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- Lutte de Classe n°105
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Le SWP (USA) : Vers « l'internationale léniniste de masse »... et la rupture avec le trotskysme ?
II semble que l'opposition entre le Socialist Workers Party (USA), soutenu par la section canadienne de la IVe Internationale et le Secrétariat Unifié de la IVe Internationale s'est aggravée ces derniers temps au point de se transformer en quasi-rupture. (Rappelons que le SWP ne se dit pas formellement membre de la IVe Internationale à cause d'une loi américaine interdisant toute appartenance internationale à un groupe politique américain. Dans la pratique, il constituait cependant jusqu'à maintenant et depuis la réunification de 1963, un des piliers essentiels du SU, étant sans doute, avec la LCR française, la section nationale la plus importante).
Au mois d'août, le SWP publiait une nouvelle revue dont le titre semble bien tout-à-fait symbolique de ses intentions : New International ( Nouvelle Internationale). Le contenu ne l'est d'ailleurs pas moins puisque ce premier numéro contient un article de Jack Barnes (l'actuel dirigeant numéro un du SWP) qui est le texte d'un exposé fait en décembre 1982 devant les YSA (Young Socialist Alliance, l'organisation de jeunesse du SWP). Il s'agit d'une critique en règle de Trotsky, du trotskysme et plus spécialement des thèses de la révolution permanente. Dans le même numéro il y a également un article, datant en fait de 1971, d'un dirigeant du Parti Communiste Cubain (l'actuel parti unique, castriste, de Cuba, mais Carlos Rafael Rodriguez, l'auteur de l'article, était déjà un dirigeant du vieux Parti Communiste Cubain d'avant 1959 celui qui, à l'époque lié à Moscou, s'opposait alors à Castro). Cet article intitulé « Lénine et les questions coloniales » s'en prend lui aussi à Trotsky et à la révolution permamente. New International comporte en fin de texte deux textes, l'un de Lénine, l'autre de Trotsky, sur... la révolte irlandaise de Pâques 1916. On aura donc compris qu'il s'agit d'opposer le léninisme au trotskysme.
La révolution permanente en question
Depuis deux ou trois ans le débat entre le SWP et le SU, public ou interne, a porté sur toute une série de sujets allant de l'Iran au tournant vers la classe ouvrière décidé par l'Internationale en 1979. II s'est cependant concentré sur deux points essentiellement : la validité des thèses de Trotsky sur la révolution permanente d'une part, et le castrisme d'autre part.
Publiquement la querelle a débuté par un échange entre Doug Jenness (un des leaders du SWP) et Ernest Mandel à propos... de la révolution russe. Cela aurait pu sembler un débat sur quelques points d'histoire. En fait par le biais d'articles académiques et historiques, le SWP commençait à remettre en cause le trotskysme. Aujourd'hui, c'est tout-à-fait ouvertement que l'article de Barnes se démarque du trotskysme. En voici un assez long passage qui en donne bien le ton général :
« La seconde manière dont notre mouvement a utilisé le terme de révolution permanente est en référence à la position de Trotsky avant 1917 sur la dynamique de classe et la stratégie de la révolution russe, en l'opposant à celle de Lénine et des Bolcheviks. Notre opinion était que Trotsky avait raison contre Lénine sur ces questions. En cela nous suivions les propres opinions de Trotsky dans la période qui a suivi 1928.
Utilisée de cette seconde manière, la révolution permanente est incorrecte. Les opinions de Trotsky d'avant 1917 étaient révolutionnaires si on les oppose à celles des Mencheviks qui comptaient sur la bourgeoisie libérale en Russie. Mais dans la mesure où la stratégie de Trotsky différait de celle de Lénine, elle sous-évaluait l'alliance des ouvriers avec la paysannerie en général - ses couches pauvres, moyennes et supérieures - dans la lutte contre le tsarisme et les grands propriétaires fonciers en Russie. Elle présentait une vue moins juste sur la manière dont la lutte de classe se déroulerait, y compris la manière dont les conflits se développeraient parmi les différentes couches de la paysannerie quand la classe ouvrière prit la direction des travailleurs agricoles et des paysans pauvres pour approfondir le cours socialiste de la révolution. Ainsi Trotsky avait une compréhension beaucoup moins juste des rapports entre les révolutions démocratique et socialiste et des forces et des tâches de classe du prolétariat dans la transition des tâches démocratiques aux tâches socialistes.
