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- Lutte de Classe n°77
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Le nouveau cours du PCF a un radicalisme bien limité.
Le 8 juin, s'adressant aux participants de la fête d' Avant-Garde, journal des Jeunesses Communistes, Charles Fiterman, au nom de la direction du Parti Communiste Français, appelait les jeunes à la révolte : « Révoltez-vous avec nous » leur cria-t-il lors du meeting de clôture.
Cette adjuration venait après maintes déclarations de Georges Marchais affirmant que le Parti Communiste Français était un parti « révolutionnaire », l'Humanité un journal « révolutionnaire » ' et la politique du Parti une politique « révolutionnaire ». Visiblement les dirigeants du PCF se sont pris récemment d'affection pour ce terme de « révolutionnaire » qu'ils n'employaient quasiment jamais auparavant et surtout pas pendant la belle époque de l'Union de la gauche.
En fait, le nouveau ton du PCF révèle un nouveau cours dans sa politique. Ce nouveau cours fait suite à la défaite électorale de mars 78 et à la rupture de l'Union de la gauche. Il ne s'est d'ailleurs pas imposé d'un seul coup.
Dans un premier temps, dans les mois qui suivirent immédiatement les élections, Marchais comme Mitterrand, d'un côté, et Séguy comme Maire, de l'autre, jouèrent, avec Giscard, le jeu de l'ouverture : les deux premiers se rendirent, chacun à leur tour, à l'Élysée, tandis que les dirigeants des deux principales centrales syndicales étaient reçus, tour à tour, à Matignon et au Ministère du travail. Ce n'est donc que dans un deuxième temps que le PCF, comme la CGT, durcirent leur langage et changèrent de ton. En juin 1978, Georges Séguy donnait en quelque sorte le signal de ce changement en déclarant : « nous obtiendrons par la lutte ce que nous n'avons pas pu avoir par les élections » , et en s'engageant dans une politique plus offensive. Pour le PCF comme pour la CGT, l'appel à la lutte remplaçait alors l'appel aux votes d'avant les élections. Le XXIIle congrès du Parti Communiste Français, qui s'est tenu en mai 1979, entérinait cette évolution : « nous ne renvoyons pas à plus tard - y déclarait Marchais dans son discours d'ouverture - les changements nécessaires. C'est dès aujourd'hui, dans le combat quotidien que nous entendons les faire progresser. C'est en leur faveur que nous appelons les travailleurs, les masses populaires, à prendre le chemin de la lutte, une lutte résolue, imaginative, dynamique, puissante ».
Ce tournant à gauche du Parti Communiste Français s'est traduit - et se traduit encore - avant tout par un changement de ton et de vocabulaire. Le langage radical des dirigeants du PCF depuis 1978 tranche dans une large mesure avec celui de la période d'avant les élections, quand la gauche paraissait avoir une chance raisonnable de remporter la majorité, et donc d'accéder au gouvernement. Le souci du PCF, alors, n'était absolument pas de passer pour révolutionnaire. Tout au contraire, il multipliait alors les gestes destinés à montrer qu'il était un parti comme les autres, prêt à jouer le jeu électoral et à en respecter les règles. C'est ainsi qu'il avait successivement abandonné le poing levé (et Marchais rappelait à ce propos la phrase de Maurice Thorez : « nous ne sommes pas le parti du poing levé, nous sommes le parti de la main tendue » ), la référence - toute formelle, et depuis bien longtemps - à la dictature du prolétariat, et son opposition à l'armement atomique.
Aujourd'hui donc, les dirigeants du PCF parlent de révolution là où ils parlaient auparavant de démocratie nouvelle, avancée, ou rénovée ; et là où ils parlaient bulletins de vote et élections, ils parlent lutte. france nouvelle, hebdomadaire du comité central, rénové, a été rebaptisé révolutION.
