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Le Parti Communiste au pouvoir... de Mitterrand
Pour la deuxième fois de sa longue histoire, et près de 40 ans après la première expérience du genre - de 1944 à1947 - le Parti Communiste Français a des ministres. Ils sont au nombre de quatre : Charles Fiterman, ministre d'État et ministre des Transports ; Anicet Le Pors, ministre de la Fonction Publique et des réformes administratives ; Jack Ralite, ministre de la Santé et Marcel Rigout, ministre de la Formation professionnelle, qui siègent désormais aux côtés des 39 autres ministres ou secrétaires d'État du second ministère du socialiste Pierre Mauroy.
L'événement est remarquable. Les bourgeoisies du monde occidental n'ont jusqu'à présent toléré que dans des circonstances très rares et exceptionnelles, et pour pas longtemps, des membres de Partis Communistes dans leurs gouvernements. Et l'événement est d'autant plus remarquable, aujourd'hui, en France, qu'il arrive paradoxalement au moment où le Parti Communiste Français vient d'accuser un sérieux recul électoral. Au moment où, aux présidentielles comme aux législatives, la baisse s'est confirmée, il a réalisé un score - environ 16 % des suffrages exprimés - plus bas que ce qu'il avait jamais fait depuis la dernière guerre.
Mitterrand aurait probablement pu obtenir le soutien du Parti Communiste à sa politique sans l'associer pour autant au gouvernement. En 1936-37 ainsi que dans les premiers mois de l'année 1956, le PCF a déjà pratiqué cette politique de « soutien sans participation »... parce qu'on ne lui offrait pas la possibilité de participer.
Des questions se posent. Pourquoi et comment ce recul du Parti Communiste sur le plan électoral et parlementaire - près de 2 millions d'électeurs de moins qu'aux législatives de 1978 et deux fois moins de députés ? Et du fait de la conjonction de ces deux faits historiques - la sérieuse perte d'influence électorale et parlementaire du PCF et sa présence nouvelle au gouvernement - quelle politique va désormais mener le Parti Communiste ?
L'affaiblissement électoral du PCF confirmé par les législatives
Au premier tour de l'élection présidentielle d'avril-mai dernier, le candidat du Parti Communiste Georges Marchais recueillait 4 456 922 voix, soit 15,34 % des suffrages exprimés. Mais par rapport au premier tour des élections législatives de 1978, où les candidats du Parti Communiste avaient rassemblé 5 870 402 voix, soit 20,55 % des suffrages exprimés, la perte était considérable : 1 413 480 électeurs de moins et une perte de 5 % des suffrages exprimés.
Les résultats des législatives ont confirmé qu'il ne s'agissait pas d'un recul accidentel dû aux caractéristiques particulières de l'élection présidentielle. Les candidats du Parti Communiste ont recueilli 4 065 540 voix, soit 16,17 % des suffrages exprimés. Et si le pourcentage des suffrages exprimés est légèrement plus élevé que pour le premier tour des présidentielles, le Parti Communiste recule encore en quelques semaines de 400 000 voix.
L'affaire est donc nettement plus sérieuse. D'une élection législative à l'autre, de 1978 à l981, le Parti Communiste a perdu 1 804 862 voix en faveur essentiellement du Parti Socialiste, et un peu plus de 4 % des suffrages exprimés. Et de déplacement devient indéniablement un fait politique.
Les dirigeants du Parti Communiste, après la confirmation de leur recul, ont invoqué l'effet néfaste du « vote utile », cette fois au niveau des circonscriptions électorales. Devant le comité central du PC, réuni le 26 juin, Marchais expliquait que « d'une façon générale, nous progressons ou nous maintenons notre influence lorsque nos positions étaient fortes et qu'ainsi nos candidats sont apparus comme les mieux placés pour battre la droite. C'est notamment le cas de nos députés sortants : ils obtiennent tous un score supérieur à notre résultat de l'élection présidentielle, et près d'un tiers d'entre eux atteignent ou dépassent leurs résultats de 1978. Un grand nombre de ceux qui ne sont pas réélus ne sont pas tant battus que dépassés du fait de la poussée socialiste » .
