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- Lutte de Classe n°77
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Le mouvement écologiste face aux élections présidentielles de 1981 et à la politique.
S'il ne fait guère de doute que le mouvement écologiste sera présent dans la campagne pour les élections présidentielles de 1981, le choix de son ou de ses représentants semble par contre poser de nombreux problèmes aux « verts », si l'on en juge par les multiples réunions, assises ou conférences qui ont eu lieu dans le but de désigner le candidat commun des écologistes. Pour le moment nous sommes en présence de deux candidatures concurrentes, celles de Brice Lalonde et de Jean-Claude Delarue.
Toutes les composantes du mouvement écologiste paraissent cependant d'accord pour souhaiter une candidature unique. Mais la difficulté consiste à savoir qui sera, en l'occurrence, le porte-parole du mouvement.
Le problème n'est sans doute pas un simple problème de personnes, ou « d'intérêts de boutiques », au sens mesquin du terme. Les divisions qui sont apparues parmi les écologistes, à propos de la candidature pour 1981, sont en effet la conséquence naturelle de la diversité qui a toujours caractérisé ce mouvement. Et le choix d'un candidat commun à tous les écologistes leur pose d'autant plus de problèmes qu'il déterminera, dans une large mesure, l'axe autour duquel pourrait se structurer la nébuleuse écologique.
Car, que tous les écologistes en soient conscients ou pas, et qu'ils le veuillent ou pas, la tentative de parvenir à un accord sur une candidature commune constitue une opération qui dépasse le seul problème de faire entendre le point de vue des défenseurs de la nature lors des prochaines élections présidentielles.
En effet, pour parvenir à ce résultat, l'accord sur une candidature unique n'était absolument pas une nécessité, et les fameuses « divisions » des écologistes ne constituaient pas un obstacle. Deux, voire trois candidats écologistes auraient bénéficié de deux ou trois fois plus de temps de parole qu'un seul, et auraient pu intervenir de façon parallèle et complémentaire. Et rien ne permet de dire, en outre, que plusieurs candidats écologistes n'auraient pas pu, globalement, chacun touchant son propre public, recueillir plus de suffrages qu'un seul. La seule difficulté que des candidatures écologistes multiples auraient pu entraîner aurait été d'ordre technique : le problème des signatures de parrainage, plus difficile à résoudre pour chaque courant séparément, que pour l'ensemble du mouvement. Mais ce n'est visiblement pas sur ce terrain-là, sur celui des problèmes techniques, que se sont engagées les discussions entre les différentes tendances de l'écologisme. C'est sur celui de l'intérêt que revêtirait, pour le mouvement écologiste, le fait d'apparaître dans ces élections comme un mouvement homogène, cohérent, réuni autour d'un candidat unique, et du projet de société (pour reprendre une expression à la mode) que celui-ci défendra.
Or, c'est là que la diversité du mouvement écologiste pose problème. car s'il y a un certain nombre de choses sur lesquelles pratiquement tous les courants du mouvement écologiste sont d'accord (comme par exemple la dénonciation de la politique du tout nucléaire), il y a aussi entre eux des divergences importantes, en particulier quant à l'attitude à adopter par rapport aux partis politiques traditionnels.
Ces divergences ne constituent pas forcément une faiblesse du mouvement écologiste. La force de ce dernier a peut-être résidé au contraire, jusqu'à présent, dans sa diversité, c'est-à-dire dans sa capacité à attirer à lui, sur le terrain des actions locales comme sur le plan électoral, des gens d'opinions très diverses, mais sensibilisés par les mêmes problèmes. Et le mouvement écologiste risque peut-être de sacrifier sur l'autel de l'unité électorale ce qui séduisait une partie de son public.