Non seulement le PCF emploie un ton nettement plus radical, mais, et cela va de pair, il cultive l'isolationnisme. Parti « révolutionnaire », le PCF se retrouve d'après l'Humanité et les dirigeants du Parti la cible d'un complot où se trouvent pêle-mêle les giscardiens, les chiraquiens et, bien sûr, les socialistes, la fameuse « bande des trois » ! Et l'Humanité, faisant feu de tout bois, parle régulièrement de campagne anti-communiste, et de calomnies, qu'il s'agisse des comptes rendus de son envoyé spécial à Kaboul ou des attaques contre le passé de Marchais. Le grand adversaire restant bien entendu le Parti Socialiste accusé à tout propos et même hors de propos de virer à droite. Certes les attaques contre Mitterrand et le PS ont commencé bien avant le « tournant du PCF », mais elles sont à ce point systématiques et artificielles qu'elles relèvent plus du matraquage que de la critique politique. Bien entendu ce sectarisme affiché provoque quelques remous dans le Parti, et notamment chez les intellectuels dont un certain nombre ont du mal à accepter le nouveau cours, mais il a pour avantage de plaire au contraire à tous ceux qui n'avaient jamais au fond d'eux-mêmes accepté l'effacement du PC derrière Mitterrand en 74, et à ceux qu'effrayaient les succès électoraux du PS.
En tout cas sectarisme et isolationnisme permettent au PCF de resserrer ses rangs, de provoquer un réflexe de solidarité élémentaire chez les militants et d'un autre côté « d'épurer » son appareil, de le reprendre en mains en éloignant les hommes incapables de s'adapter au nouveau cours. Ce nouveau cours s'est accompagné en matière de politique extérieure d'un spectaculaire alignement sur Moscou en ce qui concerne l'affaire afghane. Du même coup, les timides pas de Marchais vers le soi-disant euro-communisme ont été stoppés net et les critiques respectueuses formulées par l'Humanité vis-à-vis de l'attitude de l'URSS envers les contestataires soviétiques ont tourné court.
Quelles que soient les raisons matérielles ou organisationnelles qui ont conduit Marchais à faire publiquement des démonstrations d'allégeance à Moscou, il n'en reste pas moins que ce resserrement des liens avec l'URSS cadre parfaitement avec l'affectation de radicalisme qui marque la politique actuelle du PCF. Ce resserrement ramène le PCF à plusieurs années en arrière, à l'époque où, isolé de la vie politique française, il était dénoncé par les hommes politiques de la droite, aussi bien que par les sociaux-démocrates d'ailleurs, comme un parti de l'extérieur, le « Parti de l'Est ».
Il évoque pour toute une partie de vieux militants du PCF, une époque dure, celle de la guerre froide, dans laquelle ils se reconnaissent infiniment mieux que dans la période de social-démocratisation qui a marqué le XXIIe congrès.
Que ce cours nouveau rappelle à ce point une situation et une politique passées, montre assez que le PCF, malgré toutes ses affirmations actuelles sur sa vocation révolutionnaire, n'a pas changé fondamentalement. Il renoue plus simplement avec sa tradition stalinienne, une tradition d'ailleurs qu'il n'avait jamais abandonnée mais qui avait tendance à être recouverte par des manifestations affectées de libéralisation et de social-démocratisation.
Est-ce que le tournant actuel remet en cause toute l'évolution du PCF ? d'après les dires mêmes de ses dirigeants, non. le xxe congrès reste toujours le point de référence. dans une émission télévisée récente qui réunissait georges marchais et lionel jospin à propos du congrès de tours et de l'évolution suivie par les deux courants qui scissionnèrent en 1921, marchais a tenu à présenter le PCF comme un parti ouvert, libéral, national, pour le pluralisme, etc, à tel point que jospin a pu dire que du coup il ne voyait plus de différence entre le pc d'aujourd'hui et la sfio de 21 !