C'est évidemment là où le Parti Communiste était le plus fort, dans des circonscriptions réputées comme ses bastions, qu'il a le moins perdu. Mais même en prenant la déclaration de Marchais pour argent comptant, c'est encore une façon élégante de dire que, même dans ces circonscriptions favorables, plus des deux tiers des candidats perdent des voix par rapport à 1978.
En fait, c'est la politique d'Union de la gauche du Parti Communiste suivie de la période anti-unitaire de ces trois dernières années qui est la cause directe et essentielle de la sérieuse perte de voix du PCF
Rappelons que l'émergence du « fait présidentiel » que les dirigeants du PC déplorent aujourd'hui, ce raz-de-marée en faveur de Mitterrand aux présidentielles, puis en faveur du Parti Socialiste, devenu le parti du président aux législatives, a été préparée par le Parti Communiste. En acceptant dès 1965 que Mitterrand soit le candidat unique de la gauche, les dirigeants du Parti Communiste, bien avant ceux du Parti Socialiste, ont engendré la situation d'aujourd'hui, et la victoire de Mitterrand et du parti qu'il a requinqué entre temps pour avoir un appareil à opposer à celui du Parti Communiste.
Parce que le Parti Communiste est depuis des décennies un parti réformiste, qui n'a d'autre perspective que d'être associé au jeu politique ordinaire des démocraties bourgeoises, avoir des députés et surtout des ministres, et parce que malgré sa force électorale d'hier, même quand il était encore le plus grand parti de France, il ne pouvait atteindre ce but autrement que par le truchement de l'alliance avec d'autres forces politiques, le Parti Communiste a persévéré dans la recherche de telles alliances. En 1974, il s'est encore effacé derrière le Parti Socialiste au premier tour des élections présidentielles.
C'est le Parti Communiste qui a largement contribué à faire de l'homme politique bourgeois Mitterrand, même pas socialiste au départ, un homme de gauche présidentiable puis l'homme de gauche présidentiable. C'est le Parti Communiste qui a largement contribué à faire naître dans l'électorat de gauche, et jusque dans son propre électorat, ce réflexe de « vote utile » en faveur de Mitterrand.
Avant d'être prohibé, le vote pour Mitterrand a été à deux reprises une consigne du parti, à appliquer sans discuter. Devant le dernier comité central du PC, Georges Marchais a reconnu la « réalité du fait présidentiel » : « en effet, le mécanisme institutionnel, la nature même de l'élection présidentielle poussent à une bipolarisation de la vie politique, c'est-à-dire en fait à une marginalisation de toutes les forces politiques qui n'apparaissent pas comme les mieux placées pour figurer au second tour de cette élection (...). Cette « logique des institutions » s'est poursuivie et a été amplifiée lors des élections législatives qui ont eu lieu sur la lancée de l'élection présidentielle et dans le cadre du rapport de forces nouveau qu'il a créé. Elle a conduit à polariser le choix des électeurs et des électrices autour du « parti du Président » .
Et Marchais s'est même livré à une critique de l'attitude du Parti Communiste : « c'est ainsi que nous avons décidé de soutenir en 1965 la candidature de François Mitterrand, qui n'était membre ni du Parti Communiste, ni du Parti Socialiste... En 1974, dans les conditions nouvelles ouvertes par la signature du programme commun avec le Parti Socialiste, notre parti revint au soutien d'une candidature commune : celle de François Mitterrand devenu premier secrétaire du Parti Socialiste... Mais il faut bien aujourd'hui l'admettre, au lieu d'affronter ces difficultés considérables en présentant à chaque fois un candidat au premier tour, il (le parti) a cru pouvoir contourner l'obstacle en oevrant en faveur d'une candidature unique de la gauche. Cette attitude, c'est certain et nous le voyons aujourd'hui, n'a pas permis de faire face à la mise en cause de la crédibilité de notre parti dans cette bataille, devenue essentielle, de l'élection présidentielle. Elle a même contribué à nourrir chez nos électeurs l'idée du « vote utile » en faveur d'un candidat de gauche non communiste »...
