaine mesure s'en réclamer. C'est ce qui fait sa particularité et sa force peutêtre. Mais fondamentalement, il ne diffère pas de cette couche de politiciens noirs qui sont apparus depuis la fin des années 60. Avec la fin de la ségrégation officielle en effet, et la suppression de la plupart des barrières institutionnelles qui empêchaient les Noirs d'être électeurs, un groupe de leaders a pu se frayer un chemin dans la vie politique et dans les structures officielles.
Ces possibilités ne vont pas bien loin, si on se place à l'échelle des États-Unis. Que les maires de dix villes de plus de 200 000 habitants (Chicago, Los Angeles, Detroit, Washington, New Orleans, Atlanta, Oakland, Newark, Birmingham, Richmond), dont plusieurs sont parmi les plus grandes du pays, soient des Noirs est sans doute spectaculaire. Mais au total, il n'y a que 5 160 Noirs parmi les autorités élues pour l'ensemble du pays (en y incluant les officiers de justice et les responsables de l'administration scolaire), soit environ 1 % du total, alors que les Noirs constituent environ 10 % de la population en âge de voter. Il n'y en avait certes que 1469 en 1970, mais l'essentiel de la progression se situe au niveau des autorités locales (-+-316 %), tandis qu'au niveau des États, elle n'est que de +98 % (336 élus en 1982), et qu'au niveau fédéral, on ne compte que 18 élus en 1982 (10 en 1970). Ces chiffres sont cités par Time (août 1983).
Comme on peut le constater, même sur ce terrain, les ouvertures demeurent limitées pour les petits bourgeois noirs américains. Mais elles existent, et si l'on en juge d'après les récents succès électoraux au niveau des grandes mairies, le système accepte de leur laisser une petite place. On peut d'ailleurs remarquer à ce sujet que ce sont les dirigeants nationaux du Parti Démocrate qui sont intervenus à Chicago pour imposer à l'appareil local le choix de Harold Washington comme candidat à la mairie.
En tout cas, l'accroissement du nombre des élus noirs est une des grandes préoccupations des dirigeants de la communauté noire américaine car il n'y a pas que Jackson, mais beaucoup d'organisations comme la NAACP, la Urban League, et plusieurs autres qui s'emploient activement à mobiliser les Noirs pour qu'ils s'inscrivent sur les registres électoraux dans ce but.
Harold Washington exprimait à sa manière cette impatience lorsqu'il s'est exclamé, en préparant son élection : « Nous avons donné nos votes aux candidats blancs pendant des années et des années sans rechigner, en espérant qu'ils nous associeraient à l'affaire. Maintenant c'en est au point que nous disons : A notre tour, à notre tour ! ».
De l'accroissement du nombre des élus noirs, les travailleurs pour leur part ne peuvent pourtant pas attendre grand chose. A la tête des municipalités, les maires, en admettant qu'ils en aient le souci, peuvent moins que jamais, en ces temps de crise, se soustraire aux diktats des puissances d'argent et ils ne font, en fin de compte, qu'assumer la détérioration des conditions de vie dans les villes, les problèmes inextricables d'une gestion dont les moyens financiers sont considérablement réduits. Le succès de H. Washington à Chicago a pu être présenté comme un symbole des fruits positifs de la participation électorale des Noirs. Mais, malgré le sentiment de victoire que ce succès a pu procurer à bien des pauvres gens sur le moment, ce n'est pas de lui qu'ils peuvent raisonnablement espérer une amélioration de leur sort.
Au service du parti démocrate
Ce que l'on constate apparemment aujourd'hui c'est que lorsque des dirigeants font appel à la conscience qu'a la population noire de former une communauté à part, spécialement victime de l'injustice et de la discrimination, ils rencontrent un certain impact.
Celui de Jackson paraît incontestable. Si l'on en `croit les reportages de Time, il enthousiasme ses auditoires : « Les fermiers du Sud sont inspirés par les sermons de Jackson sur la valeur du vote ; les adolescents noirs des villes sont touchés par la vigueur de sa détermination ; les opprimés entendent dans ses appels vibrants un écho authentique à leurs problèmes (...) Partout où il va, il attire des foules enthousiastes, les faisant se dresser, les mobilisant, et les entraînant dans sa croisade ». (numéro du 22 août 1983).
Mais en définitive, qui donc la candidature de Jackson peut-elle servir ?
Peut-être le Parti Démocrate. Jackson - d'autant plus qu'il a le soutien des Églises qui constituent un réseau influent au sein de la communauté noire - peut lui servir à lui ramener des millions de voix et à mettre éventuellement Reagan en difficulté, en particulier dans les États où celui-ci ne l'avait emporté que de justesse en 1980.
Peut-être aussi Jackson lui-même. Il ne croit vraisemblablement pas à ses chances de gagner l'investiture du Parti Démocrate, mais il peut envisager de monnayer auprès de l'appareil l'aide qu'il peut ainsi lui apporter. Certains n'envisagent-ils pas qu'il pourrait être le vice-président du candidat démocrate, bien que dans les États-Unis d'aujourd'hui cela semble difficile que les démocrates se risquent à présenter un Noir sur le « ticket » présidentiel, même en second.
Mais certainement pas la communauté noire. A celle-ci qui est la première victime du système, touchée de plein fouet parla crise, avec un taux de chômage double de celui de la communauté blanche, une misère accrue par la réduction des aides sociales de l'État américain, toujours victime d'un racisme banni dans les lois mais bien vivant dans les faits, Jackson propose non la contestation et la lutte active mais le leurre de la participation électorale.
Et si demain, malgré Jackson, cette communauté se mobilisait réellement pour redescendre dans la rue, la notoriété et le capital de sympathie que sa campagne actuelle est probablement en train de lui augmenter, serviraient, n'en doutons pas, à tenter de canaliser, dévoyer ou briser cette mobilisation. Car le Révérend Jackson, malgré sa démagogie, ou à cause d'elle, n'est pas une aide, mais un obstacle au combat des Noirs et des opprimés américains.