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Le PCF prêt à aller jusqu'au bout de la collaboration gouvernementale
Lors du remaniement gouvernemental consécutif aux élections municipales, Pierre Mauroy a redonné au Parti Communiste Français pratiquement la même place que celle dont il disposait dans le précédent gouvernement : une toute petite place - deux ministères et deux secrétariats d'État - suffisantes pour lier les mains du Parti Communiste Français par le biais de la solidarité gouvernementale.
La participation du PCF est donc reconduite. Le dernier Comité Central du PCF qui s'est tenu à la fin du mois d'avril aura dissipé tous les doutes sur la détermination du Parti à rester au gouvernement tant qu'on lui offrira une place.
Au cours de cette dernière session de l'instance dirigeante de son parti, Georges Marchais s'est en effet encore félicité du bilan du gouvernement PS-PCF, affirmant qu'il fallait continuer dans la voie de « la réalisation du contrat conclu en 1981 avec nos partenaires » et de « la mise en oeuvre progressive des changements dont le pays a besoin ». Et il a affirmé que d'ailleurs « tous les communistes se félicitent de l'activité des ministres communistes ».
Malgré son optimisme affiché, la direction du PCF éprouve sans doute mieux que quiconque combien la solidarité gouvernementale avec Mitterrand et Mauroy met souvent le Parti dans des positions inconfortables. Elle peut s'attendre à ce que, de ce point de vue, les choses n'aillent pas en s'améliorant, qu'elle ait à payer un prix toujours plus élevé, si la direction du PCF se montre aujourd'hui prête à aller jusqu'au bout de l'expérience de collaboration gouvernementale, c'est en connaissance de cause.
Le PCF au régime des « couleuvres »
Le nouveau gouvernement à peine formé, son chef montrait qu'il entendait ne pas prendre de gants avec le PC. Le premier ministre ne s'est pas borné à annoncer un nouveau plan d'austérité dont il avait pourtant nié l'éventualité à la veille des élections municipales. Il s'est fait autoriser par sa majorité parlementaire à promulguer ce plan par voie d'ordonnances. C'était retirer aux députés du PCF - et d'ailleurs aussi du PS - toute possibilité de discuter, voire d'amender le plan de rigueur lors du débat parlementaire. Alors que le PCF avait justement annoncé auparavant son intention de proposer des amendements allant dans le sens de ce qu'il nommait « l'amélioration » de ce plan, ses députés se sont vus contraints de voter le projet de loi autorisant le gouvernement Mauroy à légiférer par ordonnance, se dessaisissant ainsi eux-mêmes de toute possibilité de mener ne serait-ce qu'un simulacre de contestation de la « rigueur » gouvernementale.
En donnant délibérément un caractère spectaculaire à l'expulsion de 47 diplomates et fonctionnaires soviétiques de France, accusés d'espionnage, Mitterrand et Mauroy ont fait avaler une autre couleuvre au PCF, tout en faisant la démonstration que leur atlantisme est entier malgré la présence de ministres communistes dans leur gouvernement. Mitterrand et Mauroy ont choisi ce terrain bien grossier, bien propre à faire sensation, de l'anti-communisme et de l'anti-soviétisme mariés au roman d'espionnage.
Pour frapper et rassurer l'opinion publique bourgeoise de façon à ce que le plus obtus et le plus aveugle des petits-bourgeois comprennent bien que le PCF est là pour accepter ce que fait Mitterrand et n'a aucun moyen de lui faire accepter quoi que ce soit... C'est cette démonstration publique et grossière de sa soumission que le PCF s'est vu contraint d'accepter sans rien dire.
Une marge de manoeuvre réduite
Depuis qu'il est au gouvernement, le PCF a cherché à éprouver à plusieurs reprises la marge de manoeuvre dont il disposait à l'égard du gouvernement. Vis-à-vis de ses militants, de sa base électorale et de sa base ouvrière, il a besoin d'abord de montrer que ses ministres jouent un rôle positif ou alors que, s'ils ne font pas plus, si la politique du gouvernement n'est pas plus favorable aux travailleurs, c'est que le rapport de forces au sein du gouvernement et de l'Assemblée n'est pas favorable au PCF. II s'agit aussi, pour lui, de montrer que son soutien au gouvernement est un « soutien critique ». Pour tenter de sauvegarder sa propre assise, ses propres intérêts électoraux, le PCF a besoin de marquer sa différence ce qui est aussi un moyen de laisser entendre que tout irait mieux si le PCF disposait d'une plus grande force électorale et parlementaire.