Marchais conclut par une formule aussi lapidaire qu'obscure : « C'est la forme d'union que nous avions conçue qui était porteuse de ces défauts. Je dis bien la forme d'union, car il n'a jamais été question, à l'opposé de la façon tendancieuse dont certains présentent notre attitude, de renoncer à l'union de la gauche pour battre la droite, assurer la victoire et aller de l'avant. J'y reviendrai » .
Mais Marchais n'y revient pas. Mais ce qu'on comprend c'est que son propos est moins de discuter vraiment de la politique d'union de la gauche menée depuis des années par son parti que de tenter de se blanchir, par avance, lui-même des conséquences du dernier tournant en date, la rupture de 1977 qui contrairement à la politique d'union précédente, a fait ruer certains dans les brancards.
Dans les années 1975 à 1977, un certain nombre d'élections législatives partielles, cantonales puis municipales ont montré que le Parti Socialiste gagnait bien plus sur le plan électoral à la politique d'union que le Parti Communiste. Les dirigeants du PC ont tenté alors d'enrayer le phénomène en rompant l'Union de la gauche, sous divers prétextes. Mais la tentative de rééquilibrage du rapport de forces en faveur du PC, distancé parle PS, non seulement s'est soldée par un échec, mais a probablement favorisé encore la récente victoire de Mitterrand et des socialistes. Si un important déplacement de voix s'est fait de la droite vers Mitterrand - et Mitterrand avait besoin de ce déplacement-là pour remporter une victoire électorale - c'est parce que ce dernier n'était plus lié, de fait, au Parti Communiste, et attirait donc plus aisément d'ex-voix de droite. Plutôt que d'avoir porté un coup d'arrêt au phénomène de perte de vitesse du Parti Communiste, le dernier virage de la rupture a été une erreur tactique fatale au Parti Communiste. Marchais avait fait le choix d'empêcher la gauche unie de remporter les élections plutôt que de la voir victorieuse avec un rapport de forces PC-PS très défavorable au premier.
Mais il a compté sans un double phénomène dont les effets se sont ajoutés. Tout d'abord un certain glissement à droite de son propre électorat, lassé de plus des multiples volte-face de Marchais, et un certain glissement à gauche - du moins vers cette force tranquille et rassurante qu'était devenu Mitterrand séparé des communistes - d'une fraction de l'ex-électorat de droite lassé par Giscard. En favorisant ce double déplacement de voix en faveur de Mitterrand, Marchais a manifestement raté son coup.
Et il craint que les quelques-uns - dont Fiszbin et Ellenstein, pour les plus connus - qui lui avaient reproché en 1977-78 la rupture se sentant autorisés par la défaite électorale récente et le malaise général qu'elle entraîne, à relancer la polémique contre Marchais et à trouver aujourd'hui, contre le secrétaire général de nouveaux soutiens.
Alors Marchais fait remonter la critique plus loin dans le temps de telle sorte que tous les membres influents du Parti Communiste, ceux qui étaient partisans de la rupture en 1977 comme ceux qui y étaient opposés, soient rendus de la même façon responsables de l'affaiblissement actuel.
« Il convient non seulement de revenir sur la période 1977-1981, mais sur toute la période que nous venons de vivre depuis les années 1960, période marquée par la lutte pour battre le pouvoir de la droite dans le cadre de la Cinquième République ». Autrement dit il convient non seulement de discuter du dernier tournant, que certains au sein du Parti Communiste ont reproché à Marchais, mais « de toute la période » c'est-à-dire des erreurs qui ont l'avantage pour Marchais d'avoir été commises par tous.
Mais que Marchais parvienne ou pas à prouver qu'il n'est pas le seul à avoir cassé le vase de Soissons n'atténuera en rien le fait politique marquant et nouveau de l'heure : l'affaiblissement électoral considérable du parti qu'il dirige, son affaiblissement parlementaire encore renforcé par rapport aux seuls scores électoraux du fait du mode de scrutin majoritaire.
