Le PCF à la recherche d'une nouvelle stratégie électorale14/04/19801980Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1980/04/74.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le PCF à la recherche d'une nouvelle stratégie électorale

La rupture entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste fait partie depuis des mois maintenant de la physionomie de la politique française. Le PCF, à l'origine de cette rupture, ne semble nullement vouloir y mettre fin. Au contraire, il accentue un cours politique marqué par un franc sectarisme à l'égard du PS, et par une tendance à se replier sur lui-même, en soignant, en-dehors comme en dedans, l'image d'un parti qui serait isolé par les autres et qui se battrait seul contre tous.

Loin de montrer un visage avenant, ouvert, le PCF se ferme sur lui-même, cultive le style « martyr ». Chaque jour, à l'une ou l'autre page de L'Humanité ou de son nouvel hebdomadaire Révolution, il dénonce la cabale anti-communiste et les attaques tous azimuts dont il serait l'objet.

En même temps, journalistes et dirigeants communistes ne trouvent pas de mots assez durs pour condamner les prises de position du PS et fustiger ses dirigeants.

Bref, le PC aille un ton radical avec une prétention affichée d'en découdre avec cette social-démocratie qu'il portait aux nues avant 1978.

Des raisons internes pourraient donner une explication à cette image de forteresse assiégée que le PCF essaie de donner de lui-même. Il se pourrait que la direction du PCF cherche tout simplement à combattre la démoralisation ou la désaffection perceptible dans les rangs de ses militants ou sympathisants en jouant sur le réflexe de fidélité au parti dans une période présentée comme de dure adversité.

Ceux qui restent doivent se serrer les coudes. « On nous agresse ? Eh bien, ce n'est plus le moment d'être perplexe et indécis. Il faut faire front ».

Si l'on imagine facilement que la cohésion du p.c.f. puisse trouver son compte dans cette attitude, l'agressivité contre le p.s. semble, en revanche, néfaste, si ce n'est suicidaire, du point de vue électoral. car enfin, le parti communiste n'a toujours pas d'autre perspective pour accéder un jour au gouvernement - à moins que les conditions de la vie politique française se modifient entièrement - que dans le cadre d'une alliance électorale avec le parti socialiste.

Le Parti Communiste, parce qu'il est un parti fondamentalement électoraliste qui ne conçoit pas l'accession au pouvoir par des voles extra-parlementaires et extra-électorales, est condamné à s'entendre avec le Parti Socialiste.

Mais d'abord le PCF est tout de même un parti électoraliste d'un genre particulier. Son audience n'est pas seulement électorale. Sa force réside dans son implantation au sein de la classe ouvrière, par l'intermédiaire de ses militants d'entreprise, par l'intermédiaire des syndicats qu'il contrôle. Cette implantation dans la classe ouvrière est à la fois son principal handicap aux yeux de la bourgeoisie pour accéder aux responsabilités gouvernementales, mais c'est aussi ce qui constitue sa valeur marchande. C'est un capital que le PCF ne veut pas dilapider, et surtout, pas dilapider pour rien.

Et pour conserver son audience, le PCF peut être amené, en tout état de cause, à se donner une politique qui ne répond pas seulement à des préoccupations de tactique électorale.

C'est ainsi que le PCF pourrait être amené, dans l'éventualité d'une montée des luttes grévistes, à une politique plus radicale dans les entreprises et prendre l'initiative et la tête de luttes ouvrières jusqu'à une certaine limite et en leur fixant un certain cadre.

On pourrait donc supposer que le PCF, en essayant de se donner une image « pure et dure » - oh ! dans d'étroites limites, et pour l'essentiel en fustigeant la social-démocratie de Mitterrand et des siens - cherche simplement à mettre à profit l'accalmie entre deux élections pour redorer son blason de parti prétendument révolutionnaire. Quitte à prendre le risque d'y laisser quelques plumes sur le plan de ses perspectives électorales.

Mais au fond, même du point de vue de la stratégie électorale, l'attitude du P. C. F. est-elle si suicidaire que cela ?

Même pas nécessairement.

Sans vouloir deviner les voies de Marchais, qui sont probablement impénétrables, y compris pour les militants de son propre parti, on peut imaginer au moins un raisonnement susceptible d'inciter les dirigeants du PCF à maintenir leur cours actuel d'opposition systématique à l'égard du PS jusqu'aux élections présidentielles de 1981 et au-delà, tout en restant entièrement dans le cadre de préoccupations électoralistes.

C'est que le PCF n'a certainement pas à se féliciter d'avoir trop accentué pendant plusieurs années l'aspect unitaire de sa stratégie électorale. Il a fait l'amère expérience que la dynamique unitaire profitait essentiellement à son allié et néanmoins rival, le Parti Socialiste. L'Union de la gauche avait non seulement ressuscité un PS moribond, mais elle en avait fait un parti dont l'audience électorale dépasse celle du PCF Avec le jeu de désistement au deuxième tour en faveur du candidat de la gauche le mieux placé, le PCF courait en 1978 le risque de voir sa représentation parlementaire fortement réduite, et de se voir hors d'état d'empêcher le PS de se passer éventuellement de lui, en cas de victoire électorale de la gauche.

Si le PCF veut éviter de tirer les marrons du feu pour le PS, il a intérêt à obtenir des garanties avant la seule échéance électorale nationale qui l'intéresse vraiment, celle des législatives de 1983.

