Le MPPT : un nouveau-né sénile01/01/19861986Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1986/01/120.jpg.484x700_q85_box-59%2C0%2C2329%2C3284_crop_detail.jpg

Le MPPT : un nouveau-né sénile

Porté sur les fonts baptismaux par le PCI, le Mouvement Pour un Parti des Travailleurs (MPPT) a été officiellement proclamé le 1er décembre dernier. Et ce nouveau-né devrait lui-même donner naissance, dans des délais non précisés, à un Parti des travailleurs, du moins si on en croit le titre qu'il s'est donné. Sa gestation a été relativement longue. Les augures en prévoyaient la création pour les municipales de 1983, puis pour les élections européennes de 1984. Mais voilà qu'enfin il apparaît, à la veille des élections législatives de 1986. A point nommé, selon ses fondateurs qui s'en expliquent en ces termes dans la charte adoptée par le MPPT lors de son congrès constitutif : « Se considérant trahies par ceux qui depuis 1981 ont violé le mandat qui leur avait été confié en refusant en particulier depuis 1982 de voter des lois en faveur des travailleurs, la classe ouvrière et les couches populaires qui l'environnent n'ont plus de représentation politique authentique.

Cette situation est grave à plus d'un titre, car l'absence de toute perspective politique de progrès conduit, à un moment ou à un autre, et de façon implacable, vers le vide politique, favorisant ainsi les solutions les plus extrêmes où, en finalité, la démocratie et les libertés qui en sont le corollaire sortent toujours amoindries sinon écrasées ».

Si nous comprenons bien, nous serions au bord du gouffre, ou du moins du vide politique. Et la fonction du MPPT serait de le combler afin d'éviter que l'on en arrive à des solutions « les plus extrêmes ».

Ce qu'on peut constater tout d'abord, c'est que ce mouvement qui par ailleurs prétend oeuvrer à un large rassemblement de la gauche commence par marquer les bornes qui délimitent son projet et au-delà desquelles on entre dans un domaine mouvant, celui des catastrophes et des aventures - le terme est utilisé dans le manifeste pour une liste du MPPT diffusé sous forme de tract-pétition daté du 15 septembre 1985 - qui explique : « Tout le monde s'attend à ce que les élections marquent l'ouverture d'une nouvelle crise dont l'ampleur pourra dépasser sans commune mesure ce que nous connaissons aujourd'hui, d'où les grandes manoeuvres dans lesquelles sont engagées la bourgeoisie et toutes les formations politiques, de droite comme de gauche. Toutes les aventures peuvent en résulter, et plus que jamais, la classe ouvrière doit demeurer sur ses gardes... » Les termes choisis sont significatifs. Quand on parle d'aventures, de solutions « les plus extrêmes », c'est une manière d'évoquer l'extrême droite, mais en même temps l'extrême gauche. Le flou de la terminologie est destiné à séduire les milieux sociaux-démocrates, qui se satisfont volontiers de la fausse symétrie qui consiste à justifier leur politique en renvoyant dos à dos « les extrêmes ».

Ce sont des militants qui se réclament du marxisme révolutionnaire, du trotskysme, qui se font les initiateurs et les propagandistes de telles idées.

Car il ne fait aucun doute que c'est la direction du PCI qui est à l'origine de cette charte, comme elle est à l'origine de la création du MPPT. De même qu'il est évident que ce sont les membres du PCI qui en fournissent à l'heure actuelle la quasi-totalité des capacités militantes et qui le font vivre et fonctionner.

D'ailleurs ce sont ces mêmes idées qui ont été développées depuis des mois dans les colonnes d'Informations Ouvrières, alors que celui-ci se désignait encore comme « l'organe central du PCI » , avant qu'il ne se transforme, en décembre dernier, en « hebdomadaire du Mouvement Pour le Parti des Travailleurs ».

Nous ne ferons pas l'injure aux dirigeants du PCI de supposer qu'ils se sont convertis purement et simplement aux théories réformistes, sans s'en expliquer, ni sans en avertir personne. Il nous faut donc chercher derrière leur choix un raisonnement, ou du moins une justification qui permette de voir comment ils relient leur démarche avec le fait qu'ils se réclament encore du trotskysme. Et comme en la matière la direction du PCI se montre extrêmement avare en explications publiques, force nous est d'essayer de lire entre les lignes pour tenter de reconstituer leur démarche.

Pierre Lambert explique, à l'occasion d'un débat qui a eu lieu le 24 mars lors de la réunion du Comité National provisoire pour un parti des travailleurs, publié dans un supplément à Informations Ouvrières du 29 mars 1985 : « Nous devons réussir ce qui n'a existé qu'à un seul moment du mouvement ouvrier français, à la veille de 1914, lorsqu'il y avait un parti ouvrier des marxistes, des réformistes, etc... et où l'Humanité de Jaurès était l'organe dans lequel tous se retrouvaient.