S'il n'y a pas une correspondance immédiate entre une stratégie générale et des positions politiques concrètes, une erreur stratégique laissée sans correction sur toute une période suscitera des positions politiques fausses. Durant quelque quinze années d'activité avant 1917, Trotsky fit d'importantes erreurs politiques à propos du programme agraire du prolétariat révolutionnaire, de sa méthode dans le combat contre l'oppression nationale, et de sa politique dans la lutte contre la guerre impérialiste. Trotsky fit une erreur en voyant la fermeté politique et la discipline organisationnelle des Bolcheviks comme des preuves de sectarisme, de fractionnalisme et de manque de souplesse, alors que lui-même était conciliant envers les Mencheviks et politiquement s'adaptait à eux dans d'importantes conjonctures de la lutte de classe.
II y a un troisième contenu que notre mouvement a donné à la révolution permanente. Entre 1928 et 1940 alors que Trotsky était encore en vie, et depuis nous avons utilisé le terme de révolution permanente pour décrire les positions de notre mouvement, en particulier celles qui ont trait à la lutte de classe dans les nations opprimées, qui sont uniquement basées sur les positions stratégiques de Trotsky dans la période pré-1917, en les opposant à celles des Bolcheviks.
Cet usage du terme pose le plus grand problème politique parce qu'il a introduit des faiblesses dans notre mouvement associées avec les théories incorrectes de Trotsky d'avant 1917. Surtout cette théorie a conduit à mettre l'accent exclusivement sur l'alliance du prolétariat avec les ouvriers agricoles et les paysans pauvres - ce qui représente sans doute une tâche centrale à la campagne - et à exclure la nécessité centrale de l'alliance du prolétariat avec les couches les plus larges possibles de producteurs ruraux, dans le combat contre l'impérialisme et les régimes capitalistes propriétaires terriens du monde colonial. La lutte de classes depuis la Deuxième Guerre mondiale, spécialement dans cet hémisphère depuis 1959, devrait nous convaincre : tous ceux qui sont identifiés comme trotskystes et qui se sont basés sur les faiblesses contenues dans la théorie de Trotsky sur la révolution permanente ont ouvert la porte à des déviations gauchistes et à des erreurs politiques sectaires.
Aujourd'hui, la révolution permanente ne contribue pas à nous armer, ni nous ni les autres révolutionnaires pour conduire la classe ouvrière et ses alliés vers la prise du pouvoir ; elle ne sert pas à utiliser ce pouvoir pour avancer vers la révolution socialiste mondiale. En tant que cadre spécial ou unique de référence, la révolution permanente est un obstacle qui nous empêche de renouer notre continuité politique avec Marx, Engels, Lénine et les quatre premiers congrès de l'internationale Communiste. Elle est un obstacle pour notre retour vers une lecture objective des maîtres du marxisme, en particulier les écrits de Lénine.
Si nous devons apprendre ce que nous pouvons apprendre dans ce processus de convergence politique qui est en train de se produire parmi les révolutionnaires prolétariens dans le monde d'aujourd'hui et y apporter les contributions politiques énormes de Trotsky, alors notre mouvement doit rejeter la révolution permanente » .
Ce long passage du texte de Barnes résume donc assez bien l'ensemble de l'article qui a pour but de se démarquer et de la révolution permanente et du trotskysme. Barnes écrit plus loin que « il est convaincu que l'adhésion de notre mouvement à la théorie de Trotsky de la révolution permanente depuis 1928 » est l'une des raisons essentielles des erreurs de la IVe Internationale, en particulier ses erreurs « sectaires et ultra-gauches » . En conclusion d'ailleurs il affirme : « La plupart d'entre nous n'appelleront plus notre mouvement « trotskyste » avant la fin de cette décennie, comme d'ailleurs Trotsky ne le fit jamais lui-même. Nous au Socialist Workers Party, comme Trotsky, sommes des communistes » .
II nous faut certes nous souvenir, pour tenter de comprendre le sens de cette polémique et ses tenants et aboutissants, de la manière dont la IVe Internationale tout entière a utilisé (pour parler comme Barnes) la théorie de la révolution permanente. Non pas comme un guide stratégique (toujours pour parler comme Barnes) qui devrait servir à guider la politique d'un parti ouvrier révolutionnaire dans un pays sous-développé, mais comme une espèce de mètre-étalon qui permettrait de juger du degré plus ou moins ouvrier de telle ou telle révolution, menée par d'autres et sans la moindre intervention dans celle-ci des trotskystes. (Nous reviendrons d'ailleurs prochainement dans la Lutte de Classe sur ce sujet).