Jusqu'à la veille des élections de 1978, le PCF était resté, sur le plan électoral, le premier parti de gauche. Les élections législatives de 1978 ont marqué pour la première fois dans ce type d'élection le renversement du rapport des forces électorales entre le PS et le PC. Les législatives de 1981 amplifient le phénomène dans des proportions encore jamais atteintes.
Des ministres, parce que tel est le bon vouloir de mitterrand
C'est donc un Parti Communiste considérablement affaibli sur le plan électoral et parlementaire que Mitterrand vient d'inviter à participer au gouvernement. Un Parti Communiste auquel il a donc pu imposer avec succès une reddition sans conditions. Et le Parti Communiste franchit la porte de quelques ministères à plat ventre après avoir consenti à tous les renoncements, dont le texte de la déclaration commune du PS et du PCF publiée le 23 juin est un catalogue.
Le PCF, dans ses 131 propositions récentes, avait énuméré un certain nombre de mesures dites de justice sociale sans lesquelles aucune amélioration sérieuse ne serait apportée aux conditions de vie des travailleurs et des couches les plus pauvres. Eh bien, le Parti Communiste accepte aujourd'hui dans cette fameuse déclaration, que les mesures sociales « tiennent compte de la situation de crise, du fait que l'économie de la France est ouverte sur l'extérieur, des nécessaires équilibres économiques et financiers » .
Cela signifie que Marchais s'engage par avance à ne rien dire et ne rien faire demain contre le gouvernement, si comme les gouvernements de droite précédents, il invoque la crise internationale pour ne pas satisfaire les revendications ouvrières.
Le Parti Communiste en 1977 avait rompu les discussions de réactualisation du programme commun parce que le Parti Socialiste n'aurait pas été assez audacieux en matière de nationalisations, et que, limitées, les mesures prises n'auraient rien apporté de bon aux travailleurs. Aujourd'hui, « les deux partis considèrent que l'extension du secteur public sera une garantie de l'efficacité et de la démocratisation de la planification. Ils se déclarent d'accord pour que l'extension des modalités de l'organisation du secteur public se fasse conformément aux propositions ratifiées le 10 mai » ... c'est-à-dire conformément à la plate-forme politique de Mitterrand !
Et dans le domaine de la politique extérieure, de la même façon, le Parti Communiste abandonne tout ce à quoi jusqu'à présent il disait tenir : il est d'accord pour « soutenir l'action internationale de la France dans le respect de ses alliances » , c'est-à-dire jusqu'à nouvel ordre de ses alliances privilégiées avec les bourgeoisies occidentales et l'impérialisme américain. D'accord pour « soutenir activement la participation de la France à la CEE, à ses institutions et à ses politiques communes » , c'est-à-dire que le PCF retourne sa veste sur l'Europe et son élargissement. D'accord enfin, pour « se prononcer pour le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan et la cessation de toute ingérence étrangère » ... c'est-à-dire celle de l'URSS !
Certes, tous ces renoncements en sont sans en être. Les dirigeants du Parti Communiste ne se sont jamais vraiment préoccupés du sort de la population afghane. Pas plus aujourd'hui où ils se prononcent pour le droit du peuple afghan à choisir son régime qu'hier où ils reconnaissaient le droit de l'URSS d'imposer par la force sa solution dans le pays. Mais hier, il n'y avait rien à gagner à se désolidariser de l'URSS. La politique de Marchais consistait même sur tout et n'importe quoi à se démarquer au maximum du Parti Socialiste tandis qu'aujourd'hui, il y a des postes de ministres à gagner. C'est donc l'alignement. Les dirigeants du PC accumulent donc les pseudo-renoncements que seuls ne comprendront pas, ou mettront du temps à digérer, les militants ou sympathisants qui ont commis l'erreur de croire que les motifs de rupture ou de désaccords avec le Parti Socialiste étaient de vraies raisons, et pas de simples prétextes.
Et Mitterrand lui-même n'accorde probablement pas à tous ces retournements plus d'importance qu'ils n'en ont. Mais ils ont pour lui valeur de symbole. Ils sont le geste et la preuve d'allégeance nécessaire du PC à son égard.