En fait les tendances à la social-démocratisation du PCF sont inscrites dans son implantation et son développement national. Par ses notables, par ses parlementaires, par ses élus municipaux, régionaux, par ses élus syndicaux, par les comités d'entreprise, les différentes commissions, nationales ou départementales ou régionales, auxquels il participe, par les entreprises qu'il contrôle, le PCF est depuis bien longtemps installé dans la vie politique et même économique du pays. Il partage avec la social-démocratie des positions, des fonctions et des postes qui font de lui un parti intégré. Mais, contrairement à la social-démocratie, le PCF n'est pas que cela. Un peu à cause de son origine révolutionnaire, beaucoup à cause de ses liens avec Moscou - des liens qui se sont quelquefois relâchés mais qui n'ont jamais été rompus - enfin surtout à cause de sa sensibilité à tout ce qui se passe dans la classe ouvrière où il ne veut ni ne peut se permettre d'être « doublé » sur sa gauche, le PCF reste un parti à part, qui provoque la méfiance de la bourgeoisie et souvent la frayeur de la petite bourgeoisie.
Pour vaincre cette méfiance le PCF a depuis longtemps tenté d'accumuler les preuves de sa bonne foi, de sa respectabilité, de ses sentiments patriotiques, de son sens des responsabilités, etc. Il l'a montré la seule fois où il a participé au gouvernement de 1944 à 1947, il l'a montré quand il a été dans l'opposition, il l'a montré pendant la guerre d'Algérie, il l'a montré en mai 68 en condamnant les violences et le désordre des étudiants. Il a montré qu'il était respectueux des règles électorales et qu'il ne voulait surtout pas le pouvoir de la rue. Il a montré qu'il avait de l'influence sur la classe ouvrière mais qu'il savait faire arrêter une grève. Bref, il a montré et il montre encore, chaque fois qu'il le peut, patte blanche.
Et il la montre d'autant plus qu'il se croit le plus près possible d'accéder au gouvernement. C'est ce qui s'est passé après 1972, quand le PCF a vu dans la signature du Programme Commun et dans l'Union de la gauche enfin réalisée, la possibilité de parvenir au gouvernement. C'est le moment où le processus de social-démocratisation s'est accéléré. Où le PCF a renoncé à la « dictature du prolétariat » et autres formules ou symboles jugés difficilement acceptables pour un parti aspirant à diriger les affaires de la bourgeoisie. C'est le moment où le PCF a opéré son virage en matière de nucléaire, où il a trouvé des justifications à la bombe nationale. Mais en fait cette tendance à la social-démocratisation n'est pas linéaire. Elle peut connaître des arrêts, des retours en arrière circonstanciels. Elle a beau être inscrite en dernière analyse dans l'implantation nationale du PCF elle dépend aussi des circonstances politiques, de l'attitude de la bourgeoisie et des espoirs électoraux de la période.
En ce moment le PCF n'a pas d'espoirs électoraux. s'il a des perspectives, cela ne peut être que pour les prochaines législatives, d'ici-là il lui faut réparer le mal qu'il s'est fait à lui-même en appelant ses électeurs à voter mitterrand en 1974.
Bien entendu, cela ne signifie pas que le PCF renonce à l'Union de la gauche. Il le dit lui-même. En fait il n'a pas d'autre stratégie. Comme il est avant tout un parti électoraliste, il sait bien que, pour remporter un succès électoral contre les partis de la majorité, il lui faut s'allier avec le Parti Socialiste. Il souhaite simplement être, dans cette alliance, le plus fort - comme en 72 lors de la signature du Programme Commun entre un PCF qui avait montré son audience lors des présidentielles de 69 et un PS qui n'avait guère dépassé les 5 %.
Et cela ne l'empêche pas par ailleurs de continuer à donner, là où il l'estime nécessaire, des preuves à la bourgeoisie de son sens des responsabilités et de son aspiration à la respectabilité. C'est ainsi que, malgré les manifestations populaires contre l'implantation de centrales nucléaires en Bretagne, le PCF a rappelé son attachement à l'énergie nucléaire seule capable pour l'instant d'assurer « l'indépendance énergétique de la France ». C'est ainsi qu'une délégation du PCF est allée ostensiblement à Notre-Dame pour un Te Deum lors de la venue du pape. C'est ainsi que Marchais est allé à l'Élysée serrer la main de Jean Paul II et, par la même occasion, politesse oblige, celle de Giscard.