Mais quoi qu'il en soit, ces divergences existent, et elles se sont d'ailleurs manifestées au grand jour dans les querelles qui ont accompagné les discussions sur la candidature écologiste. Brice Lalonde, ancien militant du PSU, est le candidat de tous ceux qui se sentent le coeur à gauche, et qui ne se cachent pas de sympathiser avec la CFDT, le Parti Socialiste, ou le PSU Jean-Claude Delarue est au contraire accusé par les précédents d'avoir un penchant trop prononcé pour les giscardiens. Sans compter tous ceux qui se démarquent avec la même énergie des partis de gauche et de droite.
Or il est évident que le courant auquel appartiendra l'éventuel candidat commun des écologistes en 1981 bénéficiera d'un avantage considérable par rapport à tous ses rivaux, et aura le maximum de chances de devenir l'axe autour duquel pourrait s'effectuer un regroupement des « verts ».
De ce point de vue, le type même d'élection rend un accord pour les présidentielles entre les différents courants écologistes infiniment plus difficile que lors des différentes consultations électorales passées.
Lors des élections municipales de 1977, les choses étaient simples, puisque la principale difficulté, pour les écologistes comme pour toutes les petites formations, consistait à présenter dans chaque ville une liste complète, et que l'entraide entre les différents courants en devenait en quelque sorte obligatoire.
Pour les élections législatives de 1978, l'accord - s'il n'avait pas été sans problèmes - avait pu se faire, parce que ces différents courants avaient plus de 470 circonscriptions à se partager (et ils n'avaient d'ailleurs présenté des candidats que dans 200 d'entre elles).
Quant aux élections européennes de 1979, le scrutin de liste rendait là aussi un accord relativement facile entre les différentes tendances, qui pouvaient toutes être représentées parmi les 81 candidats. Malgré cela, une bonne partie du mouvement écologiste est restée en dehors de la liste conduite par Solange Ferneix.
Mais en 1981, il n'y aura qu'un seul candidat pour tout le pays. Un candidat qui deviendra de fait le porte-parole de tout le mouvement écologiste. Et le relatif succès d' « Europe- Écologie » en 1979 n'encouragera personne, dans le mouvement écologiste, à rester en dehors de la compétition électorale.
Nous ne sommes plus en 1974, quand la candidature Dumont avait pu s'imposer sans difficultés majeures à un mouvement écologiste naissant, auquel la brièveté des délais n'avait laissé le temps ni de se diviser, ni de présenter une autre candidature.
Cette fois-ci, chacune des composantes du mouvement écologiste est consciente que si ce n'est pas un homme à elle qui est choisi, elle risque de faire les frais de l'opération.
C'est à cause de ce problème qu'un certain nombre de groupes écologistes ont évoqué la possibilité d'une candidature de « personnalité », comme celle de l'océanologue Cousteau. Mais cela ne ferait que modifier la forme du problème, sans en changer le fond, car un tel choix ne pourrait être neutre, et suivant la « personnalité » choisie, ses idées et ses options, il est bien certain que cela pourrait renforcer tel courant, ou affaiblir tel autre.
En outre, le candidat commun des écologistes pourrait difficilement limiter sa campagne aux sujets qui font l'unanimité parmi les « verts », mais il serait vraisemblablement amené à prendre position sur des problèmes généraux, concernant l'organisation politique, sociale et économique de la société... c'est-à-dire sur bon nombre de sujets sur lesquels les différentes tendances du mouvement sont aujourd'hui en désaccord.
Quel que soit l'aspect des choses que l'on considère, le choix d'un candidat commun ne pourra donc se faire que dans le cadre d'une opération donnant la prépondérance, au sein du mouvement écologiste, à l'une de ses composantes aux dépens des autres.
Or une telle opération ne peut pas s'effectuer sous l'oeil indifférent des états-majors des grands partis, car elle peut très bien avoir une importance capitale pour le résultat des élections présidentielles, dans la mesure où elle déterminera - au moins en partie - les consignes de vote que le candidat écologiste pourra donner pour le deuxième tour.