Et c'est tout le fond du texte commun. Un seul paragraphe a de l'importance, celui où PS et PC affirment : « conscients des devoirs, que leur dicte la situation, les deux partis se déclarent décidés à promouvoir la politique nouvelle qu'ont choisie les Françaises et les Français en élisant François Mitterrand à la présidence de la République. Ils le feront à l'Assemblée nationale, dans le cadre de la majorité qui vient de se constituer ; ils le feront au gouvernement dans une solidarité sans faille ; ils le feront dans les collectivités locales et régionales, dans les entreprises » .
Ainsi le Parti Communiste s'engage, contre quatre postes de ministres, à rester solidaire de la politique de Mitterrand où que ce soit, au gouvernement comme dans les entreprises.
Comme dit Marchais lui-même, qui ne manque parfois pas d'humour, « je sais qu'on va parler de capitulation » ! Mais non, lui appelle cela un accord de gouvernement.
En fait, même si ça ne lui était pas indispensable pour gouverner, et d'autant moins dans l'immédiat où les résultat électoraux indiquent qu'il peut compter sur un large consensus populaire, Mitterrand a fait le choix d'enlever au Parti Communiste la possibilité d'un jeu oppositionnel. C'est ce que Marchais a accepté. Du point de vue du Parti Communiste, cela n'est peut-être pas sans inconvénient, mais cela n'est pas non plus sans avantage.
Car si Mitterrand a fait ramper les dirigeants du Parti Communiste, c'est quand même jusqu'à quelques postes de ministres. Ce qui est aussi un cadeau.
Le Parti Communiste proclamait depuis des années qu'il voulait des ministres, que c'est pour cet objectif qu'il devait être fort. Eh bien, voilà qu'il en a, même s'il les doit peut-être à sa faiblesse. Et ce lot de consolation en quelque sorte peut mettre du baume sur quelques plaies ouvertes par le recul électoral.
Et vis-à-vis de ses propres militants et sympathisants, éventuellement troublés par l'alignement brutal et intégral sur la politique de Mitterrand, les dirigeants du Parti Communiste ont déjà des explications.
C'est « pour réaliser les changements voulus par le pays » que les ministres communistes vont travailler au gouvernement avec les socialistes « dans une solidarité sans faille » dit Marchais.
C'est par souci démocratique à l'égard des électeurs qui se sont exprimés en faveur de Mitterrand que le Parti Communiste justifie ses renoncements et ses abandons. Marchais insiste et réinsiste là-dessus : « nous l'avons dit ; nous entendons respecter le suffrage universel. Cela n'implique bien évidemment pas que nous renoncions à nos idées et à nos propositions pour l'avenir. Mais nous appliquons la démarche qui est la nôtre et qui prend en considération le respect du suffrage universel pour définir les rythmes de la progression dont le pays a besoin » .
Autrement dit il est bien normal que le Parti Communiste défende la politique du gouvernement, qu'il l'épouse, puisque ce sont les électeurs qui en ont décidé ainsi ! La baisse importante de voix recueillies par le Parti Communiste ne signifie-t-elle pas que la politique du parti a été en quelque sorte désavouée par les électeurs ? Alors il faut se rendre à l'évidence, ne pas courir trop loin au-devant des masses, marcher au contraire à leur pas. Et quant à la politique propre du Parti Communiste, elle existerait toujours, même si Marchais ne dit plus ce qu'elle est, mais elle serait « pour l'avenir ».
Et qui pourrait être mécontent de ce tour de passe-passe ? Et puis surtout, le Parti Communiste a ses ministres. Pas très nombreux, certes, ni à des postes clés. Mais il en a. Et le Parti Communiste en a toujours voulu.
Comme tout parti politique, le Parti Communiste vise à l'exercice du pouvoir. Malgré l'étiquette communiste qu'il continue à porter, c'est un parti depuis longtemps réformiste, et c'est donc une place dans le gouvernement de la bourgeoisie qu'il revendique. Ce sont des ministres qu'il veut.