Mais c'est seulement sur des points relativement mineurs que le PCF jusqu'à présent s'est senti autorisé à se démarquer de façon visible.
On a vu les députés du PCF refuser de voter avec ceux du PS lors d'un vote concernant l'impôt sur la fortune, parce que celui-ci avait été vidé de son contenu après la décision de Mitterrand de ne pas l'appliquer aux oeuvres d'art. Le PCF a également refusé de voter une loi concernant le statut de l'audiovisuel. Ces abstentions ne changent rien, mais elles sont rares et sur des points mineurs.
Le premier « plan de rigueur » du gouvernement Mauroy, mis en place en juin 1982 et comportant essentiellement un blocage des prix et des revenus, a été aussi l'occasion pour le PC d'exprimer une légère réserve. Le groupe communiste à l'Assemblée Nationale a annoncé son intention de ne pas voter le projet de loi instituant ce blocage des salaires et des revenus. Le Premier ministre a alors décidé d'engager la responsabilité de son gouvernement sur cette loi, procédure qui évita d'avoir recours à un vote. II a ainsi évité au PCF d'avoir à choisir entre se déjuger publiquement et voter la loi, ou bien ne pas la voter et se mettre ainsi en position délicate vis-à-vis du gouvernement qu'il soutenait.
Ces quelques gestes d'indépendance bien limités n'étaient que de dérisoires coquetteries de la part d'un parti qui affirmait de toute façon sa solidarité avec le gouvernement.
Mais, dans la mise en oeuvre du second plan de rigueur, en ce printemps 1983, Mitterrand et Mauroy n'auront même pas permis au PCF un simulacre d'indépendance. Non seulement la procédure des ordonnances a été choisie pour empêcher le groupe parlementaire du PCF de déposer le moindre amendement au plan de rigueur-même sous prétexte de « l'améliorer et le compléter » comme l'ont dit les dirigeants du PCF- de plus, le PCF a été contraint de voter pour se dessaisir lui-même de toute discussion de ce plan, alors que, dans un premier temps, il avait affirmé son désaccord avec la procédure des ordonnances.
En échange de cette reculade, le gouvernement Mauroy n'a offert au PCF qu'un alibi bien maigre. Celui-ci a été fourni par la lettre adressée le 11 avril par Pierre Mauroy aux présidents des groupes socialiste et communiste de l'Assemblée, précisant quelques « assouplissements » au plan de rigueur. Ces « assouplissements » en fait n'en étaient pas : il allait de soi par exemple, que les contribuables redevables de moins de 270 F d'impôts sur le revenu qui sont actuellement dispensés de le payer, seraient du même coup dispensés de payer la contribution de 1 % du revenu imposable instituée par le plan de rigueur.
Le président du groupe communiste à l'Assemblée, André Lajoinie, a dû s'en contenter pour justifier que finalement le groupe PCF vote le projet de loi instituant les ordonnances, se disant rassuré sur les intentions du gouvernement « d'améliorer et compléter » le plan de rigueur. Tout au plus, pour tenter de montrer son indépendance, le PCF a-t-il pu se livrer à une petite comédie durant la journée du 11 avril, faisant durer quelques heures l'incertitude quant à la décision - voter ou non les ordonnances - que prendraient finalement les députés du PC.
Cette comédie donne l'exacte mesure de la marge de manoeuvre que Mitterrand et Mauroy laissent aujourd'hui au PCF. Elle est encore réduite, s'il était possible, et ne lui laisse place que pour quelques contorsions dérisoires qui ne donnent le change à personne.
Mitterrand mène à l'égard du PC une politique conséquente. II avait naguère annoncé qu'il entendait réduire l'influence du PC. Il l'a commencé pendant les années de montée de l'Union de la gauche vers le pouvoir. Il a ramené en 1981 l'influence électorale du PCF loin en arrière. Eh bien, il continue aujourd'hui en associant le Parti au gouvernement, en l'obligeant à assumer devant sa base ouvrière une politique d'austérité impopulaire, en l'amenant ainsi à démoraliser ses propres militants.