Mais ce n'est pas davantage le problème de l'intervention des trotskystes dans les pays sous-développés qui est la préoccupation de Barnes.
S'il rejette la théorie de la révolution permanente c'est parce que les exemples de Cuba (et aussi aujourd'hui du Nicaragua et de Grenade), ou encore du Vietnam ou de la Chine, auraient démontré qu'avant l'établissement de la dictature du prolétariat dans ces pays (parce que, pour Barnes, il y a là des États ouvriers), les révolutions seraient passées obligatoirement par une phase de « gouvernement ouvrier et paysan ».
En fait, c'est dire là tout simplement ce que ces régimes disent eux-mêmes de leur propre histoire, avec d'autres mots quelquefois et encore pas toujours. En gros d'ailleurs, ce que le SWP appelle la phase du « gouvernement ouvrier et paysan » c'est simplement la première phase du nouveau régime quand Castro ou Mao étaient déjà au pouvoir mais qu'il n'y avait pas encore eu la complète nationalisation de l'industrie. C'est ce qui lui a permis de faire une découverte sensationnelle : la révolution russe aussi a eu son « gouvernement ouvrier et paysan » d'octobre 1917 à l'été 1918, la dictature du prolétariat ne s'étant instaurée qu'à cette date.
II est vrai que le Secrétariat Unifié utilise à peu près les mêmes catégories pour décrire l'évolution des révolutions cubaine ou chinoise. A Cuba par exemple, selon le SU, il y a eu un gouvernement de coalition capitaliste depuis l'entrée de Castro à La Havane en janvier 59 jusqu'à l'été 59. A ce moment-là Castro changeant le président de la République et Che Guevara prenant la tête de la banque nationale, on a eu un gouvernement ouvrier et paysan. Celui-ci est devenu un État ouvrier dans l'été 1960 quand Castro, toujours lui bien sûr, décida de procéder aux grandes nationalisations.
Pour les camarades du SU donc, aucun problème : exactement les mêmes hommes, exactement le même parti, peuvent tour à tour représenter une coalition capitaliste, puis un gouvernement ouvrier et paysan, puis la dictature du prolétariat ; pour passer de l'un à l'autre, il suffit de changer un directeur de banque ou de nationaliser largement ; les rapports des classes réelles dans la vie sociale et politique du pays n'ont aucune espèce d'importance, ils peuvent même ne pas bouger pendant toute cette « révolution ».
La différence entre Mandel et Barnes c'est que pour le premier une telle évolution ne contredit nullement la théorie de la révolution permanente, celle-ci lui donnant au contraire la clé et l'explication des phénomènes chinois ou cubains. Barnes lui, au contraire, au nom de la même vision des choses, a décidé que la révolution permanente était à mettre aux orties. Et comme il lui fallait sans doute s'accrocher à une théorie, il a été ressortir les écrits de Lénine d'avant 1917, envisageant pour la Russie une dictature démocratique des ouvriers et des paysans. Peu importe que tout cela ait été rejeté par l'histoire et par Lénine lui-même. Il suffit de réécrire l'histoire. Et le nom de Lénine a l'avantage d'être bien vu des castristes quand celui de Trotsky sent le soufre.
Pour apprécier les ravages que peut produire une certaine logique formelle, sans rapport avec les réalités sociales et politiques, notons que le SWP ayant tiré la conclusion que, dans toute révolution, il y a obligatoirement une phase de « gouvernement ouvrier et paysan », a décidé de changer son programme pour les États-Unis eux-mêmes. Il avait pour mot d'ordre jusqu'ici « Pour un gouvernement ouvrier », il a décidé d'adopter celui de « Pour un gouvernement ouvrier et paysan ». Certes il n'y a pratiquement plus de paysans aux États-Unis ! Mais, après tout, s'il peut y avoir des dictatures du prolétariat sans que le prolétariat ait ou n'ait jamais eu la moindre parcelle du pouvoir, il peut bien y avoir un gouvernement ouvrier et paysan... même s'il n'y a plus de paysans.
Cuba : les nouveaux bolcheviks ?