En 1974, rené dumont n'avait certes recueilli qu'un peu plus de 1 % des suffrages (près de 340 000 voix). c'était peu, même par rapport aux révolutionnaires (arlette laguiller avait obtenu lors de ce même scrutin 2,33 % des suffrages, soit environ 600 000 voix). mais lors des élections suivantes, les cantonales de 1976 et les municipales de 1977, les candidats écologistes avaient obtenu des résultats bien supérieurs, sans qu'il soit possible de les chiffrer àl'échelle nationale, puisque ces candidats étaient loin d'être présents partout.
Mais un certain nombre de résultats locaux se révélaient relativement impressionnants. C'est ainsi qu'aux élections municipales les écologistes obtenaient plus de 10 % des voix sur l'ensemble de Paris, avec des pointes a plus de 12 % dans les 5e, 6e et 7e arrondissements. C'est ainsi également que dans les banlieues résidentielles de Sceaux, La Celle-Saint-Cloud et Le Chesnay, ils obtenaient même respectivement 27,7 %, 23,1 % et 25,1 % des voix.
Il est vrai que les élections cantonales et municipales sont de celles où, parce que l'enjeu en paraît moins politique, les électeurs manifestent plus facilement leur mauvaise humeur par rapport aux partis traditionnels, sans d'ailleurs que cela aille au-delà (et l'extrême-gauche a elle aussi, quoiqu'en moins spectaculaire, réalisé d'assez bons scores aux élections municipales de 1977). Et il est vrai aussi que les élections législatives de 1978 n'ont pas entièrement confirmé les résultats des écologistes en 1976 et 1977. Cependant, avec 611 000 voix obtenues dans seulement deux cents circonscriptions sur les 474 que compte la métropole, les écologistes ont montré qu'il ne fallait pas les négliger.
Mais lors des élections européennes de 1979, la liste « Europe-Écologie », conduite par Solange Ferneix, a recueilli près de 900 000 voix et 4,4 % des suffrages exprimés, avec là aussi des pointes plus importantes dans certains quartiers résidentiels, ou dans des villes sensibilisées par leur voisinage au problème nucléaire, telles Cherbourg (près de la Hague) et Mulhouse (à côté de Fessenheim) où la liste Europe-Ecologie a respectivement obtenu plus de 9 % et plus de 11 % des voix.
Alors, il est certes impossible de prédire ce que seraient les résultats d'une candidature commune des écologistes aux élections présidentielles de 1981. L'importance politique apparente de ces élections (il s'agit d'élire l'homme qui est censé décider quasiment seul de la politique du pays pour sept ans) amènera peut-être bon nombre de ceux qui pourraient être tentés par le vote écologiste, à voter plus « utile », pour le candidat de l'un des grands partis traditionnels, dès le premier tour. En sens contraire, la relative dépolitisation actuelle de la grande majorité de la population favorisera peut-être les écologistes.
Si les sondages les créditent volontiers actuellement de chiffres relativement élevés (de l'ordre de 8 %), cela vaut ce que valent les sondages... c'est-à-dire pas grand-chose, si l'on juge par l'expérience des élections de mars 1978, où tous les instituts de sondage avaient donné la victoire à la gauche.
Mais quand bien même les résultats d'une candidature écologiste en 1981 seraient-ils bien plus modestes, ils ne seraient pas forcément à négliger pour autant par les grands partis. Après tout, en 1974, moins de 1 % séparait Giscard et Mitterrand au deuxième tour, et rien ne prouve qu'en 1981 les écarts seront beaucoup plus, importants. La façon dont les voix écologistes se comporteront au deuxième tour pourra donc jouer un rôle décisif.
Alors, s'il ne dépend ni de l'U.D.F., ni du R.P.R., ni du PS, pas plus que du PCF, que les écologistes ne soient pas présents dans la campagne électorale, on voit par contre l'intérêt qu'ils peuvent avoir à tenter d'influer sur les choix du mouvement écologiste en matière de candidat. Giscard, par exemple, n'a sans doute pas envie de se retrouver en 1981 avec un candidat écologiste qui, comme Dumont en 1974, mais peut-être après avoir recueilli trois ou quatre fois plus de voix, voire plus, se déclarerait en faveur de son rival au deuxième tour.