Ce sont là des petits gestes destinés à la bourgeoisie. Ils ne font certes pas oublier le fracas des déclarations « révolutionnaires » récentes, mais ces déclarations, elles, ne sont pas destinées à la bourgeoisie. Elles sont avant tout destinées aux militants et aux sympathisants. Et elles semblent y être bien reçues.
Le cours sectaire et dur du PCF semble donc avoir rempli au moins un de ces objectifs : permettre au Parti de traverser une période difficile du point de vue des effectifs après la défaite de la gauche, au milieu de la démoralisation et des critiques, en conservant ses militants, en leur redonnant le moral et en leur proposant comme objectifs immédiats, la lutte.
Car, sur ce terrain-là aussi, le PCF s'est montré. c'est, bien sûr, essentiellement par la CGT qu'il a fait preuve de combativité. mais les militants du PCF dans les entreprises se sont à plusieurs reprises montrés en tant que militants du PCF, en diffusant sa presse et les prises de position du parti, notamment sur l'afghanistan. la CGT impulse ou prend la tête de toute une série de luttes partielles, sans parler des journées d'action nationales qu'elle a déclenchées seule ou avec les syndicats qui s'y sont raillés. elle a réalisé un certain nombre de démonstrations de force assez importantes, aussi bien à l'edf que dans le métro.
Elle a multiplié les actions et les débrayages par branches, ou régions, avec un succès relatif. Et s'il est vrai que la répétition des mouvements finit par lasser et décourager des travailleurs, elle permet aussi à d'autres, à des nouveaux, d'entrer en action et de relayer les premiers. Bien sûr, il n'y a rien là-dedans qui prépare une offensive générale des travailleurs capable de prendre la bourgeoisie à la gorge et d'obtenir qu'elle paie la crise, mais au niveau du vocabulaire les dirigeants de la CGT se montrent eux aussi, fermes, radicaux, jusqu'auboutistes. Assez plaisamment d'ailleurs moins les actions proposées sont radicales et plus les mots utilisés pour les qualifier sont boutefeux. C'est ainsi que, pour la journée du 25 juin chez Renault à Billancourt, la CGT a renoncé à appeler à un débrayage, se contentant de proposer un rassemblement à l'heure du changement d'équipe, en ces termes « battons-nous comme des lions ! Grand rassemblement », etc.
En tout cas cette politique avec sa réalité et ses bluffs fait de la CGT et du PCF les organisations les plus actives, les plus combatives, celles qui sont le plus en vue, même si les actions proposées n'entraînent pas la grande masse des ouvriers. On a pu le vérifier lors des dernières élections syndicales pour la CGT, cela lui a même permis d'endiguer un peu la vague de reculs électoraux enregistrée dans la période précédente.
Ainsi, paradoxalement, le nouveau cours sectaire et dur du PCF et de la CGT, ne les ont pas - au moins jusqu'ici - isolés de la classe ouvrière. Bien sûr ce cours est circonstanciel. Il ne remet en cause ni le réformisme du PCF ni son électoralisme. En ce sens il ne change rien fondamentalement pour la classe ouvrière. Mais il peut provoquer des réactions et des situations imprévues. Et il n'est pas impossible d'imaginer que dans tel ou tel secteur, des travailleurs, des militants, - des militants du PCF lui-même d'ailleurs - prennent les dirigeants au mot et aillent bien au-delà des calculs tactiques et des manoeuvres élaborées. Et même s'il ne se passait rien de semblable, même si la combativité du PCF demeurait simplement ce qu'elle est aujourd'hui c'est-à-dire surtout verbale et démonstrative, elle forme quand même des nouvelles générations de militants et on peut espérer qu'il s'en trouvera bien quelques-uns pour demander des comptes à leur parti lors du futur et inévitable changement de cours vers une Union de la gauche nouvelle version.