Toute cette discussion théorique entre le Secrétariat Unifié et le SWP peut sembler un peu comme celles des talmudistes ou des scholastiques du Moyen-Âge : la dispute sur le sexe des anges qu'aucun théologien n'avait jamais vu y est simplement remplacée par celle sur la nature des États ou des gouvernements qu'aucun trotskyste n'a jamais approchés. Et, à vrai dire, elle ne prend de sens que lorsque l'on comprend qu'il s'agit de justifier des prises de positions politiques à propos de Cuba.
Le SWP et le SU considèrent tous deux, nous le savons, que Cuba est un État ouvrier. Le SU ajoute « à déformations bureaucratiques » . Pas « bureaucratisé » ni dégénéré comme l'URSS, ni déformé comme les Démocraties Populaires, la Chine ou le Vietnam, nuance. Le SU « n'appelle pas à la révolution politique à Cuba » . Il considère qu'il n'y a nullement besoin d'une révolution politique à Cuba, contrairement à l'URSS, la Chine, le Vietnam et les Démocraties Populaires, mais seulement de réformes pour y installer une véritable démocratie ouvrière, car il n'y a pas de véritable bureaucratie et qu'elle n'est qu'en formation. En conséquence de quoi le SU n'est pas non plus pour la création d'une section cubaine de la IVe Internationale. D'après lui, d'éventuels militants trostkystes cubains devraient militer à l'intérieur du Parti Communiste Cubain, le parti castriste. En fait, les quelques militants trotskystes qui existaient réellement quand Castro est venu au pouvoir ont surtout eu le loisir de militer dans les prisons castristes. Mais pas plus que le prolétariat réel entre en ligne de compte lorsqu'il s'agit de définir une dictature du prolétariat, ou les paysans réels pour un gouvernement ouvrier et paysan... pourquoi se préoccuperait-on des militants trotskystes réels dans la définition d'une politique de la IVe Internationale !
Ceci dit, le SU critique la politique de Castro. II lui reproche, par exemple, de soutenir la politique réactionnaire du Kremlin en particulier contre les travailleurs polonais ou encore le peuple tchécoslovaque, d'avoir un internationalisme limité, au mieux, à certains pays d'Amérique latine, de soutenir des gouvernements réactionnaires capitalistes dans le Tiers-Monde, en Amérique ou en Afrique, de n'avoir pas créé une véritable démocratie ouvrière à Cuba.
Le SWP, lui, n'a plus que des louanges pour la direction cubaine. Quand il parle de ses faiblesses - car il doit bien tout de même lui reconnaître un penchant à soutenir les bureaucrates russes ou polonais contre les ouvriers, ou encore une tendance à se passer de toute consultation de la classe ouvrière cubaine - c'est pour les excuser.
En fait pour Barnes, Castro est un marxiste révolutionnaire prolétarien et les castristes sont, tout simplement, les nouveaux Bolcheviks : « Ce qui est arrivé depuis 1959 à Cuba, et depuis 1979à Grenade et au Nicaragua est quelque chose qui n'était pas arrivé depuis la période 1917-1923 en Russie : des révolutions victorieuses conduites par des forces consciemment engagées dans l'organisation et la mobilisation des ouvriers et des paysans pauvres pour renverser les rapports de propriété capitalistes, réorganiser la société selon des lignes socialistes, et aider les autres à travers le monde qui cherchent à renverser l'exploitation et la domination impérialistes. Ce développement représente la renaissance de la continuité politique du marxisme au niveau de partis politiques dirigeant les travailleurs dans l'exercice du pouvoir d'État » .
A partir de là on comprend que le but affiché du SWP soit maintenant d'aller vers la création d'une « internationale léniniste de masse » avec les Cubains, les Nicaraguayens et les Grenadins. S'il s'agit bien des nouveaux Bolcheviks, si Castro, Ortega ou Bishop sont des marxistes prolétariens révolutionnaires, c'est assez logique. La IVe Internationale n'a plus qu'à se fondre avec eux ou plutôt, à vrai dire, vu le rapport des forces, à se mettre à leur service.
C'est cela que refuse le SU, soulignant les grandes divergences politiques des trotskystes avec les castristes, et de plus, faisant observer à juste titre, que l'une des difficultés pour créer une internationale avec les Cubains, c'est d'abord que les Cubains eux-mêmes... n'en veulent pas et n'ont rien à faire d'une internationale.
Que veut le SWP ?