Pour chacun des grands partis, le meilleur des candidats écologistes serait évidemment celui qui serait capable de prendre des voix surtout aux adversaires de ce parti au premier tour, et de les lui amener au second. c'est évidemment plus vite défini que trouvé. et il ne faudrait pas seulement le trouver, mais aussi le faire adopter par le mouvement écologiste. mais à défaut de soutenir le meilleur (pour soi), on peut toujours essayer de favoriser le moins mauvais. et les tentations d'essayer d'infléchir le choix des écologistes dans un sens favorable doivent être d'autant plus grandes, dans les états-majors des grands partis, que l'électorat écologiste apparaît comme un électorat mouvant, sur le plan politique, et donc susceptible d'être assez facilement attiré d'un côté ou de l'autre.
Dans les luttes de tendances qui se déroulent actuellement au sein du mouvement écologiste pour le choix d'un candidat aux présidentielles, il n'y a donc pas que les écologistes qui soient concernés... et il est probable que plutôt que d'attendre passivement le dénouement, les directions des grands partis politiques essaient de manoeuvrer de manière à favoriser le candidat de leur choix, ou à écarter celui qui leur déplaît le plus.
Cela dit, que les grandes formations politiques du pays soient partie prenante ou pas dans les débats qui agitent actuellement le mouvement écologiste, cela ne change pas grand-chose. Car si ce ne sont pas les politiciens qui essaient d'orienter à leur profit le mouvement écologiste, ce sont les dirigeants des formations écologistes qui peu à peu risquent de s'intégrer au jeu des politiciens, et le résultat sera en fin de compte le même.
Qu'ils aient le coeur à gauche, ou à droite, ou encore qu'ils se réclament de l'apolitisme, les différents courants qui sont aujourd'hui favorables à une candidature unique des écologistes, veulent ainsi doter le mouvement d'une plus grande crédibilité électorale, tout en rêvant d'en prendre la tête. Cela ne se conçoit que dans le cadre d'une perspective visant à faire participer le mouvement écologiste à la vie politique, telle que pour l'essentiel elle se déroule aujourd'hui, c'est-à-dire sur les arènes électorales et parlementaires.
Or, il n'y a pas de troisième voie possible, et toute l'histoire du mouvement socialiste est là pour le montrer. Si l'on ne se pose pas en adversaire résolu du parlementarisme, sous toutes ses formes, si l'on ne se donne pas clairement pour but d'amener les travailleurs à la conscience de la nécessité de briser la machine d'État des possédants, on ne peut pas participer régulièrement aux luttes électorales, qui plus est avec quelque succès, sans être tenté d'y monnayer politiquement son influence, et du même coup être amené un jour ou l'autre à collaborer avec le système en place.
A supposer même que les dirigeants des grands partis n'essaient pas d'intervenir dans la vie interne du mouvement écologiste, celui-ci, s'il continue à remporter quelques succès électoraux, ne serait-ce que lui permettant d'arbitrer les querelles des quatre grands, est par la force des choses guetté par la politique politicienne.
Quelles que puissent être la sincérité des dirigeants des différents courants, leur intégrité personnelle, si leur mouvement se développe et devient un interlocuteur avec lequel il faut compter, leur position de départ - rejetant tout point de vue de classe - ne peut que les amener à la collaboration avec les gouvernants bourgeois en place, ou avec ceux qui rêvent de les remplacer.
Les marxistes révolutionnaires que nous sommes sont solidaires de tous les combats des écologistes pour la défense du cadre de vie et de l'environnement. Mais aux militants écologistes qui ont pris conscience des limites de ces combats-là, et des liens qui unissent ces problèmes aux problèmes généraux de la société, ils doivent aussi expliquer qu'il ne peut pas y avoir de politique purement écologique, qu'il ne peut y avoir que des politiques bourgeoises ou prolétariennes, et qu'il faut choisir.