Aujourd'hui, nous, PCI, disons : il n'est inscrit nulle part quelle forme et quelle frontière aura le parti ouvrier indépendant dont la classe ouvrière a besoin pour assurer son émancipation.

Pour ma part, je reste convaincu du marxisme, tel que le programme de la Quatrième Internationale l'a développé. Mais il s'agit d'une méthode » . Et plus loin il ajoute : « Il est clair que comme parti le PCI n'a pas l'intention de se dissoudre. Ce serait là une magouille. Parce que si je ne suis pas contre ce que l'on a appelé « l'entrisme », je ne vois pas davantage pourquoi il faudrait le pratiquer aujourd'hui. Il faut avancer à visage découvert, chacun doit être à visage découvert. Il ne faut pas de magouille. Si le mouvement pour un parti des travailleurs devient un parti de 30 000, 40 000 adhérents, les marxistes seront dans ce parti. Il y en aura d'autres qui ne seront pas marxistes. Mais pour le moment nous ne pouvons pas dire que cela existe. C'est une perspective pour laquelle nous devons tous oeuvrer... ». Ces propos ont été tenus au cours d'une discussion sur le rôle et la situation d'Informations Ouvrières par rapport au MPPT.

Il faudrait donc, selon le PCI, reconstituer le parti social-démocrate, tel qu'il existait avant 1914, afin de disposer d'un parti large, crédible aux yeux des masses et des travailleurs, au sein duquel les marxistes défendraient leurs idées, leurs conceptions. Et de ce vivier pourrait naître le parti ouvrier révolutionnaire dont prudemment Lambert se garde de préciser les contours et la fonction, car : ... « Il n'est inscrit nulle part quelle forme et quelle frontière aura le parti ouvrier indépendant dont la classe ouvrière aura besoin pour assurer son émancipation. »

Mais si les termes de cette déclaration sont, cette fois encore, volontairement vagues, les références historiques mises en avant ne le sont pas toutes. Pourquoi invoquer la social-démocratie d'avant 1914 ? Pourquoi citer l'Humanité de Jaurès ? Pour se démarquer du stalinisme ? Admettons ! Mais c'est surtout une manière de décerner un brevet à la social-démocratie de 1914, celle de l'Union sacrée, et celle qui a suivi, social-démocratie qui au service de la bourgeoisie a commis autant de crimes et de trahisons contre la classe ouvrière que le stalinisme.

Ce vivier, pris pour modèle par le PCI, n'a pas une eau très pure... Et quand Lambert et les dirigeants du PCI décident de passer un coup d'éponge sur l'histoire du mouvement ouvrier, ce n'est pas, quoi qu'ils en disent, pour repartir à zéro, c'est pour réhabiliter les vieilleries social-démocrates en choisissant des exemples et des références qui sonnent agréablement aux oreilles de quelques notables issus de ce petit milieu. Et on prétend que c'est cela, faire du neuf ! Entendons-nous bien ! Ce que nous discutons, ce n'est pas l'idée que des révolutionnaires se posent le problème d'établir des liens avec une fraction non révolutionnaire, voire même ouvertement réformiste du mouvement ouvrier. Nous savons bien que, de la même façon que c'est parmi les civils que l'on recrute des militaires, c'est parmi les non révolutionnaires que l'on trouvera les militants et les sympathisants révolutionnaires. Il n'est pas faux en soi d'envisager qu'une organisation révolutionnaire choisisse de s'inscrire dans un cadre organisationnel plus large pour accroître son audience et renforcer ses liens avec la classe ouvrière.

Mais ce n'est pas cela que fait le PCI. Sa démarche est diamétralement opposée. Ses dirigeants se servent de la capacité militante dont ils disposent pour tenter de construire, de toute pièce, une organisation social-démocrate afin, disent-ils, de pouvoir y développer les idées marxistes, dans une confrontation loyale, afin que puisse s'en dégager un parti ouvrier indépendant. Ce serait là un bien tortueux cheminement pour accéder aux masses, et y gagner de l'influence, si c'était réellement le souci des dirigeants du PCI.

Pour se justifier, ceux-ci sont contraints de transfigurer la réalité. Ils affirment que les travailleurs, de plus en plus nombreux, se détachent des organisations traditionnelles, ainsi qu'une fraction des militants de ces organisations, ce qui est en partie vrai. Mais ils ajoutent que ces travailleurs et ces militants se posent la question de reconstruire une autre organisation, ce qui est loin d'être le cas. Mais le serait-ce que ce ne serait pas une raison pour leur proposer de créer une organisation social-démocrate. Car alors, il serait possible de créer une organisation révolutionnaire, sur la base des idées et des idéaux communistes.