Nous en sommes donc là. Tout le SU est en réalité pro-cubain, mais le SWP l'est absolument sans réserve, alors que le SU reste critique. Lui se refuse à dire que la direction cubaine est marxiste prolétarienne révolutionnaire. Lui aussi serait d'accord pour « chercher un accord de Front Unique » avec elle, mais il n'en est pas à en faire malgré elle la nouvelle direction de l'internationale.
Que vise donc le SWP dans tout cela ?
La seule explication que nous puissions trouver c'est que le SWP cherche à être reconnu comme le porte-parole des Cubains (et des Nicaraguayens et des Grenadins) aux États-Unis. Et comme les Cubains sont officiellement des pro-Moscou bon teint, il lui faut se débarrasser de l'étiquette trotskyste pour avoir la moindre chance d'être admis par eux. C'est ce que le SWP commence à faire sur le plan des idées en jetant par-dessus bord la révolution permanente (même dans la façon dont le SU l'a traditionnellement comprise) et, sur le plan de l'organisation, en coupant avec le reste du mouvement trotskyste et de la IVe Internationale. « En fait, écrit Barnes, un nombre substantiel d'organisations qui s'intitulent elles-mêmes trotskystes sont des sectaires irrémédiables et sans espoir. Probablement quatre-vingt pour cent de ceux qui, à l'échelle mondiale, se présentent eux-mêmes comme trotskystes - peut-être est-ce soixante-dix pour cent, peut-être quatre-vingt-dix pour cent - sont des sectaires irréformables » .
Le SWP peut-il réussir sa petite opération ? Nous ignorons évidemment quels sont les liens exacts qu'il peut avoir aujourd'hui avec les Cubains et les Nicaraguayens. Le fait que dans le premier numéro de New International, fait pour prouver les convergences, il ait dû se contenter d'imprimer un article vieux de douze ans, paru déjà dans d'autres publications, ne prouve certes pas que les Cubains soient prêts à établir avec lui des liens privilégiés, ou même des liens tout court.
II nous semblerait à vrai dire que Castro n'a guère intérêt à donner particulièrement sa bénédiction à un petit groupe politique sans guère d'influence aux États-Unis. S'il n'a aucune raison pour l'empêcher de défendre Cuba évidemment, il n'a aucune raison de privilégier celui-là parmi les autres groupes de gauche qui peuvent se réclamer de lui de la même façon, à commencer par le PC américain lui-même. Castro défend les intérêts de l'État cubain et, comme tout nationaliste, il est à la recherche de tous les appuis possibles à l'extérieur, les plus puissants étant a priori les meilleurs, quelle que soit par ailleurs leur nature politique. De ce point de vue, malheureusement pour lui, le SWP n'est pas le mieux placé. Quant à l'espoir de voir Castro prendre la tête d'une internationale révolutionnaire, il est évidemment complètement illusoire. S'il avait dû le faire il n'aurait pas attendu vingt-cinq ans à la tête de l'État cubain pour cela. C'est aussi illusoire que l'était l'espoir des prochinois dans les années 60 de voir Mao refonder une internationale communiste. Et le SWP risque bien un jour de revenir de sa passion pro-cubaine comme tant de maoïstes sont revenus de leur passion pour la Chine. Mais en attendant il semble prêt à tous les reniements pour tenter de se faire accepter des castristes.
D'une certaine façon, bien sûr, on pourrait dire que le SWP ne fait que tirer la conclusion logique des positions du SU : s'il était vrai que Castro a fondé un État ouvrier même avec des « déformations bureaucratiques », s'il était vrai qu'à Cuba il n'y a nul besoin d'une section de la IVe Internationale, le parti castriste faisant l'affaire, alors ne serait-il pas logique de fonder l'internationale avec le parti cubain ?
Le SU reste cependant assez conscient de la réalité du castrisme pour garder des distances politiques, quitte àse trouver dans une position intellectuellement contradictoire. Le SWP, lui, pour sortir de cette position contradictoire, a tout simplement trouvé de rompre avec le trotskysme.
Bien entendu, cette nouvelle cassure qui s'annonce dans le mouvement trotskyste, et la dérive prévisible de ce qui avait été jusqu'ici une de ses composantes essentielles, le parti américain, ne nous réjouit pas. On peut toujours espérer encore que le SWP s'arrête sur la pente où il s'est engagé et fasse machine arrière. Mais si nous sommes d'un côté dans cette affaire c'est évidemment celui du SU qui, malgré les divergences qui nous séparent, se maintient au moins sur le terrain du trotskysme.