Mitterrand tient à réadministrer périodiquement la preuve, de façon éclatante, que le PCF est au gouvernement à ses conditions. II sait bien que la confiance que peut lui faire la bourgeoisie française dépend de cela. C'est pourquoi il recommence, à l'usage de la bourgeoisie, la démonstration qu'il peut demander au PCF de mettre à son service toute son influence, tout le poids qu'il possède dans la classe ouvrière, pour tenter de faire accepter à celle-ci les conséquences de la crise, qu'il peut faire ainsi du PC un instrument fort utile pour la bourgeoisie en cette période de crise, sans pour autant être obligé de lui céder quoi que ce soit.
Et l'attitude de la direction du PC montre qu'elle comprend fort bien ce qu'on lui demande, et s'y plie finalement sans discuter.
La seule ressource du PCF : peindre en rose l'austérité
Cet engagement du PCF dans un gouvernement qui mène une politique toujours plus ouvertement anti-ouvrière soulève un trouble et des interrogations certains au sein du Parti. Les échos en sont nombreux pour quia tant soit peu des rapports avec les militants du PCF, en particulier dans les entreprises. Mais la direction du PCF l'a aussi reconnu d'une façon implicite. Dans la déclaration du Bureau Politique du 17 mars, qui a suivi les élections municipales, celui-ci a invité de façon un peu inhabituelle les instances locales du Parti à se réunir pour discuter des résultats électoraux et « des implications qui en découlent », et reporté à la fin avril la session du Comité Central afin, selon lui, qu'il bénéficie « de la réflexion collective des communistes ». Enfin, lorsque ce Comité Central s'est réuni le 20 avril, Georges Marchais a indiqué que « à propos du plan de rigueur, les communistes, tout en approuvant massivement l'attitude de leur Parti face à cette question, ont exprimé leur mécontentement devant le contenu des mesures gouvernementales ». Puis il a dénoncé « l'insuffisance de notre travail dans les entreprises », appelant le PCF à donner la priorité à ce travail, ainsi qu'à celui dirigé vers la jeunesse. « Un vaste champ s'offre à notre action », a plaidé Georges Marchais, appelant les militants selon ses termes, à « aller vers les gens » pour montrer les « avancées positives » que contient la politique du gouvernement. II a affirmé enfin que « aucune fédération, aucune section, aucune cellule, n'a remis en cause notre participation au gouvernement ». Ce qui, dans la langue des dirigeants du PCF, semble bien vouloir dire que le problème a été largement posé par nombre de militants.
Ainsi, aux militants qui se posent des questions sur la politique du Parti, la direction de celui-ci répond qu'il n'est pas question d'en changer, que le PCF restera au gouvernement et que, si les militants du Parti ont des difficultés à s'expliquer devant les travailleurs et ressentent leur mécontentement, c'est tout simplement qu'ils ne sont pas suffisamment « allés vers les gens » pour leur expliquer tout ce que, selon elle, l'action du gouvernement aurait de positif. Georges Marchais cherche même à les convaincre que, grâce au gouvernement de gauche, « l'intervention populaire est plus efficace aujourd'hui », et que « il est normalement plus facile d'agir et d'être entendu aujourd'hui qu'hier » !
On peut évidemment douter que cette perspective « d'aller vers les gens », au moment où le gouvernement du PS et du PCF met en place un plan de rigueur ouvertement anti-ouvrier, soit de nature à vaincre la morosité, les doutes, le découragement que connaissent les militants du Parti. Mais la direction du PCF leur fait en tout cas savoir qu'il n'y a rien à espérer d'autre et que c'est à eux de se débrouiller pour assumer, devant les masses populaires, les conséquences de la politique gouvernementale, à eux de tenter, s'ils le peuvent, de peindre de couleurs roses et alléchantes cette politique plutôt sombre. II ne fait au fond que transmettre aux militants du PCF les conditions que leur fait Mitterrand.