Quelles pourraient être ces garanties ? C'est précisément un des problèmes du PCF Le système électoral étant ce qu'il est, si des candidats du PCF et du PS se présentent concurremment au premier tour, il suffit que celui du PS devance très légèrement celui du PCF dans des circonscriptions susceptibles d'échoir à la gauche, pour que, avec le désistement en faveur du candidat le mieux placé, le PS rafle au détriment du PCF un nombre de sièges sans commune mesure avec leurs influences électorales respectives. Le PS n'a qu'à laisser faire les choses, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours amplifie automatiquement au niveau de la représentation parlementaire même une avance légère dans l'électorat.

Pour éviter ce risque, le PCF devrait parvenir à un accord lui garantissant à l'avance un certain nombre de sièges. Cela pourrait consister, par exemple, dans une répartition préalable des circonscriptions où le candidat de la gauche a des chances d'être élu et la présentation d'un candidat unique de la gauche dès le premier tour. Cela pourrait encore consister en ceci qu'au moins dans un nombre limité de circonscriptions, là précisément où le candidat du PCF a à la fois une chance d'être élu et où, en même temps, un léger déplacement des voix en faveur du candidat du PS peut faire passer celui-ci en meilleure position au premier tour, le PS accepte de ne pas présenter de candidat.

Le Parti Socialiste n'aurait évidemment aucun intérêt à faire au Parti Communiste le cadeau d'un tel accord. D'autant moins que le PCF aurait du mal à l'exiger ouvertement, car quelle que soit la combine trouvée, il s'agirait d'un accord destiné à fausser les votes de l'électorat de gauche, dans la mesure où il s'agit précisément de l'empêcher de trop favoriser le PS au détriment du PC

Reste au PCF de tenter d'imposer un tel accord. Et c'est précisément là où on peut imaginer que sa politique anti-PS actuelle vise à faire la démonstration, en quelque sorte par la négative, que le Parti Socialiste a autant besoin de lui, que lui-même du Parti Socialiste. La dynamique unitaire avait favorisé le PS ? Eh bien le PCF a, lui, le pouvoir de saborder la dynamique unitaire. Il n'a rien à gagner à ce sabordage ? Sans doute, mais il n'a rien à gagner non plus à une unité au bénéfice du PS Et en démontrant son pouvoir de démolir les ambitions électorales du PS, il a, peut-être, une petite chance d'imposer à ce dernier une unité garantissant quelques-uns de ses intérêts.

Voilà ce qui pourrait être le raisonnement des dirigeants du PCF pour prolonger l'état d'hostilité contre le PS commencé avant les élections de 1978. Le reste, les diatribes anti -social-démocrates n'étant que la sauce pour faire avaler la pilule à l'opinion publique, à celle de leur propre électorat pour commencer.

Dans cette optique, non seulement le p.c.f. ne serait pas gêné si dans les diverses élections partielles la gauche reculait - ou plus exactement si un candidat de droite passait, en particulier au détriment d'un candidat du p.s. - mais au contraire, cela pourrait apporter de l'eau à son moulin.

Mais c'est surtout les élections présidentielles de 1981 qui pourraient constituer pour le PCF une occasion de démontrer que le PS a besoin de son appui. De toutes façons, le PCF n'a rien à espérer de cette échéance-là. Il est hors de question qu'il accepte, de nouveau, de s'effacer dès le premier tour derrière le candidat du Parti Socialiste, qu'il s'appelle Mitterrand ou Rocard. L'amère expérience de 1974 lui a suffi à cet égard. Une candidature PC au premier tour est d'ores et déjà acquise.

Reste le deuxième tour. Il serait tout à fait dans la logique du cours anti-PS actuel du PCF de refuser de soutenir, même au deuxième tour, la « candidature de la social-démocratie » - à supposer bien entendu que le candidat du PS réchappe au travail de démolition du premier tour et reste en lice au second, ce qui n'est nullement une certitude absolue.

Rien ne permet évidemment d'affirmer avec certitude que le PCF est prêt à aller jusqu'au bout de la tactique qui semble être aujourd'hui la sienne, et de rejeter dos à dos au deuxième tour des présidentielles de 1981, les candidats « bonnet blanc » et « blanc bonnet » restés en lice. Mais il pourrait être en tous les cas tentant pour lui de faire la démonstration à une grande échelle que sans son appui, non seulement les prétentions du PS aux responsabilités politiques suprêmes sont ridicules, mais encore que, sans l'apport de l'électorat du PCF, l'audience électorale d'un Mitterrand ou d'un Rocard est fort limitée.

Le PCF pourrait-il réussir sa démonstration, à supposer qu'il ait vraiment l'intention de la mener jusqu'au bout ? Et même s'il la réussissait, c'est-à-dire si le candidat du PS réalisait en 1981 un score ridicule, parviendrait-il à imposer au PS un accord unitaire tel qu'il le souhaite ? Tout cela est encore chanson d'avenir. D'autant que le PC et le PS ne sont pas les seuls acteurs de la scène électorale et la nécessité pour le Parti Socialiste d'en passer par une entente avec le Parti Communiste est tout de même fonction de ce qu'il peut ou ne peut pas trouver sur sa droite. C'est tout de même le PCF qui est objectivement contraint de s'entendre avec le PS, alors que ce dernier peut toujours espérer que la situation se débloque au centre, offrant des combinaisons comme en avait connues en son temps la IVe République.

En tous les cas, le cours actuel du PCF, pour aventureux qu'il puisse apparaître du point de vue des perspectives électorales de ce parti, peut très bien obéir à une certaine logique... électorale. Avec quel succès, c'est une autre affaire.

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