Depuis près de cinquante ans, par-delà tous les tournants de son histoire, c'est bien le seul objectif qu'il ait gardé invariable.
Il vient de l'atteindre. Bien sûr, le rapport des forces étant ce qu'il est - tout entier en faveur de Mitterrand - le Parti Communiste n'est pas en situation de marchander. La situation actuelle n'est pas celle, très exceptionnelle, des années 1944-47 où le Parti Communiste devait aussi ses postes de ministres à un homme politique de la bourgeoisie, De Gaulle, mais dans une situation où, tant sur le plan politique qu'économique, la bourgeoisie avait sans doute davantage besoin de ses services, et où, surtout, le PC était de loin la principale formation politique dans le pays.
Mais aujourd'hui, ce qui est à prendre ou à laisser est de bien moindre importance. Le Parti Communiste est quand même preneur. Et même dans ces conditions, certains avantages sont indéniables.
Le Parti Communiste compte d'abord y gagner un nombre appréciable de places, de postes, et un certain pouvoir. Les secteurs dont il s'est vu confier la charge, les transports, la fonction publique, la santé, comptent au total un grand nombre de salariés. Les ministres et les membres du Parti Communiste dont ils vont probablement s'entourer dans leurs nouvelles tâches auront l'occasion de prouver leur sérieux et leur sens des responsabilités... devant la bourgeoisie.
Et surtout, mais ceci est lié à cela, les dirigeants communistes comptent y gagner une notoriété, une respectabilité, Enfin, ils vont pouvoir donner la preuve qu'ils sont ministrables... comme tant d'hommes (et de femmes maintenant !) de la bourgeoisie. On place son honneur ou on peut !
Anicet Le Pors n'a probablement pas été trop ému de poser pour la photo de famille des ministres du second gouvernement Mauroy. Haut fonctionnaire depuis des années, malgré son appartenance aux instances dirigeantes du Parti Communiste, c'était déjà un habitué de l'air et des manières des ministères.
Mais pas Charles Fiterman apparemment, pris soudain de béatitude sur le perron de l'Élysée et qui a livré aux journalistes d'Antenne 2, en guise de premières impressions : « c'est un peu comme quand on devient père de famille. il faut s'habituer » !
Mitterrand a refilé au Parti Communiste le bébé. Mais l'évolution du Parti Communiste dépendra beaucoup de la situation.
Et pour l'avenir ?
Ce qui a fait jusqu'à présent l'originalité du Parti Communiste et l'a rendu suspect à la bourgeoisie, ce sont d'une part ses liens privilégiés avec l'URSS, noués à ses origines ; d'autre part les rapports qu'il entretient avec la classe ouvrière, et sa sensibilité aux pressions de celle-ci.
Pour ce qui est des liens du Parti Communiste avec l'URSS, l'histoire récente montre que le PCF peut rapidement les distendre, même s'il a été très longtemps le parti de Moscou par excellence. Dans sa déclaration devant le comité central, Marchais rappelle d'ailleurs cette vieille fidélité du PC à l'égard de l'URSS... pour critiquer qu'elle ait duré si longtemps et que le PCF n'ait pas compris le changement du rapport Khroutchev en 1956. Façon encore de montrer au Parti Socialiste et à Mitterrand que le PCF peut tout renier.
Malgré les liens des dirigeants communistes français avec la bureaucratie stalinienne, ils se sentent beaucoup plus d'atomes crochus avec certains milieux politiques de leur propre bourgeoisie nationale dont ils cherchent à se faire admettre.
Marchais, ces dernières années, a pourtant conservé et même volontairement renforcé certaines relations avec Brejnev, au point, en janvier 1980, de parler à la télévision française en direct de Moscou pour y lire le communiqué signé en commun avec Brejnev sur l'Afghanistan ! Marchais s'est alors spectaculairement aligné sur la politique de l'URSS en Afghanistan. Mais c'était dans une période où la perspective d'être associé au gouvernement s'était éloignée et où l'on peut penser que Marchais avait davantage besoin de Moscou. Le virage actuel montre combien l'alignement d'alors sur Moscou était superficiel, circonstanciel, du moins combien Marchais pouvait vite en changer vue la rapidité avec laquelle le PC a révisé sa position sur l'Afghanistan.