Un choix de réformistes conséquents
Cette politique du PCF, à bien des égards, peut sembler suicidaire. C'est le PCF qui, des deux partis de gauche, est de loin le parti le plus implanté dans la classe ouvrière, celui qui organise les travailleurs les plus conscients, les plus combatifs. C'est la classe ouvrière qui paie le plus cher les conséquences de la crise et de l'austérité. C'est dire que, des deux appareils réformistes du PCF et du PS, c'est celui du PCF qui risque de perdre le plus d'influence, le plus de militants, le plus de forces, dans cette défense à tout crin de la politique d'austérité. C'est pourtant lui qui se voit réduit, dans le gouvernement, à la portion congrue. C'est à lui que Mitterrand impose les démonstrations de soumission les plus vexantes.
Le choix des dirigeants du PCF de demeurer au gouvernement, de se plier à toutes ces conditions, est pourtant parfaitement logique.
Cela fait bien longtemps que le PCF a cessé d'être un parti révolutionnaire prolétarien pour devenir un simple parti réformiste, gestionnaire de la société bourgeoise au niveau des municipalités, des Comités d'Entreprise, de la bureaucratie ouvrière des syndicats. Son objectif est depuis longtemps d'être reconnu par la bourgeoisie comme un « parti de gouvernement » à part entière, admis à gérer la société bourgeoise au plus haut niveau, au niveau gouvernemental. Et pourtant, dans son histoire, le PCF n'a été admis au gouvernement qu'à deux occasions : celle, exceptionnelle, qui va de 1944 à 1947, au lendemain de la « Libération », et celle qui dure maintenant depuis juin 1981.
En réformistes conséquents, les dirigeants du PCF savent bien qu'ils n'ont pas le choix du moment ni des conditions de leur participation gouvernementale. La bourgeoisie française, jusqu'à présent, a montré une profonde réticence à admettre leur parti comme parti de gouvernement. Les circonstances de la victoire de Mitterrand en 1981 et la politique de celui-ci leur en ont entrouvert la porte. Ils ont donc saisi cette fragile opportunité et sont prêts à s'y accrocher aussi longtemps qu'elle existera. Et ils savent bien qu'en retour ils doivent montrer la capacité du PCF à assurer la « paix sociale », à faire admettre aux travailleurs la politique de la bourgeoisie, à leur faire accepter sans mot dire les « efforts », les « sacrifices », la « rigueur », « l'austérité », réclamés par la bourgeoisie. Et cela, même si l'influence du PCF doit s'y user.
Se dérober, refuser de participer au gouvernement de Mitterrand au moment où celui-ci le leur demande serait, de la part des dirigeants du PCF, tout aussi suicidaire : ce serait se fermer la voie qui mène au gouvernement. Ce serait, de plus, laisser toute la place à l'appareil réformiste concurrent, celui du PS, et choisir pour le leur un autre genre de mort. Car un appareil réformiste condamné à l'opposition ne peut, à long terme, que s'y user et y perdre de sa crédibilité. De cela aussi, les dirigeants du PCF ont largement fait l'expérience, comme continuent à le faire d'autres dirigeants de PC occidentaux.
Le malheur pour le PCF est que la participation gouvernementale ne lui aura été permise qu'en période de crise économique, au moment justement où elle ne peut se traduire par aucune contrepartie, aucune « conquête » d'importance, qu'il pourrait mettre en valeur auprès de sa base ouvrière et présenter comme le résultat de sa collaboration gouvernementale.
La crise économique accroît les contradictions entre les partis réformistes et leurs bases ouvrières. Cela est particulièrement vrai pour les partis staliniens, et pour un parti comme le PCF qui continue d'organiser une fraction d'ouvriers combatifs, dont les aspirations, même confuses, à un changement social se marient bien mal avec la réalité de la politique réformiste de leur parti en cette période. Le PCF ressent cette contradiction depuis des années. Mais l'aggravation de la crise et le fait qu'il participe au gouvernement ajoute aujourd'hui une dimension politique à cette contradiction, la rend palpable pour tous les militants du PCF et de la CGT sincèrement attachés aux intérêts de la classe ouvrière et crée peut-être les conditions pour que, pour un certain nombre d'entre eux, cette situation entraîne une prise de conscience politique, et non le simple découragement.