Mais le PCI n'a pas cette volonté-là, ni les moyens de le faire... les deux allant de pair. Et ce qu'il choisit de construire, ce n'est même pas un véritable parti social-démocrate, tout au plus un erzatz de celui-ci, en multipliant les courbettes devant quelques notables du PS, ceux qui acceptent de l'écouter.

Certes, il n'est pas faux, en soi, de tenter d'organiser des militants issus d'autres organisations, ou même d'entretenir un débat avec des gens qui ont eu des responsabilités dans les organisations réformistes. Mais encore faut-il le faire sur des bases claires, de façon à ce que l'on sache dans quel camp chacun se situe : d'un côté les révolutionnaires, de l'autre les réformistes, afin que les militants, les futurs militants, puissent se référer et puissent choisir entre deux politiques, et entre ceux qui les incarnent.

Cette attitude, le PCI ne l'a pas. Au contraire. Il présente la politique que défendent les courants qui cohabitent avec lui au sein du MPPT comme une politique positive, comme une politique de progrès. Et on a bien du mal à discerner ce qui distingue la politique des uns et des autres, et ce qui sépare par exemple celle du PCI de celle de Socialisme Maintenu, composante du MPPT qui se réclame du PS, lui reprochant essentiellement d'avoir trahi... les résolutions du congrès de Metz, c'est-à-dire de ne plus être fidèle à ses idéaux depuis 1979. Il écrivent par exemple « la preuve est faite aujourd'hui sur la ligne de Metz, celle de la rupture avec le capitalisme, c'est-à-dire celle propre à l'identité socialiste inscrite dans sa déclaration de principe, ni communiste, ni social-démocrate, il y a unité du parti » (paru dans Informations Ouvrières du 14 novembre 1985).

Les dirigeants du PCI prétendent qu'ils militent « à visage découvert » au sein du MPPT, puisqu'ils disent à leurs partenaires : « nous sommes du PCI » , ce qu'ils pourraient difficilement cacher. Mais cela ne suffit pas pour se définir. Surtout pour une organisation qui change régulièrement de politique sans éprouver le besoin de s'en expliquer.

Le drapeau, ce n'est pas seulement l'étiquette, c'est aussi le programme et les idées que l'on défend publiquement chaque jour dans les entreprises, chaque semaine dans son hebdomadaire, auprès des autres militants, auprès des travailleurs. Et si on se réclame du trotskysme pour expliquer qu'il faut rétablir la « démocratie représentative », ce n'est pas la même chose que de dire : « nous sommes trotskystes, c'est-à-dire communistes révolutionnaires, c'est pour cela que nous ne pensons pas que le bulletin de vote puisse changer le sort des travailleurs, et encore moins changer la société. Oui, nous voulons changer l'ordre social existant. Et nous voulons vous convaincre qu'il n'y a pas d'autres voies. Même si aujourd'hui vous ne nous croyez pas. Nous agissons pour vous en faire la démonstration, à travers notre activité, notre pratique ».

Non, il y a là deux démarches qui ne sont pas les mêmes, ni même complémentaires ou parallèles.

D'un côté on s'aligne sur les idées réformistes, on les cultive, on les cautionne, on les propage ou, dans le meilleur des cas ou le moins mauvais, on les tolère. De l'autre, on les combat. Mieux, on oeuvre à la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire qui ne se construira pas en chantant sa propre chanson à la social-démocratie, mais en s'adressant à l'ensemble des militants ouvriers, et bien entendu à ceux du PCF, pour leur offrir une autre image et une autre politique, bien plus entraînantes que celles mille fois faillies du réformisme.

Ce n'est pas la bonne voie qu'a choisie le PCI. C'est même la voie diamétralement opposée.

Pour y gagner quoi ? La possibilité de constituer des listes avec quelques notables du PS en rupture de ban, notables qui continueront à tenir le même discours qu'avant, puisque c'est celui du MPPT.

Et peut-être, si le MPPT obtient quelques succès électoraux le 16 mars, gagnera-t-il un semblant de respectabilité politicienne qui satisferait les dirigeants du PCI qui ont, somme toute, des ambitions bien modestes.

Mais quelles que soient les péripéties futures qui vont marquer l'évolution du MPPT, une chose est certaine : ce n'est pas de là que naîtra le parti des travailleurs, le parti prolétarien révolutionnaire dont la classe ouvrière a besoin pour son émancipation.

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