Il en va autrement des liens du Parti Communiste avec la classe ouvrière. Le Parti Communiste présente l'originalité d'être un appareil militant, d'être représenté dans les entreprises et dans les quartiers et ici ou là, dans une multitude d'organisations et d'associations à commencer par les syndicats, par des hommes et des femmes qui défendent sa politique, discutent de ses idées, diffusent ses tracts et ses publications, organisent des réunions.
Contrairement au Parti Socialiste, le Parti Communiste n'entretient pas avec les travailleurs des liens de notables à électeurs essentiellement, mais des relations autrement plus vivantes et proches. Par ses militants, le Parti Communiste participe aux luttes de la classe ouvrière, grandes ou petites, même quand c'est pour les dévier sur de mauvais rails, ou les trahir au bout du compte.
Mais utile ou néfaste aux intérêts fondamentaux des travailleurs, la présence militante du Parti Communiste dans la classe ouvrière le rend sensible aux réactions de celle-ci.
Le projet politique à long terme de Mitterrand transparaît dans ce petit bout de phrase où il demande au Parti Communiste la solidarité sans faille dans les entreprises. Car de deux choses l'une : ou la situation sociale n'évolue pas, ou peu, et du moins n'offre pas au Parti Communiste, en cas de conflit social qui gênerait le gouvernement, l'occasion de montrer dans quel camp il se range et de qui il est solidaire. Ou bien la situation à venir, à une échéance plus ou moins rapprochée, lui donne cette ou ces occasions-là.
Bien sûr, la situation peut n'être pas si simple et si évidente. D'abord parce que toutes les luttes de la classe ouvrière ne gêneront pas forcément le gouvernement. Ensuite parce que le Parti Communiste existe dans les entreprises souvent plus au travers de la CGT que de ses propres manifestations. Ses militants connus et influents le sont souvent aussi en tant que syndicalistes. Or la CGT ne s'est, elle, engagée à rien. Et le problème pourra aussi se poser, si une certaine solidarité avec le gouvernement est rompue, de savoir qui l'a rompue, le PCF ou la CGT.
Il est probable qu'alors c'est Mitterrand qui tranchera. C'est lui qui dira si la politique du PCF - et même par le biais de la CGT - lui convient ou ne lui convient pas. Il est probable que le PCF aura encore, s'il veut conserver sa place au gouvernement, à se soumettre ou se démettre.
Mais s'il arrive au PCF, dans l'avenir, d'être en situation de ne pas faillir à la solidarité gouvernementale à laquelle il s'est engagé, et d'aller jusqu'à lui sacrifier son crédit auprès des travailleurs, alors on pourra dire que Mitterrand ne sera pas loin du but qu'il s'est fixé, et le PCF pas loin d'être un parti réformiste comme les autres, un parti capable, dans certaines circonstances, quand tel est le bon vouloir des classes dominantes, d'être l'instrument de leur pouvoir contre des aspirations et des revendications même limitées des classes populaires.
Depuis bien longtemps, le Parti Communiste est malheureusement en bonne route. Mais il n'est pas encore au bout du chemin. En 1968, par exemple, même si c'était pour mieux la canaliser et l'arrêter, il s'est mis à la tête d'une des plus grandes vagues de grèves que la France a connues. Et la bourgeoisie lui en a tenu rigueur non sans mauvaise foi.
Les prochains mois ou années fourniront peutêtre au Parti Communiste l'occasion de révéler s'il est non seulement capable de servir la bourgeoisie et son gouvernement contre les travailleurs, mais encore de choisir de prendre le risque de perdre tout ou partie de son influence dans les entreprises et sa base ouvrière au service de la solidarité gouvernementale. Il ne pourra être considéré par la bourgeoisie comme un parti gouvernemental, c'est-à-dire un parti bourgeois presque comme les autres, et en tout cas le Parti Socialiste qu'à ce prix.